Clivage gauche-droite

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Clivage droite-gauche classique au 20e siècle

Le clivage entre gauche et droite est sans doute le plus connu des clivages politiques, depuis la fin du 18e siècle.

Cela désigne un positionnement sur l'échiquier politique, d'abord parlementaire, des forces politiques les unes par rapport aux autres. On considère souvent que l'origine des dénominations gauche-droite remonte aux débuts de la Révolution française, pendant laquelle les soutiens du roi se sont placés à la droite du bureau présidant la séance, et les critiques à gauche. Les termes gauche-droite se sont popularisés progressivement au 19e siècle, désignant le progressisme (gauche) par opposition au conservatisme (droite).

C'est donc un terme dont le sens est relatif, et évolue en fonction du temps. Car les forces politiques en présence évoluent au grès de la lutte des classes, et un courant progressiste à une époque peut finir par se retrouver conservateur. C'est le cas typiquement du républicanisme bourgeois, historiquement un courant de gauche face au royalisme, qui a été poussé vers la droite suite à l'essor du mouvement ouvrier socialiste.

1 Principales évolutions[modifier | modifier le wikicode]

C'est principalement la Révolution française qui popularise les termes de droite et de gauche, les royalistes s'étant positionnés à droite du roi, les démocrates à gauche. Le clivage gauche-droite prenait alors globalement le sens suivant :

L'agitation de la longue période révolutionnaire débouche sur le régime de Napoléon Ier, qui complexifie déjà le tableau, puisque son régime est à la fois autoritaire, ce qui le place à droite, et à la fois il maintient la plupart des changements sociaux de la révolution et prétend les exporter à l'international. C'était l'apparition d'un autre type de droite, s'appuyant sur d'autres repères idéologiques que la réaction monarchiste (laquelle était vouée à décliner progressivement).

Allégorie du suffrage universel (1848). La démocratie était le marqueur principal de la gauche au 19e siècle.

Les notions de gauche et droite se répandent progressivement au cours des 19e et 20e siècles en Europe puis à travers le monde, de manière plus durable dans les pays latins, plus circonstancielle dans les pays germaniques et anglo-saxons. Cet usage vient d'abord de la vie parlementaire ; en France il ne se diffuse massivement dans le langage courant qu'au début du 20e siècle, et s'y stabilisent définitivement avec le Front populaire en 1936[1].

Au cours du 19e siècle, la démocratie (au sens bourgeois-libéral) reste encore à conquérir et stabiliser en Europe, si bien que la gauche reste dominée par les idées libérales (au sens politique) / démocratiques / républicaines. La base sociale derrière ces idées évolue cependant : les bourgeois, qui sont satisfaits (par exemple avec le suffrage censitaire) sont de moins en moins engagés pour le progrès démocratique, et c'est de plus en plus le mouvement ouvrier naissant qui prend le relais.

En miroir, dans les pays où l'idée monarchiste est marginalisée progressivement, les principales forces de droite deviennent des partis « libéraux » ou « républicains » dans un sens toujours plus conservateur.

Puis progressivement, l'industrialisation et la lutte de classe entre bourgeois et prolétaires font émerger une nouvelle ligne de fracture au sein de la gauche, entre socialisme ouvrier et libéralisme bourgeois, même si des forces petite-bourgeoises comme le radicalisme restent longtemps dans une tentative d'entre deux. La plupart des partis ouvriers socialistes naissent à la fin du 19e siècle ou au début du 20e siècle, dont une bonne partie deviennent des partis de masse, sur une dynamique de croissance, notamment électorale. Au début du 20e siècle, ces partis tendent à devenir les principales forces de gauche :

Par la suite, selon les pays, les communistes vont disputer l'hégémonie aux socialistes au sein de la gauche, et au sein de la classe ouvrière. C'étaient de fait des partis ouvriers, même si d'un point de vue socialiste révolutionnaire, les directions de ces partis étaient fortement critiquables, notamment parce qu'elles menaient des politiques de compromis avec la bourgeoisie et étaient même souvent socialement embourgeoisées (partis ouvriers-bourgeois).

Jusqu'aux années 1990 environ, la gauche est restée fortement associée à l'idée de défense des intérêts des travailleur·ses. Il y avait bien sûr d'autres forces de gauche, non ouvrières/socialistes, mais numériquement plus faibles et de fait souvent satellisées par les partis ouvriers. Il y avait également d'autres combats qui se maintenaient (les droits démocratiques), ou qui montaient en importance (les droits des femmes, l'anticolonialisme...), mais ceux-ci tendaient à être perçus comme recoupant le clivage gauche-droite. Ceci était globalement le cas, même s'il y avait de sérieux problèmes de sexisme et de racisme également dans les grands partis ouvriers de gauche.

Depuis les années 1990, les partis ouvriers de masse se sont largement effondrés presque partout dans le monde. A la fois par un recul de leur audience (en particulier les partis « communistes », les plus discrédités par l'effondrement de l'URSS), et par un changement de nature (en particulier les partis « socialistes »). Ce dernier point est important : à force de participer à des gouvernements bourgeois et de justifier les politiques d'austérité et de dérégulation, certains grands partis ouvriers de gauche sont devenus des partis bourgeois de gauche. Ils continuent à se distinguer de la droite sur certains terrains idéologiques, mais ont perdu l'essentiel de leur base ouvrière.

Logo LCR rouge.png

Tout cela a produit une grande désorientation chez beaucoup de militant·es habitué·es à une certaine grille de lecture. Dans les années 2000, certain·es s'accrochent à l'ancien contenu (socialiste) qu'avait le terme de gauche, et excluent certains partis (comme les PS) de la gauche, mettent en avant une véritable gauche (Die Linke en Allemagne, LCR « 100% à gauche », Parti de Gauche et Front de Gauche en France...).

2 Sinistrisme[modifier | modifier le wikicode]

Certains observateurs ont parlé de sinistrisme (ou mouvement sinistrogyre) pour désigner la tendance au 20e siècle à voir évoluer les anciens partis de gauche vers la droite. Cet effet a été assez puissant puisque pendant longtemps, la plupart de la droite préférait se revendiquer de gauche ou éviter le sujet.

Par exemple le groupe parlementaire Gauche radicale (1881-1936) a commencé à l'extrême gauche de l'Assemblée pour finir à son centre droit ; le Rassemblement des gauches républicaines (1946-1958) regroupait en fait des républicains de centre droit. Lors de l'élection présidentielle française de 1974, un seul candidat se déclarait appartenir à la droite : Jean-Marie Le Pen, et en 1981, aucun. Au Danemark le parti libéral s'appelle toujours Venstre (« la gauche ») alors qu'il est de centre droit.

Seuls quelques rares partis se sont dénommés eux-mêmes « de droite » : le Parti de la droite en Suède entre 1938 et 1969, le Parti de la droite au Luxembourg entre 1914 et 1940. Au début des années 1970 en France, le Front national est le seul parti à se réclamer ouvertement de droite, terme honteux depuis la Libération.[2]

Ce mouvement de fond reflète la transformation matérielle (essor d'une classe travailleuse majoritaire) qui a favorisé l'apparition d'un socialisme, même minimal, mais aussi d'autres transformations qui ont rendues obsolètes certaines formes de traditionalisme, et permis certains progrès dans les valeurs.

Dans les dernières années cependant, certains parlent d'un mouvement dextrogyre (vers la droite). Ce que l'on peut aussi décrire en terme de fenêtre d'Overton. Un certain nombre de courants s'affirment désormais sans complexe à droite : La Droite forte, la Droite populaire...

3 Éléments d'histoire[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Origines[modifier | modifier le wikicode]

Le clivage gauche droite vient d'abord du parlementarisme. En effet, dans les parlements, il y a un intérêt à se positionner par proximité politique, pour pouvoir mieux se mettre d'accord.

En Angleterre, dès 1672, les membres de la chambre des communes se plaçaient déjà à la droite ou à la gauche du roi.[3] Le 18e siècle vit l'émergence d'un clivage entre les Whigs, qui militaient contre l'absolutisme royal, et les Torys, qui défendaient l'aristocratie foncière.

Dans la salle des Menus-Plaisirs à Versailles, en août 1789, les députés se sont répartis à droite et à gauche.

Mais le plus souvent, on considère que la popularisation du clivage gauche-droite a eu lieu au moment de la Révolution française. Après que les députés des états généraux se soient proclamés assemblée constituante, et ait amorcé la construction d'une monarchie constitutionnelle, des polémiques ont éclaté.

Selon plusieurs historiens, la première séparation géographique serait née le 26 août 1789 lors du débat sur la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen lorsque la place du culte avait été évoquée : les défenseurs de l'Ancien régime, du Roi et de la Religion se seraient positionnés d’emblée à droite, les démocrates à gauche. [4]

A l'origine, la grande majorité des députés n'envisageaient pas de se passer de roi. Mais Louis Capet et les plus fervents royalistes regrettaient l'absolutisme, et voulaient conserver le plus possible de pouvoir. Notamment, un droit de véto sur les propositions de l'Assemblée. C'est ce point qui va cristalliser les débats dans un premier temps.

Les 27 et 28 août, pour faciliter le décompte des voix, les députés se répartissent dans la salle :

  • les partisans d’un droit de veto absolu du Roi (« monarchiens ») se rangent à droite du président, aux places d'honneur,
  • ceux qui veulent limiter le pouvoir du roi à un simple véto suspensif se rangent à gauche.

Le vote final a lieu le 11 septembre 1789.

Cette répartition s'enracine lorsqu'à partir d'octobre, les députés délibèrent dans la salle du Manège des Tuileries. Les conservateurs s'assoient sur le côté droit de la salle, par rapport au président (ce côté réputé honorable est dit le « côté de la reine »), les autres à la gauche (« côté du Palais-Royal »). Ils se disent « patriotes » et qualifient leurs opposants d'«aristocrates ».[5]

En termes de classes, les députés étaient loin de représenter le peuple, car le suffrage était censitaire. Ainsi même les députés du Tiers état (ensemble des députés n'appartenant pas au clergé et à la noblesse) étaient principalement de la petite et moyenne bourgeoisie (alors que l'immense majorité de la population était paysanne). Malgré cela, les luttes de classes s'exprimaient partiellement : les échos des revendications populaires s'exprimaient à travers une partie des députés du Tiers état et à travers le bas clergé (mais symétriquement, la haute bourgeoisie présente dans le Tiers état a eu tendance à faire front avec la majorité réactionnaire de la noblesse ).

Le fait que les députés du Tiers état soient majoritaires et que le vote par ordres ait été remplacé par le principe « un homme une voix » a surtout permis d'amorcer la sortie d'une société d'ordres, ce qui correspondait à une aspiration bourgeoise. De nombreux pas ont été réalisés vers la démocratie formelle et l'égalité en droit à ce moment-là, avec une radicalisation progressive aboutissant à la République. Cette forte pression politique vers le progrès a alors été réalisée parce qu'il y avait pression populaire (des sans-culottes dans les villes et des paysans révoltés dans les campagnes) et qu'une majorité de la bourgeoisie actait dans ses votes ces changements, par enthousiasme ou par peur (Grande Peur).

Le bonapartisme, avec sa rhétorique populiste et son gouvernement autoritaire, est déjà un premier défi à la grille de lecture gauche-droite telle qu'elle émerge pendant la révolution française.

Le clivage gauche-droite prenait alors globalement le sens de clivage républicanisme-monarchisme, même si les députés étaient encore loin de raisonner couramment en termes de droite et de gauche. D'autres répartitions dans l'assemblée étaient saillantes, comme entre les Montagnards (sur les rangs plus en hauteur et plus éloignés de la tribune) et la Plaine.

Cependant la radicalisation d'une partie des républicains jacobins (Robespierre faisait alors figure en quelque sorte de gauche radicale, même si ces termes n'étaient pas encore répandus), sous la pression populaire, vers un égalitarisme confus mais à caractère socialisant, a fait se déchirer la bourgeoisie, une majorité d'entre elle finissant par préférer des régimes plus autoritaires (Directoire, Consulat, Empire). L'épisode de 1793 fut bref mais préfigurait les évolutions du 19e siècle.

Les bonapartistes faisaient alors figure d'un nouveau courant politique, que l'on peut classer à droite dans le sens où il s'assoie sur la démocratie, mais que les royalistes n'aimaient pas non plus (même si des rapprochements ont eu lieu). C'est un premier exemple des insuffisances du clivage droite-gauche pour analyser les courants politiques.

3.2 Début du 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

La révolution industrielle engendre des transformations relativement rapides (par contraste avec les évolutions des siècles précédents) à l'échelle de toute l'Europe. Certaines idées bourgeoises se diffusent et des courants similaires entendent incarner le progrès.

Le mouvement « libéral » (alors de fait à gauche) connaît un essor important : liberales en Espagne à partir de 1810, libéraux français vers 1820 (même si le terme a été éclipsé par le succès du républicanisme), renommage des Wighs anglais en parti Parti libéral vers 1830.

Le clivage entre droite et gauche s'ancre dans la vie parlementaire pendant la période de la Restauration (1814-1830). A droite, les royalistes et contre-révolutionnaires, à gauche les libéraux, républicains ou au moins partisans d'un élargissement du suffrage. Et au centre, des conciliateurs (les Doctrinaires et les Indépendants). Certains historiens classent le bonapartisme au centre[6], d'autres à droite[7].

Sous la Monarchie de Juillet (1830-1848) commencent à émerger les socialistes au sein de la gauche. La plupart de ceux qui étaient investis en politique au sens de volonté d'action sur l'État (Saint-simoniens, blancistes, blanquistes...) était des républicains qui trouvaient naturel de souhaiter une république sociale (souvent en référence à 1793). Ils avaient essentiellement la République comme objectif, pensant naïvement qu'elle déboucherait enfin sur la société fraternelle qui avait été entravée par les monarchistes.

D'autres socialistes comme les fouriéristes étaient plus à l'écart de l'État, et davantage tournés vers de nouvelles théories et tentatives communautaires concrètes que vers le souvenir de la Révolution. Néanmoins les passerelles étaient nombreuses, ce qui a contribué à forger les identités de droite et de gauche. C'est également à cette période que les mouvements féministes apparaissent à gauche, parmi les saint-simoniens et les fouriéristes en particulier, ou avec une figure comme Flora Tristan.

3.3 Fractures de 1848 et de 1871[modifier | modifier le wikicode]

En 1848, une vague de révolutions démocratiques et nationales secoue l'Europe (Printemps des peuples).

En France, la monarchie est remplacée par la Deuxième république. Dans les principautés allemandes morcelées, on tente d'aller vers un régime démocratique unifié. Mais aussitôt, le mouvement ouvrier naissant affronte les forces bourgeoises, désormais partisanes de l'ordre établi. En France, la république bourgeoise massacre des ouvriers républicains en juin. Les bourgeois allemands renoncent à se lancer véritablement dans une transformation révolutionnaire de peur que l'agitation populaire et ouvrière ne les menace. Tout cela conduit progressivement à un regain de forces de la réaction sous différents visages : le Second Empire de Napoléon III en France, la réaffirmation monarchiste en Allemagne et en Autriche.

Karl Marx lors de la fondation de l'Internationale (1864)

Il commence donc à apparaître clairement que la « gauche » n'est pas si simplement le « camp de la démocratie » prise abstraitement, mais est traversée par un clivage de classe, qui donne des contenus assez différents aux revendications démocratiques (république bourgeoise vs république sociale...). Et cela engendre différentes réponses politiques :

  • Une partie de la gauche va chercher à maintenir le plus possible l'idée d'une unité de la gauche, par exemple l'idée d'un républicanisme qui serait intrinsèquement porteur de progrès social. Ce fut le cas des « républicains radicaux » de 1848 et de leurs héritiers (parti radical).
  • Une partie de la droite va chercher à brouiller les repères de classe, comme le bonapartisme. Napoléon III n'hésitait pas par exemple à utiliser le suffrage universel pour des plébiscites, c'est-à-dire à emprunter un moyen de gauche pour une façon de gouverner de droite.
  • Une partie de la gauche va chercher à clarifier le clivage de classe, en mettant l'accent sur le mouvement ouvrier. C'est par exemple cette logique qui va conduire à la formation de l'Association Internationale des Travailleurs, ou Première Internationale, et à la ligne que lui a donnée Marx.

A peine le régime de Bonaparte à terre, suite à la défaite de la Commune de Paris (1871), à nouveau, des républicains bourgeois massacrent des républicains socialistes ouvriers. Il s'agit d'un brutal rappel que le clivage de classe ne peut plus être ignoré.

3.4 Fin 19e - début 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

3.4.1 Essor du SPD (Allemagne)[modifier | modifier le wikicode]

Affiche du SPD pour le 8 mars 1914

La montée en puissance du mouvement ouvrier est générale dans les pays en cours d'industrialisation, mais c'est en Allemagne qu'elle s'exprime le plus tôt. Le parti social-démocrate d'Allemagne, fondé en 1871, est réprimé de 1878 à 1890, mais renforce malgré tout son influence. En 1890, c'est le parti qui fait le plus grand nombre de voix (20%).

3.4.2 Troisième République (France)[modifier | modifier le wikicode]

Sous la Troisième République, à l'origine, la droite à l'Assemblée était majoritairement monarchiste, mais finit par accepter la république. Il y a alors la stabilisation de courants républicains de droite et de gauche. Globalement, il s'agit de deux courants au sein de la bourgeoisie, même si le camp de gauche est plus petit-bourgeois et a quelques sympathies avec le mouvement ouvrier. Les divisions entre ces deux camps vont se reporter sur le degré d'approfondissement de la démocratisation ou de maintien du statu quo (conservatisme). Ainsi la gauche sera qualifiée de "parti du mouvement", et la droite de "parti de l'ordre"[8].

La question de la religion prit notamment beaucoup de place. La droite soutenait le catholicisme d'État[9], tandis que la gauche était en faveur de la laïcité, avec des franges nettement anti-cléricales.

Lors de l'affaire Dreyfus, la droite va s'engager dans une campagne antidreyfusarde et antisémite, là où la gauche va plutôt décider de défendre le capitaine[10]. La gauche était un peu moins colonialiste.

Le principal parti républicain de gauche était le « Parti radical et radical-socialiste ». Malgré ses discours sur la république sociale, il défendait l'ordre établi et critiquait « l'ouvriérisme ». Progressivement, l'essor d'un socialisme plus consistant (la SFIO est fondée en 1905) et s'appuyant sur le mouvement ouvrier déplace le parti radical vers le centre.

Les termes de droite et gauche commencent à être utilisés par le grand public à partir du début du 20e siècle.[11]

3.4.3 Travaillisme (Royaume-Uni)[modifier | modifier le wikicode]

Au Royaume-Uni, c'est la centrale syndicale qui décide en 1900 de fonder un parti qui soit le débouché politique des revendications ouvrières, le parti travailliste. Celui-ci va occuper peu à peu l'espace politique à gauche et marginaliser le parti libéral. Le parti conservateur lui se maintient (il n'a eu aucune concurrence sérieuse à droite pendant ses deux siècles d'existence[12]).

3.5 Évolutions au 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

Des grévistes face à la police, USA, 1912. Le rapport au mouvement ouvrier est souvent fortement associé au clivage gauche droite, mais cela n'est pas systématique.

La Première guerre mondiale va avoir de profondes répercussions dans le monde et particulièrement en Europe, où elle va entraîner une polarisation politique, avec l'émergence de courants d'extrême gauche (communisme) et d'extrême droite (fascisme).

3.5.1 Rupture socialistes - communistes[modifier | modifier le wikicode]

Au début du 20e siècle, le Parti social-démocrate allemand (SPD) fait figure de modèle pour une grande partie des socialistes dans le monde. Il apparaît comme une puissante organisation, appuyée sur des principes marxistes solides, qui semble confirmer la possibilité d'une extension internationale du mouvement ouvrier jusqu'à ce que celui-ci soit capable de prendre le pouvoir aux capitalistes.

La situation était loin d'être aussi marquée dans les autres grands pays capitalistes, mais la tendance semblait nettement à l'essor partout de partis socialistes, regroupés dans une Deuxième internationale moralement guidée par le SPD. Or, lorsqu'éclate la guerre mondiale en 1914, les principes internationalistes sont brusquement abandonnés, chaque grand parti socialiste cautionnant le déchaînement de chauvinisme et les massacres (d'ouvriers et de paysans) qu'ils entraînent.

Parmi les socialistes révolutionnaires sincères, cela entraîne une prise de conscience que les dirigeants des partis socialistes étaient embourgeoisés et n'avaient aucune volonté d'engager un conflit sérieux avec les classes dominantes. Leur seul horizon était le réformisme. A cela s'ajoute le fait qu'en 1917 en Russie, les bolchéviks (à l'origine un courant de la social-démocratie) prennent le pouvoir et tentent d'aller vers le socialisme, ce qui offre un autre modèle.

Ainsi lorsque les bolchéviks prennent le nom de Parti communiste et appellent à fonder une nouvelle Internationale, cela débouche sur une scission dans tout le mouvement socialiste international. Dans de nombreux pays, la gauche, qui était sur le point de devenir majoritairement une gauche ouvrière, allait maintenant être divisée entre socialistes et communistes. Par exemple en France, la rupture a lieu au congrès de Tours en 1920, entre la SFIO (PS) et la SFIC (PC).

Kautsky théorisait qu'il ne pouvait pas y avoir d'apparition d'un réel courant politique à la gauche du mouvement social-démocrate (tout comme la social-démocratie était apparue à la gauche du démocratisme bourgeois), parce qu'il n'y avait pas d'autre classe exploitée « sous » le prolétariat. Pour lui la seule possibilité d'un «  parti extrême » était sur la question du rythme de la révolution socialiste, celui-ci voulant entraîner les couches inférieures et impatientes du prolétariat.[13]

3.5.2 Entre-deux-guerres[modifier | modifier le wikicode]

Cette division entre réformistes et révolutionnaires est nécessaire d'un point de vue marxiste conséquent, cependant il est clair qu'elle conduisait à court terme à un affaiblissement dans le mouvement ouvrier (d'autant plus qu'elle se répercutait largement dans les syndicats).

Aussitôt apparaissent alors des aspirations à l'unité. Sous la forme de « l'union de la gauche » ou de l'unité du mouvement ouvrier. Ces deux options qui peuvent paraître synonymes sont en réalité deux options distinctes, puisque la gauche ne recoupe pas le mouvement ouvrier, un parti de gauche n'est pas nécessairement un parti ouvrier. En France par exemple, le Parti radical dominera encore la gauche dans les années 1930.

Affiche du Parti radical contre le « Cartel des droites ».

Dans les rangs de l'Internationale communiste, on théorisa alors le front unique ouvrier, qui consistait à favoriser l'unité d'action entre socialistes et communistes pour que leurs forces se combinent face à la bourgeoisie, et que le rapport de force et la conscience de classe augmentent, jusqu'à ce que les divergences entre réformistes et révolutionnaires soient palpables aux yeux des masses. Cela signifiait donc une unité d'action sur des objectifs précis, entre partis ouvriers, tout en maintenant des organisations séparées.

En 1924, le PS s'allie avec le Parti radical, formant le « Cartel des gauches ». A ce moment-là, le PC dénonce cette compromission avec la gauche bourgeoise. Puis le PC se met même à qualifier le PS de « social-fascisme » suivant la « troisième période » stalinienne.

Puis en 1936 le PC, le PS et le Parti radical forment le Front populaire, et c'est le PC qui pousse alors le plus pour mettre de côté les mesures de type socialiste. C'est qu'entre temps les staliniens ont opéré un nouveau zig zag politique. Malgré tout la lutte de classe s'invite, avec les grandes grèves de Juin 1936, qui arrachent des concessions majeures (congés payés). Cependant, après que le mouvement ait été démobilisé par les leaders, et que le réformisme ait montré son échec, la droite revient au pouvoir.

Pendant cette période, la droite est dominée par un républicanisme conservateur, partisan du libéralisme économique, avec quelques nuances (l'Alliance démocratique était un peu plus laïque, la Fédération républicaine un peu plus réactionnaire).

En Angleterre, les termes de droite et gauche sont popularisés à la fin des années 1930, dans les commentaires sur la guerre d'Espagne.[14]

3.5.3 Montée des fascismes[modifier | modifier le wikicode]

Le fascisme est un mouvement d'extrême droite d'un type nouveau, qui contraste avec l'ancienne extrême droite (royaliste) en perte de vitesse. C'est un mouvement de masse, qui s'appuie sur de fortes mobilisations populaires, principalement de couches petite-bourgeoises ayant peur du déclassement. Le fascisme s'impose d'abord en Italie en 1922 dans le sillage immédiat de la guerre. En Allemagne, le mouvement nazi progresse plus lentement dans les années 1920, mais avec un niveau de radicalisation bien plus élevé. Lorsque Hitler prend le pouvoir en 1932, il devient le modèle central du fascisme moderne, et donc de ce que l'humanité a produit de plus réactionnaire.

Sous le régime de Vichy, une propagande active est menée contre tout ce qui est assimilable à la gauche

En France, le mouvement n'atteignit pas la même ampleur, et il n'y eut pas un mouvement en particulier incarnant un pôle d'attraction autour d'une idéologie particulièrement fédératrice. Les groupes d'extrême droite les plus actifs à l'époque, les Ligues, étaient davantage des groupes royalistes comme l'Action française de Maurras.

En revanche, les circonstances de la Seconde guerre mondiale vont conduire au régime de Vichy en 1940, que Maurras a vu comme une « divine surprise »[15]. Avec la défaite de la France, le maréchal Pétain prend le pouvoir et signe un armistice avec l'occupant nazi. Le régime qu'il met en place est non républicain et autoritaire, et la majorité des élites de l'époque s'accommode très bien de la réaffirmation de l'ordre dans l'ombre des nazis. Seule une partie de la bourgeoisie, autour de De Gaulle, soutient la Résistance.

3.5.4 Après guerre[modifier | modifier le wikicode]

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les principaux régimes fascistes sont vaincus, et le rapport de force du mouvement ouvrier et anticolonial est plutôt élevé, malgré ses dirigeants bureaucrates socialistes et communistes plus éloignés que jamais d'une réelle politique révolutionnaire. En France, le PCF est le plus grand parti, et la droite est affaiblie[16]. La situation est similaire en Italie. Au Royaume-Uni, les travaillistes sont majoritaires pour la première fois. Dans de nombreux pays à ce moment-là, des systèmes de protection sociale sont institutionnalisés, et la politique économique dominante est un interventionnisme sans précédant de l'État. Même aux États-Unis, où la guerre froide va très vite conduire à une répression des communistes, le mouvement syndical était fort et les conquêtes sociales importantes.

En France, la 5e république favorise une bipolarisation de la vie politique, et une personnalisation autour de la figure de De Gaulle (tendance bonapartiste). Jusqu'à aujourd'hui, la droite «gaulliste » a dominé la 5e république. La gauche ouvrière (les forces comme les Radicaux étant réduits à peau de chagrin) est divisée entre PS et PC, et se voit obligée de recourir à une stratégie d'union de la gauche (au sein de laquelle c'est le PC qui se fait peu à peu satelliser par le PS). L'arrivée au pouvoir de Mitterrand en 1981 suscite un espoir parmi la classe travailleuse, espoir qui sera profondément douché, ce qui conduira à renforcer encore l'hégémonie idéologique de la bourgeoisie (perceptible dans la droite mais aussi dans la transformation de la gauche), mais aussi à un nouvel essor de l'extrême droite.

L'après guerre est aussi une période où les mouvements de décolonisation se généralisent, en Afrique et en Asie. Dans ces jeunes pays, la vie politique est souvent dominée par un grand parti indépendantiste, même s'il est traversé de tendances. Souvent, les conditions difficiles (guerre d'indépendance, situation de misère laissée par l'impérialisme...) poussent ces partis vers des formes dictatoriales. Dans beaucoup de pays ces partis ont repris des références au socialisme, même s'ils correspondaient plutôt en réalité à du nationalisme de gauche. Ils ont souvent nationalisé des secteurs stratégiques de l'économie comme les mines ou le pétrole, dans une logique développementiste (assurer un développement capitaliste plus indépendant), sans que cela s'accompagne de la moindre autogestion, hormis sous une forme atténuée en Yougoslavie et en Algérie.

Cette logique est poussée plus loin dans certains pays. En Chine (1949) et à Cuba (1959), des « régimes communistes » sont mis en place. Il y a une large étatisation de l'économie, et un quasi remplacement de la (faible) bourgeoisie comprador par une nouvelle élite bureaucratique. Qu'il y ait un peu ou pas du tout de démocratie, ces forces étaient perçues comme à gauche sur la scène internationale. Cela a contribué à ce que le lien historique qui existait entre « gauche » et « démocrate » soit moins évident. La droite libérale en a profité pour se présenter comme garante de la liberté face à une gauche qui serait prête à la sacrifier pour l'égalité.

En 1967, le Parti communiste de Suède devient « le Parti de gauche – Les communistes ».

3.5.5 Évolutions du bipartisme aux États-Unis[modifier | modifier le wikicode]

La politique des États-Unis est restée dominée par deux partis bourgeois, même s'il a existé à certains moments d'autres partis notables (Parti populiste, Parti socialiste, Parti communiste...). En revanche le Parti républicain et le Parti démocrate ont connu des transformations notables de leur idéologie et de leur base sociale, finissant même par inverser leur positionnement gauche-droite au cours du 20e siècle.

Au moment de la Guerre de Sécession (1861-1865), le Parti républicain était le parti des anti-esclavagistes (et du maintien de l'unité fédérale), représentant le Nord industriel (où le salariat était plus développé), face au Parti démocrate qui représentait le Sud esclavagiste (et antifédéraliste). Marx saluait même Lincoln. Après la guerre, les Démocrates ont maintenu pendant des décennies une ségrégation raciale dans leurs États du Sud (« lois Jim Crow »), et ont continué à défendre un certain anti-fédéralisme. Dans ce contexte, le Parti républicain était le parti de « gauche » (bourgeoise), mais les deux partis parvenaient globalement à maintenir une unité interclassiste dans leur base électorale (hormis les Démocrates avec les Noirs, en revanche ils affichaient un certain paternalisme social envers les White Poors, soudés par le racisme).

Vers 1896, le Parti républicain devient plus nettement le parti des capitalistes et du libéralisme économique (perdant momentanément du terrain face aux populistes et aux socialistes). Dans le même temps il restait défenseur d'un certain libéralisme politique par comparaison avec les Démocrates.

Dans les années 1930, le Parti démocrate parvient à gagner une majorité des votes populaires autour d'un programme de protection sociale et d'interventionnisme social-libéral, le New Deal. Progressivement, le Parti démocrate se lie avec des franges importantes de la classe ouvrière à travers son alliance avec les centrales syndicales. Il est cependant concurrencé un temps sur sa gauche par le Parti communiste, mais celui-ci ne se remettra pas de la guerre froide et du maccarthysme.

Dans les années 1960, une majorité du Parti démocrate se prononce pour la fin de la ségrégation dans le Sud, conduisant à de profondes tensions avec ses fractions sudistes (les Southern Democrates, ou Dixiecrats), certains basculant vers le Parti républicain, qui lui adopte une Southern strategy pour les attirer.

Polarisation des communautés visible sur Facebook, un an après l'élection de Trump

Suite au tournant néolibéral amorcé par les Républicains (Reagan) mais jamais remis en question depuis par les Démocrates, les bastions ouvriers connaissent un profond recul, qui impacte les deux partis mais surtout le parti Démocrate. Ce dernier tend alors à se centrer sur un profil de libéralisme politique (antiracisme moral, féminisme bourgeois...), avec un quasi abandon du discours « social », qui lui permet d'être le parti préféré de nombreux secteurs capitalistes (finance, tech, services...).

Le Parti républicain lui, reste le parti d'autres secteurs capitalistes (les pétroliers et d'autres industries) très anti-interventionnistes, et a surtout réussi à avoir une solide base de petits patrons réactionnaires (échaudés contre les taxes et « la bureaucratie de Washington ») et certains secteurs populaires parmi les hommes et les femmes blanches, utilisant de plus ouvertement les ressorts du traditionalisme, du racisme et de l'antiféminisme. Par comparaison, c'est aujourd'hui plutôt le Parti démocrate qui se retrouve à défendre le fédéralisme.

3.5.6 Le cas du stalinisme[modifier | modifier le wikicode]

Les États staliniens sont des régimes à parti unique. Donc à première vue il n'y a pas de sens à parler de clivage gauche droite. Cependant des études de psychologie en URSS ont montré que les « personnalités autoritaires » (RWA, trait de personnalité corrélé au conservatisme, au conformisme et à la droite) se trouvaient plutôt du côté des membres du parti unique.[17]

Il faut souligner que cela ne peut pas être plaqué sur l'analyse des PC dans le contexte des pays capitalistes. Sur cette même échelle RWA, les membres des PC obtiennent (années 1980) des scores bien plus bas que les autres.[18]

3.5.7 Recul de la gauche ouvrière[modifier | modifier le wikicode]

Dans les démocraties libérales, et dans des conditions où la lutte de classe est relativement faible ou bien canalisée par les dirigeants, il existe une tendance notable à l'évolution vers des systèmes de bipartisme, même dans les pays où il y avait un multipartisme. Presque toujours l'un de gauche, l'autre de droite, même si cela signifie souvent de moins en moins une opposition entre parti ouvrier et parti bourgeois (voire cela n'a jamais été le cas comme aux États-Unis).

Depuis les années 1990, les partis ouvriers de masse se sont largement effondrés presque partout dans le monde. A la fois par un recul de leur audience (en particulier les partis « communistes », les plus discrédités par l'effondrement de l'URSS), et par un changement de nature (en particulier les partis « socialistes »). Ce dernier point est important : à force de participer à des gouvernements bourgeois et de justifier les politiques d'austérité et de dérégulation, certains grands partis ouvriers de gauche sont devenus des partis bourgeois de gauche. Ils continuent à se distinguer de la droite sur certains terrains idéologiques, mais ont perdu l'essentiel de leur base ouvrière.

Cela a conduit un certain nombre de partis à abandonner totalement des étiquettes jugées discréditées. En 1990, le parti communiste de Suède devient « le Parti de gauche ». En 1991 le Parti communiste italien devient le « Parti démocrate de la gauche ». En Allemagne, le Parti du socialisme démocratique (PDS), héritier de l'ancien parti de la RDA, devient en 2005 « Parti de gauche » (Die Linkspartei), avant de se dissoudre dans le nouveau parti Die Linke (La Gauche) en 2007. En France, lorsque Jean-Luc Mélenchon quitte le PS en 2008 avec quelques autres, il choisit de donner à son nouveau parti le nom de Parti de Gauche (et forme avec le PCF une alliance nommée le Front de Gauche). Au niveau européen se forment les réseaux Parti de la gauche européenne (2004) et Gauche anticapitaliste européenne (2000).

Dans les années 2000 même à l'extrême gauche il était fréquent que des militant·es habitué·es à une certaine grille de lecture (gauche = défense des intérêts des exploité·es) s'accrochent à l'ancien contenu qu'avait le terme, et l'utilisent pour afficher un profil plus intransigeant, en se présentant comme une véritable gauche (LCR « 100% à gauche »...). Il est cependant probable que le terme de « gauche » ait été tout autant discrédité que le terme de « socialiste » dans de larges pans de la classe travailleuse.

3.5.8 Essor de l'écologie politique[modifier | modifier le wikicode]

A partir des années 1960, la conscience des dégradations importantes des écosystèmes commence à atteindre une échelle de masse, et à susciter des engagements, formant progressivement ce que l'on appelle le courant de l'écologie politique.

Ces mouvements ont globalement visé l'industrie capitaliste (avec une hésitation sur le fait d'incriminer l'industrie en soi ou son caractère capitaliste) et les politiques de laissez-faire, ce qui les a positionné à gauche. Il y a cependant parfois des conflits avec le reste de la gauche, par exemple lorsque des travailleurs d'un secteur donné se sentent visés par les critiques écologistes de ce secteur. Le mouvement écologiste a été marqué par un fort sentiment pacifiste, avec une tendance à associer respect de la nature et opposition à diverses technologies comme le nucléaire (militaire comme civil). Il a eu une tendance à se recentrer vers la fin du 20e siècle, même s'il reste en moyenne plutôt de centre gauche. Il s'est aussi énormément diversifié, certains courants libéraux et même certains courants d'extrême droite faisant leur apparition.

3.6 Situation contemporaine[modifier | modifier le wikicode]

Les tendances à la crise du capitalisme menacent la stabilité des démocraties bourgeoises, ce qui génère en leur sein des tendances à la polarisation politique (radicalisation à droite d'un côté, radicalisation à gauche de l'autre). Cela se produit à la fois sur du long terme (depuis le tournant néolibéral des années 1980, le chômage augmente et les mesures d'austérité se succèdent sans fin), et avec des accélérations (comme lors de la crise de 2008). Cela produit aussi une tendance au retour du multipartisme.

Dans cette situation, un jeu politicien avec une dynamique de plus en plus droitière s'est installée. Les politiciens étant incapables (ne voulant pas remettre en question les intérêts capitalistes de leur classe) d'apporter des améliorations sociales notables au cours de leur mandat, ils ont recours à des rhétoriques réactionnaires pour souder un électorat contre des boucs émissaires. Les cibles sont variées et dépendent des courants politiques, mais ce qui domine, c'est le racisme, qui imprègne profondément la société. Même si bien évidemment, la droite et l'extrême droite concentrent l'essentiel du racisme, de nombreux dirigeants du PS et du PC ont eu recours à ces mêmes procédés.

Tout cela produit comme effet secondaire une banalisation des idées d'extrême droite, et une montée de certains partis à la droite des partis traditionnels de droite. Sans une irruption de la lutte des classes permettant de rediriger nettement la colère populaire vers les capitalistes, vrais responsables de la crise, et donc la construction d'une « gauche » révolutionnaire, l'accès au gouvernement de l'extrême droite (ou d'une forme de coalition entre droite et extrême droite) paraît inévitable.

Les partis de droite ont eux-mêmes tendance à évoluer vers la droite. En Autriche, le FPÖ, parti libéral de droite devient directement à partir de 1986 un parti d'extrême-droite (avec Jörg Haider). En France en 2024, une partie de LR (Ciotti) rompt le traditionnel cordon sanitaire et s'allie avec le RN.

3.6.1 France[modifier | modifier le wikicode]

En France, le Front national (devenu Rassemblement national) des Le Pen parvient au second tour de l'élection présidentielle de 2002, et reste depuis aux portes du pouvoir. Cyniquement, les deux partis de gouvernement (PS et UMP / LR), principaux responsables de l'essor de Le Pen, utilisent massivement l'argument du « barrage à l'extrême droite » (« front républicain ») pour se faire réélire malgré leur impopularité. Cela a fonctionné jusqu'à aujourd'hui, mais il y a eu une tendance à l'effritement de l'électorat des deux grands partis (habilement attaqués comme « UMPS », « partis du système », etc. par Le Pen).

L'effritement s'est manifesté lors de l'élection présidentielle de 2012 et plus encore lors de celle de 2017. En 2012 commence à émerger une force réformiste à gauche du PS, le Front de gauche, qui incarne un certain retour à ce que pouvait être le PS des années 1980 (même si le programme de Jean-Luc Mélenchon remet encore moins en question la propriété capitaliste que celui de Mitterrand en 1981). En 2017, le courant autour de Mélenchon continue de se renforcer, renommé en France insoumise, même s'il n'arrive pas à rattraper l'essor de l'extrême droite (le RN de Le Pen, avec également désormais le parti de Zemmour).

L'autre phénomène de 2017, c'est Emmanuel Macron. Alors qu'au « centre », les deux principaux partis (PS et LR se ressemblant de plus en plus) sont en profond recul, Macron réussit le tour de force de se faire passer pour un novateur alors qu'il incarne le statu quo sur l'essentiel (l'économie capitaliste), et à récupérer l'électorat « modéré » et convergent (sociologiquement et idéologiquement) de ces deux partis. Il parvient ainsi à redonner un souffle momentané à l'option « centriste » (dans la pratique, le jeu politicien évoqué plus haut l'a amené à très grande vitesse à s'aligner sur la droite dure) qui a la préférence des milieux bourgeois. Cependant, cela ne peut pas fonctionner indéfiniment. S'il a réussi à se faire réélire en 2022, c'est encore une fois par rejet de Le Pen.

Selon une enquête réalisée en France par Fondapol en octobre 2021, 37% des personnes interrogées se situent à droite, 20% à gauche, 18% au centre et 23% ne savent pas si elles sont à droite, à gauche ou au centre[19]. Mais paradoxalement, cela cohabite avec des opinions socialisantes : en 2022, 73% pensent que "l'économie actuelle profite aux patrons aux dépens de ceux qui travaillent", et 57% jugent que "pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres".[20]

3.6.2 États-Unis[modifier | modifier le wikicode]

Aux États-Unis, un sondage de 2005 indiquait que les termes left wing et right wing étaient moins connus que les termes liberal et conservative (sachant que liberal signifie aux États-Unis partisan du libéralisme politique et culturel - plutôt parti démocrate - les deux camps étant généralement fermement pour le libéralisme économique).[21]

Selon un sondage de 2019, les millenials ont une meilleure opinion du « socialisme » que leurs aînés marqués par la guerre froide (certains parlent de millenial socialism). Il est intéressant de relever que c'est surtout l'étiquette communiste qui sert d'épouvantail, et que le soutien à des mesures égalitaristes est en soi beaucoup plus largement populaire. Deux tiers des citoyens aux États-Unis estiment que les plus riches ne paient pas assez d'impôts, et 70% que les inégalités sont un problème majeur.[22]

Il est intéressant de noter qu'en 2022, 72% répondent que l'on ne dépense pas assez pour « l'assistance aux pauvres », mais seulement 29% répondent que l'on ne dépense pas assez « pour l'État providence » (welfare).[23]

4 Clivages au sein des partis[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Tendances de gauche et de droite[modifier | modifier le wikicode]

Puisque les dénominations de droite et gauche sont relatives, elles sont souvent utilisées également au sein même des différents partis. Ainsi on peut parler d'une « aile droite » au sein d'un parti d'extrême gauche ou d'une « aile gauche » au sein d'un parti d'extrême droite.

Par exemple le parti ouvrier social-démocrate de Russie était séparé entre une aile droite, les menchéviks, et une aile gauche, les bolchéviks. Au sein des menchéviks, il y eut à une certaine période une aile gauche prête à travailler avec les bolchéviks, et une aile droite dite « liquidationniste ». En miroir, il y avait chez les bolchéviks une aile droite (celle de Lénine), et une aile gauche (les « otzovistes »), que les léninistes considèrent comme gauchiste. Après la Révolution d'Octobre certains courants (Kommunist, Opposition ouvrière...) se revendiquent « communistes de gauche » et s'opposent à Lénine et à Trotski au sein du parti bolchévik. Dans la jeune Internationale communiste également, des courants « communistes de gauche » (Bordiga, Pannekoek...) s'opposent également à la ligne majoritaire dans les premières années. Puis, à partir de 1924, il y eut l'Opposition de gauche (Trotski), et plus tard l'Opposition de droite (Boukharine)...

4.2 Différences tactiques et stratégiques[modifier | modifier le wikicode]

On pourrait penser que par définition un courant plus à gauche est nécessairement plus progressiste. Cependant il est nécessaire d'ajouter la dimension de la stratégie et de la tactique politique. Entre deux forces politiques A et B qui ont le même objectif, si A emploie une stratégie/tactique qui semble plus radicale, mais qui est moins efficace, il n'a pas beaucoup de sens de dire que A est plus progressiste dans la pratique.

Des pratiques qui peuvent sembler plus radicales sont par exemple, la tentative de réaliser immédiatement une communauté idéale locale, la lutte armée ou des attentats, des revendications maximalistes coupées de l'état d'esprit des masses, le refus d'intervenir dans des cadres de masse (syndicats, élections...) au nom de certains principes (anti-bureaucratie, anti-électoralisme)... Évidemment, il n'est pas toujours simple de distinguer ce qui relève de différences tactiques de ce qui relève de différences de principes, ce qui relève du compromis acceptable ou de la compromission. Ce type de débat est apparu par exemple dans la Première internationale entre Marx et Bakounine, puis entre anarchistes et social-démocrates.

Lorsque l'Internationale communiste a été fondée, l'objectif révolutionnaire a été réaffirmé par rapport aux socialistes, mais des divergences ont eu lieu sur les tactiques possibles. Le courant « communiste de gauche » paraissait plus radical (refus d'intervenir dans les syndicats tenus par la bureaucratie social-démocrate, refus de tout front unique...), mais le courant majoritaire considérait que cela condamnerait le mouvement à un isolement sectaire et donc à éloigner, paradoxalement, les possibilités de révolution. Au cours de ces débats, Lénine a raillé ces mouvements comme « gauchistes » (inaugurant un certain sens péjoratif de ce terme parmi les marxistes).

5 Clivage et bipartisme[modifier | modifier le wikicode]

La popularité des termes de droite et gauche dans les différents pays a sans doute des rapports complexes avec l'histoire particulière des partis dans ces pays. Si ces termes sont apparus avec le parlementarisme, il semble que d'autres conditions ont été nécessaires pour les populariser.

Dans les pays où le bipartisme a dominé, il y avait peut-être moins le besoin de dénominations comme droite et gauche. Ainsi en Angleterre, où le parlementarisme a été très ancien, l'opposition entre progressistes et conservateurs s'incarnait dans les deux grands courants, les whigs et les tories, avec une grande stabilité dans le temps (même si les travaillistes ont pris la place des whigs).

En France, il y a eu à la fois une pratique parlementaire et des changements rapides (du fait d'une lutte de classe souvent plus intense que dans d'autres pays) de la composition des ailes droite et gauche de l'Assemblée. D'où peut-être un besoin d'employer des termes méta pour désigner ces deux directions politiques, et leurs caractéristiques stables au delà de leurs différences de nature.

On peut supposer que les formes des institutions politiques ont aussi un effet, sans qu'il soit clair. Par exemple les régimes parlementaires dans lesquels les partis doivent sans cesse faire ou défaite des coalitions pour gouverner (comme la Quatrième république en France) s'opposent sans doute à la stabilisation d'un bipartisme.[24][25]

🔍 Voir aussi sur Wikipédia : Bipartisme et Multipartisme.

6 Psychologie et valeurs[modifier | modifier le wikicode]

Même si l'on considère que les évolutions politiques ont avant tout des causes socio-économiques, et que le contenu de classe du clivage change fondamentalement selon le contexte, les individus qui constituent les deux bords montrent des caractéristiques assez typiques en terme de psychologie et de valeurs.

Parmi les interprétations psychologiques courantes, on retrouve l'idée que les idéologies de droite offrent par exemple un sentiment d'ordre, de sécurité et de contrôle, et sont donc davantage choisies par les personnes percevant le monde comme dangereux et ayant une faible tolérance à l'incertitude.[26]

6.1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]

La psychologie sociale a établi qu'il y a une certaine pertinence à définir un type de personnalité « autoritaire de droite » (Right-Wing Authoritarianism - RWA). Les études montrent que l'on peut classer les individus sur un axe (plus ou moins autoritaire), et que cela prédit assez bien leurs choix politiques (plus ou moins à droite), y compris si l'on évite les questions trop évidemment connotées dans le questionnaire.[17] Ce type de personnalité est favorisé en temps de crise.[27]

Gauche Droite
Progressisme, esprit-critique Traditionalisme, conservatisme
Accent sur la Justice sociale Accent sur la Justice pénale
Accent sur la justice réhabilitative Accent sur la justice punitive, voire la vengeance
Explications sociologiques et relativisation du mérite « Méritocratie » : essentialisation du mérite
Recherche de l'horizontalité et du consensus Respect de la hiérarchie
Défense des droits démocratiques et des libertés individuelles face aux autorités ; tendance à justifier la pression populaire extra-parlementaire Tendance à justifier les mesures arbitraires des gouvernements ou des policiers ; condamnation des mouvements populaires extra-parlementaires
Tendance à prôner la limitation de certaines libertés individuelles pour certains objectifs de solidarité Tendance à invoquer les libertés individuelles face à certaines contraintes de solidarité

6.2 Valeur travail[modifier | modifier le wikicode]

Sur la question du travail, les chocs de valeurs sont plus complexes, notamment parce que la société capitaliste a beaucoup évolué. Au début du 19e siècle, alors que la gauche était encore très marquée par la lutte du « peuple » contre la noblesse, le travail était mis en avant comme valeur positive (capacité de créer des richesses) face à l'oisiveté et au parasitisme de la noblesse. Chez Saint-Simon par exemple, il y avait une opposition entre les « industriels » (il y incluait les ouvriers et les entrepreneurs) et les « oisifs » (aristocrates terriens rentiers).

Mais avec le développement de la révolution industrielle, l'opposition entre les prolétaires et les bourgeois est apparue nettement, en même temps que par ailleurs, le grand patronat devenait lui aussi largement oisif (déléguant de plus en plus de tâches à des cadres), et des parts croissantes de la bourgeoisie devenaient rentières (soit dans le foncier soit par la possession d'actifs financiers). La gauche ouvrière a alors repris l'opposition travailleur·es / oisif·ves en incluant cette fois la bourgeoisie : le mouvement ouvrier a utilisé le slogan « Qui ne travaille pas ne mange pas ! ».

Plus largement, le mouvement ouvrier a aussi fait preuve d'une certaine fierté d'être le camp des travailleur·ses. Cela s'exprime en partie dans les expressions « camp du Travail » opposé au Capital héritées du 19e siècle.

Mais face aux journées de travail interminables et aux cadences infernales, le mouvement ouvrier a aussi revendiqué la limitation du temps de travail et de son intensité (pauses...), notamment pour accéder à un minimum de temps pour l'éducation, la culture, de temps libre en général. Cela s'est incarné dans les slogans autour de la journée de 8 heures par exemple. Ces revendications ont reçu le soutien d'intellectuels socialistes ou de gauche en général, qui ont commencé à valoriser le temps libre. Une des manifestations précoces est le pamphlet de Lafargue, Le droit à la paresse (1880).

Progressivement, cela a produit un repositionnement de la droite, qui ne pouvait plus avoir l'air de défendre le parasitisme des classes dominantes. Celle-ci s'est mise de plus en plus à défendre idéologiquement la « valeur travail » :

  • en stigmatisant la gauche pour sa paresse supposée (ce qui était déjà envoyé à la figure des ouvriers des Ateliers nationaux en 1848) ;
  • ce serait grâce à leur dur travail que les entrepreneurs s'enrichissent (méritocratie) ;
  • il ne faudrait surtout pas faire de lois sur la durée du travail sous peine de ruiner le pays (ce qui était déjà avancé par les patrons lorsqu'il s'agissait d'interdire le travail des enfants ou de diminuer la journée à 10 heures).

Avec l'obtention progressive de dispositifs maintenant le salaire en cas de maladie ou de chômage, ainsi qu'avec la retraite, ce discours de la droite est monté en puissance. La dénonciation de « l'assistanat » est devenu sa spécialité.

6.3 Nationalisme et internationalisme[modifier | modifier le wikicode]

Il est souvent considéré que lors de la Révolution française, le nationalisme est « de gauche » (volonté de protéger « la Nation » par opposition à la monarchie de l'intérieur et à des alliés monarques de l'étranger), jusqu'à environ la fin du 19e siècle[28]. On parle parfois de patriotisme pour désigner ce sentiment et l'opposer au nationalisme. Le sentiment patriotique est encore très fort par exemple pendant la Commune de 1871.

Par ailleurs, les États-nations sont encore relativement jeunes au 19e siècle. L'identité nationale a encore peu de contenu dans l'esprit des masses européennes : beaucoup de langues différentes selon les régions, parfois plus proches de celles du pays d'à côté que de celle de la capitale, encore beaucoup d'analphabétisme... les paysans se retrouvant ouvriers dans une grande ville distante se retrouvent méprisés par les bourgeois locaux...

Le fait de constituer un même ensemble, une « nation », est alors une construction sociale en chantier, que certains intellectuels soutiennent activement : généralement, des bourgeois démocrates, qui mettent en avant des proximités linguistiques, des faits historiques communs plus ou moins romancés, et qui se heurtent souvent à des autorités issues du féodalisme. En Allemagne et en Italie, ce sont ainsi des mouvements démocrates nationalistes de gauche qui ont été les moteurs de l'unification nationale.

Ce nationalisme était donc un processus de lutte contre des autorités pour un élargissement de l'horizon (passer du localisme des principautés à une échelle plus grande). Par ailleurs, à la même époque, nombre de ces nationalistes se voyaient comme compagnons de lutte des nationalistes des autres pays, et prônaient même l'internationalisme, qu'ils n'opposaient pas au nationalisme. Une bonne part participaient à des regroupements internationaux (dont l'Association internationale des travailleurs), et avaient comme idéal de long terme les États-Unis d'Europe voire un monde cosmopolite.

En revanche, vers la fin du 19e siècle en Europe de l'Ouest, les États-nations commencent à être tous constitués, et une évolution profonde a lieu :

  • Ceux qui maintiennent l'optique d'un élargissement de l'horizon sont désormais très majoritairement dans les partis ouvriers, qui sont ouvertement internationalistes.
  • Ceux qui défendent le statu quo en faveur des nouvelles bourgeoisies nationales utilisent désormais le levier du nationalisme pour prétendre souder toutes les classes en niant l'exploitation, et en canalisant les ressentiments populaires sur les « ennemis intérieurs » (des minorités nationales, des migrants...), ou les « ennemis extérieurs » (autres nations). Non seulement ils s'opposent à un élargissement de l'horizon, mais la plupart du temps ils participent à le rétrécir, en diffusant des visions de la nation de plus en plus excluantes.

Cette deuxième attitude s'est avérée être un très puissant levier de l'idéologie dominante bourgeoise, au point de très souvent prendre le dessus sur les intérêts de classe, même lorsque la conscience de classe était en apparence forte. L'exemple type est la Première guerre mondiale, qui voit s'affronter différentes bourgeoisies nationales, et fait voler en éclats la solidarité proclamée de l'Internationale socialiste, qui avait juré d'empêcher des frères prolétaires de s'entretuer.

Le patriotisme fut un élément clé de la révolution cubaine, et aujourd'hui un élément clé de la propagande du régime.

En revanche, le sentiment national continue d'avoir des aspects progressistes dans les pays dominés par l'impérialisme. En effet, dans un pays colonisé, revendiquer la souveraineté nationale revient à s'opposer directement à des puissants (des troupes, des gouverneurs nommés par l'étranger...) et non à des faibles. Ceci est d'autant plus vrai lorsque les élites locales sont complices de la domination étrangère : dans ce cas souveraineté nationale est confondue avec la souveraineté populaire. C'est notamment pour cela que les communistes des débuts de la Troisième internationale ont insisté sur la distinction à faire entre le nationalisme des oppresseurs et le nationalisme des opprimés.

6.4 Rapport aux sciences[modifier | modifier le wikicode]

Les rapports de la science au « progressisme » sont complexes. Les plus réactionnaires défenseurs de l'ordre établi ont tendance à se méfier voire à entraver les nouvelles idées, dont les progrès scientifiques. C'était surtout le cas dans les sociétés précapitalistes, dans lesquelles l'appareil productif était globalement stable. C'est pourquoi il y a eu une tendance à partir de l'époque moderne à associer bourgeoisie et progrès (politique et scientifique) face à aristocratie et obscurantisme. Cette caricature du Moyen-Âge a été largement exagérée par l'idéologie bourgeoise, mais elle se base néanmoins sur un certain nombre d'éléments réels.

Néanmoins, en devenant la classe dominante, la bourgeoisie a aussitôt manifesté ses tendances à utiliser les sciences et techniques de manière réactionnaire. Elle s'est mise à révolutionner sans cesse les moyens de production, mais dans le seul but de maximiser son profit, et sans aucune considération pour les conséquences sociales (chômage, intensification du travail...) et écologiques (pollutions, gaspillages...). Initialement, le socialisme a repris le flambeau de cette association entre progrès technique et progrès social. Au 19e siècle, le socialisme véhiculait l'idée que la socialisation des moyens de production permettrait de faire profiter à l'ensemble de l'humanité des fruits de la modernité. Il dénonçait l'injustice criante d'un monde capitaliste plus riche et plus inégalitaire que jamais, et avançait même que le socialisme accélèrerait le progrès scientifique, freiné par les rivalités entre entreprises et nations (brevets, secrets, guerres...). La plupart des socialistes se voyaient même comme des pionniers de la science dans les domaines de la société (économie, sociologie...). Marx et Engels en particulier sont connus pour avoir mis en avant l'idée d'un socialisme scientifique.

Les milieux scientifiques étaient dans ce contexte assez divisés. Les scientifiques sont majoritairement issus des classes supérieures, ce qui les pousse à droite, mais leurs particularités professionnelles (usage de la raison qui amène à critiquer les absurdités du capitalisme, coopération internationale qui amène à atténuer les nationalismes...) leur donne une ouverture vers les idées de gauche.

Dans la deuxième moitié du 20e siècle, l'idée que progrès technique et social sont liés a nettement reculé. C'est la conséquence de l'utilisation massives de techniques modernes dans les guerres mondiales, de la découverte du risque existentiel avec l'arme atomique, des menaces sur l'équilibre écologique global... Des courants plus sceptiques voire « anti-science » sont apparus à gauche comme à droite (ce qui offre par ailleurs certaines passerelles confusionnistes). A droite, ce sont plutôt des courants qui se méfient de la science dans ce qu'elle peut avoir de contraignant sur leur individualisme (climatoscepticisme, anti-vaccins...). A gauche ce sont plutôt des courants « techno-critiques » ou « anti-industriels », qui estiment que la plupart des technologies ne sont pas neutres et sont façonnées par les besoins des capitalistes.

La psychologie sociale a montré que les profils autoritaires de droite ont plus tendance à être indifférents à la validité des raisonnements.[17] C'est ce qui explique que pointer des contradictions dans les argumentations de gens de droite a peu d'effet.

7 Critiques du clivage gauche-droite[modifier | modifier le wikicode]

7.1 Centristes et « apolitiques »[modifier | modifier le wikicode]

De manière générale, il y a une tendance à ce que ce soit plutôt les gens de droite qui nient le clivage gauche droite. Le philosophe Alain disait en 1931 : « Quand on me demande si la division entre partis de droite et partis de gauche (...) a encore un sens, la première chose qui me vient à l'esprit est que celui qui pose la question n'est certainement pas un homme de gauche. »[29]

C'est sans doute en lien avec le sinistrisme évoqué plus haut, et le fait que les conservateurs ont par définition tendance à considérer qu'il n'y a plus rien qui mérite d'être changé dans la société, et donc qu'ils nient la pertinence d'être encore de gauche. Ou alors, ils nient le fait qu'il y ait des oppositions fondamentales (à la racine, il y a la négation de la lutte des classes), et se revendiquent « ni de droite ni de gauche » :

  • Le général de Gaulle refusait de se positionner sur l'axe gauche droite.
  • Emmanuel Macron s'est présenté comme « et de gauche, et de droite » ou comme « ni de droite ni de gauche ».

Un certain nombre de courants se sont revendiqués du « centre », en tentant de jouer la carte du « juste milieu raisonnable ».

Logo du « Parti du centre », un parti d'extrême droite néerlandais des années 1980, qui se revendiquait « ni de droite, ni de gauche. »

En Allemagne en 1870 est fondé le Zentrum (centre), qui est de fait le parti des catholiques d'Allemagne (80% d'entre eux votent pour lui), mais qui cherche politiquement à incarner le centre, entre les entre les conservateurs et le parti national-libéral, d'une part, et les libéraux et les socialistes d'autre part. De fait, puisque dans les années de sa création le socialisme était en plein essor, le Zentrum a été poussé vers la droite. Il est généralement considéré comme de centre-droit.

7.2 Fascistes[modifier | modifier le wikicode]

L'émergence du fascisme a représenté un moment de profonde confusion politique. Par ses leaders (Mussolini venait du parti socialiste italien) et/ou sa rhétorique (le parti nazi, « national-socialiste », jouait sur la popularité du concept de socialisme en Allemagne), ce courant a cherché à brouiller les repères traditionnels. Alors que dans les démocraties bourgeoises telles qu'elles se constituaient progressivement jusque là, les mouvements populaires apparaissaient globalement à gauche des démocrates et libéraux bourgeois, les fascistes ont réussi à prendre la tête de mouvements de masse et à les canaliser dans un sens réactionnaire. Cela prolonge en quelques sortes le phénomène déjà observé avec le bonapartisme. Globalement cependant, les mouvements fascistes sont toujours classés a posteriori à l'extrême droite, de par leur autoritarisme et leur nationalisme.

Les mouvements qui se revendiquent d'une « troisième voie » entre capitalisme et communisme sont généralement des mouvements fascistes.

Des courants de l'extrême droite française ont parfois louvoyé dans leur discours par démagogie. Un des slogans de Jean-Marie Le Pen a été « Socialement je suis de gauche, économiquement de droite et, nationalement, je suis de France. »[30]

7.3 Marxistes[modifier | modifier le wikicode]

D'un point de vue marxiste, le clivage droite-gauche a de profondes limites :

  • il délimite simplement vaguement un camp progressiste et un camp conservateur, mais masque les clivages de classe existant au sein de ces camps ; des slogans comme « l'union de la gauche » reviennent ainsi souvent à prôner des alliances interclassistes, qui conduisent à sacrifier les intérêts des classes exploitées.
  • il ne permet pas de mettre en lumière les différences de stratégie politique (par exemple entre des marxistes révolutionnaires et des anarchistes, l'objectif d'une société sans classe et sans État est commun et il est un peu stérile de vouloir définir qui est plus à gauche).

C'est pourquoi en tant que marxistes, il ne s'agit pas de nier la pertinence d'un axe gauche droite, mais de ne pas se contenter de définir un parti de classe par un positionnement flou « de gauche ». Les différences existent entre partis bourgeois de droite et de gauche, et peuvent même conduire à faire des fronts sur des questions précises, mais ne doivent pas conduire à sacrifier l'indépendance de classe.

7.4 Diagramme de Nolan[modifier | modifier le wikicode]

Diagramme de Nolan.png

On peut tracer de très nombreux axes politiques autres que simplement « gauche droite ». Le plus connu est le diagramme de Nolan, en deux dimensions, avec un axe économique (plus ou moins de libéralisme économique) et un axe « culturel » (plus ou moins de libéralisme politique ou de traditionalisme culturel).

Cependant cette représentation peut représenter un certain idéalisme, car dans la réalité de la vie politique, ces axes ne sont pas indépendants à une échelle de masse. Les politiciens ont besoin d'avoir recours à des rhétoriques (nationalisme, religion, traditionalisme...) qui limitent les libertés individuelles, précisément pour compenser le fait que le capitalisme place les masses dans une insécurité profonde. Seule la progression vers des mécanismes de solidarité et le socialisme peuvent créer les conditions d'une libération des individus des préjugés les plus oppressants. C'est pourquoi il peut exister des libertariens dans certaines niches privilégiées, mais pas de parti de masse libertarien, même aux États-Unis. Dans la pratique, les politiciens « libertariens » ont une forte tendance à être en réalité plus à droite qu'ils ne l'assument sur l'axe libéralisme politique versus autoritarisme.

De même en France, la droite est bien plus conservatrice que libérale, et il n'y a en réalité presque aucun courant qui soit libéral à proprement parler, hormis quelques individus comme Gaspard Koenig.

7.5 Clivage dépassé ?[modifier | modifier le wikicode]

C'est pourquoi dans la pratique, il y a de fait une certaine pertinence à ramener (projeter) les positions sur un axe gauche-droite, au sens de progressistes-réactionnaires. Par exemple, une étude canadienne a montré une corrélation de 82% entre l'appartenance de députés aux groupes socialistes, libéraux, ou conservateurs, d'une part, et le positionnement sur un axe d'autoritarisme.[31]

Pourtant, de très nombreux commentateurs avancent que le clivage gauche droite appartiendrait au passé, et proposent chacun leur nouvelle grille de lecture. Très souvent, cela traduit soit une forte d'idéalisme, soit une très classique façon de revenir à la tendance de droite à nier les antagonismes sociaux.

Pour Gérard Grunberg, « le clivage gauche-droite est désormais concurrencé par le clivage nationaux-européens »[32]. De même Tony Blair en 2006 a prétendu que le clivage gauche droite classique sur les questions économiques était désormais remplacé par une opposition entre open vs closed, pro-mondialisation ou protectionniste, européiste ou souverainiste, etc.[33] Evidemment, si le clivage classique est pour lui dépassé, c'est parce que le parti travailliste qu'il représentait (le New Labour) était allé tellement loin vers l'abandon de tout repère de classe qu'il n'envisageait même plus de faire une politique économique remettant en cause le marché. Pour se différencier des tories, il est alors nécessaire d'invoquer d'autres aspects, et de les maquiller en « valeurs d'ouverture ». Or, la mondialisation néolibérale et l'Union européenne capitaliste n'ont rien à voir avec de l'ouverture sur le monde. Au contraire, par leurs effets délétères de mise en concurrence des travailleur·ses, ce sont des facteurs majeurs qui suscitent la réaction.

Une représentation classique de la gauche comme camp des masses populaires.

Ce type de discours a un succès croissant ces dernières années, en particulier parce qu'il permet aux politiciens les plus insérés dans la normalité capitaliste de dénoncer tous leurs critiques comme des « populistes ». Etant donné qu'il y a une tendance croissante à ce que les partis de gouvernement de droite et de gauche se ressemblent, voire soient transformées en forces centristes (comme celle de Macron), qui n'ont plus d'autre horizon que s'adapter indéfiniment au besoin capitaliste de « réformes structurelles » et autres plans d'austérité, ils se voient menacés par de nouvelles forces à leur gauche et à leur droite. Il est ainsi pratique de pouvoir les amalgamer en une seule hydre populiste.[34][35]

Selon certaines enquêtes, entre 60 et 70% des français considèreraient que le clivage droite-gauche « ne veut plus dire grand-chose »[36]. Il faut cependant relativiser puisque les enquêtes d'opinion montrent aussi que lorsqu'on leur demande de se classer sur l’axe gauche-droite une très large majorité des français se positionne sur l'axe, avec un très bon niveau de cohérence avec leurs autres opinions politiques.[37] Souvent, les sondés expriment surtout leur insatisfaction par rapport à l'offre politique. Ce qui est pointé, c'est surtout le fait que ces politiciens qui se disent de droite et de gauche, ont en réalité trop peu de différences entre eux.

8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Marc Crapez, « De quand date le clivage gauche/droite en France ? », Revue française de science politique, nos 48-1,‎ , p. 42-75 (lire en ligne).
  2. Nicolas Lebourg, Aux racines du FN : l'histoire du mouvement Ordre Nouveau, Fondation Jean Jaurès,‎ 2014
  3. Janine Mossuz-Lavau, Le clivage droite-gauche est bien vivant, SciencePo, 2021
  4. Jacques Serieys, 27, 28 août 1789 Naissance du clivage droite gauche, Gauchemip, 13 février 2023
  5. Herodote.net, Naissance de la droite
  6. Frédéric Bluche, Le Bonapartisme, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je », , p. 28
  7. René Rémond, Les droites en france,
  8. François Goguel, La politique des partis sous la IIIe République, Editions Seuil, (lire en ligne)
  9. « L’opposition gauche-droite dans la vie politique française »
  10. Vie-publique.fr, L’opposition gauche-droite dans la vie politique française, 2018
  11. Marc Crapez, « De quand date le clivage gauche/droite en France ? », Revue française de science politique, nos 48-1,‎ , p. 42-75 (lire en ligne).
  12. « Où en est la droite? La Grande-Bretagne », sur Fondapol (consulté le 13 mai 2023)
  13. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  14. Mowat, Charles Loch (1955). Britain Between the Wars: 1918–1940. p. 577.
  15. Charles Maurras, « immortel » de l'Académie française
  16. René Rémond, Les droites en france,
  17. 17,0 17,1 et 17,2 Chaîne Hacking Social, Les soumis autoritaires: l'autoritarisme de droite, 17 mars 2023
  18. Chaîne Hacking Social, Le dédale de l'autoritarisme - Les Autoritaires, partie 3, 16 mars 2022
  19. Enquête réalisée auprès d’un peu plus de 3000 personnes par l’institut de sondages Opinion Way, La France se droitise-t-elle ?, France Culture, 28 octobre 2021
  20. BFMTV, Les Français se positionnent de plus en plus à droite sur l'échiquier politique, selon une étude, Janvier 2022
  21. "Political Labels: Majorities of U.S. Adults Have a Sense of What Conservative, Liberal, Right Wing or Left Wing Means, But Many Do Not". The Harris Poll #12. 9 February 2005.
  22. Independant, More than a third of millennials approve of communism, YouGov poll indicates, November 2019
  23. General Social Survey, NORC, University of Chicago
  24. Gérard Grunberg et Florence Haegel, « Le bipartisme imparfait en France et en Europe », Revue internationale de politique comparée, vol. 14, no 2,‎ , p. 325 (ISSN 1370-0731 et 1782-1533, DOI 10.3917/ripc.142.0325, lire en ligne)
  25. Gérard Grunberg et Florence Haegel, « Le bipartisme imparfait en France et en Europe », Revue internationale de politique comparée, vol. 14, no 2,‎ , p. 325 (ISSN 1370-0731 et 1782-1533, DOI 10.3917/ripc.142.0325, lire en ligne)
  26. John T. Jost, Left and Right - The Psychological Significance of a Political Distinction, Oxford University Press, 2021
  27. Chaîne Hacking Social, Les crises nous rendent-elles plus autoritaires ? Codec #1, 19 nov. 2021
  28. René Rémond, Les droites en France, 1982
  29. Cité in Gauchet, Marcel (1997). "Right and Left". In Nora, Pierre; Kritzman, Lawrence D. (eds.). Realms of memory: conflicts and divisions. New York: Columbia University Press. ISBN 0-231-10634-3.
  30. Le Monde, « Socialement à gauche, économiquement à droite », 23 avril 2002
  31. Altemeyer, Bob (1996). The authoritarian specter. pp. 258–298.
  32. Nicolas Chapuis et Alexandre Lemarié, « Partis en fumée », lemonde.fr, 16 octobre 2014.
  33. Cowley, Jason (24 November 2016). "Tony Blair's unfinished business". New Statesman.
  34. "Drawbridges up". The Economist. 30 July 2016
  35. "The Dutch election suggests a new kind of identity politics". The Economist. 18 March 2017
  36. Sondage Viavoice pour Libération, Pour 66% des Français, le clivage droite-gauche est dépassé, Capital, 25 avril 2017
  37. Bruno Cautrès, La fausse mort du clivage gauche-droite, Baromètre de la confiance politique - vague 9, Paris, CEVIPOF, 2018