Lutte des classes

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La lutte, lorsqu'elle est ouverte, peut prendre la forme de manifestations.

La lutte des classes est, comme son nom l'indique, le conflit, ouvert ou larvé, entre les classes sociales pour leurs intérêts. Elle est pour le marxisme le fondement de l'histoire des sociétés de classe et ce qui permet de les comprendre.

1 Le moteur de l'histoire[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Les conflits d'intérêt font la politique[modifier | modifier le wikicode]

Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des Rois.
Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la Muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent ce soir-là les maçons ? Rome la grande
Est pleine d’arcs de triomphe. Qui les érigea ? De qui
Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée.
N’avait-elle que des palais
Pour les habitants ? Même en la légendaire Atlantide
Hurlant dans cette nuit où la mer l’engloutit,
Ceux qui se noyaient voulaient leurs esclaves.

Le jeune Alexandre conquit les Indes.
Tout seul ?
César vainquit les Gaulois.
N’avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier ?

Quand sa flotte fut coulée, Philippe d’Espagne
Pleura. Personne d’autre ne pleurait ?
Frédéric II gagna la Guerre de sept ans.
Qui, à part lui, était gagnant ?

A chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins ?
Tous les dix ans un grand homme.
Les frais, qui les payait ?

Autant de récits,
Autant de questions.

— Bertolt Brecht, Questions que se pose un ouvrier qui lit

Chacun peut faire l'expérience que, dans toute société, les aspirations de certains de ses membres se heurtent à celles des autres, que la vie sociale est pleine de contradictions, que l'histoire nous révèle la lutte entre les peuples et les sociétés, ainsi que dans leur propre sein, et qu'elle nous montre, en outre, une succession de périodes de révolution et de réaction, de paix et de guerre, de stagnation et de progrès rapide ou de décadence. Le marxisme a donné le fil conducteur qui, dans ce labyrinthe et ce chaos apparent, permet de découvrir l'existence de lois : la théorie de la lutte des classes. Seule l'étude de l'ensemble des aspirations de tous les membres d'une société ou d'un groupe de sociétés permet de définir avec une précision scientifique le résultat de ces aspirations. Or, les aspirations contradictoires naissent de la différence de situation et de conditions de vie des classes en lesquelles se décompose toute société.

C'est ce que résument Marx et Engels dans le Manifeste communiste :

L'histoire de toute société jusqu'à nos jours[1], n'a été que l'histoire de luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte... La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois. Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat.[2]

1.2 Un modèle de l'évolution des sociétés de classe[modifier | modifier le wikicode]

Il est important de garder à l'esprit que la théorie de la lutte des classes sert à modéliser une partie de l'histoire de l'humanité. Ce n'est pas une loi intemporelle, mais une loi qui décrit les sociétés de classes, depuis la révolution néolithique, jusqu'à la révolution socialiste pour laquelle nous nous battons. Tout comme la sociologie devient plus pertinente que la génétique pour expliquer les comportements des primates grégaires, la lutte des classes nous apprend bien plus de choses sur les sociétés féodales ou capitalistes que la seule "loi du plus fort". Cela ne signifie bien sûr pas que rien ne peut être dit sur l'histoire depuis 10 000 ans sans la lutte des classes. En particulier, au sein d'une même classe, la loi du plus fort s'applique évidemment. Dans le cas de fiefs, de monarchies absolues, ou de régimes fascistes très personnifiés, la psychologie du tyran a même directement un impact sur l'histoire. Autre exemple, les tensions guerrières entre nations et les conquêtes impérialistes ne relèvent pas que de la lutte des classes.

Mais lorsque l'on s'intéresse à ce qui fait apparaître ce que l'on peut appeler le progrès social dans l'histoire, la lutte de classes est un outil théorique indispensable.

2 Une dynamique complexe[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Classe progressiste ou réactionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Bien loin de la caricature dépeinte par ses détracteurs, le marxisme n'a rien d'une méthode simpliste de catégorisation. Il n'a que la rigueur dont font preuve ceux qui raisonnent avec. Par exemple il n'y aurait aucun sens à étudier la lutte des classes à partir d'un instantané de la structure sociale : les transformations en cours et le devenir des classes sont encore plus déterminants. Ainsi la bourgeoisie n'est pas une classe réactionnaire en soi, elle a eu un rôle progressiste lorsqu'elle était dans son mouvement ascendant.

Le passage suivant du Manifeste communiste de Marx montre que celui-ci exigeait de la science sociale l'analyse objective de la situation de chaque classe au sein de la société moderne, en connexion avec les conditions de développement de chacune d'elles :

« De toutes les classes qui, à l'heure présente, s'opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique. Les classes moyennes, petits fabricants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu'elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l'envers la roue de l'histoire. Si elles sont révolutionnaires, c'est en considération de leur passage imminent au prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ; elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat. » [2]

2.2 Lutte, idéologies et conscience de classe[modifier | modifier le wikicode]

La lutte des classes a en général lieu sans que les classes elles mêmes en soient conscientes. La plupart du temps, elles se représentent leurs motivations à travers des idéologies. En temps de « paix sociale », l'idéologie dominante est celle de la classe dominante, qui évidemment ne parle pas clairement de domination de classe, ou alors la justifie par des arguments d'autorité (religion...). En temps de troubles révolutionnaires, la classe qui lutte pour le pouvoir ou pour une réforme radicale défend une ou plusieurs idéologies propres. Mais ces idéologies ne sont en général pas non plus une analyse de la réalité de la lutte de classe, mais une justification qui part de l'idéologie dominante et la contredit (une autre religion, le rationalisme des Lumières...).

En revanche, il y a une différence majeure dans le cas de la révolution socialiste : il est impératif que la classe travailleuse lutte consciemment pour le pouvoir, sans idéologie mystificatrice. En effet, de par sa position dans les rapports de production, elle ne pourra pas devenir une classe possédante progressivement. Elle ne pourra pas devenir dominante économiquement avant d'avoir pris le pouvoir politique, cela ne peut être que simultané. Par ailleurs, la révolution socialiste réussie, par définition, ne peut être que le prélude immédiat à l'abolition des classes. A cet âge de pleine conscience de l'humanité ne peut que correspondre une idéologie scientifique de la réalité, sans fausse conscience.

Les analyses scientifiques sérieuses en sciences sociales tendent à déboucher sur la conclusion de l'existence des classes et de leur lutte. Cela n'empêche pas l'idéologie dominante de rejeter ce concept comme une lubie ou une vieillerie dépassée. Seuls quelques bourgeois reconnaissent parfois leur pouvoir, comme en 2006, Warren Buffett - seconde fortune des États-Unis - qui disait :

« Il y a une guerre de classes, bien sûr, mais c'est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner.  »[3]

En France, certains sondages consistaient à demander si les sondés ont le sentiment que la lutte de classe existe.[4]

3 Formes de la lutte des classes[modifier | modifier le wikicode]

La lutte de classe est permanente mais prend différentes formes, qui peuvent aller de la plus discrète (gentrification, hausse de la TVA) jusqu'à la plus ouverte (une émeute ouvrière...). En général elle s'exprime d'abord sous une forme "économique", "syndicale" (lors d'une grève pour l'augmentation des salaires...). Parfois les travailleur-se-s sont poussés par les conditions de leur lutte à transformer celle-ci directement en lutte politique (lorsque la lutte se fait contre en employeur public, lorsqu'un gouvernement apparaît trop directement au service du patronat...). Mais pour les communistes, il est nécessaire qu'une organisation révolutionnaire organise la classe travailleuse dans le but de lui faire vraiment prendre conscience de ses intérêts communs de classe. Pour qu'elle devienne non plus seulement une classe en soi mais une classe pour soi.

4 Histoire de la lutte de classe[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Naissance des classes[modifier | modifier le wikicode]

Pendant les 95% des débuts de l'humanité, il n'y avait pas de classes à proprement parler, et pas d'État. Les groupes humains de chasseurs-cueilleurs / cueilleuses pouvaient bien sûr être traversés par des oppressions (probablement l'oppression patriarcale, l'oppression des aînés, les conflits entre tribus...), mais il n'y avait pas de division du travail (hormis la division genrée). C'était ce que l'on peut appeler le « communisme primitif ».

Il a fallu une transformation importante pour que l'exploitation de l'homme par l'homme apparaisse et devienne institutionnelle. Cette « révolution néolithique » a eu lieu de façon indépendante dans plusieurs régions du monde. Schématiquement, il y a eu l'invention de l'agriculture, qui a favorisé la sédentarisation, qui a favorisé l'apparition de villes divisées en classes.

Une représentation de Babylone en 1690

La division du travail apparaît alors aussitôt : des scribes chargés de compter les stocks, des soldats, des prêtres... Dans le cas de la Mésopotamie à partir de 3000 ans avant JC, les prêtres alliés aux soldats ont pris le pouvoir dans leurs mains pour devenir la première classe dominante. La fonction religieuse leur servait d'idéologie, leur gestion des infrastructures publiques (irrigation...) leur donnait une certaine légitimité, et la force pouvait toujours être utilisée contre les exploités en dernier recours (ce qui signifie l'apparition d'un État au sens de force surplombant la société).

L'apparition des classes est aussi l'apparition de premières formes « d'impérialisme ». Vu que les classes dominantes prélèvent une fraction de la richesse produite par les communautés agricoles, elles ont intérêt à régner sur un territoire plus vaste.

Évidemment les variations dans les types de classes dominantes et les types d'exploitation seront très grandes dans l'histoire. Mais toutes les sociétés de classe précapitalistes auront en commun la division entre une classe de type clergé / noblesse (propriétaires terriens), et une très large majorité paysanne. La bourgeoisie au sens large de classe intermédiaire habitant en ville (marchands, artisans), apparaît dès l'apparition des classes, mais d'abord de façon très ténue et fragile (très dépendante de la stabilité des cités-États ou des empires garantissant la stabilité du commerce).

4.2 Antiquité[modifier | modifier le wikicode]

Les sociétés de l'Antiquité étaient généralement des sociétés esclavagistes. L'esclavage est en effet une conséquences de l'expansionnisme militaire qui apparaît avec la lutte des classes. Si bien que Marx faisait de « mode de production antique » un synonyme de « mode de production esclavagiste ». Cependant le rôle de l'esclavage est loin d'être le même dans toutes les sociétés antiques. En Égypte ancienne par exemple, il y avait des formes de corvées imposées aux cultivateurs, une forme d'exploitation plus proche de celle du servage médiéval que de l'esclavage chez les Grecs ou les Romains.

La Satire des métiers, écrite il y a 3500 ans dans l'Égypte des pharaons, évoquait l'exploitation des paysans par des scribes (que les paysans comparaient à des nuisibles).

En Chine, de nombreuses révoltes paysannes ont fait tomber des dynasties... et porté au pouvoir de nouvelles dynasties. Par exemple, en 1368 en Chine, la Dynastie Yuan est remplacée par la Dynastie Ming. Celui qui devient le premier empereur Ming était à l'origine un paysan pauvre. Bien qu'il réalise une réforme agraire une fois au pouvoir, la structure de la société ne changea pas. Les révolutions politiques de ce type ne pouvaient pas être des révolutions sociales.

Les classes sociales antiques.

Les sculptures, très nombreuses sur les tombes funéraires ibères, reflètent d’une certaine façon la lutte de classe. Alors que quelques familles aristocratiques avaient pris le dessus sur la majorité de travailleurs, elles ont eu recours à toute une imagerie pour justifier leur domination, et en particulier des sculptures montrant le mort sous les traits d’un guerrier terrassant un autre homme ou un animal mythologique. Fait intéressant : on a pu découvrir que beaucoup de ces sculptures tombales ont été détruites peu après leur création.

Les sociétés de l'Antiquité grecque et romaine étaient régulièrement secouées par des révoltes d'esclaves, dont celle de Spartacus. Et parmi les citoyens libres, une lutte de classe opposait les paysans endettés et les marchands-usuriers.

Le mythe de l'âge d'or, situé à l'aube de l'existence humaine, pourrait représenter une certaine nostalgie de l'ancienne vie communautaire. C'est un mythe que l'on retrouve aussi bien chez Virgile (qui parle d'une époque où les récoltes étaient partagées en commun), que chez des auteurs grecs ou chinois.

De nombreux philosophes ont considéré que la division de la société en classe est la source du malaise social. Platon écrivait que : « Même la ville la plus petite est divisée en deux parties, une ville des pauvres et une ville des riches qui s'opposent comme en état de guerre. »

Les rapports de classe ont joué un grand rôle dans le succès du prosélytisme des grands monothéismes. Les sectes juives, nombreuses au 1er siècle, ou encore les sectes chrétiennes aux 3e, 4e et 5e siècle prônaient le retour à la communauté des biens. Un Saint comme Jean Chrysostome fut le premier à dire « La propriété, c'est le vol. »

4.3 Féodalisme[modifier | modifier le wikicode]

En Europe, la chute de l'Empire romain a coïncidé avec le recul d'un puissant État central au profits d'États plus morcelés, un recul du commerce et du poids des villes, et le recul de l'esclavage au profit du servage. Cependant, ce découpage important dans l'historiographie européenne ne doit pas être vu comme une succession historiquement nécessaire qui se ferait entre esclavagisme et féodalisme.

John Ball, souvent considéré comme le seul vrai révolutionnaire du Moyen Age européen.

Dès la fin de l'Empire romain, le christianisme était devenue la religion dominante sous la forme du catholicisme romain. Un puissant clergé s'est constitué, et est parvenu à survivre à la chute de l'Empire, et à rester un allié transnational de toutes les classes dominantes de l'Europe féodale (ce qui n'excluait pas des rivalités).

Néanmoins le catholicisme reste traversé pendant tout le Moyen-Âge de courants plus sociaux, qui se tournent vers les pauvres, comme les franciscains et autres ordres mendiants. Les mouvements populaires et bourgeois radicaux s'appuyaient alors sur des "hérésies" qui professaient une forme ou une autre de millénarisme (Cathares, etc.), sur l'idée d'un retour du Messie balayant les corrompus, y compris la "mauvaise Église".

Dans le haut Moyen-Âge, il n'était pas rare que des seigneurs détiennent des milliers de serfs, dont il pouvait s’octroyer la moitié de la récolte. Cela provoque parfois de grandes révoltes paysannes, comme celle de Wat Tyler en Angleterre (1381), celle des Hussites en Bohême... En France on parle de « jacqueries ».

Pendant que la cour de Louis XIV se gavait de luxe, la paysannerie connaissait des journées de dur labeur :

« L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racine : ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. » [5]

La lutte de classe au Moyen-Âge n'opposait cependant pas que la paysannerie et la noblesse. Les conflits se sont complexifiés, avec d'une part une autonomisation des royautés absolutistes, une montée en puissance progressive de la bourgeoisie urbaine, des conflits entre artisans et marchands...

Ainsi, il peut aussi y avoir des luttes entre des classes dominantes, comme entre noblesse féodale et administration centrale de la monarchie, ou entre clergé et noblesse. Les alliances pouvaient fluctuer : alliance entre royauté (accordant des statuts de « villes franches » etc.) et bourgeoisie contre seigneurs locaux, alliance noblesse-bourgeoisie contre un roi, pour en imposer un autre, etc. La plupart des conflits de ce type visaient à faire bouger le rapport de force entre différentes classes possédantes. En revanche, quand les dépossédés, les paysans pauvres, menaient de grandes révoltes, les possédants mettaient la plupart du temps leurs différents de côté pour réprimer.

4.4 Époque moderne[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Ancien Régime.

Il y a eu des phases de développements de la bourgeoisie au sein des mondes antiques ou féodaux à plusieurs occasions. Mais dans l'Europe du 16e siècle, le capital marchand a commencé à prendre un essor particulier, favorisé par le pillage du monde entier. Cet essor a alimenté des révolutions bourgeoises, qui ont permis dans certains pays de faire sauter les obstacles au développement du capital. Ce fut en particulier le cas lors de la révolution des Pays-Bas (1566-1609) et de la Révolution anglaise (1641-1649). Ces mouvements ont brisé la résistance politique que les secteurs attachés au féodalisme pouvaient opposer, débouchant sur un compromis entre bourgeoisie et noblesse. Dans ces pays précurseurs, les nobles tendaient ensuite à se comporter de plus en plus comme des entrepreneurs bourgeois.

Décapitation du roi Charles Ier (1649)

A cette époque où les inégalités sont de plus en plus criantes alors que l'imprimerie se répand, des plans de sociétés utopiques ont commencé à être imaginés et diffusés, comme L'Utopie, de More (1516) ou La Cité du Soleil, de Campanella (1602). Idéologiquement, cette époque est aussi marquée par la Réforme protestante. Celle-ci était composée de nombreux courants : les courants majoritaires ont particulièrement servi à exprimer les aspirations de la bourgeoisie, mais des courants plus radicaux servaient d'étendards à des mouvements égalitaristes plébéiens ou paysans, comme lors de la Guerre des paysans allemands du 16e siècle.

De plus en plus, la bourgeoisie se différencie, entre une grande bourgeoisie, une petite-bourgeoisie, et un proto-prolétariat. Des luttes opposent des maîtres artisans et des compagnons (pour lesquels il devenait plus difficile d'accéder au rang de maître), des riches banquiers et des commerçants, et la plèbe (les "bras nus") aux bourgeois.

Dans le New York des années 1760, une dépression provoque de grandes difficultés pour la plupart des commerçants, récemment immigrés, tandis que les riches marchands, fonctionnaires et officiers de marine s'en sortaient bien :

« Certains de nos compatriotes, par les sourires de la Providence ou d'autres moyens, sont en mesure de rouler dans leurs voitures à quatre roues, et peuvent s'offrir de bonnes maisons, de riches meubles, et une vie luxueuse. Mais, est-il équitable que 99, ou plutôt 999, doivent souffrir de l'extravagance ou de la grandeur d'un seul? Surtout lorsque l'on considère que les hommes doivent souvent leur richesse à l'appauvrissement de leurs voisins. »[6]

Si les auteurs du siècle des Lumières se sont surtout centrés sur une critique idéaliste de la religion, certains ont critiqué la propriété privée. Notamment Meslier, un curé de campagne qui a développé une critique cinglante de la noblesse et du clergé oisif vivant au crochet de la paysannerie, ou encore Morelly.

Dans le profond processus révolutionnaire ouvert par la Révolution française (1789-1799), bien que seuls les acquis de type « révolution bourgeoise » soient pérennisés, déjà de profondes aspirations populaires égalitaristes s'expriment. Cette fois le progressisme ne s'exprime plus sous la forme de réformes religieuses, mais sous la forme du républicanisme, qui aura une grande postérité.

4.5 Capitalisme[modifier | modifier le wikicode]

La révolution industrielle de la fin du 18e siècle fait entrer rapidement le monde dans un nouveau mode de production radicalement nouveau. Le rapport de production salarial devient la norme au fur et à mesure de l'industrialisation. La petite-bourgeoisie et la paysannerie sont massivement prolétarisés, et la classe ouvrière apparaît.

La mondialisation de plus en plus rapide du capitalisme entraîne des révolutions bourgeoises dans les autres pays, mais avec des particularités : la classe ouvrière étant déjà développée, la bourgeoisie a peur des mouvements populaires trop explosifs. C'est pourquoi elle ose recule souvent face à la réaction, comme lors de la révolution allemande de 1848. Néanmoins, même si cela se fait parfois de façon beaucoup plus lente, les classes dominantes finissent partout par s'entendre sur la modernisation et la « libéralisation » de la société. La plupart du temps cela débouchait sur des régimes constitutionnels avec un minimum de droits-libertés, et un suffrage censitaire. Mais les droits sociaux (d'association, de grève...) et le suffrage universel devront la plupart du temps être conquis par les masses populaires.

A cette époque le développement bourgeois a aussi eu tendance à généraliser la forme « État-nation ». Les nationalismes avaient alors tendance à être dirigés par des mouvements démocrates opposés aux vieilles monarchies qui n'avaient aucune considération pour les peuples qu'ils gouvernaient. Mais dès la fin du 19e siècles, les nationalismes devenaient des mouvements pérennes dans les pays capitalistes, et une des variantes d'idéologies servant la bourgeoisie.

Paradoxalement, l'essor du capitalisme a dans un premier temps accentué la misère pour la majorité des exploités, alors qu'il engendrait un décollage des forces productives et du surproduit social. En Angleterre, cette tendance avait commencé depuis longtemps et ne s'inversa que vers le milieu du 19e siècle, sous la pression du mouvement ouvrier organisé (associations, syndicats...). Partout en Europe, les conflits ouvriers / patrons ou ouvriers / gouvernements se multipliaient et le mouvement ouvrier était en essor (Angleterre, France...).

Par la suite, dans les périodes de forte croissance, le niveau de vie a commencé à augmenter, ce qui n'empêche pas que les inégalités sociales continuent la plupart du temps à augmenter.

Passé les premiers mouvements socialistes utopiques, les mouvements socialistes ont cherché à représenter politiquement le mouvement ouvrier, et à prendre son parti dans la lutte des classes l'opposant au patronat. A l'opposé, d'autres forces politiques ont cherché à nier la lutte des classes, ou à prôner l'entente entre patrons et ouvriers pour y mettre fin (idéologies corporatistes, nationalismes).

Dans la littérature ou le cinéma, particulièrement depuis la crise de 2008, on peut noter un vrai boum des scénarios qui mettent en lumière la lutte de classe. Les récits d'anticipation contre-utopiques (dystopies) sont souvent basés sur une accentuation de la lutte de classe : Hunger Games, Snowpiercer, Elysium...

Par ailleurs, depuis le mouvement Occupy Wall Street, le slogan « Nous sommes les 99 % » a émergé pour dénoncer l'accaparement des richesses par les 1% les plus riches. Ce slogan sous-estime cependant largement le camp bourgeois qui se dresse face à nous.

4.6 Perspective communiste[modifier | modifier le wikicode]

Pour les marxistes, la lutte de la classe ouvrière contre les capitalistes a le potentiel de déboucher sur une nouvelle société. Une société dans laquelle non seulement le pouvoir passe pour la première fois à une classe majoritaire, et donc débouche rapidement sur une fin pure et simple de la division de l'humanité en classes sociales.

« Tous les mouvements historiques ont été, jusqu'ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l'immense majorité au profit de l'immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle, ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure des couches qui constituent la société officielle.  »[2]

La rupture avec le capitalisme passe d'abord par la prise du pouvoir par les prolétaires, pouvoir économique (socialisation des moyens de production) et politique (démocratie réelle basée allant de l'autogestion des lieux de vie et de travail jusqu'à des institutions nationales et internationales émanant réellement de la classe majoritaire).

Cette première phase, révolutionnaire, est appelée le socialisme, la « première phase du communisme ». Elle créé les conditions d'une transformation progressive en société réellement communiste, dans laquelle il n'y a plus de classe et plus d'État.

Marx disait par exemple, à propos de la Commune qui était pour lui un début d'État ouvrier socialiste : « La Com­mune ne sup­prime pas les luttes de classes, par les­quelles la classe ouvrière s’efforce d’abolir toutes les classes et, par suite, toute domi­na­tion de classe […] mais elle crée l’ambiance ration­nelle dans laquelle cette lutte de classes peut pas­ser par ses dif­fé­rentes phases de la façon la plus ration­nelle et la plus humaine. » [7]

5 Histoire du concept[modifier | modifier le wikicode]

Depuis la Révolution française, l'histoire de l'Europe a, dans nombre de pays, révélé avec une évidence particulière cette cause réelle des événements : la lutte des classes. Déjà, à l'époque de la Restauration, on vit apparaître en France un certain nombre d'historiens (Thierry, Guizot, Mignet, Thiers) qui, dans leur synthèse des événements, ne purent s'empêcher de reconnaître que la lutte des classes était la clé permettant de comprendre l'histoire de France. On peut trouver aussi cette compréhension de la lutte des classes chez le britannique Robert Peel.

Dans nombre d'ouvrages historiques, Marx donna des exemples d'histoire matérialiste, d'analyse de la condition de chaque classe particulière et parfois des divers groupes ou couches au sein d'une classe, montrant pourquoi et comment « toute lutte de classes est une lutte politique ». C'est de ces historiens bourgeois que Marx a repris le concept de lutte de classe, pour en faire un élément fondamental. Car chez Marx il ne s'agit pas seulement d'un concept utilisé dans l'étude de l'histoire, mais également la base de sa théorie économique. Et évidemment, également un champ de bataille dans l'engagement politique !

Beaucoup d'autres socialistes contemporains de Marx ont abordé la lutte de classe, mais n'en faisaient pas le moteur de l'histoire (Proudhon, Blanc...).

6 Exploitation de classe et autres oppressions[modifier | modifier le wikicode]

Pour le marxisme, la lutte des classes (inséparable des évolutions techniques et économiques) est fondamentale pour comprendre l'histoire. Mais cela ne signifie pas que l'oppression de classe est la seule qui existe. L'oppression des femmes par les hommes et les oppressions racistes sont des oppressions majeures également, et elles entretiennent des rapports complexes avec les classes sociales.

Les marxistes soutiennent généralement que la lutte des classes a une influence majeure sur les autres oppressions (ce qui signifie pas que l'oppression de classe serait « plus grave » que le sexisme ou le racisme, ni « plus importante en soi », mais que sur le long terme et à grande échelle, elle est une cause majeure des autres oppressions). Par exemple :

En retour, les autres oppressions ont aussi un effet sur la lutte des classes. Notamment, elles créent des fractures au sein de la classe travailleuse, qui sont largement utilisées par les réactionnaires pour mieux régner.

Aucune personne sérieuse ne peut présenter les oppressions comme des systèmes qui seraient indépendants les uns des autres et évoluant dans l'histoire seulement en fonction de leur dynamique propre. Cependant il y a de nombreux débats sur la part d'autonomie des différentes oppressions, et sur leur poids relatif (laquelle surdétermine laquelle...). Ce qui est certain, c'est qu'il ne peut y avoir de révolution socialiste sans sentiment commun d'appartenir à une même classe exploitée, et donc sans que soient au moins partiellement surmontées les oppressions racistes, sexistes, LGBTIphobes...

7 Le jeu de société[modifier | modifier le wikicode]

Bertell Ollman, un théoricien marxiste vivant aux États-Unis, a créé un jeu de société nommé "Class struggle"[8], édité en France sous le nom de "Lutte des classes"[9]. C'est une sorte de parodie de Monopoly où les joueurs (de 2 à 6) sont des classes (capitalistes, travailleurs, paysans) ou des groupes sociaux alliés à telle ou telle classe (petits commerçants, étudiants, professions libérales).

LutteDesClassesJeu.jpg

8 Citations[modifier | modifier le wikicode]

Paul Lafargue :

Marx a importé dans l'histoire humaine la théorie des milieux; mais ne croyez pas que le matérialisme de Marx et d'Engels soit une de ces vulgaires adaptations de théories naturalistes à la science sociale dont dernièrement les Darwiniens d'Allemagne, d'Angleterre et de France ont été si prodigues. Non, Marx est le premier en date. Alors que la théorie des milieux dormait de son lourd sommeil, qui commença en 1832, Marx formulait sa théorie de la lutte des classes dans la Misère de la Philosophie, publié en français en 1847 et, l'année suivante, en 1848, Marx et Engels exposaient, dans le Manifeste du parti communiste, la théorie des transformations sociales imposées par les transformations du milieu économique.

Le matérialisme économique de Karl Marx., Paul Lafargue, éd. Henri Oriol, 1884, vol. 1 sur 3 - L'idéalisme et le matérialisme dans l'histoire, p. 15-16

Jack London :

- Vous fomentez la haine de classes, dis-je à Ernest. Je trouve que c'est une erreur et un crime de faire appel à tout ce qu'il y a d'étroit et de brutal dans la classe ouvrière. La haine de classes est antisociale, et il me semble antisocialiste.

- je plaide non coupable, répondit-il. Il n'y a de haine de classe ni dans la lettre ni dans l'esprit d'aucune de mes œuvres.

Oh! m'écriai-je d'un air de reproche.

Je saisi son livre et l'ouvris.

Il buvait son thé, tranquille et souriant, pendant que je le feuilletais.

- Page 132 - je lus à haute voix : « Ainsi la lutte des classes se produit, au stade actuel du développement social, entre la classe qui paie des salaires et les classes qui en reçoivent.»

Je le regardai d'un air triomphant.

- Il n'est pas question de haine de classes là-dedans, me dit-il en souriant.

- Mais vous dites « lutte des classes »

- Ce n'est pas du tout la même chose. Et, croyez-moi, nous ne fomentons pas la haine. Nous disons que la lutte de classes est une loi du développement social. Nous n'en sommes pas responsables. Ce n'est pas nous qui la faisons. Nous nous contentons de l'expliquer, comme Newton expliquant la gravitation. Nous analysons la nature du conflit d'intérêts qui produit la lutte de classes.

- Mais, il ne devrait pas y avoir de conflit d'intérêts, m'écriai-je.

- Je suis tout à fait de votre avis, répondit-il. Et, c'est précisément l'abolition de ce conflit d'intérêts que nous essayons de provoquer, nous autres socialistes. Pardon, laissez-moi vous lire un autre passage - il prit le livre et tourna quelque feuillets. Page 126 : « Le cycle des luttes des classes, qui a commencé avec la dissolution du communisme primitif de la tribu et de la naissance de la propriété individuelle, se terminera avec la suppression de l'appropriation individuelle des moyens d'existence sociale ».

Le talon de fer (1908), Jack London (trad. Louis Positif), éd. Libretto, 2003, p. 43-44

9 Références[modifier | modifier le wikicode]

Panorama généraux

Notes

  1. Excepté l'histoire de la communauté primitive, ajoutera plus tard Engels
  2. 2,0 2,1 et 2,2 Karl Marx, Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti communiste, 1847
  3. In Class Warfare, Guess Which Class Is Winning, New York Times, 26 novembre 2006
  4. L'Humanité, La lutte des classes, une réalité bien vivante, 2013
  5. La Bruyère, Caractères « De l'homme » XI, n°128, 1688
  6. Lettre envoyée à la New-York Gazette en 1765 - Citée par Burrows et Mike Wallace dans Gotham : A History of new York City to 1898
  7. Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871
  8. http://www.nyu.edu/projects/ollman/game.php
  9. http://jeuxsoc.fr/jeu/lutte