Secret commercial

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Coffre-fort contenant la formule du Coca-Cola

Le secret commercial, proche du « trade secret » des anglophones, est défini comme « toute information, y compris mais non limitée aux données techniques ou non techniques, formules, recettes, compilations, programmes d'ordinateur, méthodes, techniques, procédés, données financières, ou aux listes des clients ou fournisseurs actuels ou potentiels ». En droit français et européen, la notion de secret d'affaires s'est récemment substituée au secret commercial.

Il peut englober le secret industriel, même si celui-ci est généralement mieux défini. Parfois (au Canada par exemple), l'expression secret commercial peut être assimilée à celle de secret industriel[1].

Le secret est une stratégie différente du recours au brevet, chacune ayant des avantages et des inconvénients pour les capitalistes, et toutes deux ayant uniquement des inconvénients pour l'intérêt général de l'humanité.

1 Enjeux[modifier | modifier le wikicode]

Les innovations technologiques apportent souvent des gains de productivité pour l'entreprise qui est la première à les mettre en œuvre , gains qui lui permettent d'obtenir un surprofit par rapport à ses concurrents. Cependant, avec le temps, ces innovations se généralisent, et cet avantage disparaît, et le surprofit avec lui. Les capitalistes cherchent donc à garder le plus longtemps possible le bénéfice de leurs innovations.

1.1 Secret ou brevet[modifier | modifier le wikicode]

Le secret et le brevet sont deux stratégies différentes :

  • En déposant un brevet, le principe de l'innovation est publié, et protégé pour une certaine durée (souvent 20 ans). Si un concurrent utilise la même technologie (ce qui peut justement être prouvé parce que le brevet est public), le détenteur du brevet peut l'attaquer en justice. Par contre, tous les États capitalistes ne défendent pas forcément de la même façon le droit des brevets (et il est souvent nécessaire de déposer des brevets dans plusieurs pays qui ne reconnaissent pas mutuellement leurs dépôts de brevet), surtout que les rivalités entre impérialismes biaisent les États.
  • En gardant le secret, il n'y a aucune durée maximale, mais aucune protection légale[2]. Une entreprise peut conserver les bénéfices de son secret plus de 20 ans, mais elle peut aussi le perdre au bout de six mois si une autre entreprise a eu la même idée juste après, ou si elle a fait de la rétro-ingénierie ou de l’espionnage industriel.

1.2 Espionnage[modifier | modifier le wikicode]

Le droit est ambigu avec différentes jurisprudences sur la notion d'espionnage industriel et d'intelligence économique.

La recherche des secrets d'entreprises concurrentes n’est pas fautive en elle-même, elle ne le devient que lorsque des moyens déloyaux sont utilisés[3]. L'Union Européenne a émis une directive en 2016, qui ajoute quelques protections légales au secret d'affaires, notamment contre l'espionnage[4]. Cette directive a été transposée en droit français en [3],[5].

1.3 Secret et démarche scientifique[modifier | modifier le wikicode]

La démarche scientifique s'inscrit dans la libre circulation des idées, concepts et techniques afin que chacun puisse bénéficier des avancées faites par les autres chercheurs et que les recherches ne se fassent pas de façon redondante. Cette libre circulation des connaissances permet aussi l'émulation.

Or, le monde scientifique doit, dans de nombreux pays, en raison des faibles financements étatiques, solliciter les financements des entreprises privées et les convaincre de financer en partie ou en totalité leurs recherches et donc se plier en partie à leurs exigences, outre la possible réorientation des recherches ; ce financement peut imposer des clauses de confidentialité et donc se soustraire à la démarche de libre circulation des connaissances.

1.4 Coup de comm[modifier | modifier le wikicode]

Le secret industriel peut être un outil de communication important; il permet d'entourer le produit d'une aura de secret qui va amener à penser que ce produit est supérieur à ses concurrents.

C'est le cas de la boisson Coca-Cola, dont la « recette » est globalement connue, en en fait beaucoup changé, dont il est très douteux qu'elle soit supérieure[6], mais qui joue sur son secret précieusement gardé.

1.5 Ententes[modifier | modifier le wikicode]

Dans les entreprises, le secret est presque toujours partagé entre plusieurs personnes (associés, employés, sous-traitants) avec des accords de confidentialité.[1]

Cependant ces accords peuvent parfois être assimilées à des ententes illicites, dans le cas où elles permettraient une concurrence déloyale.

1.6 Droit d'alerte et investigation[modifier | modifier le wikicode]

Le secret des affaires est souvent un obstacle à la liberté d'expression.

Il peut arriver qu'une pratique d'une entreprise soit particulièrement scandaleuse, et qu'un·e employé·e souhaite alerter le grand public (lanceur d'alerte). Mais le contenu de cette dénonciation peut alors être sous le coup du « secret » et à ce titre, partiellement protégé par les lois.[7]

En 2018, lors de la transposition de la directive européenne protégeant le secret des affaires, 138 parlementaires de gauche ont dénoncé « une atteinte grave, excessive et injustifiée à la liberté d’expression et de communication » et ont saisi le Conseil constitutionnel. Celui-ci a jugé cette loi conforme à la Constitution[8], mais a assuré qu'il y aurait toujours une « exception à la protection du secret des affaires bénéficiant aux personnes physiques exerçant le droit d’alerte », mais aussi « toute personne révélant, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible »[9].

En juin 2022, un jugement du tribunal administratif de Paris donne droit aux représentants syndicaux CFE-CGC et CGT « d'accéder aux lettres d'engagements négociés avec l'État français lors du rachat d'Alcatel-Lucent en 2016 » par Nokia. Ce qui devrait permettre de vérifier les contreparties sur l'emploi contenues dans l'accord en dépit du secret des affaires allégué[10].

2 Critiques[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Lanceurs d'alertes, journalistes et ONG[modifier | modifier le wikicode]

La vidéo dénonçant la directive européenne sur le secret des affaires de Nicole Ferroni, humoriste et chroniqueuse à France Inter, a déjà été vue plus de 12 millions de fois[11][12].

De nombreuses associations de journalistes et d’organisations non gouvernementales (ONG) dénoncent des conséquences désastreuses des lois sur le secret des affaires pour tous ceux qui seraient amenés à dévoiler au public des manquements importants de la part des entreprises. Selon l’ONG Anticor, les laboratoires Servier auraient échappé au scandale du Mediator. Personne n’aurait entendu parler « des Panama Papers, des Paradise Papers, du Diesel Gate ou de l’affaire UBS »[4].

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) se réfère au secret des affaires pour empêcher la transmission d’informations sur la provenance du principe actif du Levothyrox, dont la nouvelle formule est au cœur d’une polémique[13].

La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) invoque le secret des affaires concernant une demande d'information sur les dispositifs médicaux (défibrillateurs, pompes à insuline, prothèses de hanche, etc.), formulée par Le Monde au cours de l’enquête des « Implant Files ». Le Laboratoire national de métrologie et d'essais, LNE/G-MED, seule société habilitée à contrôler les dispositifs en France, avait déjà refusé de communiquer ses données. La non-transparence au nom du secret commercial a été l’un des principaux obstacles aux 1 500 demandes d’accès aux documents publics effectuées au cours de l’enquête internationale par le Consortium international des journalistes d'investigation[14]. Le Monde obtient une demi-victoire devant le tribunal administratif qui oblige la CADA à donner certaines informations sur une partie des dispositifs médicaux commercialisés en France[15].

Dans l'affaire des LuxLeaks, le statut de lanceur d’alerte a été reconnu au Luxembourg pour Antoine Deltour, sa condamnation a été annulée en cour de cassation du Luxembourg. Il avait mis en évidence, lors de l’émission Cash Investigation puis lors d'une enquête du Consortium international des journalistes d'investigations, le contenu de centaines d’accords fiscaux secrets, dits « rescrits fiscaux », conclus entre l’administration luxembourgeoise et PwC pour le compte de grandes multinationales[16].

Des journalistes et des ONG dénoncent des poursuites de la part du groupe Bolloré pour les dissuader d’enquêter et les réduire au silence, l'entreprise évoque le « secret des affaires », alors que celles-ci ont des conséquences potentiellement néfastes pour l’intérêt général[17].

La justice allemande enquête sur le journaliste à l’origine des « CumEx Files » (enquête de 18 médias internationaux, dont Le Monde) qui ont permis de révéler l’ampleur de la fraude européenne aux dividendes pour violation du secret des affaires[18].

Le magazine économique Challenges se retrouve devant la cour d’appel de Paris pour défendre la liberté d’informer. Il avait dû retirer de son site, en , un article consacré aux déboires financiers de Conforama[19].

En 2020, selon la cellule Investigation de France Inter, la Commission européenne, confrontée à la pandémie du Covid-19, a cédé aux exigences de l’industrie pharmaceutique qui lui a demandé une confidentialité quasi totale sur les aides accordées pour la recherche et sur le coût des achats de Vaccin contre la Covid-19, faisant partie des contrats considérés comme secrets[20].

2.2 Critique communiste[modifier | modifier le wikicode]

En 1917, dans le contexte de la guerre mondiale, Lénine, dans ses écrits, critique violemment le « secret commercial »[21]. Il le décrit comme une condition-clé du capitalisme et il souhaite que ce secret soit définitivement aboli (par décret ; c'est une des 3 « mesures de contrôle » qu'il propose[22] ; car selon lui :

  • « sans la suppression du secret commercial ; ou bien le contrôle de la production et de la répartition reste une promesse vaine servant uniquement aux cadets à duper les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, et aux socialistes-révolutionnaires et mencheviks à duper les classes laborieuses, ou bien il ne peut être réalisé que par des procédés et des mesures bureaucratiques réactionnaires » ;
  • c'est à cause de « l'insistance avec laquelle la Pravda a réclamé la suppression du secret commercial qu'elle fut interdite le gouvernement Kérensky » ;
  • « l'argument habituel des capitalistes, repris sans autre réflexion par la petite bourgeoisie, est que, d'une façon générale, l'économie capitaliste n'admet absolument pas la suppression du secret commercial, attendu que la propriété privée des moyens de production et la dépendance des différentes entreprises à l'égard du marché rendent nécessaires la « sacro-sainte inviolabilité » des livres de commerce et le secret des opérations commerciales, y compris naturellement les opérations de banque (...) C'est précisément le grand capitalisme d'aujourd'hui qui, se transformant partout en capitalisme monopoliste, ôte toute ombre de raison d'être au secret commercial ; il en fait une hypocrisie et uniquement un moyen de dissimuler les escroqueries financières et les profits inouïs du grand capital (...) C'est bien autre chose que l'entreprise du petit artisan ou du paysan moyen, qui ne tiennent en général aucun livre de commerce et que, par conséquent, la suppression du secret commercial ne concerne en rien ! » ;
  • « pour agir en démocrates révolutionnaires - ajoute-t-il - il faudrait édicter immédiatement une nouvelle loi qui supprimerait le secret commercial, exigerait des grandes entreprises et des riches les comptes rendus les plus complets, conférerait à tout groupe de citoyens atteignant un nombre assez important pour pouvoir exprimer un avis démocratiquement valable (par exemple 1000 ou 10 000 électeurs) le droit de vérifier tous les documents de n'importe quelle grande entreprise. Cette mesure est entièrement et facilement réalisable par simple décret; elle seule donnerait libre cours à l'initiative populaire, au contrôle par les associations d'employés, d'ouvriers, par tous les partis politiques; elle seule rendrait ce contrôle efficace et démocratique »[21] ;
  • l'abolition de ce secret permettrait aussi « de dévoiler la dilapidation du Trésor public » alors que, dans le contexte de la Première Guerre mondiale (ceci est écrit en 1917), « l'immense majorité des entreprises industrielles et commerciales ne travaillent plus à présent pour le « marché libre », mais pour l'État, pour la guerre »[23] ;
  • 125 ans après la révolution française « Et, pendant les cinq quarts de siècle écoulés depuis, le développement du capitalisme a créé les banques, les cartels, les chemins de fer, etc., etc., qui ont rendu cent fois plus faciles et plus simples les mesures relatives à un contrôle réellement démocratique exercé par les ouvriers et les paysans sur les exploiteurs, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes »[21].

3 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 et 1,1 UQAC (univ. du Québec à Chicoutimi), Secret commercial ou secret industriel, consulté 2012-09-01,
  2. Philippe Ocvirk, « Qu'est-ce qu'un " secret commercial " ?, 2007-01-29. »
  3. 3,0 et 3,1 « Espionnage industriel : quelle réponse juridique ? », sur netpme.fr, (consulté le 19 janvier 2021).
  4. 4,0 et 4,1 Jérémie Baruch, Maxime Ferrer, « La loi relative à la protection du secret des affaires est-elle une loi liberticide ? », Le Monde, (consulté le 19 janvier 2021)
  5. Eric A. Caprioli, « Le secret des affaires est enfin protégé ! », L'Usine digitale, (consulté le 19 janvier 2021)
  6. Cf. Pepsi Challenge
  7. Valentin Millet, « La protection du secret des affaires », (consulté le 10 octobre 2021), p. 99
  8. « Décision n° 2018-768 DC », sur conseil-constitutionnel.fr,
  9. « Le Conseil constitutionnel valide la loi controversée sur le secret des affaires », Le Monde avec AFP, (consulté le 19 janvier 2021)
  10. Jérôme Bouin, « Rachat d'Alcatel par Nokia : le secret des affaires levé », Le Télégramme,‎
  11. Nicole Ferroni, « La loi du secret des affaires n'est plus un secret pour Nicole" », France Inter,
  12. Sandrine Blanchard, « Secret des affaires : Nicole Ferroni revient sur son coup de gueule viral », Le Monde, (consulté le 20 janvier 2021)
  13. « Levothyrox : quand l’Agence du médicament se cache derrière le secret des affaires », Le Monde, (consulté le 19 janvier 2021)
  14. Stéphane Horel, « Implants : la Commission d’accès aux documents administratifs invoque le « secret des affaires » contre la transparence », Le Monde, (consulté le 19 janvier 2021)
  15. Jean-Baptiste Jacquin, « « Implant Files » : le tribunal administratif oblige la CADA à donner certaines informations », Le Monde, (consulté le 20 janvier 2021).
  16. Jean-Baptiste Chastand, « LuxLeaks : la condamnation d’un des lanceurs d’alerte français annulée en cassation », Le Monde, (consulté le 20 janvier 2021)
  17. Collectif, « Des journalistes et des ONG dénoncent des « poursuites bâillons » de la part du groupe Bolloré », Le Monde, (consulté le 20 janvier 2021)
  18. Maxime Vaudano, « La justice allemande enquête sur le journaliste à l’origine des « CumEx Files » pour violation du secret des affaires », Le Monde, (consulté le 20 janvier 2021)
  19. François Bougon, « Affaire Conforama : « Challenges » devant la cour d’appel de Paris pour la liberté d’informer », Le Monde, (consulté le 20 janvier 2021)
  20. Elodie Guéguen , Cellule investigation de Radio France, « Achats européens des vaccins : un secret très bien gardé », sur France Inter, (consulté le 19 février 2021)
  21. 21,0 21,1 et 21,2 Lénine, La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer V. Suppression du secret commercial, sur marxists.org, 1917
  22. Lénine, La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer ; Les mesures de contrôle sont universellement connues et faciles à réaliser, sur marxists.org, 1917
  23. Lénine, « Instaurer le socialisme ou divulguer les malversations ? ». sur La Pravda, 22 juin 1917.