Sans-culotte
Les sans-culotte étaient parmi les révolutionnaires de 1789 en France, l'aile radicale, petite-bourgeoise et plébéienne.
1 Les "sans-culotte"[modifier | modifier le wikicode]
Au 18e siècle, la noblesse porte la culotte et la haute bourgeoisie tend à l'imiter. Ce sont les travailleurs manuels ou autres boutiquiers modestes qui portent le pantalon. Dans ce contexte, le terme de "sans-culotte" a d'abord été employé par les puissants pour dénigrer les petites-gens.[1] Avec un mépris de classe évident, il connotait non seulement la pauvreté, mais aussi l'inculture et la bestialité.
Lorsque les "sans-culotte" s'agitent au début de la Révolution française, le terme réapparaît donc aussitôt. L'impulsion est sans doute lancée par les députés du Tiers-État qui portent le pantalon. Après la montée en puissance des Montagnards, ce sont les sans-culottes eux-mêmes, aussi appelés "bras-nus", qui reprennent le terme, et développent une certaine fierté plébéienne.
Dans Paris et ailleurs règne alors une ambiance révolutionnaire au son de la Carmagnole. Les sans-culotte veulent une égalité simple et fraternelle. Ils systématisent le tutoiement et s'interpellent en disant "citoyen !". Les valeurs s'inversent à très grande vitesse, les nobles et les grands hommes d'Église sont raillés, leur privilège de ne pas travailler est décrié comme scandaleux et honteux dans les satires populaires. Les hommes sont vêtus de pantalons, souvent à raies tricolores, de blouses et de gilets ou carmagnoles. A partir du 10 août 1789, le bonnet phrygien rouge est aussi arboré ostensiblement.
Politiquement, le mouvement n'avait pas de leader naturel, mais plusieurs figures qui savaient capter son énergie, dont principalement :
- Jean-Paul Marat et son Ami du peuple
- Jacques-René Hébert et son Père Duchesne
- Jacques Roux et son groupe Les Enragés
2 Nature du mouvement[modifier | modifier le wikicode]
Les sans-culotte ne forment pas une classe sociale à proprement parler, puisqu'ils regroupent à la fois des petits-bourgeois (boutiquiers, artisans...) et les premiers des prolétaires (tapissiers de la manufacture Réveillon, typographes...).
Travaillant et vivant aux côtés de ses compagnons, ancien compagnon lui-même bien souvent, le petit patron exerçait sur eux une influence idéologique décisive : par lui, les influences bourgeoises pénétraient dans le monde du travail. Même s’ils étaient parfois en conflit avec eux, les compagnons des petits métiers, formés à l’école des maîtres, vivant souvent sous leur toit et mangeant à leur table, avaient les mêmes conceptions : la petite bourgeoisie artisanale façonnait la mentalité ouvrière.
Cette position n’alla pas sans de graves contradictions. Liés à leurs compagnons par leurs conditions d’existence, les artisans n’en possédaient pas moins leur atelier, leur outillage : ils faisaient figure de producteurs indépendants. D’avoir sous leur discipline compagnons et apprentis accentuait leur mentalité bourgeoise. Mais le système de la petite production et de la vente directe les opposait à la bourgeoisie marchande. De là, chez ces artisans et ces boutiquiers, aile marchante de la sans-culotterie, un idéal en contradiction avec l’évolution économique. Ils se dressaient contre la concentration, et ils étaient eux-mêmes propriétaires. Lorsque les plus avancés réclamèrent en l’an II le maximum des fortunes, la contradiction entre cette revendication et leur qualité de propriétaires leur échappa. Les revendications de ce monde artisanal se sublimèrent en plaintes passionnées, en élans de révolte, sans jamais se préciser en un programme cohérent.
Mais ils ont formé, dans les événements un bloc radical, véritable moteur de la Révolution. Ce qui les liait, c'était à la fois une idéologie confuse mais engagée, et surtout une condition de "classes populaires" dans le besoin, qui les poussait à la révolte devant l'opulence des puissants.
« ...la faim a constitué le ciment de catégories aussi diverses que l’artisan, le boutiquier, l’ouvrier, qu’un intérêt commun coalisait contre le gros marchand, l’entrepreneur, l’accapareur noble ou bourgeois. »[2]
De 1726-1740 à 1785-1789, la hausse de longue durée des prix entraîna une augmentation du coût de la vie de 62 %. La part du pain entrait en moyenne pour moitié dans le budget populaire : les variations saisonnières du prix des grains la portèrent en 1789 à 88 %.[3]
Les paysans ruinés par les abus de l'Ancien régime « se pressaient dans les villes où ils étaient journaliers, mais se heurtaient là aussi de nouveau à des barrières féodales, celles du monopole des corporations, qui devenaient d'autant plus insupportables que la prolétarisation du peuple des campagnes progressait. Ils surpeuplaient les faubourgs de Paris affranchis du monopole des corporations et contribuèrent pour la plus grosse part au grossissement des foules qui allaient donner le sans-culottisme. »[4]
Le mouvement sans-culotte a exprimé à la fois des éléments de continuité avec certaines revendications sous la monarchie (loi du maximum), et d'autres de rupture, surtout dans la composante prolétarienne (démocratie directe...).
3 Accomplissements et faiblesse[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Grève ouvrière et rues investies[modifier | modifier le wikicode]
En avril 1789, les ouvriers de la manufacture de Réveillon entrent en grève. La troupe intervient et fait plus de 300 morts au Faubourg Saint-Antoine à Paris. Des 71 victimes arrêtées ou mortes, 58 étaient salariés. La lutte des classes moderne s’annonçait déjà. Les 11 et 12 juillet, 40 des 45 barrières douanières de l’enceinte des fermiers généraux furent saccagées. Les masses non possédantes sont descendues dans l’arène pour détruire les derniers vestiges du féodalisme.
Le 14 juillet, les sans-culottes du Faubourg Saint-Antoine prennent la Bastille, forteresse dont le rôle était de dominer l’Est parisien, plébéien. Les masses voulaient des armes. Elles voulaient aussi détruire cette prison pour dettes, hautement symbolique. La prise de la Bastille, qui n’était aucunement commandée par la bourgeoisie, marque l’entrée des masses parisiennes sur la scène de la Révolution comme force indépendante.
En même temps, une série d’insurrections urbaines eut lieu également à Rennes, à Caen, au Havre, à Strasbourg et à Bordeaux. Ce sont les masses urbaines qui, par leurs interventions décisives, ont contré à la fois la réaction monarchiste et les hésitations des bourgeois. En octobre 1789, les femmes de Paris ont marché sur Versailles et sont rentrées avec le roi fait prisonnier.
3.2 Double pouvoir[modifier | modifier le wikicode]
De ce mouvement sans-culotte va naître une tentative de gouvernement populaire, la Commune de Paris. Il s'agit d'une sorte de gouvernement municipal plébéien, organisé en sections locales sur les différentes arrondissements. En connexion directe avec la combativité populaire, la Commune est une sorte de double pouvoir face aux Assemblées dominées par les bourgeois, et émet parfois des revendications fortement socialisantes, mais elle n'a pas la force sociale ni la conscience pour devenir hégémonique.
Aux premiers moments de la Révolution, malgré les débordements populaires comme la prise de la Bastille, c'est surtout la bourgeoisie qui dirige politiquement. Mais passé l'enthousiasme initial, les divergences se décantent et les partis se cristallisent. D'un côté les Montagnards, qui veulent pousser plus loin les conquêtes révolutionnaires, de l'autre les Girondins, qui jusque là ont modéré le mouvement, défendu le roi, voire collaboré avec la réaction. De plus, la monarchie constitutionnelle appuyée sur un suffrage censitaire a vite fait de décevoir les classes populaires et les intellectuels radicaux.
C'est la fuite du roi à Varennes puis le massacre du Champ-de-Mars (17 juillet 1791) qui furent les preuves les plus éclatantes qu'une partie des élites avait trahi et n'était pas dans le même camp que les masses insurgées. C'est surtout à partir de ce moment que le code vestimentaire du sans-culotte sera affiché en signe d'appartenance.
3.3 Un égalitarisme de partageux[modifier | modifier le wikicode]
Les sans-culottes avaient une forte mentalité égalitariste, et la disette les radicalisait. Ils ne supportaient pas de voir la richesse coexister à côté de leurs difficultés. Ils voulaient donc partager les richesses et les propriétés.
Au printemps 1793, le citoyen Tobie présenta à la section des Fédérés, qui l’adopta, un Essai sur les moyens d’améliorer le sort de la classe indigente de la société : pour diminuer l’inégalité des conditions et assurer une propriété à tous les citoyens, il imaginait de vendre les châteaux ci-devant royaux afin de constituer des prêts sans intérêt pour ceux qui voudraient créer « un petit établissement ».
La pétition de la section des Sans-Culottes du 2 septembre 1793 entendait non seulement fixer « les profits de l’industrie, les salaires du travail et les bénéfices du commerce qui seront modérés par la loi », donc établir une taxation générale ; mais encore limiter l’étendue des exploitations (« Que nul ne puisse tenir à loyer plus de terres que ce qu’il en faut pour une quantité de charrues déterminée ») et des entreprises (« Que le même citoyen ne puisse avoir qu’un atelier, qu’une boutique ») ; et enfin, imposer une limite à la richesse : « Que le maximum des fortunes sera fixé. Que le même individu ne puisse posséder qu’un maximum. » Que serait ce maximum, la pétition ne le précise pas, mais il est clair qu’il correspondrait à la propriété artisanale et boutiquière. Ces mesures radicales, conclut la section des Sans-Culottes, « feraient disparaître peu à peu la trop grande inégalité des fortunes et croître le nombre des propriétaires ».
Le 20 août, au nom des commissaires des assemblées primaires, Félix Lepeletier déclara à la Convention :
« Il ne suffit pas que la République française soit fondée sur l’égalité ; il faut encore que les lois, que les mœurs tendent par un heureux accord à faire disparaître l’inégalité des jouissances ; il faut qu’une existence heureuse soit assurée à tous les Français. »
Le 2 septembre, réclamant le maximum des subsistances, la section des Sans-Culottes affirmait :
« La République doit assurer à chacun les moyens de se procurer les denrées de première nécessité, la quantité sans laquelle ils ne pourront conserver leur existence. »
Selon la Commission temporaire de Commune-Affranchie (Lyon) le 16 novembre 1793, c’eût été une dérision que de se réclamer sans cesse de l’égalité, « quand des intervalles immenses de bonheur eussent toujours séparé l’homme de l’homme ». Elle ajoutait :
« Prenez tout ce qu’un citoyen a d’inutile, car le superflu est une violation évidente et gratuite des droits du peuple. Tout homme qui a au-delà de ses besoins ne peut pas user, il ne peut qu’abuser : ainsi, en lui laissant ce qui lui est strictement nécessaire, tout le reste appartient à la République et à ses membres infortunés. »
Dans leurs revendications visant les marchands et agriculteurs, les sans-culottes des villes développaient l'idée que les biens de première nécessité sont particuliers, et justifient des limites à l'appropriation privée et au commerce. Le 7 février 1793, la section des Gardes-Françaises affirmait que les produits de l’agriculture ne doivent être regardés par le cultivateur ou le propriétaire « que comme un dépôt dont il doit rendre compte à la République ». Plus nette, la déclaration d’un citoyen de la section du Marais, en mars 1793 : « Les biens appartiennent généralement à tous lorsqu’ils produisent l’existence. » Selon l’enragé Leclerc, dans son journal L’Ami du peuple du 14 août 1793, « les grains et en général tous les objets de consommation de première nécessité appartiennent à la République, sauf une juste indemnité à payer au cultivateur pour prix des sueurs et des travaux consacrés à leur culture ». Et à nouveau, le 17 août : « Les subsistances appartiennent à tous. » Selon la pétition de la section des Sans-Culottes, le 2 septembre 1793, « la propriété n’a de base que l’étendue des besoins physiques ». L’instruction de la Commission temporaire de Commune-Affranchie affirmait que « les productions du territoire français appartiennent à la France, à charge de l’indemnité due au cultivateur ; le peuple a donc un droit assuré sur les fruits qu’il a fait naître ».
Les militants les plus conscients se rendaient compte que la taxation était insuffisante, et pressentirent que la solution radicale consisterait à placer le système de distribution des subsistances entre les mains de la nation. L'Enragé Leclerc demanda que « nul dorénavant ne puisse vendre qu’à l’État les objets de première nécessité »[5]. La section des Arcis réclama aux Jacobins l’établissement de magasins nationaux : « Que les cultivateurs et manufacturiers soient obligés de déposer à un prix modéré l’excédent de leur consommation de toute espèce de marchandises ; que la nation distribue ces mêmes marchandises. »[6] « [Le marchand] est le dépositaire et non, comme on l’a cru sottement jusqu’ici, le propriétaire des objets nécessaires à la vie. Il est donc fonctionnaire public, et le plus important de tous. »[7]
A l’époque du maximum et de la terreur, la boulangerie et la boucherie furent effectivement municipalisées : à Clermont-Ferrand, à Troyes....
Reprenant tous les griefs des possédants contre les militants populaires, les commissaires de la Butte-des-Moulins écrivaient dans un rapport en l’an III : « C’est alors enfin que n’éprouvant plus de résistance ils ont conçu le projet de tout envahir, d’anéantir non les propriétés, mais les propriétaires, pour partager ensuite les propriétés. »
3.4 Mouvement de masse pro-jacobin[modifier | modifier le wikicode]
C'est pourquoi va s'instaurer une dialectique entre Jacobins et sans-culottes : les premiers vont encourager les masses en établissant la République en août 1792, et celles-ci vont être l'inexorable force qui va enfoncer l'Ancien Régime. Sur le plan idéologique, cette relation Jacobins / sans-culotte s'illustre aussi par le rousseauisme qui est influent dans la bourgeoisie révolutionnaire, avec sa fascination pour le travail manuel et son égalitarisme revendiqué comme réalisation d'un ordre naturel.
Les sans-culottes se rassemblaient, d’une part, dans les sections de la Commune et, d’autre part, dans les clubs (club des Cordeliers, club de l'Évêché, Société fraternelle des deux sexes, Club helvétique...). Le club de l'Évêché, issu des Cordeliers, joua un rôle important dans la préparation du 10 août, jour de la prise des Tuileries et de la chute du trône. À partir de septembre 1792, le club des Jacobins s’ouvrit aux citoyens les plus pauvres : il devint dès lors le plus important des lieux de réunion pour les sans-culottes. Pour maintenir la pression sur la Législative, puis la Convention, les sans-culotte envoyaient des pétitions et des délégués. Il y eut ainsi une succession de pétitions réclamant l’arrestation des chefs girondins avant l’insurrection du 31 mai au 2 juin.
Mais c'est principalement parce que depuis 1789, les sans-culottes étaient armés et déclenchaient facilement des insurrections qu'ils avaient un rôle décisif. Les émeutiers, appuyés par les canons de la garde nationale à laquelle ils appartenaient, se soulevèrent fréquemment du 10 août 1792 aux vaines émeutes de germinal et prairial an III.
Il existait une vraie attente des Jacobins de la part des sans-culottes. Globalement, ils leur faisaient confiance, même si parfois éclatait l'impatience révolutionnaire :
« Mandataire du peuple, depuis peu vous promettez de faire cesser les calamités du peuples ; mais qu'avez vous fait pour cela ? Avez-vous prononcé une peine contre les accapareurs et les monopoles ? Non. Eh bien, nous vous déclarons que vous n'avez pas tout fait. Vous habitez la Montagne, resterez-vous immobiles sur le sommet de ce rocher immortel ? Il ne faut pas craindre d'encourir la haine des riches, c'est-à-dire des méchants ; il faut tout sacrifier au bonheur du peuple. »
Pétition des sans culottes portée à la Convention, 25 juin 1793
3.5 Mort du mouvement[modifier | modifier le wikicode]
Cette dialectique va durer jusqu'à l'été 1794. Entre temps, elle s'est inversée : les Jacobins effrayés ont fini par démobiliser les sections sans-culotte, et par là même ils se suicident littéralement face à une réaction revancharde.
L'intervention des masses avait atteint son paroxysme en 1792 et 1793 avec les comités de surveillance, dans lesquels les sans-culottes appliquaient directement et avec zèle la politique de Terreur sur la réaction. Parallèlement, les sans-culottes ont peu à peu étés plus étroitement fichés, infiltrés et surveillés par la police, et les autorités bourgeoises ont tout fait pour récupérer les armes dont disposait le peuple parisien.
Quand les Jacobins eurent perdu le soutien des masses, dont l'élan était brisé, ils subirent le retour de balancier de la réaction. Avec les mesures prises par la Convention thermidorienne, comme la dissolution des comités et des sections, les sans-culotte perdirent tout pouvoir sur l'évolution politique du pays. Avec la défaite de cette immense force sociale, ce sont toutes les conquêtes démocratiques qui ont reculé. En revanche, les conditions étaient réunies pour le développement du mode de production capitaliste, dans lequel la lutte de classe allait prendre une forme encore plus aigüe.
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- http://www.cnrtl.fr/etymologie/sans-culotte
- Jacques Droz, Histoire générale du socialisme, 1972
- ↑ Par exemple, il a été utilisé à l'encontre du poète Gilbert (1750-1780).
- ↑ Albert Soboul, Les Sans-culottes parisiens en l’an II, Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire (1793-1794)
- ↑ Camille-Ernest Labrousse, Esquisse du mouvement des prix et des revenus au XVIIIe siècle, 1933
- ↑ Karl Kautsky, Les antagonismes de classes à l'époque de la Révolution française, 1889
- ↑ Jean Théophile Leclerc, L’Ami du peuple du 10 août 1793
- ↑ 18 brumaire an II (8 novembre 1793)
- ↑ Assemblée générale de la section des Champs-Elysées en ventôse an II