Embourgeoisement
L'embourgeoisement désigne le fait qu’un individu ou un groupe, souvent à la suite d'un enrichissement matériel, adopte des comportements, des valeurs ou un mode de vie associés à la bourgeoisie. Le terme peut être employé dans le langage courant, avec une connotation souvent critique ou ironique, mais il a également fait l’objet d’analyses sociologiques.
Le terme de bourgeoisification est un quasi-synonyme.
1 Usage courant[modifier | modifier le wikicode]
Dans le langage commun, « s’embourgeoiser » désigne le fait d’acquérir des habitudes considérées comme bourgeoises, telles que la recherche de confort matériel, la stabilisation de la situation professionnelle, ou encore une aspiration à la respectabilité sociale. Le terme peut être utilisé de manière péjorative pour qualifier l'abandon de valeurs populaires et ouvrières.
Ainsi, dans la culture politique, certains mouvements de gauche ont accusé leurs adversaires de « s’être embourgeoisés » lorsqu’ils semblent privilégier la réussite individuelle ou le compromis avec l’ordre établi.
2 Approches marxistes et sociologiques[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Marxisme classique[modifier | modifier le wikicode]
Dans la tradition marxiste, l’embourgeoisement a été discuté principalement en relation avec la transformation de certains segments de la classe ouvrière.
Karl Marx et Friedrich Engels discutaient déjà de l'embourgeoisement de la classe ouvrière britannique, employant le terme d'aristocratie ouvrière, c’est-à-dire de travailleurs bénéficiant de meilleures conditions matérielles grâce aux compromis passés avec la bourgeoisie. Ainsi en 1858, Engels écrivait à Marx :
« En réalité, le prolétariat anglais s'embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation, bourgeoise entre toutes, veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Évidemment, de la part d'une nation qui exploite l'univers entier c'est jusqu'à un certain point, logique. »[1]
Au 20e siècle, des auteurs comme Lénine ont repris et théorisé cette notion d’aristocratie ouvrière, et ont fait un facteur décisif dans le maintien de l’influence bourgeoise au sein du mouvement ouvrier, une caractéristique de l'impérialisme moderne (les surprofits dégagés par l'exploitation d'autres nations permettant d'atténuer l'antagonisme de classe au sein des nations impérialistes). [2]
2.2 Autres élaborations et débats[modifier | modifier le wikicode]
L’idée d’embourgeoisement renvoie alors à la question de savoir si ces fractions de la classe ouvrière cessent d’appartenir à cette classe, ou si elles en constituent seulement une couche privilégiée.
D’autres théoriciens, comme Herbert Marcuse, ont mis en avant l'aspect idéologique : la tendance du capitalisme contemporain à intégrer et neutraliser les revendications ouvrières par la diffusion de valeurs consuméristes[3]. Dans ce cadre, l’embourgeoisement peut être vu comme une stratégie de stabilisation du capitalisme par l’absorption des classes subalternes.
Certains marxistes contemporains, tels qu’Erik Olin Wright, préfèrent analyser ces phénomènes en termes de positions de classe intermédiaires ou contradictoires. Selon cette perspective, l’embourgeoisement ne signifie pas une sortie complète du prolétariat, mais plutôt l’émergence de situations sociales hybrides, où les travailleurs peuvent partager à la fois des intérêts communs avec la bourgeoisie et avec les autres travailleurs[4].
3 Liens avec la gentrification[modifier | modifier le wikicode]
Le terme d’embourgeoisement est parfois rapproché de celui de gentrification, qui désigne le processus de transformation urbaine lié à l’installation de populations aisées dans des quartiers populaires, entraînant une hausse des loyers et le déplacement des habitants d’origine.
A l'échelle du quartier considéré, la gentrification peut être vue comme un embourgeoisement. Mais la gentrification n'est pas ou est rarement un embourgeoisement d'une même population, car souvent, la gentrification d'un quartier repose sur des migrations de populations (arrivée de populations plus riches, éviction des plus pauvres).
4 Bourgeoisification[modifier | modifier le wikicode]
Le terme de bourgeoisification est souvent synonyme d’« embourgeoisement ». En français, il est plus rare, plus neutre, et donc plus souvent employé dans des publications sociologiques (notamment dans des analyses de stratification sociale).
Mais « bourgeoisification » peut aussi être utilisé pour désigner des processus plus précis. Par exemple, la transformation d'une bureaucratie d'État en bourgeoisie est parfois qualifiée de bourgeoisification[5]. Ici cela désigne plutôt une transformation de rapports sociaux qu'un enrichissement en tant que tel.
5 Références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Friedrich Engels, Lettre à Karl Marx, 7 octobre 1858
- ↑ V. I. Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916.
- ↑ Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel, 1964.
- ↑ Erik Olin Wright, Classes, Verso, 1985.
- ↑ Pierre Rousset, « Bourgeoisification » de la bureaucratie et mondialisation, NPA, octobre 2015