Journée internationale des droits des femmes

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Manifestantes en Uruguay le 8 mars 2020 derrière une banderole « grève féministe ».

Le 8 mars de chaque année est une journée internationale de lutte pour les droits des femmes. C'est une journée qui a son origine dans le mouvement socialiste, et qui a obtenu une reconnaissance officielle (par l'ONU notamment), ce qui a conduit à une dépolitisation partielle, que combat la frange militante du mouvement féministe.

C'est une journée de manifestations à travers le monde : l’occasion de faire un bilan sur la situation des femmes dans la société et de revendiquer plus d'égalité en droits. Traditionnellement, les groupes et associations de femmes militantes préparent des manifestations partout dans le monde, pour faire aboutir leurs revendications, fêter les victoires et les avancées.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Naissance dans la mouvance socialiste[modifier | modifier le wikicode]

En Allemagne, la social-démocratie (SPD) commémorait habituellement deux événements le 19 mars : la révolution allemande de Berlin en 1848, et la Commune de Paris. Le journal Die Gleichheit destiné aux ouvrières, édité par Clara Zetkin à partir de 1891, appelait celles-ci à se joindre aux manifestations prévues.[1]

Une première Journée nationale de la femme (« National Woman's Day ») a lieu le à l'appel du Parti socialiste d'Amérique, et plus particulièrement de la militante Theresa Serber Malkiel[2][3]. Cette journée est ensuite célébrée le dernier dimanche de février jusqu'en 1913[4],[5].[6]

En 1910 à Copenhague, lors de la 2e conférence internationale des femmes socialistes qui réunit une centaine de femmes venant de 17 pays différents, est adoptée l'idée d'une « Journée internationale des femmes » sur une proposition de Clara Zetkin, sans qu'une date ne soit avancée[7],[8],[9]. Cette journée est approuvée à l'unanimité d'une conférence réunissant 100 femmes socialistes en provenance de 17 pays[4]. May Wood Simons, déléguée des États-Unis, a relayé l'exemple des mobilisations conjointes ouvrières et féministes.

Il s'agit alors de revendiquer le droit de vote des femmes, le droit au travail et la fin des discriminations au travail[4].

Une des motivations est aussi de contrecarrer l'influence des groupes « féministes » : le terme est alors plutôt associé à des mouvements plutôt bourgeois critiqués par de nombreux socialistes, en particulier la gauche de l'Internationale à laquelle appartient Clara Zetkin.[10][7]

Le texte de la résolution, approuvée par le congrès de la Deuxième Internationale, précise que « les femmes socialistes de tous les pays devraient l’organiser en collaboration avec les organisations politiques et syndicales » et que « l’objectif immédiat était d’obtenir le droit de vote », ce qui provoque « des perplexités » selon la chercheuse Alessandra Gissi « puisque les partis socialistes soutenaient sans enthousiasme la revendication du suffrage féminin »[9]. En effet, beaucoup de socialistes soulignaient qu'il ne s'agissait que d'un droit établissant une égalité de droit, qui ferait surtout une différence pour les femmes bourgeoises, mais qui ne changerait pas fondamentalement la vie des femmes ouvrières.

1911

La première Journée internationale des femmes est célébrée l'année suivante, le , pour revendiquer le droit de vote des femmes, le droit au travail et la fin des discriminations au travail. C’est la direction du SPD qui fixa la première journée des femmes au 19 mars, date de commémoration déjà évoquée[1]. En Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse, plus d'un million de personnes participe aux rassemblements[4].

Le 1911, un incendie pendant une grève des couturières dans un atelier textile de Triangle Shirtwaist à New York tue 140 ouvrières, dont une majorité d'immigrantes italiennes et juives d'Europe de l'Est[4],[11],[12],[13], enfermées à l'intérieur de l'usine[14]. Cette tragédie, liée à l'exploitation des femmes ouvrières, a un fort retentissement[4] et est commémorée par la suite lors des Journées internationales des femmes qui font alors le lien entre lutte des femmes et mouvement ouvrier[15],[16].

De 1911 à 1915, des « journées internationales de la femme » ou « des ouvrières » sont célébrées dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, en Autriche, en France et en Russie[7],[17],[9],[5]. Le , les femmes socialistes organisent de nombreux événements à Berlin, en particulier pour revendiquer le droit de vote : selon la chercheuse Alessandra Gissi, il s'agit du « premier véritable 8 mars », mais « la date semble avoir été choisie par hasard »[18],[9]. L’affiche dessinée pour l’occasion (ci-contre) est l’une des plus connues sur le sujet : elle se caractérise par des contrastes de couleurs d’inspiration expressionniste et le slogan « En avant avec le droit de vote aux femmes ! »[9]

1.2 Adoption par la Russie soviétique[modifier | modifier le wikicode]

Manifestation de femmes à Petrograd en avril 1917 pour du pain et pour la paix.

Le ont lieu, à Petrograd, des manifestations d’ouvrières que les bolcheviks désignent comme le premier jour de la révolution russe[7],[5]. La révolutionnaire Alexandra Kollontaï évoque une « journée internationale des ouvrières », « devenue une journée mémorable dans l’histoire », lors de laquelle des « femmes, ouvrières et épouses de soldats » ont « [exigé] du pain pour leurs enfants et le retour de leurs maris des tranchées »[9]. Cet événement consacre la date du en tant que Journée internationale de la femme[9] : elle est désormais l’occasion pour les partis communistes de mobiliser les femmes[7].

C'est en souvenir de cette première manifestation de la Révolution que, le , Lénine aurait décrété la journée « Journée internationale des femmes » (« Международный женский день »)[19]. Il n'est en fait pas certain que Lénine y soit pour quelque chose, ce serait plutôt la proposition d'une « camarade bulgare » de l'Internationale communiste[20]. Le 8 mars est férié mais non chômé jusqu'en 1965[21].

Par la suite, la journée du 8 mars est célébrée dans tout le bloc de l'Est[22], qui s'élargit notablement après la Seconde Guerre mondiale[5]. En 1946, la radio tchécoslovaque décrit ainsi la journée de « la femme socialiste » à Moscou[22] :

« des avions apportent quotidiennement du mimosa, des violettes et des roses du Caucase et de Crimée […]. Les usines ont réservé des théâtres entiers uniquement pour leurs ouvrières. Les femmes sont des millions et des millions d’hommes, de pères, d’amants et de collègues de travail les couvrent de fleurs — littéralement — parce que la femme socialiste célèbre aujourd’hui sa fête, la fête de son émancipation ».

L'évènement restera principalement cantonné aux pays du bloc socialiste jusqu'à la fin des années 1960, lorsqu'il sera repris par la deuxième vague féministe[21]. Dans ce contexte, une Journée des femmes en Europe a été organisée en Belgique le , en présence de Simone de Beauvoir, et a rassemblé 8000 femmes[23].

1.3 En France[modifier | modifier le wikicode]

En France, un mythe au sujet de cette date naît en 1955 dans la presse et notamment dans un article du quotidien communiste L'Humanité relatant une manifestation de couturières new-yorkaises, un siècle auparavant, le [1],[5]. Cette information est relayée, chaque année, par la presse militante du PCF, de la CGT et des « groupes femmes » du Mouvement de libération des femmes. Mais cet événement n'a, en réalité, jamais eu lieu, le jour indiqué tombait même un dimanche[24]. Selon une hypothèse étayée par Françoise Picq[25],[5], la journée du est un mythe et l'initiative en revient à Madeleine Colin, féministe et secrétaire confédérale de la CGT : la commémoration étant depuis son origine encadrée par le PCF et ses organisations satellites, elle souhaite l'affranchir de cette tutelle communiste pour en faire la lutte des femmes travailleuses[26].

Le slogan « féministes et révolutionnaires, tant qu'il le faudra » scandé dans les rues de Nantes lors de la manifestation du 8 mars 2023

Le , à l'initiative du MLF et de la ministre déléguée aux Droits de la femme Yvette Roudy[5],[27], le gouvernement PS de François Mitterrand donne un statut officiel à la journée en France, bien qu'aucune loi ni décret ne le mentionne[28].

1.4 Reconnaissance par l'ONU[modifier | modifier le wikicode]

Le , reprenant l'initiative communiste[29] et à la suite de l'année internationale des femmes de 1975, l’ONU adopte une résolution enjoignant à ses pays membres de célébrer une « Journée des Nations unies pour les droits des femmes et la paix internationale ».

L'idée est de mettre en avant la lutte pour les droits des femmes et notamment pour la fin des inégalités par rapport aux hommes.

L'ONU parle alors couramment de Journée internationale des femmes[30] (« International Women's Day » en anglais[31]).

L'agence ONU Femmes parle également de journée internationale des droits des femmes.[32][33]

Rouge : jour férié. Orange : jour férié pour les femmes. Jaune : jour férié non officiel.

Le 8 mars fait partie des 87 journées internationales reconnues ou introduites par l'ONU. On peut aussi citer :

1.5 Dépolitisation partielle[modifier | modifier le wikicode]

Le revers de la reconnaissance du 8 mars, qui est en soi une victoire, a été une tendance à la dépolitisation de son contenu. Il faut toutefois souligner qu'il ne s'agit pas d'une tendance qui serait limitée à une sphère « capitaliste occidentale ». Au Burkina Faso, au Cambodge, en Algérie , au Laos, en Russie, en Ukraine, en Moldavie, en Azerbaïdjan, en Arménie, en Ouzbékistan, au Kirghizistan et en Biélorussie, on parle souvent de « Journée de la femme » et on offre traditionnellement des fleurs ou autres cadeaux aux femmes.[34]

Cela se traduit entre autre dans le glissement vers des appellations moins militantes, voire anti-féministes.[35] En partiellement le singulier « journée de la femme » a très vite été massivement utilisé.Cela a largement été dénoncé par le mouvement féministe comme véhiculant une vision essentialiste et statique de « la femme », invisibilisant la diversité des féminités et la possibilité de critiquer les rôles de genre.[36]

Cela se traduit souvent de manière caricaturale dans le marketing ou les grands médias, comme une journée consistant à faire cadeaux de roses ou de parfums aux femmes, seule façon de célébrer un certain « idéal féminin » étriqué.[37][38][39] La journaliste Fiona Schmidt partage le même constat et incite à « ne surtout pas participer » à cette « parodie d’empowerment ».[40]

L'ONU et les autres organisations internationales qui en découlent avaient d'abord traduit « International Women's Day » en « Journée internationale de la femme ». Depuis 2016, l'ONU traduit par « Journée internationale des Femmes »[41]. En France ou au Québec, certaines institutions utilisent parfois le pluriel.[42][43][44]

L'importance du mouvement ouvrier et socialiste dans l'établissement du 8 mars est souvent oubliée. Cependant, dans certains pays ayant subi la domination de Moscou, le 8 mars a été réduit à une création soviétique. Ainsi la journée du 8 mars a été abolie en tant que jour férié en République tchèque en 2008, sans que réagissent la société civile ni les associations féministes.

2 Exemples[modifier | modifier le wikicode]


3 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 1,1 et 1,2 « Archives du féminisme », Liliane Kandel et françoise Picq, 8 mars 1857, l’élaboration d’un mythe. 1ère publication : La Revue d’En face, n° 12, automne 1982
  2. Miller, Sally M. (December 1978). "From Sweatshop Worker to Labor Leader: Theresa Malkiel, A Case Study". American Jewish History. 68 (2): 197. JSTOR 23881894
  3. (en-US) « The forgotten woman behind International Women’s Day », Washington Post,‎ (ISSN 0190-8286, lire en ligne).
  4. 4,0 4,1 4,2 4,3 4,4 et 4,5 Origines de la Journée internationale de la femme, Nations unies, consulté le 30 juillet 2013.
  5. 5,0 5,1 5,2 5,3 5,4 5,5 et 5,6 La rédaction de Vie publique (République française), « Droits des femmes : cinq questions sur la journée du 8 mars », sur Vie publique.fr, (consulté le 2 mars 2022)
  6. (en) « International Women's Day History | International Women's Day | The University of Chicago », sur iwd.uchicago.edu (consulté le 7 avril 2017).
  7. 7,0 7,1 7,2 7,3 et 7,4 Stéphanie Arc, « Journée des femmes : la véritable histoire du 8 mars », sur lejournal.cnrs.fr, (consulté le 6 mars 2020).
  8. The International Socialist Women's Conference.
  9. 9,0 9,1 9,2 9,3 9,4 9,5 et 9,6 Alessandra Gissi (trad. Anna Bellavitis et Nicole Edelman), « « Un mythe incertain et inoxydable » : le 8 mars en Italie (1910-1958) », dans Anna Bellavitis et Nicole Edelman (dir.), Genre, femmes, histoire en Europe, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, (ISBN 9782840161004, lire en ligne), p. 391-408.
  10. Françoise Picq, « le long chemin vers la liberté », le Journal du CNRS, supplément du n° 242, mars 2010.
  11. (en)New York Evening Journal, mardi 28 mars 1911 [1].
  12. (en) Cf. les témoignages Working for the Triangle Shirtwaist Company by Pauline Newman and Joan Morrison, History Matters [2].
  13. No Way Out: Two New York City Firemen Testify about the 1911 Triangle Shirtwaist Fire, History Matters [3].
  14. (en) En photo [4].
  15. Cf. Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, (traduction française), chapitre XIII, Agone, 2002.
  16. (en) John M. Hoenig, « The Triangle fire of 1911 », History Magazine, avril-mai 2005 [5].
  17. « Für das Recht der Frau ! », Vorwärts, 2 mars 1913, Numérisé.
  18. « La Journée des Femmes », L'Humanité, 9 mars 1914, Numérisé sur Gallica.
  19. « Lénine décrète le 8 mars journée internationale des femmes - 1921 », 8mars.info.
  20. (en) 8th of March - International woman’s day: in search of the lost memory.
  21. 21,0 et 21,1 Temma Kaplan, "On the Socialist Origins of International Women's Day", Feminist Studies, 11/1 (Spring, 1985)
  22. 22,0 et 22,1 (cs) Jan Němec, « Květiny z Krymu došly (1908) », sur Respekt, (consulté le 20 octobre 2021)
  23. Marie Denis, Suzanne Van Rokeghem, Le féminisme est dans la rue. Belgique 1970-1975, Bruxelles, Pol-His, 1992, p. 93 et ss.
  24. (de) Natascha Vittorelli, Der 8. März und seine Geschichten [6].
  25. Françoise Picq, « Journée internationale des femmes : à la poursuite d'un mythe, Women’s international day, pursuing a myth », Travail, genre et sociétés, no 3,‎ 0000-00-00, p. 161–168 (ISSN 1294-6303, lire en ligne).
  26. Françoise Picq, « Journée internationale des droits des femmes : à la poursuite d’un mythe », revue n° 3 : Travail, Genre et Société, mars 2000.
  27. Simone Bonnafous et Marlène Coulomb-Gully, « La Journée internationale des femmes en France. Entre marronnier et foulard islamique », dans Femmes et médias, Presses universitaires du Mirail, , p. 81.
  28. Communiqué officiel du conseil des ministres du 20 janvier 1982, p. 30.
  29. Véronique Helft-Malz, Paule Henriette Lévy, Les Femmes et la vie politique française, Presses universitaires de France, , p. 34.
  30. « Journée internationale des femmes, 8 mars », sur un.org
  31. « International Women's Day », ONU, consulté le 30 juillet 2013.
  32. « 8 mars 2023 : L’égalité de genre ne peut pas attendre 300 ans ! », sur ONU Femmes France (consulté le 8 mars 2023)
  33. « Journée internationale des droits des femmes : Je suis de la Génération Égalité "Pour les droits des femmes et un futur égalitaire" », sur ONU Femmes France (consulté le 8 mars 2023)
  34. « About International Women's Day », sur International Women's Day
  35. « Le 8 mars, célèbre-t-on la journée des femmes, de la femme ? De leurs droits ? », slate.fr, consulté le 20 mars 2015.
  36. « La Journée de la femme, du militantisme au pseudo-féminisme », Le Temps, consulté le 30 juillet 2013.
  37. « Doit-on parler de « Journée de la femme » ou de « Journée des droits des femmes » ? », sur LCI, .
  38. Laurence Defranoux, « Journée de la femme, journée de la pouffe ? », Libération, 7 mars 2013.
  39. Naëm Bestandji, « Quand la Journée internationale des droits des femmes se transforme en « Fête de la femme » », sur Le Figaro, (consulté le 10 mars 2018).
  40. « Merci de ne pas me souhaiter une bonne fête de la femme », sur Le Bonbon, (consulté le 10 mars 2018).
  41. Comment dit-on ?, 8mars.info.
  42. Terme utilisé par le ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que certaines collectivités territoriales (par exemple l'ancienne région Limousin et associations (Centre national d'informations sur les droits des femmes et des familles).
  43. « Le pouvoir économique et social des femmes – 8 mars – Journée internationale des droits des femmes 2022 », sur Conseil du statut de la femme (consulté le 8 mars 2022)
  44. Courrier de Najat Vallaud-Belkacem aux décideurs publics, 7 février 2013.

3.1 Liens externes[modifier | modifier le wikicode]