Démocratie bourgeoise

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DémocratieBourgeoise.jpg

La démocratie sous le capitalisme est une démocratie tronquée. Via un ensemble de mécanismes socio-économiques, la classe dominante parvient à préserver l'essentiel de ses intérêts d'élection en élection. Les marxistes parlent de « démocratie bourgeoise », par opposition notamment à ce qui pourrait être une « démocratie ouvrière ».

1 Origine de la démocratie bourgeoise[modifier | modifier le wikicode]

L'Ancien Régime, État de la classe aristocratique, était évidemment autoritaire et tyrannique. Il faut cependant rappeler que ce n'est pas l'ensemble de la société qui indifféremment subissait cet arbitraire, mais au premier chef les exploités, les serfs, les petits plébéiens... À mesure qu'elle se hissait au rang de classe possédante, la bourgeoisie obtenait elle une certaine autonomie (villes franches, États généraux...). 

La bourgeoisie était porteuse d'une organisation plus efficace de la production et de la société, qui nécessitait de briser un certain nombre de restrictions du féodalisme, en premier lieu les multiples freins à la circulation des marchandises et de la main d’œuvre. C'est pour cela qu'il a historiquement existé un élan progressiste parmi cette classe, tant qu'elle avait beaucoup à y gagner. Ceci étant, parmi les plus puissants bourgeois beaucoup étaient trop liés par leurs intérêts à l'appareil d'État absolutiste, et se sont montrés profondément hostiles à tout changement. C'est pourquoi ce sont souvent les plébéiens qui ont été les éléments moteurs des révolutions bourgeoises, parfois en effrayant vraiment leurs leaders plus modérés par leurs tendances à la démocratie directe et au radicalisme social. Dans les campagnes, l'élan révolutionnaire causait beaucoup d'agitation dans la paysannerie, ce qui a conduit les jeunes États bourgeois à formaliser l'entrée dans un Droit nouveau (abolition du servage et des corvées...). 

Ces révolutions se sont faites sous des bannières idéologiques assez différentes, mais contenant toujours une forte dose de progressisme : principalement le réformisme religieux (révolution des Pays-Bas, révolution anglaise), puis le libéralisme (révolution française).

Malgré les idéaux de liberté avancés par la bourgeoisie ascendante, la démocratie s'est avérée très relative, et instable. La révolution des Pays-Bas donnera naissance à une république oligarchique, comme l'étaient déjà les Républiques de Venise ou Gênes. Le Commonwealth issu de la révolution anglaise laissa vite place à une restauration monarchiste.

Les révolutions bourgeoises comme la révolution néerlandaise ont permis d'augmenter le pouvoir des parlements en Europe.

Les plus grandes conquêtes de la révolution française furent reprises rapidement. Ainsi le suffrage universel masculin proclamé dans la Constitution de l'an I (1793) n'aura pas le temps d'être appliqué, que la réaction thermidorienne frappera. Alors la bourgeoisie se raidit, rétablit le suffrage censitaire, et ne cache plus que les droits de l’homme sont ceux du propriétaire.

« Vous devez enfin garantir la propriété du riche. L’égalité civile voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger... Nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ; or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve, et qui doivent à cette propriété et à l’aisance qu’elle donne l’éducation qui les a rendus propres à discuter des lois qui fixent le sort de la patrie. (...) Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature. »[1]

La démocratie finit par disparaître complètement sous l'Empire de Bonaparte. Ce phénomène (qui a été appelé bonapartisme par les marxistes) est une réponse des dominants à l'instabilité du système politique : ils préfèrent dans un tel cas s'en remettre à un dictateur.

Mais au travers de tous ces changements de régimes politiques, la domination socio-économique de la bourgeoisie n'a fait que se renforcer. Marx résumait ainsi le parlementarisme bourgeois : il consiste à « décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement. »[2]

2 État bourgeois et démocratie[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Conquêtes du mouvement ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

Affiche du Parti travailliste en 1910. Le suffrage universel est largement une conquête du mouvement ouvrier.

Sur fond de Révolution industrielle, les différents secteurs de la bourgeoisie se sont livrés de véritables batailles qui sont, avec l'essor du mouvement ouvrier, les causes essentielles des changements de régimes politiques : monarchie aristocratique, bonapartisme, parlementarisme censitaire... La démocratie basée sur le suffrage universel, est presque partout un acquis de la lutte du mouvement ouvrier et non de la bourgeoisie libérale.

La conquête des libertés démocratiques permet au mouvement ouvrier de s’organiser, d’acquérir de l’assurance, de peser dans les rapports de force. Trotski parle des « cellules de démocratie prolétarienne au sein de la démocratie bourgeoise » que représentent les organisations de masse de la classe ouvrière, la tenue de congrès, de manifestations, l’organisation de grèves, la possibilité d’avoir sa presse, ses loisirs, etc. Ainsi, malgré toutes ses limites, la démocratie bourgeoise constitue une bien meilleure position pour combattre le capitalisme.

2.2 Hégémonie idéologique de la bourgeoisie[modifier | modifier le wikicode]

Mais paradoxalement, la démocratie bourgeoise a aussi le grand inconvénient de générer beaucoup d'illusions réformistes. D'abord, le principe formel d'égalité des citoyen·nes (une personne, un vote) peut faire oublier que certains citoyens ont le bras plus longs que d'autres. Engels écrivait en 1884 :

« La république démocratique ne reconnaît plus officiellement, les différences de fortune. La richesse y exerce son pouvoir d’une façon indirecte, mais d’autant plus sûre. D’une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires, ce dont l’Amérique offre un exemple classi­que, d’autre part, sous forme d’alliance entre le gouvernement et la Bourse ; cette alliance se réalise d’autant plus facilement que les dettes de l’État augmentent davantage et que les sociétés par actions concentrent de plus en plus entre leurs mains non seulement le transport, mais aussi la production elle-même »[3]

Ensuite, l'alternance de différents partis bourgeois masque le fait que les capitalistes forment une classe aux intérêts opposés à celle de la majorité travailleuse de la population. Jules Guesde disait en 1900 :

« Si la classe capitaliste ne formait qu'un seul parti politique, elle aurait été définitivement écrasée à la première défaite dans ses conflits avec la classe prolétarienne. Mais on s'est divisé en bourgeoisie monarchiste et en bourgeoisie républicaine, en bourgeoisie cléricale et en bourgeoisie libre penseuse, de façon à ce qu'une fraction vaincue pût toujours être remplacée au pouvoir par une autre fraction de la même classe également ennemie. C'est le navire à cloisons étanches qui peut faire eau d'un côté et qui n'en continue pas moins à flotter insubmersible. Et ce navire-là, ce sont les galères du prolétariat sur lesquelles c'est vous qui ramez et qui peinez et qui peinerez et qui ramerez toujours, tant que n'aura pas été coulé, sans distinction de pilote, le vaisseau qui porte la classe capitaliste et sa fortune, c'est-à-dire les profits réalisés sur votre misère et sur votre servitude. » [4]

En légalisant les syndicats et les partis des travailleurs, les capitalistes les ont conduit à se renforcer, mais aussi à générer de l'opportunisme dans leurs rangs, en particulier au sein des directions qui deviennent des "aristocraties ouvrières" : les bureaucrates syndicaux s'entendent avec le patronat pour briser les luttes, les bureaucrates des partis font carrière au parlement voire au gouvernement... Il n'y a pas de fatalité à ce qu'un parti révolutionnaire dégénère ainsi, mais une forte pression.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue l'instabilité du capitalisme et ses profondes crises qui réduisent la capacité de la bourgeoisie à absorber les contestations sociales. Dans des situations de profonde dépression (années 1930, crise de 2007-2010 et situation actuelle...), les capitalistes ont moins de largesses envers les bureaucrates, et ceux-ci ont plus de mal à freiner la conscience révolutionnaire. Cela érode en même temps les bases mêmes de la démocratie bourgeoise, et favorise l'émergence de mouvements fascistes, qui signent le début d'un duel avec le mouvement ouvrier, dont le socialisme est la seule issue positive possible.

2.3 Démocratie, croissance et impérialisme[modifier | modifier le wikicode]

Avec les analyses des premiers marxistes sur les révolutions bourgeoises démocratiques, on aurait pu s'attendre à ce que le même processus ait lieu partout dans le monde. Mais les premières puissances capitalistes se sont érigées en puissances impérialistes et changent la donne au niveau international. En investissant massivement et rapidement dans certaines régions, elles développent une classe ouvrière, et entretiennent des bourgeoisies compradores qui n'ont absolument aucun rôle progressiste. Dans la mesure où une relative industrialisation auto-centrée a lieu (Brésil, Inde...), le mouvement ouvrier peut y conquérir certaines avancées. A l'inverse, dans les pays qui sont maintenus dans une stricte position d'exportateurs de matières premières (Afrique subsaharienne...) de brutaux régimes accaparent les miettes qu'octroient les impérialistes et leurs multinationales.

C'est pourquoi dans les pays dominés, la démocratie formelle est loin d'être obtenue. Et c'est pourquoi aussi, contrairement à une vision étapiste, un processus révolutionnaire doit nécessairement conduire au pouvoir des travailleurs et s'internationaliser pour être victorieux (théorie de la révolution permanente), sans quoi la contre-révolution finira par l'emporter (Chili 1973, ou encore Révolution tunisienne...).

Trotski semblait reconnaître un lien entre la possibilité d'un régime démocratique et la richesse d'un pays (liée aussi bien à son rang dans le système impérialiste mondial qu'à son dynamisme économique - les deux étant liés).

« Le régime démocratique est la façon le plus aristocratique de gouverner. Il n'est possible que dans un pays riche. Chaque "démocrate" Anglais a 9 ou 10 esclaves travaillant dans les colonies. La société grecque antique était une démocratie esclavagiste. On peut dire de même en un certain sens de la démocratie britannique, de la Hollande, de la France, de la Belgique. Les États-Unis n'ont pas de colonies directes, mais ils ont l'Amérique latine et le monde entier est une sorte de colonie des États-Unis, sans parler du fait qu'ils se soient appropriés le continent le plus riche et aient pu se développer sans une tradition féodale. C'est une nation historiquement privilégiée, mais les nations capitalistes privilégiées diffèrent des pays capitalistes les plus «parias» seulement en terme de retard. L'Italie, la plus pauvre des grandes nations capitalistes, est devenue fasciste. L'Allemagne l'est devenue la deuxième parce que l'Allemagne n'a pas de colonies ou de pays riches subsidiaires, et sur ​​cette pauvre base a épuisé toutes les possibilités, et les travailleurs n'ont pas pu renverser la bourgeoisie. »[5]

Ou encore, à propos d'une affirmation de Engels en 1890 selon laquelle « Tout gouvernement actuel devient, nolens-volens, bonapartiste » :

« Ce fut plus ou moins vrai alors pour une longue période de crise agraire et de dépression industrielle. Le nouvel essor du capitalisme à partir de 1895 environ affaiblit les tendances bonapartistes, le déclin du capitalisme après la guerre les renforça extrêmement. »[6]

Il semble d'ailleurs avoir étendu ce lien au régime stalinien :

« La dictature devra devenir plus souple et plus douce à mesure que le bien-être économique du pays s'élèvera. »[7]

Au début du 20e siècle, avec ce que plusieurs marxistes ont appelé le stade impérialiste, l'influence du pouvoir économique sur le pouvoir politique a été un peu plus étudiée. Ainsi Hilferding écrivait en 1909 :

« Pouvoir économique signifie en même temps pouvoir politique. Celui qui domine l'économie dispose également de tous les pouvoirs de l'État. Plus la concentration dans la sphère économique est forte, plus la domination sur l'État devient illimitée. Cette concentration rigide de tous les pouvoirs de l'État apparaît comme le sommet de la puissance, l'État se présentant comme l'instrument irremplaçable du maintien de la domination économique... Le capital financier sous sa forme achevée est le degré supérieur de la perfection du pouvoir économique et politique entre les mains de l'oligarchie capitaliste. Elle parachève la dictature des magnats du capital.»[8]

3 Une démocratie incomplète[modifier | modifier le wikicode]

Il y a de nombreux facteurs qui font que les pays capitalistes n'ont pas mis en place des formes institutionnelles complètement démocratiques, même du point de vue des standards du libéralisme politique.

3.1 Manipulations des élections[modifier | modifier le wikicode]

Il est fréquent que des politiciens aient recours à des pratiques déloyales, utilisant leur pouvoir au sommet de l'État pour frauder ou biaiser les élections. Dans le cas où les fraudes sont systématiques et massives, il n'y a plus trop de sens à parler de démocratie. Dans un pays un minimum démocratique, les fraudes sont souvent dénoncées, et cela a des conséquences.

Ainsi certains gouvernements ne se privent pas de faire des redécoupages de circonscriptions qui donnent plus de poids à leur électorat, voire font passer des lois électorales sur mesure pour éliminer des contestataires.

3.2 Contrôle parlementaire limité[modifier | modifier le wikicode]

Charles III ouvrant la séance de la chambre des Lords en novembre 2023

Dans les régimes démocratiques réellement existant, il y a un certain nombre de mesures institutionnelles qui limitent l'influence directe du peuple sur les élus :

  • Dans beaucoup de démocraties le parlement a un pouvoir assez limité par rapport au pouvoir exécutif (régime présidentiel ou semi-présidentiel). Or, puisque le parlement est collégial et reflète (plus ou moins) diverses forces politiques, il est plus susceptible de permettre l'expression des courants (idéologiquement) minoritaires. Certaines constitutions prévoient des dispositifs permettant de passer outre les débats de l'assemblée (article 49.3).
  • Beaucoup de pays[9] ont, à côté de la chambre des représentants (l'assemblée nationale en France), une seconde chambre élue au suffrage indirect (le Sénat en France, la chambre des Lords au Royaume-Uni...). Cette chambre est presque toujours plus conservatrice[10], puisqu'elle est elle-même élue par une électorat faisant déjà partie de l'appareil d'État (« grands électeurs »).
  • Au Royaume-Uni, le roi a un rôle qui est devenu largement symbolique, mais formellement, il peut toujours déclarer la guerre, ou dissoudre le parlement, ce qui pour un individu qui a simplement reçu le pouvoir en héritage est complètement anti-démocratique.
  • Il existe par ailleurs un certain nombre d’institutions permanentes, non électives, dans lesquelles les hauts fonctionnaires sont nommés par des gouvernements et y restent longtemps.
  • choisis pour leur fidélité aux intérêts de la bourgeoisie après une longue sélection (écoles, concours, promotions, etc..).

Ces dernières décennies, la tendance à l'affaiblissement du parlement s'accentue (tendance bonapartiste).

Au niveau des institutions de l'Union européenne, le parlement a peu de pouvoir par comparaison avec la Commission (pouvoir exécutif). De plus, dans une logique ordolibérale, l'UE a été construite en plaçant volontairement certaines institutions clés comme la Banque centrale européenne hors de tout contrôle politique.

3.3 Corruption[modifier | modifier le wikicode]

En général, plus un pays est riche, moins la corruption est généralisée. Les fonctionnaires mieux payés ont moins de tentation à rechercher des dessous de table. Contrairement aux pays où les backchich font partie du quotidien, dans les démocraties riches, les cas de corruption concernent principalement... les riches et les politiciens (Affaire Elf, Enron, Gaymard, Juppé et Chirac, Guérini, Balkany, Fillon, Woerth-Bettencourt, Siemens, Volkswagen, LuxLeaks...).

La transparence de l'État est par ailleurs très limitée.

3.4 Pratiques mafieuses[modifier | modifier le wikicode]

A toutes ces limitations, il faut ajouter ce qui sort de la légalité, notamment des agissements de services secrets,[11][12] la diplomatie secrète... C'est souvent justifié par la sécurité et l'anti-terrorisme. Par exemple Pasqua disait à la télé « La démocratie s’arrête où commence la raison d’État. »[13] Mais ces moyens extra-légaux sont régulièrement utilisés de façon arbitraire contre des opposants, comme lorsque la CIA faisait assassiner le Che, ou la DGSE sabotait le Rainbow Warriow de Greenpeace. Ou quand des vagues de cambriolages certainement commandités par l'État ont touché des journalistes investis dans l'affaire Woerth-Bettencourt.

4 Mécanismes de la démocratie capitaliste[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Démocratie formelle[modifier | modifier le wikicode]

Malgré les limites importantes mentionnées dans le paragraphe précédent, c'est un fait qu'il existe un certain nombre de droits démocratiques dans la plupart des vieux pays impérialistes.

L'État lui-même respecte en général ses propres lois et la Constitution (« État de droit »), et formellement, tout·e citoyen·ne dispose d'une égalité en droit pour exprimer son opinion et son vote. Riche ou pauvre détiennent le même droit de fonder un journal, d’acheter un temps d’émission à la télé, de payer des influenceur·ses, de faire campagne pour être députés. Mais dans la pratique, c'est la richesse qui permet d'utiliser plus ou moins fortement ces droits.

Ces « droits de l'homme » abstraits et idéalistes sont le cœur de l'idéologie bourgeoise, ils permettent de donner une légitimité à l’État, vu comme un pouvoir placé au-dessus de la société et des classes. La critique de cette « démocratie formelle » est le cœur du marxisme. Une critique qui ne porte pas essentiellement sur les formes institutionnelles, mais sur les conditions économiques (division en classes) qui empêchent la «démocratie réelle ».[14]

La séparation des pouvoirs, un des principes fondamentaux de la démocratie libérale, est censée être un garde fou contre la concentration bonapartiste des pouvoirs dans les mains d'un gouvernement.

Les mécanismes socio-économiques développés dans les sections suivantes expliquent comment la domination capitaliste perdure même en supposant un respect total de l'État de droit. Certains de ces mécanismes fonctionnent même d'autant mieux que les institutions sont formellement démocratiques. En temps normal, la classe dominante n'a aucun besoin de complot pour rester dominante.

4.2 Facteurs sociologiques[modifier | modifier le wikicode]

Les parlementaires (députés, sénateurs...) sont dans leur grande majorité des bourgeois ou petits-bourgeois idéologiquement acquis au capitalisme. Les professions libérales (avocats, médecins...), les cadres supérieurs, et les chefs d'entreprises y sont au contraire sur-représentés. Pour pouvoir mener une campagne, il faut du temps, des moyens, du « réseau », et le plupart du temps le soutien d'un grand parti. Les partis dominants sont généralement ceux qui ont le soutien (financier, médiatique...) de secteurs significatifs de la bourgeoisie. Par ailleurs quelle que soit leur origine sociale, les privilèges matériels octroyés aux parlementaires font qu'ils intègrent vite la classe dominante.

Évidemment, ceci est encore plus vrai au niveau de ceux qui intègrent le gouvernement (ministres). Les partis qui accèdent régulièrement au gouvernement (« partis de gouvernement ») sont en général les plus embourgeoisés, même s'il peut y avoir un clivage important entre la base et le sommet.

Non seulement une petite caste de politiciens accapare l'essentiel des postes, mais elle cumule les mandats. Quand des politiciens perdent leur « mandat » suite à une défaite électorale, il est fréquent que des amis patrons leur offrent des postes bien placés dans de grandes entreprises (suite aux liens qu'ils ont tissés en « négociant » tout un tas d'affaires) : ce qui est appelé le « pantouflage ». Certains reviennent ensuite (rétro-pantouflage). Dans les cas les plus flagrants, on dénonce ces affaires comme des « conflits d'intérêts », et des règles déontologiques ont été mises en place. Mais le phénomène est structurel et omniprésent.

Pour toutes ces raisons, la plupart des politiciens, au lieu d'être simplement des hommes et des femmes s'engageant par conviction, sont avant tout des politiciens professionnels. Des gens qui avant toute chose font carrière, ont intérêt à défendre non pas les idées les plus justes, mais à se faire réélire et à se faire des amis parmi les gens les plus riches et les plus influents.

Les hauts fonctionnaires au sommet des ministères (nommés par le gouvernement) sont également intégrés à la bourgeoisie. Ceci est renforcé par le fait que la plupart font des grandes écoles (ENA, X...) qui transmettent un moule idéologique.

4.3 Financement des partis et campagnes électorales[modifier | modifier le wikicode]

Il est tellement évident que les plus riches peuvent plus facilement faire gagner leurs idées, que de nombreux pays ont établi des règles encadrant le financement des partis et des campagnes électorales.

Aux États-Unis, ces règles ont été presque totalement supprimées ces dernières années, ce qui fait que les campagnes politiques des républicains et des démocrates atteignent des montants faramineux, et deviennent des spectacles grotesques.

L'argent dépensé n'est cependant pas le seul facteur, puisqu'en 2016, Donald Trump l'a emporté alors que Hillary Clinton avait un budget de campagne supérieur.

La façon dont est dépensé l'argent a également son importance. Il peut servir à réaliser des argumentaires, des clips de campagnes, des visuels de toute sorte... Mais de plus en plus, des politiciens crapuleux n'hésitent pas à payer des services visant à manipuler l'opinion sur les réseaux sociaux (Scandale Facebook-Cambridge Analytica...).

Le pouvoir des idées, lorsqu'elles font écho à ce que ressentent les masses (que ce soit progressiste ou réactionnaire) est également un facteur qui a son importance en elle-même. (Par ailleurs l'effet de l'argent est sans doute démultiplié si le·a candidat·e peut s'appuyer sur un ensemble de relais militant·es enthousiastes).

Cela favorise certainement l'extrême droite ces dernières années. Mais on peut également remarquer qu'aux primaires démocrates de 2016, Bernie Sanders faisait un score très élevé (44%) face à Clinton, et que si le montant final de leurs campagnes est comparable, leur source de financement est très différent : une myriade de petits dons pour Sanders[15], surtout des gros donateurs pour Clinton. Et tandis que l'argent de Sanders servait essentiellement à mener une campagne de terrain et à la diffusion d'idées égalitaristes un minimum argumentées, celui de Clinton servait en grande partie à payer une usines à trolls contre son adversaire.

4.4 Lobbying[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Lobbying.

Le lobbying désigne n'importe quel groupe d'intérêt qui cherche à convaincre des politiciens (une association écologiste, une délégation syndicale...). Dans un sens très général, on peut dire que les politiques prises sont la résultante des différents lobbying, dans la direction où ils sont la plus forte.

Mais justement, si l'on parle de lobbying surtout pour le lobbying des bourgeois (représentants de telle ou telle branche du patronat, des financiers, de professions libérales...), c'est parce qu'ils ont une influence disproportionnée par rapport à leur nombre, de par leur capital économique et social. Du point de vue légal, le lobbying est souvent borderline : il est légal de discuter avec les politiciens, mais les lobbyistes font parfois des cadeaux ou autres promesses monnayées, c'est-à-dire de la corruption. Selon les pays, quelques dispositifs officiels existent pour combattre cela, avec une efficacité très limitée.

Les think tanks sont un autre moyen d'influencer l'opinion publique, ou directement les politiciens. Le patronat finance notamment de nombreux think tanks défendant le libéralisme économique. Ces dernières années, des milliardaires réactionnaires comme les frères Koch ont déversé des milliards dans la production de climato-scepticisme.[16]

4.5 Médias capitalistes[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Presse capitaliste.

Historiquement la presse bourgeoise est apparue en revendiquant sa liberté d'information et d'opinion face aux gouvernements monarchiques. Vu l'importance de la presse pour influencer l'opinion, les gouvernements ont toujours eu tendance à vouloir censurer ou contrôler directement la presse, et c'est encore le cas dans de nombreux pays. Généralement, les démocrates et les socialistes se sont battus pour la liberté de la presse, et c'est aujourd'hui un indicateur majeur du niveau de démocratie dans un pays.

Cependant, la presse peut être indépendante du gouvernement mais contrôlée par des capitalistes. C'est un problème qui est apparu dès le 19e siècle et que les socialistes se sont mis à combattre. Mais jusqu'à aujourd'hui, la concentration des médias n'a fait que progresser toujours plus. Si l'ensemble de la presse grand public est possédée par des milliardaires, cela ne signifie pas qu'ils interviennent forcément dans la ligne : cela n'est pas bien vu, et par ailleurs la sociologie des rédacteurs en chefs fait que la ligne va très rarement être subversive, donc beaucoup de ces milliardaires se limitent à engranger des dividendes. Mais certains comme Rupert Murdoch ou Vincent Bolloré agissent sans la moindre ambiguïté pour favoriser des idées d'extrême droite et climato-sceptiques. De même avec Elon Musk et Twitter / X. Dans tous les cas, cela laisse un pouvoir d'influence démesuré et illégitime entre les mains de quelques individus.

4.6 Justice bourgeoise[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Justice bourgeoise.

Même en supposant un pouvoir judiciaire indépendant du pouvoir, le fonctionnement même de la justice sous le capitalisme tend à favoriser les possédants.

Ceci à la fois parce que :

  • le droit lui-même, au moment de son écriture, est influencé par les intérêts bourgeois, inconsciemment par l'idéologie dominante, ou parfois très concrètement par des lobbies spécifiques ;
  • l'accès au droit est très différent selon les classes ; les plus riches peuvent se payer les meilleurs avocats, peuvent supporter de longues et coûteuses procédures, peuvent donc en menacer les autres, etc.

4.7 Pouvoir économique direct[modifier | modifier le wikicode]

Protestation contre l'inauguration du président Trump en 2005

Les grands patrons ont le pouvoir d'influer directement sur des décisions politiques, par exemple en menaçant de délocaliser (chantage à l'emploi) s'ils sont taxés trop fortement. C'est une des raisons pour lesquelles les subventions à des grandes entreprises représentent des milliards dans les budgets des États.

Les vols low costs de Ryanair sont largement soutenus par des subventions publiques, parce que Ryanair exerce un chantage permanent envers les différentes collectivités locales en les mettant en concurrence si elles veulent que leur aéroport local soit choisi (ce qui est important en termes de retombées économiques). Cet effet de marché engendre d'importantes subventions pour un secteur polluant, qui a plus de poids que l'opinion de millions d'écologistes.[17]

De même les riches paient beaucoup moins d'impôts que ce qu'ils devraient. En général ils vont négocier leurs impôts directement auprès du fisc en faisant du chantage à l'exil fiscal.[18] Les ministres et hauts fonctionnaires ne sont pas de simples victimes de ce chantage, mais ce sont des gens du même milieu et qui prennent souvent une part active. Il est donc très fréquent que des politiciens chargés des finances voire officiellement chargés de lutter contre la fraude fiscale, soient en même temps trempés dans des affaires de corruption et ou fraude fiscale (Affaire Woerth-Bettencourt, Affaire Cahuzac...).

4.8 Quand le vrai visage apparaît[modifier | modifier le wikicode]

Dans des situations tendues de lutte de classe, la nature de classe de l’État, et donc de sa prétendue démocratie apparaissent.

Le néolibéral Hayek dira en 1980 : « Personnellement je préfère un dictateur libéral plutôt qu'un gouvernement démocratique manquant de libéralisme ».[19]

Il y a des exemples quotidiens pour ceux qui luttent et se heurtent à la loi faite pour les capitalistes et à la police qui est sommée de l'appliquer avec zèle. Quand la police intervient pour casser les piquets de grève, faire évacuer les usines occupées par les grévistes, disperser les manifestations, le rôle répressif et pro-patronal de l'État apparaît, y compris sous des gouvernements de gauche. En revanche on voit rarement la police envoyée pour arrêter des patrons qui pratiquent la fraude fiscale (pour sommes bien supérieurs à un vol de scooter). Et on ne la voit jamais arrêter les quelques actionnaires qui ont fait pression pour qu'une entreprise licencie un tiers des employé·es et provoque une vague de suicides.

Par ailleurs, malgré tous les freins sociologiques et idéologiques mentionnés plus haut, il y a toujours des possibilités que des mouvements subversifs utilisent les institutions pour déplacer un peu le rapport de force en faveur des exploités. Et lorsque la démocratie bourgeoise risque de déboucher sur une issue socialiste, la classe capitaliste fait appel à tous les secteurs conservateurs de l'Etat pour piétiner la démocratie, et en particulier l'armée et la haute administration. C'est le cas du coup d'État de 1973 au Chili. La bourgeoisie peut aussi s'appuyer sur des mouvements extra-parlementaires fascistes pour qu'ils rétablissent l'ordre en prenant l'État et en sacrifiant la simulacre de démocratie. La seule issue positive dans un tel cas est que le camp progressiste s'appuie également sur des mouvements extra-parlementaires forts et auto-organisés.

5 État des lieux actuel[modifier | modifier le wikicode]

En .
  • Se déclarant démocratiques et permettant l'existence de groupes d'opposition, du moins en théorie.
  • Se déclarant démocratiques mais ne permettant pas l'existence de groupes d'opposition.
  • Ne se revendiquant pas comme démocratie.

Aujourd'hui l'immense majorité des pays se disent « démocratiques ». Cela traduit le fait que l'idée de démocratie est devenue extrêmement populaire, au point d'être une condition nécessaire pour que l'idéologie dominante soit un minimum crédible. De par leur origine social-démocrate, les partis « communistes » staliniens se ont aussi revendiqué de la démocratie, et les États qu'ils ont dirigé ont souvent été nommés des « démocraties populaires », ce qui se retrouve encore en héritage dans de nombreux noms de régimes (la constitution chinoise définit le pays comme « un État socialiste de dictature démocratique populaire », la Corée du Nord est officiellement la « République populaire démocratique de Corée », la constitution cubaine se réfère aussi à la démocratie...).

Évidemment, cela ne signifie absolument pas que ces pays sont démocratiques, du point de vue minimal de la démocratie libérale bourgeoise (respect de l'État de droit et des libertés individuelles). Certains indicateurs, forcément très biaisés en fonction de leurs auteur·es, tentent d'évaluer le degré de démocratie effective des différents pays.

La forme majoritaire de cette démocratie est la «république », même s'il existe aussi un certain nombre de monarchies constitutionnelles.

Démocraties à part entière
  • 9,00–10,00
  • 8,00–8,99
Démocraties imparfaites
  • 7,00–7,99
  • 6,00–6,99
Régimes hybrides
  • 5,00–5,99
  • 4,00–4,99
Régimes autoritaires
  • 3,00–3,99
  • 2,00–2,99
  • 1,00–1,99
  • 0,01–0,99


Depuis les années 2010, la tendance est au recul de la démocratie dans le monde, comme dans les années 1930. (Source Statista).

Démocratie en recul.jpg

6 Preuves scientifiques[modifier | modifier le wikicode]

De nombreuses études de politologues et de sociologues viennent à l'appui de cette analyse marxiste.

Deux auteurs ont ainsi analysé toute une série de propositions politiques, en comparant leur popularité au sein des différents groupes sociaux, puis en les comparant aux politiques effectivement mises en œuvre, et en concluent :

« Aux États-Unis, nos résultats indiquent que la majorité ne gouverne pas, du moins pas dans le sens causal où elle détermine les résultats politiques. »[20]

Ces résultats sont confirmés par d'autres études sur les États-Unis[21][22][23], mais aussi sur l'Allemagne[24], les Pays-Bas[25], la Norvège et la Suède[26], et des comparatives internationales.[27][28]

7 Démocratie bourgeoise et révolution socialiste[modifier | modifier le wikicode]

Ce qui rassemble les communistes révolutionnaires, c'est la conviction qu'une révolution est nécessaire pour aller au socialisme.

Dans un des tout premiers textes marxistes, Principes du communisme (1847), Engels écrivait :

« La suppression de la propriété privée est-elle possible par la voie pacifique ? Il serait souhaitable qu'il pût en être ainsi, et les communistes seraient certainement les derniers à s'en plaindre. Les communistes savent trop bien que toutes les conspirations sont, non seulement inutiles, mais même nuisibles. Ils savent trop bien que les révolutions ne se font pas arbitrairement et par décret, mais qu'elles furent partout et toujours la conséquence nécessaire de circonstances absolument indépendantes de la volonté et de la direction de partis déterminés et de classes entières. Mais ils voient également que le développement du prolétariat se heurte dans presque tous les pays civilisés à une répression brutale, et qu'ainsi les adversaires des communistes travaillent eux-mêmes de toutes leurs forces pour la révolution. Si tout cela pousse finalement le prolétariat opprimé à la révolution, nous, communistes, nous défendrons alors par l'action, aussi fermement que nous le faisons maintenant par la parole, la cause des prolétaires. »[29]

Marx et Engels avaient évoqué (1871) la possibilité pour l'Angleterre d'un passage au socialisme sans "révolution" au sens de rupture violente avec l'ordre établi, à une époque où celle ne disposait que d'un appareil répressif d'État très peu développé.[30] Par rapport à ce passage, on peut noter deux conclusions divergentes :

  • des révolutionnaires ont souligné que l'Angleterre s'était alignée sur les autres Etats bourgeois, et que par conséquent l'exception anglaise avait disparu ;
  • des réformistes comme Bernstein ont affirmé que l'influence des prolétaires sur l’État s'était renforcé, et que par conséquent l'exception anglaise s'était généralisée.[31]

Par ailleurs, il faut souligner que Marx pensait que même si l'arrivée au pouvoir du prolétariat se faisait par les élections, la bourgeoisie (même la plus habituée à la démocratie comme la bourgeoisie anglaise) n'accepterait certainement pas ce résultat :

« La bourgeoisie anglaise a toujours accepté de bonne grâce le verdict de la majorité, tant qu'elle se réservait le monopole du droit de vote. Mais, croyez-moi, aussitôt qu'elle se verra mise en minorité sur des questions qu'elle considère comme vitales, nous verrons ici une nouvelle guerre esclavagiste »[32]

En 1920, le philosophe anglais Bertrand Russel se rend en Russie et rencontre Lénine, et lui soutient qu'une révolution n'est pas nécessaire en Angleterre :« Quand j’énonçai l’opinion que tout ce qu’il est possible de faire en Angleterre peut s’effectuer sans effusion de sang, il écarta cette suggestion comme appartenant au domaine de la fantaisie. » [33]

Trotski renouvelle en 1926 une critique radicale de la démocratie anglaise :

« Il nous sera sans doute répondu que la Chambre des Communes d'Angleterre est assez puissante, pour supprimer, si elle le juge utile, le pouvoir royal et la Chambre des Lords, de sorte que la classe ouvrière a la possibilité d'achever pacifiquement l'institution du régime démocratique dans son pays. Admettons-le un instant, Mais qu'en est-il de la Chambre des Communes? (...) Des éléments importants de la population sont en fait privés du droit de vote. Les femmes ne votent qu'à partir de 30 ans et les hommes de 21 ans. L'abaissement du cens électoral constitue du point de vue de la classe ouvrière, où l'on commence de bonne heure à travailler, une revendication démocratique élémentaire. En outre, les circonscriptions électorales sont découpées en Angleterre avec tant de perfidie, qu'il faut deux fois plus de voix pour élire un député ouvrier que pour élire un conservateur. (...) La classe ouvrière a-t-elle le droit d'exiger impérieusement, même en demeurant sur le terrain des principes de la démocratie (...), l'établissement immédiat d'un mode de suffrage vraiment démocratique ? Et si le Parlement répondait à cette revendication par une fin de non-recevoir (...), le prolétariat aura-t-il le droit d'exiger, par exemple, par la grève générale, d'un Parlement usurpateur, des droits électoraux démocratiques ?

Et s'il fallait admettre que la Chambre des Communes (...) décidât d'abroger la royauté et la Chambre des Lords – ce qu'il n'y a nullement lieu d'espérer - il ne serait pas encore dit que les classes réactionnaires, mises en minorité au Parlement, se soumettraient sans réserve. Nous avons vu, tout récemment, les réactionnaires de l'Ulster, se trouvant en désaccord avec le Parlement britannique sur l'organisation de l'État irlandais, s'engager, sous la direction de lord Curzon, dans la voie de la guerre civile ; et nous avons vu les conservateurs anglais encourager ouvertement les révoltés de l'Ulster.

Il ne fait pas l'ombre d'un doute que les classes possédantes ne se rendront pas sans combat, d'autant moins que la police, les tribunaux et l'armée sont intégralement dans leurs mains. L'histoire de l'Angleterre connaît déjà l'exemple d'une guerre civile où un roi s'appuya sur la minorité des Communes et la majorité des Lords contre la majorité des Communes et la minorité des Lords. Cela se passait en 1630-1640. Seul, un crétin, un misérable crétin, nous le répétons, pourrait sérieusement s'imaginer que la répétition de cette sorte de guerre civile (sur la base de nouvelles classes sociales) est devenue impossible au XXe siècle, en raison des progrès évidents réalisés dans les trois derniers siècles, par la philosophie chrétienne, les sentiments humanitaires, les tendances démocratiques et maintes autres choses excellentes. »[34]

A l'inverse, les socialistes réformistes ne font pas de distinction entre démocratie bourgeoise et démocratie ouvrière. Certains « centristes » (courants marxistes entre réformisme et révolution) font cette différence, mais avec des subtilités. Par exemple Kautsky écrivait :

« Quand, jusqu’ici, nous distinguions entre démocratie bourgeoise et démocratie prolétarienne, nous entendions par là deux partis de composition diverse, mais jamais deux formes d’État différentes. »[35]

Ainsi pour lui, il n'y a pas d'État bourgeois, et si un parti ouvrier devient majoritaire, il y a passage immédiat de la démocratie bourgeoise à la démocratie prolétarienne. Face à l'idée de Lénine selon laquelle la démocratie dans les pays capitalistes est en réalité une dictature bourgeoise, il répondait que c'était « une des plus absurdes fictions ».[36]

8 Autres distinctions[modifier | modifier le wikicode]

8.1 Démocratie libérale et démocraties populaires[modifier | modifier le wikicode]

Le terme de « démocratie libérale » est souvent utilisé comme synonyme de démocratie bourgeoise par les marxistes.

Pendant la guerre froide, on opposait souvent les « démocraties libérales » du Bloc de l'Ouest aux « démocraties populaires » du Bloc de l'Est. L'idéologie stalinienne reprenait évidemment à son compte la critique marxiste du caractère tronqué de la démocratie bourgeoise. Mais c'est un fait que les « démocraties populaires » étaient purement et simplement des dictatures dirigées par une bureaucratie usurpant le nom de communisme. Le caractère « populaire » est tout aussi mensonger quand le peuple n'a aucun pouvoir. Les staliniens mettaient en avant l'absence de capitalisme censée supprimer la précarité matérielle pour le peuple, mais cela était fortement limité (la bureaucratie s’accaparait en réalité de nombreux biens).

Aujourd'hui, la critique marxiste ayant beaucoup perdu de son rapport de force, le terme de démocratie libérale est souvent synonyme de démocratie tout court. Cependant certains font des distinction : la démocratie libérale serait celle garantissant le mieux les libertés individuelles (notamment grâce à des contre-pouvoir fonctionnant efficacement). Une équipe de chercheurs de l’université de Göteborg propose une distinction entre « démocraties libérales », « démocraties électorales », « autocraties électorales » et « autocraties fermées », seuls 14 % de la population mondiale, répartis dans une trentaine d’États, vivraient dans une démocratie authentiquement libérale[37].

8.2 Démocratie représentative et démocratie directe[modifier | modifier le wikicode]

Les régimes démocratiques actuels, à l'échelle des pays, sont des démocraties représentatives, c'est-à-dire que le pouvoir est exercé par des représentants du peuple, contrairement à une démocratie directe.

C'est d'une certaine façon inévitable, car il est difficilement imaginable de mettre d'accord des millions de citoyen·nes sur des questions politiques qui ont un impact global en se contentant de systèmes de démocratie locale et directe.

Le problème de la démocratie bourgeoise n'est donc pas en soi qu'elle est une démocratie représentative, mais que les prétendus « représentants du peuple » représentent surtout leur classe privilégiée. Ce n'est pas le fait qu'un·e député s'éloigne géographiquement de sa circonscription pour aller à l'Assemblée qui pose problème, mais surtout le fait qu'il ou elle s'éloigne socialement (presque toujours, il ou elle était déjà d'une classe supérieure à celle de ses électeurs). Dans un cadre socialiste, il est possible d'imaginer une démocratie représentative sans les problèmes actuels de coupure entre représentant·es et représenté·es.

Cependant il est clair que dans la période de transition révolutionnaire, les classes sociales existent encore, et donc avec elles l'ensemble des mécanismes évoqués ci-dessus qui menacent de concentrer le pouvoir dans une couche privilégiée qui pourrait finir par se détourner de l'objectif socialiste. Il est donc salutaire de faire redescendre autant que possible les questions qui peuvent être décidées localement vers des organes de décision au plus près des populations (principe de subsidiarité).

Par ailleurs, un des lieux les moins démocratiques est actuellement celui où nous passons la plupart de notre temps, le lieu de travail. Un des buts centraux de la révolution socialiste est d'y instaurer une démocratie ouvrière, que l'on peut appeler autogestion ou gestion collégiale. L'organisation concrète du travail pourrait être largement décidée par le collectif des travailleur·ses, à la place de la hiérarchie patronale. Ce serait une forme de démocratie directe dans laquelle la population serait impliquée en masse.

9 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Boissy d’Anglas, discours préliminaire au projet de Constitution de l’an III, 23 juin 1795
  2. Karl Marx, La guerre civile en France, mai 1871
  3. Friedrich Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884
  4. Jules Guesde, Les deux méthodes, 1900
  5. Trotski, On the Transitional Program, Juin 1938
  6. Trotski, Bolchevisme contre stalinisme, Bonapartisme bourgeois et bonapartisme soviétique, 1938
  7. Trotski, Family Relations Under the Soviets, 1932
  8. Rudolf Hilferding, Le Capital financier, 1909
  9. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bicamérisme
  10. Histony, D’où vient le Sénat ?, 2016
  11. Wikipedia, List of CIA controversies
  12. Wikipédia, Opération homo
  13. Charles Pasqua sur TF1 le 26 février 1987
  14. Cf. par exemple Fred L. Block, The Ruling Class Does Not Rule, 1977 (recension dans Jacobin Magazine n°41, avril 2021)
  15. Le Temps, Dans la présidentielle américaine, l'argent ne fait plus le bonheur, mars 2016
  16. The Guardian, Secret funding helped build vast network of climate denial thinktanks, Feb 2013
  17. Transport & Environement, 24% of Ryanair airports likely to be propped up by subsidies – fueling rapid emissions growth, July 15, 2019
  18. Rue89, Quand Henri Guaino met fin au mythe de l’égalité devant l’impôt, juin 2013
  19. Romaric Godin, Le Chili de Pinochet, terrain d’essai du néolibéralisme, Mediapart, 11 septembre 2023
  20. Gilens & Page (2014) “Testing Theories of American Politics
  21. Gilens (2005) "Inequality and Democratic Responsiveness"
  22. Bartels (2016) “Unequal Democracy - The Political Economy of the New Gilded Age
  23. Jacobs & Page (2005), Who Influences U.S. Foreign Policy?
  24. Elsässer et al (2017), "Dem Deutschen Volke"? Die ungleiche Responsivität des Bundestags
  25. Schakel (2021), Unequal policy responsiveness in the Netherlands
  26. Mathisen et al (2024), Unequal Responsiveness and Government Partisanship in Northwest Europe
  27. Giger et al (2012), The poor political representation of the poor in a comparative perspective
  28. Peters & Ensink (2015), Differential Responsiveness in Europe: The Effects of Preference Difference and Electoral Participation
  29. Friedrich Engels, Principes du communisme, 1847
  30. Karl Marx, Lettre à Kugelmann, 12 avril 1871
  31. Eduard Bernstein, Karl Marx and Social Reform, 1897
  32. Karl Marx, Le parti de classe, 1871
  33. Bertrand Russell, Pratique et théorie du bolchevisme, 1920
  34. Léon Trotski, Où va l'Angleterre ?, 1926
  35. Karl Kautsky, Rosa Luxemburg et le bolchevisme, 1922
  36. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  37. Rapport de 2021 du projet V-Dem (pour Varieties of Democracy). Cité dans Fabien Escalona, « Les autocrates gagnent du terrain, mais les peuples résistent », sur Mediapart, (consulté le 18 avril 2021).