Révolution industrielle
La révolution industrielle est le nom donné au processus de transition des économies agricoles et artisanales à des économies fondée sur la croissance industrielle, au cours du 19e siècle en Europe.
Des historien-ne-s emploient aussi le terme de "décollage" (take off).
D'un point de vue marxiste, il est important de souligner que ce n'est pas simplement un phénomène technique (généralisation de l'industrie), mais que cela a aussi été la généralisation des rapports de production capitalistes. L'industrie a donné un pouvoir social décisif aux capitalistes, et les capitalistes ont donné à l'industrie un caractère destructeur.
1 Prémisses[modifier | modifier le wikicode]
Certains éléments de capitalisme proto-industriel peuvent être trouvés dès la fin du Moyen-Âge, au 16e siècle. Cependant, le poids des structures féodales, c'est-à-dire de la domination de l'aristocratie, freinait ces germes d'industrialisation. Il est à noter que les plus remarquables progrès techniques et percées idéologiques sont venus des zones échappant partiellement au féodalisme, comme Venise, les Pays-Bas, Genève ou l'Angleterre. Une florissante bourgeoisie commerçante a néanmoins pu se développer sous l'aile des différents États européens, et ses richesses dégagées entre autre de la colonisation sont un facteur clé de l'accumulation primitive du capital.
L'industrialisation a vraiment débuté en Grande-Bretagne à la fin du 18e siècle, puis en France au début du 19e siècle. Ce sont les pays dits de la première vague. L'Allemagne et les États-Unis, quant à eux, se sont industrialisés à partir du milieu du 19e, le Japon à partir de 1868 puis la Russie à la fin du 19e : ce sont des pays de la deuxième vague.
2 Les facteurs du décollage industriel[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Urbanisation et naissance d'un prolétariat[modifier | modifier le wikicode]
L'avènement du système capitaliste était favorisé dans les pays où la mobilité était plus grande (contrairement aux pays où les fixations féodales étaient fortes), et à son tour il a généralisé la tendance à la précarité de l'emploi. Le salariat suppose des individus qui ne peuvent que vendre « librement » leur force de travail à des employeurs.
La mobilité de la main-d’œuvre est une nécessité pour l’industrie nouvelle qui entend diviser le travail, passer du foyer patriarcal largement autocentré à l’agglomération de la manufacture et de l’usine, tout en disposant sur un espace restreint des sources de matières premières et de main-d’œuvre pour abaisser les coûts. Dans des zones, comme les pays Baltes ou la Russie, où les paysans libérés du servage restent cependant fixés sur les domaines, l’industrialisation et l’urbanisation piétinent. En revanche, dès qu’une nouveauté technique est introduite dans une ville anglaise par la révolution industrielle, la ville gonfle : Leeds au début du 18e siècle, vieux centre lainier, était plus importante que Manchester ; en 1775, elle n’a que 17 000 habitants, alors que Manchester en compte 300 00 et progresse très vite, parce qu’elle s’est spécialisée dans la filature mécanique du coton. En France, jusqu’en 1840 environ, la croissance urbaine – Paris excepté – ne dépasse guère celle des campagnes, précisément parce que la révolution industrielle y revêt une forme originale, appuyée sur la main-d’œuvre rurale, où la production de certains produits textiles est privilégiée par rapport à la métallurgie et aux productions mécanisées. Face à elle, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont une urbanisation plus brutale.
2.2 Facteur technique[modifier | modifier le wikicode]
Ce premier essor est basé entre autre sur les forts rendements issus des métiers à tisser mécaniques, du perfectionnement de la machine à vapeur (mines, bateaux, trains...), du charbon et de la métallurgie. Les canaux et les chemins de fer se multiplient rapidement.
2.3 Le rôle du capital bancaire[modifier | modifier le wikicode]
Le capital bancaire préexistait à la révolution industrielle. Mais les grands banquiers ne sont souvent pas ceux qui ont formé les rangs des nouveaux industriels du 19e siècle. En revanche, les industriels avaient de plus en plus besoin d'emprunts importants à mesure que les moyens de production s'alourdissaient (poids du capital constant croissant). La nécessité pour le capital industriel de s'appuyer sur la banque, et donc d'y avoir facilement accès, a favorisé l'essor des villes.
Les grandes banques ont initialement regardé avec scepticisme les premiers entrepreneurs, voire parfois les ont freiné[1]. En revanche, une fois les grandes industries bien établies, les banquiers se sont mis à investir massivement. Cela a conduit à ce que ces secteurs des classes dominantes fusionnent, dans ce qui a été appelé par les marxistes le capital financier. Celui-ci rend l'industrie et la banque inséparables : les industriels ont leurs propres banques, les banquiers siègent aux conseils d'administration des entreprises...
3 Indicateurs du décollage[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Productivité[modifier | modifier le wikicode]
Le progrès technique dans le textile explique plus de la moitié des gains de productivité dans l’ensemble de l’économie anglaise pendant la révolution industrielle. Dans ce domaine, la productivité des facteurs fut multipliée par 30 entre 1770 et 1870.
3.2 Poids de la ville[modifier | modifier le wikicode]
La révolution industrielle creuse comme jamais l'écart ville-campagne.
Les agglomérations de plus de 5 000 habitants rassemblaient vers 1800 environ 7 % de la population mondiale, en 1850, 13 %, en 1900, 25 %. Mais, si l’on pousse l’analyse, on s’aperçoit aussi que l’industrialisation favorise plus volontiers les grandes villes. Les agglomérations de plus de 100 000 habitants en Europe, qui rassemblaient moins de 2 % de la population, en comptent 15 % en 1910. Et parmi elles, les très grandes grossissent encore plus vite.
Jusqu’en 1860, la croissance des villes se fait essentiellement par l'exode rural, plus que par l'accroissement naturel.
3.3 Techniques qui se généralisent[modifier | modifier le wikicode]
Les techniques qui apportent les plus de gains de productivité se généralisent inexorablement, même face aux patrons les plus frileux, ou les mieux protégés par le protectionnisme.
Le bois recule devant le coke. En 1847 on compte 107 hauts fourneaux au coke contre 41 en 1840 et en 1847 la fonte au coke représente 45 % de la production française de fonte. L’usage de la machine à vapeur se généralise.
3.4 Concentrations ouvrières[modifier | modifier le wikicode]
La concentration du capital engendre rapidement un passage des manufactures aux usines, et une augmentation de la taille des usines. Par exemple dans les filatures de coton, tout particulièrement dans la région de Mulhouse.
« Nous voyons tous les jours disparaître des petits ateliers, le travail éparpillé, les métiers domestiques. L’industrie s’organise en usines immenses qui ressemblent à des casernes ou à des couvents, pourvues d’un matériel imposant, servi par des moteurs d’une puissance infinie. Les ouvriers s’entassent par centaines, quelquefois par milliers dans ces laboratoires sévères, où leur travail, soumis aux ordres des machines, est exposé comme elles à toutes les vicissitudes résultant des variations de l’offre et de la demande. »[2]
Toutefois, c’est dans l’industrie houillère que la concentration apparaît sous les formes les plus nettes. En 1845, se constitue la Compagnie des Mines de la Loire qui jouit d’un véritable monopole. Dans la métallurgie le groupe du Creusot contrôle des mines de charbon et de fer, des hauts fourneaux et des laminoirs. Les De Wendel possèdent quatre hauts fourneaux, dix laminoirs, sept usines et des mines de charbon dans le bassin de la Warndt.
Il ne s’agit pas d’une croissance uniforme et continue. L’essor économique a été à plusieurs reprises interrompu par des crises, en 1836 et en 1846. Dans la France du milieu du 19e siècle, les grandes entreprises demeurent encore l’exception. Même dans l’industrie du coton où les progrès techniques ont été relativement rapides, on voit coexister différents types d’entreprises industrielles. Dans la région rémoise, l’industrie de la laine est encore dispersée. L’industrie domestique représente les quatre cinquièmes de la fabrication des toiles de lin et de chanvre. La petite métallurgie survit dans beaucoup de départements. Très nombreux sont encore les ouvriers de « la fabrique de Paris », artisans d’art et de luxe, travailleurs du textile en petits ateliers, tailleurs, couturières et modistes.
Vers 1847, on compte 5 à 6 millions de travailleurs industriels dont le prolétariat d’usine ne représente qu’un quart.
3.5 Poids de l'industrie[modifier | modifier le wikicode]
La révolution industrielle a évidemment bouleversé l'économie. L'industrie est rapidement venue dépasser l'agriculture en tant que premier secteur générateur de valeur ajoutée :
- dès 1825 au Royaume-Uni
- en 1865 en Prusse (~Allemagne)
- en 1869 aux États-Unis
- en 1875 en France
4 Révolution industrielle et ressources naturelles[modifier | modifier le wikicode]
4.1 Sortie du "verrou malthusien"[modifier | modifier le wikicode]
Dans les sociétés pré-capitalistes, il y avait globalement une corrélation entre la population et le niveau de vie. Ce constat simple servit de base à la conception malthusienne : il y a une quantité limitée de ressources, certains sont de trop. Avant la révolution industrielle, les innovations techniques engendraient un accroissement de la population, mais pas de leur niveau de vie.
A partir de 1820, la croissance économique de l’Angleterre devint durablement plus élevée que sa croissance démographique. Dans un premier temps, la modèle malthusien continuait à s'appliquer : la population a été multipliée par 3 entre 1760 et 1860. Or la production de l’agriculture anglaise n’a augmenté dans le même temps que de 60 %.
C’est l’importation de produits agricoles depuis le Nouveau Monde (coton, sucre) et l'exploitation du charbon qui permirent à l’Angleterre de s’extraire définitivement du verrou malthusien.
4.2 Déséquilibres écologiques croissants[modifier | modifier le wikicode]
5 Luttes de classes[modifier | modifier le wikicode]
5.1 Misère ouvrière[modifier | modifier le wikicode]
Les effets délétères de la révolution industrielle en Angleterre étaient si frappants, que les classes dominantes ne pouvaient les nier. L’Edinburgh Review écrivait en 1813 :
« Jamais dans toute l’histoire du monde on n’a constaté un phénomène comparable au progrès de l’Angleterre au cours du dernier siècle ; jamais et nulle part il n’y a eu une telle multiplication de richesse et de luxe ; jamais les arts n’ont connu tant d’admirables inventions ; jamais la science et l’habileté n’ont tant produit ; jamais la culture du sol n’a tant progressé ; jamais le commerce ne s’est tant étendu — et pourtant ce même siècle a vu le chiffre des indigents quadrupler en Angleterre pour atteindre aujourd’hui le dixième de la population totale ; en dépit des sommes énormes venues de l’impôt ou des dons privés et consacrées à l’assistance publique, en dépit des ravages des guerres qui ont emporté des multitudes, la tranquillité du pays est perpétuellement menacée par les violences de foules affamées. »
Ainsi Disraeli écrivait en 1845 :
« Il n’existe point de communauté en Angleterre, il n’existe qu’un agrégat... Notre reine... règne sur deux nations... Deux nations entre lesquelles il n’y a ni relation ni sympathie ; qui sont aussi ignorantes des coutumes, des pensées et des sentiments l’une de l’autre que si leurs habitants appartenaient à deux planètes différentes ; qui sont formées par une éducation différente ; qui se nourrissent d’une nourriture différente, qui sont régies par des manières différentes ; qui ne sont pas gouvernées par les mêmes lois. Ces deux nations, ce sont les Riches et les Pauvres ».[3]
Les nouvelles usines emploient en grand nombre des femmes, des enfants et des manœuvres. C’est le début de la crise de la qualification professionnelle : étant donné que n'importe qui peut actionner les machines avoir beaucoup moins de savoir-faire nécessaire que dans l'artisanat, les salaires sont tirés vers le bas.
Cette exploitation assez crue du monde ouvrier, les économistes classiques ne la niaient pas encore, comme le relevait Marx :
Il n'est pas jusqu'à J. B. Say qui ne dise : « Les épargnes des riches se font aux dépens des pauvres. » « Le prolétaire romain vivait presque entièrement aux frais de la société... On pourrait presque dire que la société moderne vit aux dépens des prolétaires, de la part qu'elle prélève sur la rétribution de leur travail. » (Sismondi, Etudes, etc., t. 1, p. 24.)[4]
Marx et Engels ont décrit dans le Manifeste communiste (1848) les tendances du développement capitaliste naissant : prolétarisation de la paysannerie et de la petite-bourgeoisie, débouchant toujours plus sur la contradiction entre les deux classes fondamentales de la société capitaliste : la bourgeoisie (détenant les moyens de production) et le prolétariat (n'ayant que sa force de travail à vendre à la bourgeoisie). Ils s'appuyaient alors sur ce qui était observable dans la première moitié du 19e siècle pour décrire la paupérisation du monde ouvrier.
Dans le Capital Marx cite des exemples de ce qui était alors ordinaire : des enfants de 9 ans obligés de travailler de nuit de 18h à midi dans une usine à 30°C, des enfants de 7 ans travaillant 15 heures par jour dans l’industrie de la poterie, des ouvriers perdant des membres en nettoyant des machines actives que le patron ne voulait pas voir arrêtées, des familles entières s'auto-exploitant dans du travail à domicile, jusqu'à leurs enfants de 2 ans, une espérance de vie ouvrière de 30 ans et une taille moyenne en diminution, des ouvriers agricoles entassés dans de minuscules cottages au milieu de grandes propriétés agricoles...
5.2 Divisions dans les classes dominantes[modifier | modifier le wikicode]
Certains conservateurs prétendaient se préoccuper de la misère ouvrière, voire recherchaient à s'allier politiquement avec eux contre leurs adversaires. Car dans l'Angleterre du début du 19e siècle, il y a encore une lutte d'intérêts économiques et politiques entre bourgeois (industriels) et aristocrates (propriétaires fonciers). C'est pourquoi le Manifeste communiste évoque un socialisme féodal et un socialisme bourgeois.
Par exemple en Angleterre, les bourgeois s'appuient sur le mouvement populaire et obtiennent avec le Reform Act de 1832 un élargissement du suffrage censitaire, mettant fin au monopole des aristocrates —propriétaires fonciers et magnats de la finance— et ouvrant l'accès du parlement aux représentants de la bourgeoisie industrielle. Le mouvement ouvrier s'organise alors pour revendiquer le suffrage universel (chartisme).
Disraeli et son mouvement tory (donc lié à la classe des propriétaires fonciers) de la Jeune Angleterre ont alors soutenu opportunément les revendications chartistes.
Puis, lors de la bataille politique sur les Corn Laws, les industriels ont cherché à mettre les ouvriers de leur côté en leur promettant une baisse du prix des céréales si les lois protectionnistes en faveur des propriétaires fonciers étaient retirées.
Néanmoins, dès que l'ordre établi était trop sérieusement menacé par des révoltes ouvrières, les classes dominantes se retrouvaient toujours unies derrière la répression étatique. A partir de la fin du en Europe (et un peu plus tard dans d'autres pays), les divisions entre classes dominantes ont disparu, la bourgeoisie devenant la classe dominante hégémonique voire unique.
5.3 Mouvement ouvrier et socialisme[modifier | modifier le wikicode]
6 Révolution industrielle et impérialisme[modifier | modifier le wikicode]
La révolution industrielle en Europe de l'Ouest s'est basée sur la spoliation et l'exploitation de nombreuses populations du monde (accumulation primitive du capital). On peut donc dire que la révolution industrielle émerge à partir d'une forme d'impérialisme.
A son tour, la révolution industrielle donne un avantage technique et économique à l'Europe de l'Ouest pour longtemps, qui va lui permettre d'étendre sa domination impérialiste.
En 1850, la Grande-Bretagne produit 40% des biens manufacturés de la planète. Londres est le premier port mondial et la City de Londres, la principale place financière.
A tel point que cela conduira les communistes du début du 20e siècle à appeler stade impérialiste le « stade suprême du capitalisme » (Lénine).
7 « Deuxième » et « troisième révolution industrielle »[modifier | modifier le wikicode]
A partir de la révolution industrielle, le capitalisme n'a fait que poursuivre son œuvre d'industrialisation du monde, en s'appuyant sur de nouvelles techniques et en traversant différents cycles de stagnation et d'essor. Les grandes phases d'essor sont parfois mises sur le même plan que la « première révolution industrielle », ce qui a l'inconvénient de lui retirer la spécificité de décollage initial.
Ainsi on appelle souvent « deuxième révolution industrielle » le nouvel élan à partir de 1880 en Europe et aux USA, basé principalement sur l'électricité et le pétrole. D'autres secteurs vont émerger successivement comme l'automobile, la chimie ou l'aéronautique, alimentant toujours des marchés potentiels pour les capitalistes.
8 Historiographie[modifier | modifier le wikicode]
Il semble que le premier à employer le terme de « révolution industrielle » soit Adolphe Blanqui en 1838, dans son Cours d'économie industrielle.
Des historien·nes emploient aussi le terme de "décollage" (take off). Les conditions du décollage industriel sont un sujet de débats entre historiens, marxistes et non marxistes :
- quelle fut l'importance de l'agriculture et de la révolution agricole ?
- quel fut le rôle de l’État ?
- le décollage a-t-il été favorisé par un contexte de libre-échange ou de protectionnisme ?
- le décollage dépendait il de technologies particulières ou appartient-il uniquement à la sphère économique ?
Un des enjeux de ce débat est notamment que l'on peut utiliser les arguments de ce débat pour tenir des discours sur ce qui favorise ou non la croissance dans le capitalisme contemporain.
9 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Jean-Pierre Rioux, La révolution industrielle 1780-1880, Points, 1971
- ↑ A.-J. Tudesq, La Banque de France au milieu du XIXe siècle, RH, oct-déc. 1961
- ↑ Adolphe Blanqui, Les classes ouvrières pendant l’année 1848
- ↑ Benjamin Disraeli, Sybil, roman de 1845
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre Division de la plus-value en capital et en revenu. – Théorie de l’abstinence, 1867