Impérialisme

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L'impérialisme a un sens général, de domination et d'expansionnisme de la part d'un pays sur d'autres, et un sens particulier de stade impérialiste du capitalisme.

1 L'impérialisme, en général[modifier | modifier le wikicode]

L'impérialisme, en tant qu'expansionnisme par les conquêtes d'une nation sur d'autres est un trait très ancien des sociétés humaines. Depuis que des classes dominantes existent, organisées en différents États, elles sont sans cesse engagées dans des rivalités pour l'obtention de richesses, le contrôle de ressources naturelles ou d'esclaves.

« L'histoire a connu l'impérialisme de l'État romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. »[1]

Il n'y a pas de théorie générale de l'impérialisme faisant consensus chez les marxistes. La plupart considèrent que l'impérialisme de chaque époque prend sa source dans le mode de production de cette époque, et ne peut donc pas avoir d'explication transhistorique (contrairement par exemple à Schumpeter).

C'est ainsi par exemple que Boukharine critiquait ceux qui définissent l'impérialisme comme la « politique de conquête en général » :

« De ce point de vue, on peut parler tout autant d'Alexandre le Macédonien et de l'impérialisme des conquérants espagnols, de l'impérialisme de Carthage et Ivan III, de la Rome antique et l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg. Aussi simple que soit cette théorie, elle est absolument fausse. Fausse car elle «explique» tout, c'est-à-dire qu'elle n'explique absolument rien. Toute politique des classes dirigeantes (politique «pure», politique militaire, politique économique) a une signification fonctionnelle parfaitement définie. Née d'un système de production donné, elle sert à reproduire les rapports de production donnés, simplement ou sur une plus grande échelle. La politique des seigneurs féodaux renforce et élargit les relations de production féodales. La politique du capital commercial augmente la sphère de domination du capitalisme commercial. La politique du capitalisme financier reproduit la base de production du capital financier sur une échelle plus large. »[2]

1.1 Colonialisme antique et féodal[modifier | modifier le wikicode]

Les Grecs et les Phéniciens ont fait un pacte vers -500 pour se partager la péninsule ibérique : les Phéniciens avaient le contrôle sur les terres au sud de l’Ebre. Un des enjeux était le contrôle des mines.

Conflit entre Rome et Carthage autour de la Sicile entre -264 et -241.

Le philosophe arabe Ibn Khaldoun (1332-1406) nommait asabiyya[3] la cohésion sociale (au sens de liens plus ou moins "claniques" existant au sein d'un peuple, et décrivait comment l'asabiyya déclinait particulièrement dans les villes des grands empires, et menait à leur chute face à des peuples nomades des périphéries à la forte asabiyya, puis comment les conquérants avaient tendance à adopter le mode de vie du peuple conquis et subir le même processus. Même si cette observation à elle seule ne suffit pas (elle conduit à une analyse cyclique de l'histoire) elle comprend des éléments empiriques qui doivent être intégrés à une analyse matérialiste.

1.2 Colonialisme européen moderne[modifier | modifier le wikicode]

A partir du 15e siècle, avec ce que les Européens appelaient alors les « Grandes découvertes » et notamment la « découverte de l'Amérique », un début de mondialisation commence à avoir lieu sous la forme d'une domination des puissances européennes, et d'une rivalités entre elles pour l'hégémonie.

Les empires coloniaux européens commencent à se former, d'abord dans les Caraïbes et en Amérique, et un commerce triangulaire basé sur une traite esclavagiste sans précédent se met en place, et durera 4 siècles.

Ce développement intense du commerce international permet l'accumulation de fortunes chez de gros marchands, avec une tendance à l'accroissement de leur influence, ce qu'on peut appeler l'époque du capitalisme marchand (16e-18e siècle). Il ne s'agit pas encore d'un mode de production stabilisé, le cœur de l'économie restant la rente agricole, mais l'accumulation de capital de cette période a été une condition de la révolution industrielle du 19e siècle (accumulation primitive du capital).

Par ailleurs, en même temps qu'il enrichissait l'Europe, ce commerce triangulaire appauvrissait et déstabilisait durablement l'Afrique :[4]

  • les 12 millions d'hommes et femmes réduits en esclavage sur plusieurs siècles, ont représenté un énorme vol de force de travail (les deux tiers des esclaves étaient des hommes entre 15 et 25 ans) ;
  • les armes mises en circulation en Afrique ont déstabilisés les sociétés en créant des déséquilibres majeurs dans des rapports de forces, amorçant des spirales de violence ;
  • les routes commerciales qui préexistaient entres peuples africains ont été détruites et remplacées par les routes concentrées sur le commerce avec les Européens (dont la lucrative mise en esclavage d'autres Africains) ;
  • des terres fertiles ont été abandonnées par des cultivateurs réduits en esclavages ou fuyant pour ne pas être capturés par les esclavagistes ;
  • de nombreux savoirs ou savoir-faire ont été perdus ou n'ont profité qu'à l'Amérique (culture du riz)...

Cette mondialisation commence aussi à engendrer des guerres impérialistes à une échelle mondiale :

« l'Angleterre et la France ont fait la guerre de Sept Ans [1756-1763] à cause des colonies, c'est‑à‑dire qu'elles ont fait une guerre impérialiste (laquelle est possible aussi bien sur la base de l'esclavage, ou du capitalisme primitif, que sur celle du capitalisme hautement développé de notre époque). »[5]

En France, la période qui est souvent appelée "la colonisation" a eu lieu sous la Troisième République, de 1871 à 1914. A cette époque, une poignée de pays (France, Allemagne, Angleterre et États-Unis) possèdent 80% du capital financier mondial.

Pour appuyer cette domination d'autres peuples, les classes dominantes occidentales ont développé des idéologies réactionnaires et oppressives comme le racialisme.

2 L'impérialisme vu par Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Marx et Engels n’employaient pas le terme d’impérialisme, sauf en tant que synonyme de bonapartisme. Mais ils ont écrit, de fait, sur les rapports de domination entre nations. Dans leurs premiers écrits, ils affichent un enthousiasme sans limite sur le « progrès » de la mondialisation capitaliste. Même s'ils dénoncent les méthodes brutales, cela les conduit à voir d'un bon oeil les politiques d'expansion des capitalistes occidentaux qui diffusent le mode de production capitaliste, et donc, prochainement, la révolution socialiste.

En ce qui concerne le positionnement politique en cas de guerre, Marx et Engels n’ont jamais produit de schéma simple et systématique. Ils reprenaient une opposition qui était alors courante entre « guerre dynastique » (pour les intérêts des despotes) et « guerre nationale » (ou « guerre populaire », progressiste). Comme les démocrates de l’époque, ils sont restés marqués par les conquêtes de Napoléon 1er, jugées « progressistes » parce que diffusant les idées et les transformations de 1789.

Ils cherchaient à déterminer le camp dont la victoire pourrait favoriser des révolutions démocratiques-bourgeoises et des unifications nationales. A l’inverse, ils souhaitaient la défaite des Empires aristocratiques comme l’Autriche-Hongrie et surtout la Russie tsariste qui exerçait une « suprématie en Europe » et qui était « l'ennemi de tous les peuples occidentaux, même des bourgeois de tous ces peuples ».

3 Débats dans la social-démocratie[modifier | modifier le wikicode]

Le terme d’impérialisme commence à être utilisé à la fin du 19e siècle dans la politique anglaise, où certains le dénoncent, et d’autres comme le premier ministre Chamberlain le revendiquent. A cette époque, les marxistes parlaient de « politique internationale », de colonialisme ou de militarisme. Kautsky l’emploie au plus tard en 1900.[6]

3.1 Le colonialisme et la guerre[modifier | modifier le wikicode]

L’opposition à la guerre qui menaçait faisait officiellement consensus dans la Deuxième internationale. Cette guerre était même caractérisée comme « impérialiste ». Mais lors du congrès de Stuttgart (1907), les délégués allemands, y compris les centristes, refusent de s’engager sur la grève générale, au motif qu’elle désintègrerait le parti. Finalement, Lénine et Luxemburg, entre autres, obtiennent les voix du centre sur cette formulation : « Au cas où la guerre éclaterait [les socialistes] ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

Illustration tirée du supplément au Petit Journal, 16 janvier 1898

La social-démocratie condamnait également le colonialisme. Mais il y avait une aile droite, comme Eduard Bernstein qui disait en 1896 : « Nous condamnons certaines méthodes pour soumettre les sauvages. Mais nous ne condamnons pas l’idée que les sauvages doivent être soumis ». Il était régulièrement mis en minorité (mais jamais exclu), et combattu par les théoriciens « centristes » (Karl Kautsky, Rudolf Hilferding, Otto Bauer...).

Mais l’opportunisme allait croissant dans l’appareil social-démocrate. Une fièvre nationaliste déferle sur l’Allemagne en 1907 après un massacre colonial en Namibie, et le SPD perd soudain la moitié de ses votes. Bien que la majorité du congrès international de Stuttgart réaffirme sa condamnation du colonialisme, la droite et même des membres du centre prônent une adaptation. Bernstein osait dire que le SPD devait « développer en positif une politique coloniale socialiste ». Au Reichstag, les députés socialistes assouplissent de plus en plus leur position antimilitariste.

Dans Le socialisme et la politique coloniale (1907)[7] Kautsky polémique avec certaines positions de la droite.

La position officielle du Labour britannique était un « impérialisme éthique ». Des délégués de la SFIO défendaient également un « colonialisme national », et l'aile droite du SPD un « impérialisme national ».[8]

3.2 Premières théories sur l'impérialisme et opportunisme[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Stade impérialiste.

De nombreuses réflexions ont eu lieu sur l'impérialisme à partir des années 1900. Notamment celles de Kautsky, de Hilferding (1911), de Luxemburg (1913) ou de l'intellectuel libéral anglais John A. Hobson (1902). Tous les auteurs observaient des changements économiques majeurs (centralisation du capital en monopoles, essor du capital financier...) et tentaient d'en donner des interprétations.

Certains points importants soulevaient des débats, notamment la question de savoir si l'internationalisation du capital éloigne le risque de guerre ou non. Cette idée, originellement défendue par Bernstein (révisionniste de droite) et combattue par tous les autres, sera finalement reprise par Kautsky à partir de 1911 (théorie de l'ultra-impérialisme). Ce n'est pas seulement un changement d'analyse, car Kautsky va aussi commencer à proposer de s'allier à des franges pacifistes de la bourgeoisie. Jaurès en France aura la même évolution. Lui qui disait en 1895 que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » parle en 1911 du « capitalisme moderne » et des États-Unis comme des forces de paix.

Ces réflexions de Kautsky, de Hobson, et Hilferding auront largement influencé l'élaboration de Lénine. Sur le plan théorique, Lénine affirmera même n'avoir fait que maintenir la position initiale de Kautsky. En effet de nombreuses idées étaient présentes chez Kautsky : l'idée qu'il s'annonce une époque de guerres et de révolutions, que les révolutions coloniales pourront s'allier aux révolutions ouvrières dans les métropoles, que l'impérialisme créé une aristocratie ouvrière...

4 La guerre de 1914 et les internationalistes[modifier | modifier le wikicode]

4.1 La guerre impérialiste[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la Première guerre mondiale a éclaté, l'Internationale socialiste a volé en éclats. Alors qu'elle avait proclamé lors de ses congrès qu'elle s'opposerait par tous les moyens à ce que les prolétaires de tous les pays soient envoyés au front pour s'entretuer, ses principaux partis se sont rangés derrière leur bourgeoisie contre "l'étranger" (Union sacrée). Le social-chauvinisme s'étale sans honte, comme le dirigeant SPD Hermann Molkenbuhr qui dit brutalement : « Dans les deux mois qui vont suivre, nous en finirons avec la France. Nous nous tournerons alors vers l'Est. Nous en finirons avec les troupes du tsar, et, alors, dans trois mois, dans quatre au plus, nous donnerons à l'Europe une paix solide ».[9]

Pour justifier sa politique, la social-démocratie allemande s’est appuyée sur le fait que Marx et Engels décidaient au cas par cas du camp qu'il fallait soutenir dans une guerre. Les socialistes de gauche (Luxemburg, Lénine, Trotski, Mehring, Pannekoek...), au contraire, dénonçaient clairement cette guerre mondiale comme « guerre impérialiste (c'est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage) ». Le terme de social-impérialisme a aussi été utilisé, par exemple par Rosa Luxemburg[10] ou Lénine[11].

Luxemburg allait jusqu’à généraliser en affirmant qu’à l’époque impérialiste il n’y a plus de « guerre nationale », au sens d’alors, de guerre juste (guerre défensive, guerre de libération nationale...). Ce que Lénine critiquera.[12]

Dans le contexte de cette guerre impérialiste, il n'y avait pas de camp à soutenir, donc il fallait être partout contre la guerre, et chercher à « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » (lutte de classe). Le révolutionnaire allemand Karl Liebknecht diffusait au front le mot d'ordre « L'ennemi principal est dans notre propre pays ! » Quant à Lénine, il est célèbre pour avoir prôné un « défaitisme révolutionnaire ».

4.2 Question nationale et pays dominés[modifier | modifier le wikicode]

La social-démocratie s'était historiquement affirmée pour le droit à l'auto-détermination des peuples. Elle avait surtout abordé le problème des minorités nationales au sein ou vis-à-vis des vieux empires oppresseurs (les Hongrois ou les Serbes vis-à-vis des Autrichiens, les Polonais vis-à-vis de tous les voisins, les nombreuses minorités dans l'Empire russe, les Irlandais vis-à-vis de l'Angleterre...). Cela constituait ce que les socialistes et les républicains progressistes appelaient la « question nationale ». Le colonialisme et l'impérialisme, qui passent au devant de la scène au début du 20e siècle, ont bien sûr des points communs avec ces questions. D'ailleurs la commission chargée d'élaborer l'orientation anti-impérialiste lors du 2e congrès de l'Internationale communiste s'appelait « commission nationale et coloniale ».[13] Elle s'intéressait à la fois aux « mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits (par exemple, l'Irlande, les noirs d'Amérique, etc.) », des colonies, et des « pays financièrement dépendants ».

Lénine résumait l'objectif central :

« En premier lieu, quelle est l'idée essentielle, fondamentale de nos thèses ? La distinction entre les peuples opprimés et les peuples oppresseurs. Nous faisons ressortir cette distinction, contrairement à la II° Internationale et à la démocratie bourgeoise. (...) 70 % de la population du globe, appartient aux peuples opprimés, qui ou bien se trouvent placés sous le régime de dépendance coloniale directe, ou bien constituent des Etats semi‑coloniaux (...) ou encore vaincus par l'armée d'une grande puissance impérialiste se trouvent sous sa dépendance en vertu de traités de paix.»

Affiche-SFIC-colonies.jpg

Lénine prenait position dès 1915 pour les guerres de libération nationale qui seraient menées par des pays dominés :

 « Si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., […] tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des États opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les "grandes" puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices. »[14]

Cela impliquait donc une position de défaitisme révolutionnaire pour les communistes des pays impérialistes.

Rompant avec la social-démocratie qui cautionnait de plus en plus la politique coloniale, les communistes mènent une lutte anti-impérialiste réelle. Il s'affirment clairement pour les mouvements anti-colonialistes, et pour la défaite des troupes coloniales de "leur" impérialisme. Par exemple :

  • En Russie, les bolchéviks se lancent lors de la révolution de 1917 dans une politique de reconnaissance des peuples opprimés par le tsarisme.
  • Les communistes organisent avec leurs sections orientales et d'autres forces anti-impérialistes le Congrès des peuples de l'Orient en 1920.
  • En France, la jeune SFIC organisait des militants communistes et anti-impérialistes comme Hadjali Abdelkader, ou Nguyen-Ai-Quac (le futur Ho Chi Minh).

Alors que les partis social-démocrates n'étaient présents quasiment qu'en Europe, des partis communistes émergent dans de nombreux pays dominés à la suite de la révolution russe. D’importants débats agitent alors l’Internationale communiste, sur la stratégie et la tactique qu'il convient d'adopter pour combiner au mieux la lutte des classes et la lutte des peuples opprimés. Quelle attitude devaient avoir les communistes vis-à-vis des partis bourgeois anti-impérialistes ? Quels compromis pouvaient-ils voire devaient-ils faire, et ne pas faire ? Cela conduit l'Internationale à adopter le front unique anti-impérialiste en 1922.

4.3 Un nouveau type d'impérialisme[modifier | modifier le wikicode]

Les bolchéviks ne niaient pas qu’il y avait des grandes puissances et des guerres impérialistes avant le capitalisme. A leur époque il coexistait des puissances capitalistes et de vieux empires basés sur la propriété foncière, en déclin (Empire chinois, Empire ottoman, Empire austro-hongrois, Empire russe…). En particulier, la Russie était mise dans le sac des « nations dominatrices (grands-russes, anglo-américains, allemands, français, italiens, japonais, etc.) »[15] Ils combattaient aussi bien les « monarchies impérialistes » que les« bourgeoisies impérialistes », tout en constatant que les puissances basées sur l’ancien type d’impérialisme déclinaient. Par exemple Radek rappelait que Marx et Engels (entre 1845 et 1890) considéraient la Russie tsariste comme la principale puissance (réactionnaire) :

 « […] la Russie tsariste et féodale qui, bien qu'à cette époque, sous l'influence du développement capitaliste elle commençât à se désagréger et ne puisât plus sa force que dans la rivalité des puissances capitalistes, n'en avait pas moins à sa disposition des millions de paysans abêtis qu'elle eût pu envoyer en Europe pour réprimer un mouvement révolutionnaire. »[16]

Lénine précisait :

« Au Japon et, en Russie, le monopole de la force militaire, l'immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc., suppléent en partie, remplacent en partie le monopole du capital financier contemporain, moderne. » « En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal. »[17]

L'impérialisme que décrivent les communistes du début du 20e siècle, c'est donc majoritairement cet « impérialisme capitaliste du type moderne ». C'est lui que Lénine théorise dans son ouvrage L'impéralisme, stade suprême du capitalisme[18] (1917). Il soutient qu'il n'y a pas simplement des politiques impérialistes dont la bourgeoisie pourrait se passer, mais que l'impérialisme est l'aboutissement du capitalisme avancé. Pour lui, cela découle des caractéristiques économiques suivantes :

Les conséquences sont ensuite les suivantes :

  • les surprofits générés par la surexploitation impérialiste des pays dominés permet aux capitalistes d'acheter la couche dirigeante du mouvement ouvrier politique et syndical (aristocratie ouvrière), ce qui constitue la base matérielle du réformisme
  • les trusts se partagent le monde économiquement (guerre commerciale, dumping, recours au protectionnisme...)
  • les intérêts des trusts fusionnés avec ceux de leurs Etats conduisent aux politiques de conquête, et aux guerres pour le repartage du monde.

C'est avec cette grille d'analyse que l'Internationale communiste expliquait la vague de colonisation de la fin du 19e siècle, et la nécessité de la marche à la guerre au début du 20e siècle : le monde ayant été entièrement englobé dans les sphères d'influence de telle ou telle métropole, que ce soit par occupation directe ou par tutelle économique, seule la guerre pouvait repartager les territoires. Or, l'Allemagne et le Japon connaissaient une forte croissance industrielle, et n'avaient que peu de colonies, contrairement aux vieilles puissances comme la France et l'Angleterre, qui stagnaient. Le jeu des alliances diplomatiques en fonction des intérêts de chaque puissance a tôt eu fait d'entraîner la première guerre mondiale.

4.4 Le pacifisme bourgeois de la Société des Nations[modifier | modifier le wikicode]

Communauté-internationale.jpg

Dans les années précédant la guerre de 1914, les blocs d'alliance se constituaient en fonction de leurs intérêts, et les grandes puissances marchaient à la guerre. Aucun observateur sincère ne pouvait dire qu'il y avait en Europe un bloc progressiste/pacifiste (d'un côté les démocraties française et anglaise, mais alliées au tsarisme russe, de l'autre les empires centraux allemand et austro-hongrois...). C'est pour cela notamment que Lénine soutenait que malgré les différences de régimes (monarchies, républiques…), les grandes puissances mènent toutes une politique réactionnaire en politique étrangère.

Après la boucherie de la Première guerre mondiale, le président des États-Unis, Woodrow Wilson, propose la création d'une Société des Nations chargée de maintenir la paix et le commerce international. L'attitude du mouvement ouvrier fut très clivée : d'un côté les restes de la Deuxième internationale applaudissaient (Kautsky y voyant l'homme de son ultra-impérialisme), de l'autre la Troisième internationale s'en tenait nettement à l'écart :

« Tandis que Kautsky, Longuet et les autres représentants de la 2e Internationale saluaient Wilson et invitaient les ouvriers à le soutenir, notre Internationale (...) déclarait que la démarche de Wilson était une tentative faite par les ploutocrates de New-York et de Chicago pour assujettir l’Europe et le monde entier »[19]

Finalement, la Société des nations a vu le jour sans les États-Unis, car Wilson n'a pas eu le soutien du Congrès des États-Unis. Certains socialistes comme Albert Einstein ont fondé beaucoup d’espoirs dans la SDN et la démilitarisation concertée.[20] Au milieu des tensions des années 1930, la SDN vole en éclats. Trotski commente de la façon suivante cette tendance :

« Tous les gouvernements ont peur de la guerre. Mais aucun n'est libre de son choix. […] La SDN, qui, selon son programme officiel, devait «organiser la paix», et qui était en réalité conçue pour perpétuer le système de Versailles, neutraliser l'hégémonie des États-Unis et constituer un bastion contre l'Orient rouge, n'a pu surmonter le choc des contradictions impérialistes. »[21]

5 Les années 1930 et la guerre de 1939-1945[modifier | modifier le wikicode]

Pendant les années 1930, avec la nouvelle marche à la guerre, de nouveaux débats émergent, notamment parmi les trotskistes.

5.1 Le camp du fascisme et le camp de la démocratie ?[modifier | modifier le wikicode]

Fallait-il soutenir le "camp des démocraties" (États-Unis, Angleterre, France) face au "camp fasciste" (Allemagne, Italie, Japon) ? Lorsque cette position est défendue par le groupe palestinien Haor, Trotski la qualifie de « pas dangereux vers le social-patriotisme ».

Trotski réaffirmait qu'aucun de ces camps impérialistes ne pouvait être soutenu, reprenant la même logique que celle de la Première guerre mondiale. Dans les thèses de 1934, il disait que la guerre serait de même nature que celle de 1914 (partage impérialiste du monde) et qu'il y aurait comme en 1914 des régimes réactionnaires dans les deux camps, et que cette différence devenait secondaire dans un contexte de guerre impérialiste :

« Naturellement il existe une différence de confort entre les différents wagons du train. Mais, quand le train plonge clans un abime, la distinction entre la démocratie décadente et le fascisme meurtrier disparaît devant l'effondrement de l' ensemble du système capitaliste »[22]

Par ailleurs, tout en critiquant le pacifisme bourgeois comme illusoire, il estimait que « le mot d'ordre de paix n'est nullement en contradiction avec la formule stratégique du défaitisme […] quand il émane des quartiers ouvriers et des tranchées où il se mêle à celui de la fraternisation entre soldats des armées ennemies, unissant les opprimés contre les oppresseurs. »[21]

Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée « contre le fascisme », tout en partant de ces sentiments :

« Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “ démocratie ” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain »[23]

« Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers. »[24]

Par ailleurs, dans la guerre civile espagnole, Trotski ne renvoyait pas dos-à-dos le camp républicain et le camp fasciste. Il était pour que les communistes du monde entier fassent leur possible pour aider militairement le camp républicain, et pour saboter les renforts destinés au camp fasciste. Y avait-il une contradiction entre cette position de parti-pris et la neutralité dans un cas de guerre mondiale ? Trotski argumentait de la façon suivante :

« On peut nous objecter ceci : pendant une guerre entre deux États bourgeois, le prolétariat, quel que soit, dans son pays, le régime politique, doit adopter la position selon laquelle «la défaite de notre propre gouvernement est le moindre mal ». Cette règle n'est-elle pas également applicable à une guerre civile dans laquelle s'affrontent deux gouvernements bourgeois ? Elle ne l'est pas. Dans une guerre entre deux États bourgeois, l'objectif en jeu est une conquête impérialiste, non la lutte entre démocratie et fascisme. Dans la guerre civile espagnole, la question est : démocratie ou fascisme. »[25]

5.2 Soutien inconditionnel aux pays dominés ?[modifier | modifier le wikicode]

En cas de conflit entre pays impérialiste et pays dominé, Trotski maintenait la position classique de l'Internationale communiste :

  • un défaitisme révolutionnaire pour les communistes du pays impérialistes : la défaite d'une bourgeoisie impérialiste l'affaiblit aussi dans ses rapports avec la classe ouvrière de la métropole, et favorise la lutte révolutionnaire
  • un défensisme révolutionnaire pour les communistes du pays dominé : faire un front politico-militaire avec les forces anti-impérialistes, tout en conservant l'indépendance politique et les objectifs communistes, utiliser la situation créée par la lutte de libération nationale pour la pousser jusqu'à une lutte révolutionnaire communiste, devant ensuite s'étendre au monde entier (révolution permanente)

C'est en quelque sorte un prolongement militaire du front unique anti-impérialiste.

Pour Trotski, ce principe reste systématiquement valable, et les autres facteurs (quel est le premier pays qui a attaqué, quel type de régime est à la tête du pays dominé ou du pays impérialiste...) ne doivent pas entrer en ligne de compte pour lui. Il insistait là dessus, par exemple à l'occasion du soutien à l’Éthiopie agressée par l'Italie de Mussolini :

« Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l’Italie et pour la victoire de l’Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d’autres puissances impérialistes soutiennent l’impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d’armes, etc. à l’Éthiopie. Néanmoins, nous devons faire valoir que cette lutte n’est pas dirigée contre le fascisme, mais contre l’impérialisme. Quand c’est de guerre qu’il s’agit, il n’est pas question pour nous de savoir qui est "le meilleur", du Négus [le monarque éthiopien] ou de Mussolini, mais d’un rapport de forces et du combat d’une nation sous-développée pour sa défense contre l’impérialisme. » [26]

Il peut paraître plus intuitif que l'on peut "plus facilement" s'allier à un régime démocratique bourgeois qu'à un régime autoritaire. Mais ce n'est pas du tout sur ce critère que se base le front unique anti-impérialiste. L'enjeu prioritaire est de lutter contre le renforcement des impérialistes : leur victoire signifie le renforcement d'une puissante bourgeoisie (donc y compris face aux prolétaires des pays impérialistes), et au contraire leur défaite donne de l'espoir à tous les peuples opprimés.

« Si Mussolini l’emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l’impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l’impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir. » [27]

Par ailleurs, il ne faut avoir aucune illusion sur les prétextes démocratiques qu'utilisent les gouvernements impérialistes : dans la réalité ils ne veulent pas des droits démocratiques dans les pays qu'ils dominent, car cela n'a que pour résultat de menacer leurs intérêts.

« il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serait du côté du Brésil "fasciste contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, en enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte contre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques, les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs ! »[28]

5.3 Le camp de l'URSS ?[modifier | modifier le wikicode]

Pour les trotskistes, une nouvelle difficulté s'ajoutait à la situation : la présence de l'URSS, considérée comme un État ouvrier dégénéré, dirigé par une bureaucratie contre-révolutionnaire mais progressiste malgré elle. Trotski défendait une ligne de défense inconditionnelle de l'URSS face aux puissances capitalistes.

Si deux blocs impérialistes se forment et entrent en guerre, et que l'URSS se retrouve dans l'un des deux camps, quel impact cela doit-il avoir ? Comment concilier défaitisme révolutionnaire et défense de l'URSS ?

Pour Trotski, il fallait maintenir la ligne de défaitisme révolutionnaire, dans un sens général de refus de l'Union sacrée avec sa bourgeoisie, même si elle est alliée momentanément avec l'URSS, mais il fallait néanmoins adapter la tactique, en favorisant de fait la victoire du camp militaire dans lequel se trouverait l'URSS :

« Le prolétariat d'un pays capitaliste qui se trouve l'allié de l'U.R.S.S. doit conserver pleinement et complètement son irréductible hostilité au gouvernement impérialiste de son propre pays. En ce sens, sa politique ne sera pas différente de celle d'un prolétariat dans un pays qui combat l'U.R.S.S. Seulement, dans la nature des actions pratiques, il peut apparaître, en fonction des conditions concrètes de la guerre, des différences considérables. Par exemple, il serait absurde et criminel, en cas de guerre entre l'U.R.S.S. et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi de munitions américaines à l'U.R.S.S. Mais le prolétariat d'un pays combattant l'U.R.S.S. devrait absolument recourir à de telles actions : grèves, sabotages, etc. »[29]

Cette position de Trotski entraine des critiques fortes parmi les trotskistes, notamment de Leonetti et Bauer, qui considéraient que Trotski affaiblissait trop le "défaitisme révolutionnaire", ou du dirigeant du PSR belge Georges Vereeken, qui l'accusait de revenir à une forme indirecte d'Union sacrée.

5.4 L'Occupation et la Résistance[modifier | modifier le wikicode]

L'occupation allemande pendant la Seconde guerre mondiale a soulevé aussi de nombreuses divergences entre communistes révolutionnaires sur l'attitude à avoir par rapport à la Résistance.

Même si Trotski disait que la France sous les bottes allemandes était « en train de devenir une nation opprimée »[30], il refusait de s’adresser à De Gaulle, comme le faisait Marceau Pivert.

6 Évolutions du capitalisme et des rapports impérialistes[modifier | modifier le wikicode]

6.1 Impérialisme soviétique ?[modifier | modifier le wikicode]

Face aux agissements de la bureaucratie stalinienne, de nombreux marxistes (et non-marxistes) ont dénoncé dès les années 1930 un impérialisme soviétique. Trotski n'était pas absolument opposé à parler d'une certaine forme d'impérialisme, mais il ne voulait pas que soit tiré de trait d'égalité entre l'impérialisme soviétique et l'impérialisme des pays capitalistes, en raison de la nature de l'État soviétique, État ouvrier dégénéré selon lui et selon la majorité des trotskistes.

« Peut-on qualifier d'impérialisme la politique d'expansion actuelle du Kremlin? Avant tout il faudrait s'entendre sur le contenu social que nous conférons à ce terme. L'histoire a connu l'impérialisme de l'État romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. La force motrice de la bureaucratie soviétique réside, sans aucun doute, dans sa volonté d'accroître son pouvoir, son prestige, ses revenus. C'est ce même élément d'impérialisme - pris dans le sens le plus large du terme - qui fut dans le passé la marque spécifique de toutes les monarchies, oligarchies, castes dirigeantes, classes et milieux divers. Pourtant, dans la littérature politique contemporaine, du moins dans la littérature marxiste, par "impérialisme" on entend la politique d'expansion du capital financier qui a un contenu économique bien défini. Appliquer à la politique du Kremlin le terme d'impérialisme sans expliquer en fait ce que l'on entend par-là, cela revient tout simplement à identifier la politique de la bureaucratie bonapartiste avec la politique du capitalisme monopoliste, en se fondant sur le fait que l'un et l'autre utilisent la force militaire à des fins d'expansion. Une telle identification, propre seulement à semer la confusion, convient à des démocrates petits-bourgeois plutôt qu'à des marxistes. »[1]

Ainsi, il maintenait la ligne politique de défense de l'URSS face aux impérialismes capitalistes.

Les maoïstes ont dénoncé la politique extérieure de l'URSS comme du social-impérialisme.

6.2 Coopération pacifique entre grandes puissances ?[modifier | modifier le wikicode]

Au début du 20e siècle, le marxiste Karl Kautsky défend l'idée que le capitalisme va vers un super-impérialisme, qui entre autre a pour effet d'éloigner la perspective de guerres entre puissances (ceci à la veille de la Première guerre mondiale...). Lénine et Boukharine ont combattu sa théorie. D'autres thèses plus récentes reprennent des éléments similaires, comme l'Empire de Negri et Hardt.

Factuellement, la tendance à l'internationalisation du capital, et à l'interpénétration des intérêts de nombreux capitalistes, a connu un développement sans précédent après la Seconde guerre mondiale. L'intégration de l'Union européenne en est sans doute le symbole l'exemple le plus avancé. C. Serfati parle de « bloc transatlantique hiérarchisé » pour décrire le pôle États-Unis Union européenne, au sein duquel les États-Unis sont nettement dominants.[31] La volonté affichée de constituer un grand marché transatlantique (TAFTA / TTIP) est un pas de plus dans ce sens.

On peut également souligner l'intégration assez forte de ce bloc transatlantique avec le Japon (formant la "Triade").

Les tensions demeurent cependant. Des forces centrifuges sont perceptibles, même si pour l'instant elles ne l'emportent pas. Ce sont par exemple des conflits au sujet de formes protectionnisme (droits de douane...).

Par ailleurs il faut souligner que ces alliances qui tendent à réunir des blocs plus larges se sont en grande partie "contre" d'autres blocs. Pendant la guerre froide, la rivalité avec le Bloc de l'Est a beaucoup contribué au rapprochement des grandes puissances occidentales. Aujourd'hui, les négociateurs du TAFTA évoquent explicitement l'enjeu de renforcer le bloc transatlantique par rapport aux BRICS, tout comme le Marché trans-pacifique entre les États-Unis et ses alliés en Asie est a clairement vocation à isoler la Chine.

6.3 Militarisme structurel ?[modifier | modifier le wikicode]

La théorie classique de l'impérialisme (Lénine) considère que le militarisme (interventions militaires, développement des dépenses militaires...) est intrinsèque au capitalisme. Ce sont la plupart du temps les réformistes qui insistent sur la possibilité d'un capitalisme pacifique et qui appellent à s'allier à des secteurs de la bourgeoisie vus comme pacifistes.

Mais même du point de vue de la vision classique, des questions demeurent : pourquoi les différentes pays capitalistes ont-ils des politiques plus ou moins pacifiques ou pro-guerre ? quels intérêts les interventions militaires servent-elles ?

Les marxistes insistent généralement sur les intérêts économiques : le contrôle de marchés et de ressources naturelles (pétrole, uranium...).

Pour Claude Serfati, il faut prendre en compte une autonomie partielle de l'appareil d'Etat, et en particulier du complexe militaro-industriel en son sein. Celui-ci est par exemple puissant dans la politique française depuis l'époque de De Gaulle (secteur industriel qui concentre une recherche de pointe, beaucoup d'emplois, 30% de la production d'armes destinée à la vente...). Ce complexe agit comme un puissant lobby qui favorise la tendance de l'impérialisme français à intervenir militairement. De même aux États-Unis : Serfati prend l'exemple de l'intervention en Irak, qui était dans l'intérêt immédiat de quelques grands groupes, mais qui aurait finalement été contre-productif pour les États-Unis.[31] A l'inverse le militarisme est plus réduit dans des puissances comme l'Allemagne et le Japon, pour des raisons historiques (vaincus de la Seconde guerre mondiale).

6.4 Décolonisation et néocolonialisme[modifier | modifier le wikicode]

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Dans le sillage de la décolonisation, les luttes contre l'impérialisme ont été nombreuses. Elles se sont aussi inscrites dans un contexte de guerre froide : beaucoup de pays ont reçu le soutien intéressé de l'URSS qui tentait également de pérenniser sa sphère d'influence. C'est pourquoi de nombreux mouvements (petits-)bourgeois nationalistes ont pris le paravent idéologique du "communisme" dans l'Après-guerre (castrisme, socialisme arabe...). Qu'ils aient l'intention de réaliser une planification dictatoriale ou simplement un timide réformisme social, ces courants gênaient l'impérialisme, qui a bien souvent réussi à les déstabiliser.

La plupart des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, qu'ils aient ou non connus des gouvernements anti-impérialistes, sont rapidement repassés sous la coupe des occidentaux dans l'Après-guerre. Même si leurs gouvernements sont formellement indépendants, ils sont en réalité sous la domination des multinationales étrangères et de leurs États. Ainsi, il y a une forme de domination impérialiste qui perdure, que l'on peut appeler néocolonialisme ou semi-colonisation.

Kwame Nkrumah, président du Ghana de 1960 à 1966, est le premier à avoir popularisé le terme de néocolonialisme, dans un article faisant référence à l'ouvrage de Lénine sur l'impérialisme.[32]

Les mécanismes de domination économique sont :

Par rapport au colonialisme, ces mécanismes rendent le néocolonialisme plus diffus (il n'y a plus une seule métropole, il n'y a plus, sauf temporairement, de troupes étrangères sur le sol...), si bien que la conscience d'une lutte de libération nationale à mener est beaucoup moins aigüe. Il est sans doute plus difficile d'obtenir des avancées sur ce plan sans s'en prendre pour cela à la classe dominante locale, ce qui tend à fusionner cette lutte avec la lutte des classes.

Le discours dominant actuel de la bourgeoisie reconnaît que chaque peuple a la droit à disposer de lui-même, que chaque État doit être indépendant, etc... reléguant la domination a la sphère économique. Le passé colonial est alors présenté globalement comme "une erreur regrettable". Néanmoins, la fierté du dominant est conservée par les forces d'extrême droite, et la droite tend à glisser dans ce registre. Par exemple au cours de son mandat, le président Sarkozy a affirmé "son refus de toute repentance", en clamant que la France n'avait jamais commis de crime contre l'humanité, passant sous silence la torture en Algérie, l'esclavage, le régime de Vichy, les Kanaks, les zoo humains... Même si de tels propos sont généralement condamnés comme des "excès", certains politiciens lâchent parfois des formules réactionnaires assumant un impérialisme brutal. Comme Silvio Berlusconi :

« On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les civilisations. Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. L'Occident continuera à occidentaliser et à s'imposer aux peuples. »[37]

6.5 Basculement de certains rapports de force ?[modifier | modifier le wikicode]

Trotski faisait en 1914 le pronostic que la guerre aurait pour effet de libérer les colonies, et par ce biais de saper une base du capitalisme européen :

« A ceci vient se joindre un facteur décisif : le réveil capitaliste des colonies auquel la guerre donnera une forte impulsion. La désorganisation de l’ordre mondial entraînera celle de l'ordre colonial. Les colonies perdront leur caractère «colonial». Quoi qu'il en soit de l'issue du conflit, le résultat ne peut en être que l'amoindrissement de la base du Capitalisme européen. »[38]

Cela n'a pas été aussi rapide, mais les communistes constataient qu’après la guerre de 1914-1918, « les pays coloniaux et semi-coloniaux, profitant de l’affaiblissement des États impérialistes, obtiennent une plus grande indépendance économique. »[39]

Par ailleurs Lénine parle aussi dans son ouvrage de semi-colonies, au sujet des pays qui conservent une indépendance politique formelle. Mais il semble dire que, dans le contexte de l'époque, les semi-colonies tendent à disputées par les impérialistes voulant les coloniser. Par exemple Lénine dit que la Perse, la Chine et la Turquie sont des semi-colonies en voie de colonisation. Lénine évoque aussi d'autres formes de « pays dépendants », citant l’Argentine et le Portugal. Or par ailleurs, le Portugal est aussi cité parmi les puissances coloniales. Il semble donc que pour Lénine, un pays impérialiste peut lui-même être dépendant d'une plus grande puissance.

La grande dépression des années 1930 a affaibli les métropoles occidentales, et l'accentuation de la lutte des classes en leur sein a contribué à faire lâcher prise partiellement à l'impérialisme. Puis la seconde guerre mondiale a pour un temps créé un repli de l'Europe sur elle-même, tout en propulsant l'impérialisme états-unien au rang de superpuissance mondiale. Dès lors, celui-ci allait mener une politique étrangère de plus en plus agressive, qui avait déjà commencé dès la fin du 19e (domination sur Cuba, l'annexion des Philippines...), mais qui faisait maintenant de l'Amérique Latine sa chasse gardée, et s'étendait toujours plus.

Certains grands pays d'Amérique Latine ont pu au début du 20e siècle acquérir une autonomie relative et s'industrialiser partiellement.

La Chine a réalisé une percée dans le marché de l'automobile depuis 2021

A la fin du 20e siècle, de nombreux pays qui étaient devenus relativement indépendants de l'impérialisme ont donné des signes d'allégeance pragmatiques au capital étranger (Libye, Syrie, Iran, Yémen...).

Enfin, il faut aussi penser que même les pays qui refusent tout lien avec l'impérialisme sont tout de même largement affectés, notamment par les politiques d'embargo (Cuba, Corée du Nord, Chine sous Mao...).

La Chine ou plus généralement les "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont l'objet de nombreux débats parmi les marxistes. Sont-ils devenus des pays impérialistes ? Sont-ils toujours dominés ?

Certains auteurs pointent que le centre de gravité du syndicalisme aurait basculé vers les pays dominés du Sud global, mais que la bureaucratie syndicale internationale reste dirigée par les syndicats du Nord.[40]

7 Impérialisme, immigration et racisme[modifier | modifier le wikicode]

Dans L'impérialisme, Lénine écrit que les pays impérialistes deviennent des foyers d’immigration, car les travailleurs quittent les pays où les salaires sont les plus bas. Citant Hobson, il note que des vieux pays d’émigration comme l’Angleterre et l’Allemagne sont devenus des pays d’immigration. D’où une tendance à la différenciation sociale au sein de la classe ouvrière :

« En France, les travailleurs de l'industrie minière sont "en grande partie" des étrangers : Polonais, Italiens, Espagnols. Aux États-Unis, les immigrants de l'Europe orientale et méridionale occupent les emplois les plus mal payés, tandis que les ouvriers américains fournissent la proportion la plus forte de contremaîtres et d'ouvriers exécutant les travaux les mieux rétribués. L’impérialisme tend à créer, également parmi les ouvriers, des catégories privilégiées et à les détacher de la grande masse du prolétariat. »

8 Soft power[modifier | modifier le wikicode]

Tout comme la domination de la bourgeoisie dans un pays passe en grande partie l'idéologie, la domination des plus puissants États impérialistes se fait en grande partie via l'influence économique, diplomatique, politique, idéologique... On emploie souvent le terme de « soft power » pour désigner ces aspects.

Par exemple, lorsque l'impérialisme britannique était dominant, la culture britannique avait un rayonnement très important, ses normes comme le fair play) se voyaient adopter massivement, etc.

Autre exemple : le sport.

9 Usage du terme « impérialisme »[modifier | modifier le wikicode]

En 1826, "impérialisme" est employé comme "promotion de l’Empire" dans le contexte post-napoléonien. Parfois utilisé en Angleterre, dans un sens neutre ou positif relatif à l’expansion de la civilisation occidentale, mais utilisé depuis le début plus ou moins comme reproche.

Le sens de “domination d’un pays sur un autre” semble établi à partir de 1878. A cette époque le terme se répand au Royaume-Uni, des « anti-impérialistes » critiquant la politique anglaise dans le monde (menée notamment par Disraeli), et très vite certains défenseurs de cette politique se désignent eux-mêmes comme « impérialistes » (comme Chamberlain).

Lorsque les États-Unis annexent les Philippines en 1898, une « Anti-imperialist League » se forme pour s’y opposer.

10 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Historical Materialism n°33, Discovering imperialism – Social democracy to World war I, 2012

  1. 1,0 et 1,1 Trotski, Encore et encore une fois sur la nature de l'URSS, 1939
  2. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 9: Imperialism as an Historic Category, 1915
  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Asabiyya
  4. Walter Rodney, How Europe Underdeveloped Africa, 1972
  5. Lénine, A propos de la brochure de Junius, 1916
  6. Karl Kautsky, Germany, England and the World­Policy, 1900
  7. Karl Kautsky, Le socialisme et la politique coloniale, 1907
  8. Cope, Zak (December 2019). The Wealth of (Some) Nations: Imperialism and the Mechanics of Value Transfer (in English) (First ed.). London, UK: Pluto Press. pp. 169–182. ISBN 9780745338859.
  9. Léon Trotski, Ma vie, 1930
  10. Rosa Luxemburg, Rebuilding the International, 1915
  11. Lenin, The Draft Resolution of the Left Wing at Zimmerwald (September 1915)
  12. Lénine, A propos de la brochure de Junius, 1916
  13. Lénine, II° congrès de l'IC, Rapport de la commission nationale et coloniale, 1920
  14. Lénine et Zinoviev, Le socialisme et la guerre, 1915
  15. Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, 1916
  16. Karl Radek, La question polonaise et l'Internationale, 1920
  17. Lénine, L’impérialisme et la scission du socialisme, 1916
  18. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
  19. Trotski, Discours prononcé au deuxième Congrès de l'Internationale Communiste, 1920
  20. http://www.taurillon.org/albert-einstein-federaliste
  21. 21,0 et 21,1 Trotski, La guerre et la IVe Internationale, 1934
  22. Trotski, Manifeste d'alarme de la IV° Internationale, 26 mai 1940
  23. Trotski, Combattre le pacifisme, 13 août 1940
  24. Trotski, Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow, 22 mars 1938
  25. Trotski, Contre le « défaitisme » en Espagne, 14 septembre 1937
  26. Trotski, Le conflit italo-éthiopien », 17 juillet 1935
  27. Trotski, À propos des dictateurs des hauteurs d’Oslo, 22 avril 1936
  28. Trotski, La lutte anti-impérialiste, 23 septembre 1938
  29. Trotski, La guerre et la IVe Internationale, 10 juin 1934
  30. Trotski, Notre cap ne change pas, 30 juin 1940
  31. 31,0 et 31,1 Claude Serfati, Qui s’intéresse encore à l’impérialisme français ?, 2016
  32. Kwame Nkrumah, Neo-Colonialism, the Last Stage of Imperialism, 1965
  33. Cf. Guerre de l'eau (Bolivie) en 2000
  34. Nicholas Bakalar, Rise in TB Is Linked to Loans From IMF, The New York Times, 22 July 2008
  35. Mohanty, Chandra Talpade (January 2003). "'Under Western Eyes' Revisited: Feminist Solidarity through Anticapitalist Struggles". Signs: Journal of Women in Culture and Society. 28 (2): 499–535.
  36. Juliette Le Chevallier, Les pays pauvres financent les plus riches, Alternatives économiques, 10 Mai 2024
  37. Silvio Berlusconi, Le Figraro, 28 septembre 2001
  38. Trotski, La guerre et l'Internationale, 31 octobre 1914
  39. Internationale Communiste, 4e congrès, Projet de programme, 1922
  40. Kim Scipes, The International Trade Union Movement: Where It's Been, Where It's Going, January 2023