Mouvement ouvrier et socialisme en France

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Fanion de soie de la devise des canuts.

Cette page vise à recenser les temps forts du mouvement ouvrier et du mouvement socialiste en France.

1 Mouvements précurseurs[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Moyen-Âge[modifier | modifier le wikicode]

On peut bien sûr se demander dans quelle mesure le mouvement ouvrier peut hériter de façon indirecte de l'histoire des révoltes populaires au Moyen-Âge, en particulier des mouvements de protestation urbains. Le peu « d'ouvriers » qui existaient dans les grandes villes étaient cependant noyés au milieu d'artisans beaucoup plus nombreux et fonctionnant sur un mode corporatif donnant un caractère très différent aux luttes de classes pré-capitalistes.

La première grève recensée en France est le grand tric des typographes lyonnais en 1539.

1.2 Révolution française[modifier | modifier le wikicode]

La Manufacture royale de papiers peints employait 300 ouvriers, ce qui était alors une des plus grandes concentrations ouvrières de l'époque. Lorsque la rumeur court que le patron, Jean-Baptiste Réveillon, veut baisser les salaires, un immense mouvement de grève et de manifestations démarre, qui restera connu comme l'affaire Réveillon. Cet événément peut être considéré comme un des signes avant-coureurs de la Révolution, et à plus long terme comme un des premiers temps forts du mouvement ouvrier français. On peut aussi évoquer la révolte des deux sous (1786).

La Révolution française va abolir les corporations de l'Ancien régime, qui étaient alors impopulaires de par le conservatisme qu'elles entretenaient (défense des intérêts des maîtres de jurande...). L'idéologie majoritaire parmi les révolutionnaires était qu'il ne devait y avoir aucun corps intermédiaire entre la Nation dans son ensemble et l'État républicain, et cela convenait assez bien à la bourgeoisie montante, qui pouvait ainsi espérer s'enrichir au delà des limites protectionnistes corporatives.

Or, cette réglementation (loi d'Allarde puis loi le Chapelier) va ensuite être appliquée pour nier le droit de grève et interdire la formation de syndicats.

2 De la Révolution jusqu'à la Commune[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Révolution industrielle et économie politique[modifier | modifier le wikicode]

Un métier Jacquard de 1801.

En France au 19e siècle, le monde ouvrier est en train de se former et de se détacher de l'artisanat à mesure que la révolution industrielle chamboule l'économie. L'essor industriel et la concentration capitaliste commence - plus lentement qu'en Angleterre ou en Allemagne - par le textile, la métallurgie, les mines... Il ne s’agit pas d’une croissance continue. L’essor économique a été à plusieurs reprises interrompu par des crises, en 1836 et en 1846.

Un terreau se prépare avec la concentration ouvrière, dans l'usine et dans des quartiers ouvriers (pas encore à Paris), la déqualification et l'emploi massif de femmes et enfants. Toutefois les « nouveaux prolétaires » venus souvent de la campagne n’ont encore aucune tradition politique. Aussi, à cette époque, ce seront surtout les ouvriers des vieux métiers qui encadrent les grévistes.

Les économistes font presque tous l'apologie du libéralisme économique. Pour Destutt de Tracy, l’inégalité est un fait de nature, et s'il y a aggravation de la misère, c’est dû à une surpopulation.[1] Pour Jean-Baptiste Say : « Il serait doux de penser que la société peut soulager toutes les infortunes non méritées. Il n’est malheureusement pas permis de le croire. »[2] Pour Bastiat, la misère est un mal nécessaire : « Elle offre un salutaire spectacle à toute la partie demeurée saine des classes les moins heureuses ; elle est faite pour les remplir d’un salutaire effroi ; elle les exhorte aux vertus difficiles dont elles ont besoin pour arriver à une condition meilleure. »[3]

L'économiste Sismondi fut un peu à part, étant plus interventionniste. Il s'est dit « vivement ému [par] les souffrances cruelles des ouvriers des manufactures » dues à la crise de 1817-1818. « On pourrait presque dire que la société moderne vit aux dépens du prolétaire. ». Son analyse est sous-consommationniste, et il n'a pas grand chose à proposer : « Il me semble presque au-dessus des forces humaines de concevoir un état de propriété absolument différent de celui que nous fait connaître l’expérience. »[4] Malgré cela, il eut une influence importante sur le socialisme français.

2.2 Débuts du socialisme[modifier | modifier le wikicode]

La pensée socialiste commence à se développer au début du 19e siècle, et est particulièrement riche en France. Les premiers penseurs, ceux qui ont vécu 1789, sont Saint-Simon et Fourier. Tous deux mettent en avant le potentiel de l'industrie pour créer une société d'abondance et égalitaire, et dénoncent les effets néfastes de la concurrence. Et tous deux font naïvement chercher à convaincre les puissants d'écouter leurs propositions. Saint-Simon visait directement une transformation globale de l'industrie (développement du crédit, de la planification...), Fourier visait d'abord à construire des « phalanstères », sortes de lieux de vie communautaires, qui devaient se multiplier. Tous deux auront beaucoup de disciples qui essaieront en vain de mettre en pratique leurs idées. Ils sont les principaux représentants de ce que Marx et Engels appelleront le « socialisme utopique ».

Les idées socialistes commencent à avoir plus d'impact dans les années 1830 (c'est là que le mot de « socialisme » commence à être employé). Alors, les courants commencent à s'influencer mutuellement, à se mélanger, et à évoluer vers le mouvement ouvrier. Après 1832 bien des saint-simoniens rejettent le mysticisme d'Enfantin et renforcent l’école fouriériste sans abandonner pour autant leurs thèmes.

2.3 Premières révoltes ouvrières[modifier | modifier le wikicode]

Révolte des canuts à Lyon (1834)

Si aucune action ouvrière n'est légale, cela n'empêche pas la lutte de classe d'exister. Cela lui donne plutôt un caractère explosif.

Les dernières années de la Restauration (1814-1830) ont été marquées par de nombreuses grèves souvent émeutières : fileurs de coton de Houlme en 1824 (un gendarme ayant été tué au cours des bagarres, un ouvrier, Roustel, a été condamné à mort et décapité), ardoisiers de Rimogne, ferblantiers, plombiers de Paris, boulangers de Marseille, papetiers de Thiers, tailleurs de pierre de Tournus, filateurs de Saint-Quentin, mineurs de Commentry, cochers parisiens, maçons de Toulon et de Paris, cloutiers du faubourg Saint-Denis, ouvriers paveurs de Paris, etc. Beaucoup de ces mouvements sont pour la première fois centrés sur des revendications ouvrières : opposition à la diminution des salaires, protestation contre l’allongement de la journée de travail, opposition au contrôle de l’embauche par les municipalités et la police, hostilité à l’introduction des machines alors que le chômage se développe (il y aura des bris de machines).

Mais la plus célèbre révolte ouvrière de la première moitié du 19e siècle est celle des Canuts, ouvriers de la soie à Lyon. Une première révolte a lieu en 1831, et une deuxième en 1834. Elle marque profondément les contemporains, effrayant les possédants et donnant des arguments aux socialistes. Dans les années 1830, Lyon est perçue comme l'épicentre des luttes de classe en France.

Des mouvements de grève commencent à apparaître dans les mines. L'émeute des quatre sous (1833) aux mines d'Anzin est considérée comme la première grande grève de l'époque pré-syndicale en France. Le procès des mineurs, poursuivis pour délit de coalition, eut un grand retentissement. En septembre 1840, des ouvriers au chômage et des ébénistes partent en émeutes.

2.4 Entre peur des « classes dangereuses » et pitié[modifier | modifier le wikicode]

Le « paupérisme » ouvrier commence à susciter une abondante littérature à l’époque de la Monarchie de Juillet. L’Académie des sciences morales et politiques (ASMP) suscite régulièrement des travaux (en soumettant des questions à concours) révélateurs de la mentalité bourgeoise de l'époque. En 1838, elle met à l'étude « les classes dangereuses ». En 1840, elle demande d'où vient la misère, et récompense Eugène Buret qui publie De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France. C’est également sur l’initiative de l’ASMP que Villermé (considéré comme un fondateur de la sociologie et de la médecine du travail) avait entrepris sa grande enquête éditée aussi en 1840 : Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Villermé écrira aussi sur « le travail des enfants dans les manufactures » (1842).

Cette littérature qui est souvent d’inspiration chrétienne vise aussi à mettre en garde les capitalistes contre les menaces que fait peser sur l’ordre social une population misérable. L'industriel vosgien Daniel Legrand alertait en 1847 que des réformes étaient nécessaires parce que « les idées communistes et socialistes commencent à se répandre et à s’enraciner avec une rapidité effrayante ». Par ailleurs, la situation commençait même à présenter un danger pour le profit : les enfants ouvriers avaient une espérance de vie très courte, les survivants devenaient des individus chétifs et non rentables... C'est pour ces raisons - plus que par un rapport de force ouvrier à ce stade - que le travail des enfants commence à être encadré en 1841.

Même Louis-Napoléon Bonaparte (le futur Napoléon III), se pique de réformisme social en publiant en 1839 ses Idées napoléoniennes et surtout en 1844 son Extinction du paupérisme, ou encore en recevant Louis Blanc dans sa prison de Ham.

Lamartine proteste contre la formation « d’agglomérations » puissantes comme les compagnies minières de la Loire et d’Anzin. Dès 1831, il annonce : « La question des prolétaires est celle qui fera l’explosion la plus terrible dans la société actuelle si la société, si les gouvernements se refusent à la sonder et à la résoudre. » A peu près dans le même temps (en 1834), Victor Hugo prône « la substitution des idées sociales aux idées politiques ». Ancien légitimiste, Eugène Sue est séduit par le fouriérisme et glisse vers le socialisme en publiant Les mystères de Paris (1842) et Le juif errant (1844). Influencée par Pierre Leroux et fréquentant des ouvriers-artisans, George Sand se proclame socialiste, communiste voire, et fait paraître ses romans sociaux : Le compagnon du tour de France (1840), Consuelo (1842), Le meunier d’Angibault (1841) et Le péché de monsieur Antoine (1847). Les romans d’Eugène Sue et de George Sand répandent dans une masse de lecteurs un socialisme diffus et sentimental. Malgré un ton souvent paternaliste ils contribuent a donner aux ouvriers dignité et fierté.

2.5 Traditions de compagnonnage[modifier | modifier le wikicode]

Dans certains métiers perduraient des traditions de compagnonnage héritées depuis le Moyen-Âge. Cela a joué un rôle dans la culture de la solidarité, même si cela a aussi été une source de corporatisme et de passéisme. Un homme comme Agricol Perdiguier fut un militant qui au travers de ses Tours de France ou de ses œuvres de « poète-ouvrier » défendait une solidarité au delà des métiers. Néanmoins le compagnonnage et les anciennes mutuelles étaient partout dans une dynamique de lent déclin.

2.6 Proximité avec le républicanisme[modifier | modifier le wikicode]

Si les revendications économiques gagnent en importante, dans les villes où les mouvements politiques sont forts, les ouvriers font la jonction avec la gauche petite-bourgeoise. A Paris, les 19 et 20 novembre 1827, étudiants et ouvriers affrontent la troupe dans les rues Saint-Denis et Saint-Martin. Et au cours de la Révolution de 1830 (Trois Glorieuses), ce sont principalement les ouvriers qui sont les forces vives, ce qui sera reconnu par tous les contemporains. Certains esprits clairvoyants relaient une défiance encore minoritaire :

« Les ouvriers ont eu conscience de leur force, puisque, sans eux, la grande victoire de juillet n’aurait pas été obtenue, ni peut-être même disputée ; et ils ont confusément senti, de plus, que la bourgeoisie allait séparer son drapeau du leur, parce qu’elle cessait d’avoir besoin d’eux pour lutter contre les classes privilégiées. »[5]

Le 5 juin 1832, à Paris, lors des funérailles du général Lamarque, les membres de corporations ouvrières ont défilé avec leurs bannières et le lendemain ce sont avant tout les ouvriers qui tiennent les barricades. Ouvriers et républicains se retrouvent unis dans l'opposition aux répressions du gouvernement contre les associations. Républicains et socialistes se rencontrent fréquemment à la prison de Sainte-Pélagie.

En 1834, quand éclate à Lyon deuxième révolte des canuts, l’influence des républicains est cette fois incontestable. Dans le même temps à Paris les ouvriers dressent des barricades dans le quartier du Marais, dans les rues Beau-bourg, Aubry-le-Boucher et Transnonain. Socialistes et républicains sont côte à côte dans le procès dit d’avril que le gouvernement intente aux insurgés de 1834. Les lois répressives de septembre 1835 vont obliger les républicains à la clandestinité : les ouvriers entreront dans les sociétés secrètes : Société des Familles, Société des Saisons, etc.

Réunion de la Société des droits de l'homme en 1834

Les ouvriers parisiens deviennent une force notable, à l'extrême gauche du mouvement républicain. Des hommes nouveaux surgissent, à la fois républicains et militants ouvriers, comme les tailleurs Grignon et Troncin organisateurs de la grève des tailleurs de 1833, comme Efrahem, l’ouvrier cordonnier. Une élite formée surtout d’artisans ou d’ouvriers artisanaux se tourne vers les républicains. De leur côté, des républicains vont aux ouvriers. La Société des Amis du Peuple comprend des sections formées par des tailleurs et des ouvriers du bâtiment. Lors des procès qui leur sont intentés, les républicains tiennent un langage nouveau. Ulysse Trélat évoque la lutte des classes. Dupont de Bussac conclut une plaidoirie en annonçant que « le 19e siècle a une haute mission à remplir, c’est l’affranchissement moral et politique des prolétaires ». « La France, déclare Raspail, ne cesse jamais d’être partagée en deux grandes catégories dont l’une a le monopole des jouissances, et l’autre celui de la douleur. »

Les ouvriers dominent plus nettement encore dans la Société des Droits de l’Homme fondée en 1833. Celle-ci est pénétrée de tendances « égalisatrices » (dans les mots de l’époque), réclamant une république sociale. Dans une brochure publiée en 1833 et intitulée De l’Egalité, on peut lire : « Il importe que toute bonne institution repose sur cette maxime fondamentale : tous les hommes sont égaux. » « Chaque propriétaire n’est... à proprement parler que le dépositaire d’une partie de la fortune nationale, confiée à son administration. » Le programme est modéré : impôt progressif, lois somptuaires, abolition des contributions pesant uniquement sur les pauvres, participation de tous à la vie politique. Mais les intentions sont claires. D’autres vont plus loin comme Jean-Jacques Vignerte qui affirme que « c’est dans cette belle classe des prolétaires que résident les espérances de la patrie et l’avenir de l’humanité ». La Société des Droits de l’Homme constitue une commission de propagande qui travaille en direction des ouvriers. Elle compte dans ses rangs des tailleurs comme Prospert, Grignon et Troncin, des cordonniers comme Efrahem et Péchoutre, des typographes comme Lemonnier, Pasquier-Labruyère, des ébénistes comme Royer, des gantiers comme Pérard, des serruriers comme Allard, etc.

2.7 Socialisme et communisme des années 1840[modifier | modifier le wikicode]

Les idées socialistes se diffusent dans les années 1840. Elles inspirent la littérature, à la fois de bourgeois et d'ouvriers poètes ou chansonniers. Les sources sont très diverses : utopisme, jacobinisme, babouvisme, christianisme... La plupart des socialistes restent encore des intellectuels, issus le plus souvent de la petite bourgeoisie modeste. Un certain nombre sont des médecins, qui ont alors l'occasion de voir de près les ravages de la misère.

Les journaux rédigés par les ouvriers se multiplient, comme L'Atelier, qui défend le socialisme chrétien de Philippe Buchez. Il y a surtout à partir de 1840 toute une littérature de « Pétitions », de « Réfutations », d’« Avertissements », de « Lettres » de « Réponses » qui exprime à travers des polémiques parfois violentes l’intérêt que prend une élite ouvrière aux problèmes du socialisme et du communisme. C’est par cette micro presse que les grandes théories deviennent accessibles à un public plus large.

Ce sont de loin les visions réformistes qui l'emportent. Le droit au travail est la revendication première, face au chômage. Elle bouscule les principes non interventionnistes des gouvernants et des théoriciens libéraux. L’idée d’association est également une exigence dominante car les artisans croient pouvoir, grâce à elle, échapper à la concentration qui menace. L’existence des classes sociales et l’exploitation de l’une par l’autre sont des données généralement admises comme aussi la malfaisance de la concurrence.

Dans les années 1830, certains se désignent comme "communistes", le premier étant sans doute Etienne Cabet[6]. Les écrits de Babeuf sont redécouverts dans les années 1830, et inspirent tout un courant communiste « néo-babouviste » autour de Théodore Dézamy, Albert Laponneraye, Richard Lahautière, Jean-Jacques Pillot. Au début des années 1840, des "banquets communistes" (très ouvriers) se tiennent à Paris. Heine qui vit à Paris depuis 1831 écrit le 15 juin 1843 : « les communistes sont le seul parti en France qui mérite l’attention. »

2.8 Révolution de 1848[modifier | modifier le wikicode]

Lamartine rejetant le drapeau rouge, un symbole de la révolution de 1848

En février 1848, les ouvriers parisiens et lyonnais sont une des forces motrices de la révolution qui débouche sur la IIe République. Mais en juin, ils sont à nouveau dans la rue pour réclamer une République sociale, après une profonde déception vis-à-vis de la bourgeoisie qui a pris la tête de l'État. Ils sont alors réprimés dans le sang, ce qui sera un événement marquant le début de la séparation entre gauche républicaine et gauche socialiste, entre bourgeoisie « progressiste » et mouvement ouvrier.

Cette rupture aura par ailleurs des conséquences en retour sur l'ensemble du mouvement progressiste, car la perte d'une part importante de la base populaire de la République va précipiter sa chute, lors du coup d'État de Napoléon III en 1851.

2.9 Sous le Second Empire[modifier | modifier le wikicode]

Sous le Second Empire (1852-1870), les contestations sont beaucoup plus difficiles, puis le régime s'assoupli à partir de 1860. Il permet à une délégation ouvrière de se rendre en 1862 à l'Exposition universelle de Londres, ce qui leur permet de constater les plus grands acquis obtenus par les ouvriers anglais. Henri Tolain, qui a été à Londres, participe aux élections de 1863-1864 et y fait apparaître pour la première fois une opposition ouvrière indépendante de la gauche républicaine (Manifeste des 60).

Les grèves sont autorisées en 1864. Napoléon III tente de jouer la carte de la « compassion sociale », en espérant ainsi dépolitiser les revendications ouvrières. Mais cela ne fonctionne pas, le socialisme se renforce lentement mais sûrement. La même année est fondée l'Association internationale des travailleurs, notamment coordonnée par Marx depuis Londres, même si la section française est surtout influencée par les idées de Proudhon.

Puis, avec Varlin et Malon, le mouvement français évolue d'un « proudhonisme étroit » (apolitique, hostile aux grèves, au travail des femmes...) vers un « proudhonisme large ». Dans les années 1869-1870, la France connaît un nombre important de grèves, comme celle des ovalistes lyonnaises en 1869.

2.10 Commune de Paris[modifier | modifier le wikicode]

Une barricade pendant la Commune

Dans la situation chaotique créée par la guerre franco-prussienne et l'instauration de la IIIe République (1870), surgit la première grande révolution ouvrière manquée, celle de la Commune de Paris (1871), et ailleurs en France. Si la sociologie du petit peuple parisien est encore très marquée par l'artisanat, et l'idéologie très hétéroclite (jacobinisme, proudhonisme, blanquisme...), la dynamique du mouvement lui-même fournit un modèle encourageant pour tous les socialistes ultérieurs. Pendant deux mois, la population parisienne sous hégémonie ouvrière auto-administre la capitale, et commence à prendre des mesures sociales. Alors même que l'influence du marxisme était négligeable sur les communard­·es (y compris sur les internationalistes), Marx considéra que la Commune était la « forme enfin trouvée » de la dictature du prolétariat, comme il l'écrivit au nom du Conseil général de l'Internationale. Pour lui cela révélait tout le potentiel du mouvement ouvrier, quand bien même ses leaders n'auraient pas une claire conception idéologique d'où ils allaient.

Mais après le sommet d'espérance de la Commune, le mouvement ouvrier découvre l'abîme de la contre-révolution. La répression de la Commune est alors la plus sanglante qu'ait connu le monde ouvrier. Les années 1870 sont marquées par un profond reflux des luttes, une démoralisation et un profond impact sur les organisations (l'Internationale scissionne entre bakouninistes et marxistes et est réduite à l'insignifiance).

3 L'essor ouvrier de la fin du 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Grèves, syndicalisme, manifestations[modifier | modifier le wikicode]

Mines d'Anzin, lieu de la grande grève de 1884

La décennie 1880 est celle d'un retour de la combativité ouvrière. L'industrialisation a beaucoup progressé en France et de grandes concentrations ouvrières a ont commencé à apparaître. Les guesdistes sont à l’œuvre dans ce renouveau. Ils forment notamment un syndicat dans les mines d'Anzin, dirigé par Basly, qui mènera la grande grève de 1884, celle qui débouchera sur la légalisation des syndicats et inspirera Germinal à Zola.

Cet épisode illustre déjà la problématique du réformisme et de la dialectique des conquêtes partielles qui accompagne toute l'histoire du mouvement ouvrier. Car Basly, après avoir été chassé des mines, sera élu un an plus tard député de Paris sur une liste de concentration républicaine, avant de devenir un opportuniste, un des premiers « lieutenants ouvriers de la bourgeoisie » en France.

Une autre grève explosive est celle de Decazeville (1886). Revendiquant au départ des salaires décents, la grève dure 6 mois et débouche sur un violent affrontement pendant lequel le directeur de l'usine est tué. Les ouvriers jugés coupables seront condamnés à des peines de prison et de travaux forcés.

La Fédération nationale des syndicats et groupes corporatifs est créée en 1886. En parallèle se développent des Bourses du travail, lieux où les ouvriers s'entraident et s'auto-organisent. Le tournant vers les grèves de masse est pris au moment du Congrès corporatif de la Toussaint 1888, à Bordeaux-le-Bouscat, qui - cherchant les voies et les moyens de la grève générale et s’inspirant de l’exemple donné en 1886 par les travailleurs américains - appellent à un premier mouvement d’ensemble les 10 et 24 février 1889. A l’appui de cette perspective, la résolution adoptée rappelle :

« Nous avons d’ailleurs pour exemple les grands mouvements ouvriers d’Angleterre et d’Amérique, où des centaines de mille de travailleurs, au même jour, à la même heure, accomplissent simultanément et exactement tel acte précédemment convenu et décidé dans les congrès »

Le but est clair, net et précis : obtention de la journée de 8 heures et du salaire minimum. A ce moment-là, les guesdistes sont partie prenante de la mobilisation qui conduit au succès de ces deux journées revendicatives à caractère national et interprofessionnel.

Dans la foulée, 20 000 canuts lyonnais manifestent à la Préfecture, le 9 mars 1889.

En 1890 a lieu la première manifestation internationale du 1er mai, à l’honneur des martyrs de Chicago de 1886, et sur proposition du congrès socialiste international de Paris (20 juillet 1889).

Le 16 avril 1890, dans une lettre à Laura Lafargue, Engels écrit : «  La résolution sur le 1er mai est la meilleure qu’ait formulée notre congrès. Elle prouve notre puissance dans le monde entier, elle ressuscite bien mieux l’Internationale que toutes les tentatives formelles de reconstitution ».[7] Cependant, Engels se défie des références à la grève générale. Critiquant un discours de Paul Lafargue, Engels raille « les rêveries de la grève générale » en expliquant : « Quand nous serons en mesure de tenter la grève générale, c’est qu’alors nous pourrons obtenir ce que nous voulons rien qu’en le demandant, sans le biais de la grève générale »[8] 

Le 1er mai 1890 est un succès. Parmi les événements qui rythment cette journée de combat ouvrier, une grève éclate dans le textile à Vienne en faveur de la journée de 8 heures : les provocations policières entraînent des affrontements et la prise de la fabrique par les ouvriers. La répression sera implacable : condamnations, peine de prisons… Soulignons également la célébration éclatante de ce 1er mai à Roubaix, en terre guesdiste, où les ouvriers refusent de reprendre le travail tant qu’ils n’auront pas obtenu gain de cause sur leurs revendications corporatives. Le mouvement prend un tour violent, l’état de siège est décrété et des militants guesdistes sont arrêtés.

La fusillade de Fourmies, un des drames qui ont marqué l'histoire du mouvement ouvrier

Le 1er mai 1891, la violence contre les grévistes atteint son paroxysme : à Clichy se livre une bataille au cours de laquelle les ouvriers sont brutalisés et condamnés. Et, c’est le massacre de Fourmies, où les soldats convoqués par le patronat tirent sur la population, tuant des mineurs (et leur famille) rassemblés pour une journée de grève festive. En revanche, à Lyon, ce même jour, 60 000 ouvriers et ouvrières forcent un barrage de cuirassiers.

Cette même année, une grève de 44 000 mineurs du Pas-de-Calais est déclenchée en dépit des manœuvres du député socialiste réformiste Basly.

En 1892, c'est à Carmaux (Tarn) qu'une grande grève de mineurs éclate, suivie en 1895 d'une grève de la verrerie.

En avril 1893, Amiens est touchée par une vague de grèves édifiantes. Paul Lafargue se rend sur les lieux et livre son témoignage à Engels dans une longue lettre, en situant l’origine du mouvement dans le mouvement gréviste engagé par les ouvrières tisseuses, soutenues par les teinturiers :

«  Là est l’origine de cette grève qui est devenue générale : toutes les corporations ont été entraînées par l’exemple ; et, si l’on avait eu des hommes sous la main, on aurait pu soulever toutes les petites villes industrielles des alentours d’Amiens. Une seule conférence faite par moi à Corbie située à 18 km d’Amiens a déterminé les ouvriers des manufactures de chaussures à sortir des ateliers […] Tout marche à merveille ; les ouvrières ont obtenu ce qu’elles demandaient ; les teinturiers profitant de l’occasion ont imposé à leurs patrons un nouveau tarif ; d’autres corps de métiers, comme les déchargeurs du port ont également réussi ; mais les maçons, les menuisiers, les cordonniers au nombre de 4000, sont encore en grève. L’attitude des ouvriers a été tellement calme et leurs revendications si justes qu’ils ont  fini par gagner l’opinion publique. Les dons en argent et en nature arrivent au comité de la grève. Depuis le commencement, on s’était placé en dehors de la légalité stricte en faisant des manifestations et des processions dans les rues de la ville ; et en tenant des meetings en plein air sur les glacis des fortifications : j’ai cru le moment propice de violer la loi en envoyant une trentaine de femmes grévistes quêter dans la ville »[9]

En 1895 est fondée la Confédération générale du travail (CGT), par regroupement de la FNS et des Bourses du travail. Elle est alors dominée par le courant syndicaliste révolutionnaire. Celui-ci est alors très méfiant vis-à-vis des socialistes, d'autant plus que ceux-ci sont divisés et qu'une bonne partie soutient les tentatives d'aller vers de l'arbitrage obligatoire par l'État (bourgeois) des conflits sur les lieux de travail.[10]

Sur l’ensemble de la période 1870/1910, nous avons :

  • Entre 1870 et 1880 : 30 000 grévistes et 500 000 journées chômées
  • Entre 1890 et 1895 : 92 000 grévistes et 1 500 000 journées chômées
  • 1900 : 4 000 000 journées chômées
  • 1906 : 9 500 000 journées chômées
  • 1910 : 4 800 000 journées chômées

Et : «  Selon la statistique établie par l’Office du travail, en 1900, il y a eu en dix ans, de 1890 à 1899, 4 194 grèves tenues par 922 080 ouvriers. D’après le nombre des grèves, il y a eu 24,401% de réussites complètes, 31% de réussites partielles, 38,63% d’échecs. Au total les grèves furent défavorables à un tiers des ouvriers seulement. Evaluant les profits et pertes concernant 508 grèves de salaires, M. Ch. Gide calcule que ces grèves furent du placement à 235%, et il ajoute :

«  A ce gain-là pour la classe ouvrière, il faudrait ajouter tout celui, impossible à calculer, qui se fait par ricochet, car toute hausse de salaire obtenue dans une industrie tend à se généraliser dans toutes les autres par la loi physique des vases communicants »

Parmi les autres résultats des grèves, il faut signaler, outre les augmentations de salaire et la réduction de la journée, la pratique du contrat collectif qui répond aux objectifs fondamentaux de l’action syndicale : empêcher la concurrence entre ouvriers. Les différentes grèves des mineurs du Nord aboutissent aux célèbres  conventions d’Arras (1891-1898-1899-1900) fixant les salaires de base ; dans les cuirs et peaux, en 1892, un accord s’établit entre les ouvriers et les mégissiers d’Annonay sur les questions de salaire et de durée de la journée de travail ; les travailleurs des ports et docks en 1902-1903 ; les travailleurs de la terre du Midi en 1903-1904 signent également des contrats »[11]

Les conditions de la lutte ne sont cependant toujours pas simples. Malgré la légalisation de 1884, les gouvernements n'hésitent pas à s'appuyer sur le délit dit « d’atteinte à la liberté du travail » (articles 414 et 415 du Code pénal) pour faire réprimer des grèves trop menaçantes par l’armée et emprisonner des syndicalistes et des grévistes.

En parallèle, d'autres approches sont tentées pour calmer les ouvrier·ères. Comme par exemple la constitution de syndicats chrétiens plaidant pour la collaboration des classes, dans une idéologie corporatiste, voire directement des syndicats maison. Par exemple en 1899 la compagnie Schneider inflige un revers décisif à la CGT dans les mines du Creusot, réussissant à liquider le syndicat et à licencier 2000 ouvriers syndiqués.[12] Ce danger pouvait venir aussi de faux amis socialistes. Mais en France, les syndicats jaunes n'ont jamais atteint une position forte.

3.2 Partis et élections[modifier | modifier le wikicode]

Aussitôt après la réaction qui suit la répression de la Commune, les monarchistes sont majoritaires dans les élections. Les républicains deviennent majoritaires à partir de 1876, mais sont dominés par des modérés opportunistes. La minorité de « républicains radicaux » forme alors le groupe de l'Extrême gauche à l'Assemblée. Même s'ils sont dirigés par un « socialiste » (Louis Blanc), ce sont avant tout des républicains petit-bourgeois, qui se démarquent surtout sur les principes démocratiques et sur un anticléricalisme virulent.

Peu à peu, les socialistes s'organisent davantage. Beaucoup sont encore des « républicains-socialistes » fondus dans le mouvement républicain (et les fréquentant dans de nombreux cercles, comme la franc-maçonnerie). Mais certains s'organisent séparément des républicains :

Le mouvement socialiste est extrêmement divisé avant la création de la SFIO en 1905.

Ces organisations restent petites, mais le nombre de socialistes élus députés augmente. En 1886, une partie d'entre eux prennent l'initiative de s'organiser séparément à l'Assemblée dans le groupe ouvrier socialiste, qui se retrouve à gauche du groupe de l'Extrême gauche.

Puisqu'il fallait composer avec les syndicats combatifs et leurs alliés socialistes, la bourgeoisie (en premier lieu son aile républicaine) s'est mise à amadouer voire corrompre leurs leaders. En 1899 le premier socialiste à entrer dans un gouvernement (bourgeois), Millerand, était un carriériste sans conviction (il fut désavoué par la plupart des autres socialistes). Millerand dépose en 1900 un projet de loi d'inspiration corporatiste visant à instaurer un arbitrage obligatoire des conflits du travail.

4 Début du 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

4.1 « Belle Époque »[modifier | modifier le wikicode]

De 1902 à 1906, après une accalmie observée au cours de la période 1895-1900, la tendance à la grève s’accentue dans le pays.

La grève de Montceau-les-Mines en 1901, grève longue, a inauguré ce nouveau cycle. Les grévistes se battent contre la troupe, condamnations et emprisonnements pleuvent. Les dirigeants réformistes tentent d’étouffer la proposition de grève générale par une consultation-référendum. Or, le référendum se prononce pour la grève générale des Mines. De concert, dirigeants réformistes et gouvernement font miroiter des promesses qui permettent d’ajourner la grève générale. Promesses non tenues. 1800 mineurs sont révoqués. Mais, en 1902, le congrès national des mineurs appelle à la grève générale contre la réduction des primes sur salaire. En réaction, le gouvernement procède à l’occupation  militaire des Mines du nord. Ce faisant, Jaurès et Basly, de concert, pressent le gouvernement de procéder à l’arbitrage. Sur les conseils de leurs dirigeants, les mineurs acceptent l’arbitrage qui, comme on pouvait s’y attendre, est un nœud coulant. La grève est défaite.

C’est à la suite de cette trahison que, un an plus tard, Benoît Broutchoux, anarchiste valeureux, impulse le « jeune syndicat » (dans lequel participeront les guesdistes) face au « vieux syndicat réformiste » des « baslycots » dans les Mines.

Courrières 1906 LeJ.jpg

En 1904, c’est la grève générale du textile rouannais soutenue par 5000 grévistes. Le Maire et l’adjoint au Maire, ceints de leur écharpe tricolore s’opposent à l’entrée de la troupe dans la ville. Les grévistes obtiendront satisfaction partielle de leurs exigences.

En 1906 a lieu la catastrophe de Courrières : une explosion dans une mine fait plus de 1000 morts. Dans les jours qui suivent, un mouvement de grève et de révoltes spontanées submerge les cadres syndicaux réformistes. Le Jeune syndicat propose au syndicat réformiste l’unité par un comité de grève. Les réformistes jetant l’exclusive sur Broutchoux, se défaussent. Après avoir louvoyé, Clémenceau, ministre de l’Intérieur, fait donner la troupe qui envahit le bassin minier tandis que Broutchoux et Monatte sont arrêtés puis accusés d’avoir été financés par d’obscurs bonapartistes pour fomenter un complot antirépublicain. Une fois encore, la grève est conduite à l’échec par Basly et ses affidés, même si elle aboutit à la réinstauration du repos du dimanche.

Le 30 avril, Victor Griffuelhes est à son tour arrêté. Mais, l’action du 1er mai pour l’obtention des 8 heures (au cours de la grève des mineurs, le mot d’ordre lancé par Broutchoux était « huit heures, huit francs ») n’est pas enrayée pour autant.

«  A Paris et dans certaines villes, des manifestations imposantes ont lieu, relate Dolléans. De nombreux travailleurs y participent. Nombreuses sont aussi les grèves qui éclatent le 2 mai. La grève de la Fédération du Livre avait commencé le 18 avril ; puis, à partir du 25 avril et du 2 mai, une vingtaine de corporations et 150 000 ouvriers suivent le mouvement. En outre, dans la Métallurgie, pour le département de la Seine, 50 000 ouvriers font grève. »[13]            

Une grande révolte des vignerons du Languedoc a lieu en 1907. La Sud de la France est dans un état quasi-insurrectionnel.

En 1908, une grande grève a lieu dans les carrières de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges. Plusieurs grévistes sont tués, et la CGT est durement réprimée, y compris son secrétaire général qui est arrêté. Cela marquera un tournant, le courant réformiste prenant l'ascendant sur le courant syndicaliste révolutionnaire.

En 1909, les grèves aux PTT sont les premières grèves de fonctionnaires de l'État.

En 1910, ce sont les cheminots qui sont en grève générale.

4.2 L'Union sacrée contre la lutte des classes[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la guerre mondiale éclate en 1914, le mouvement ouvrier subit un coup terrible. Alors que la CGT aussi bien que la SFIO affichaient une idéologie internationaliste et anti-guerre, la déclaration de guerre à l'Allemagne soulève une vague de nationalisme, contre laquelle les dirigeants socialistes et syndicalistes ne luttent pas. Bien au contraire, ils se joignent à l'effort de guerre et le cautionnent, certains socialistes entrant même au gouvernement. Lors du Conseil national de la CGT, tenu du 26 novembre au 5 décembre 1914, seule une minorité se prononce contre la guerre. La guerre fait chuter les effectifs à 50 000 adhérents.

La fin de la guerre s'accompagne d'une vague de luttes, notamment en 1919 dans la métallurgie parisienne, puis en 1920 chez les cheminots, les mineurs, le textile....

4.3 Le Front populaire et la marche à la guerre[modifier | modifier le wikicode]

En juin 1936 on occupe massivement les usines

Dans les années 1920, le mouvement ouvrier et syndical s'affaiblit. La division entre socialistes et communistes a entraîné une division entre CGT et CGTU en 1921, et la répression a frappé assez durement. Le syndicalisme est désormais plus faible, et le syndicalisme révolutionnaire a perdu l'essentiel de sa vigueur, au profit de deux sphères d'influence (SFIO et SFIC).

En 1936, les dirigeants socialistes et communistes entament un processus de rapprochement, qui about à la réunification syndicale et à la victoire électorale du Front populaire. L'espoir suscité par ce retour de la gauche au pouvoir déclenche une grève générale en mai-juin 1936, avec une occupation des usines généralisée. Ce mouvement fait paniquer la bourgeoisie et les directions réformistes, qui doivent lâcher des concessions importantes aux travailleur·ses (qui n'étaient absolument pas dans le programme du Front populaire), comme les congés payés, et des hausses de salaires de 20 % en moyenne (vite compensées par la hausse des prix) pour leur faire reprendre le travail et abandonner toute idée d'aller plus loin vers le socialisme.

5 La Libération et l'Après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Libération et reconstruction du capitalisme français[modifier | modifier le wikicode]

Le mouvement ouvrier participe aussi à la résistance contre les nazis. La grève des mineurs de 1941 est connue comme l'un des premiers actes de résistance collective à l'occupation. Les grèves sont importantes en 1944 également.

A la Libération, le mouvement ouvrier est fortement canalisé par l'accord au sommet entre gaullistes et communistes (alors hégémoniques dans la classe ouvrière) pour reconstruire l'État. « Produire d'abord, revendiquer ensuite », tel est le slogan des dirigeants du PCF, depuis le gouvernement jusque dans leurs relais syndicaux.

Il y a néanmoins rapidement un retour de la lutte des classes, car la situation est dure pour la classe ouvrière. En 1947 de nombreuses grèves, notamment chez Renault, poussent les ministres PCF à quitter le gouvernement. Ils passent ainsi formellement dans l'opposition (même s'ils resteront profondément légalistes et non révolutionnaires), et le contexte est celui du début de la guerre froide. Les mouvements conduits par la CGT se multiplient après mai chez Citroën, à la SNCF, dans les banques, dans les grands magasins, à EDF, puis chez Peugeot, Berliet, Michelin, etc. Le principal motif des grèves est la revendication de hausse des salaires. Il y eut également la grande grève des mineurs de 1948.

5.2 Après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

En 1953 eurent lieu de grandes grèves contre un plan d'austérité (abandonné).

Certaines grèves seront déclenchées par les transformations de l'appareil productif, qui menace certains secteurs ouvriers. Ainsi dès 1960, le plan Jeanneney organise une réduction progressive de l'industrie charbonnière. Cela déclenchera notamment la grève des mineurs de 1963.

Puis ce fut le tour de la sidérurgie d'entrer en déclin, en particulier en Lorraine. Une grève générale de plus de 3 semaines a lieu dans la sidérurgie lorraine en 1967. Puis un vaste mouvement de révolte ouvrière a lieu en 1978-1979, avec de nombreuses actions. Mais inexorablement les usines ferment et les licenciements pleuvent.

La grande grève générale de mai-juin 1968 fut l'un des épisodes les plus marquants de la lutte des classes, en France et dans le monde. Déclenchée spontanément, d'abord grâce à un mouvement étudiant, elle toucha un très grand nombre de secteurs, et frôla les 9 millions de grévistes, dépassant le record de 6 millions de grévistes en 1936. Mais comme en 1936, l'immense espoir et potentiel révolutionnaire de ce moment de lutte fut canalisé par les réformistes, qui encouragèrent les travailleur·ses à se contenter de concessions : notamment une hausse de 35 % du SMIG et de 10 % des salaires en moyenne.

En 1973 eut lieu un mouvement de grève à l'usine de montres Lip de Besançon. Elle était dirigée par une génération de militants plus jeunes, dont beaucoup étaient à la CFDT (qui était alors plus combattive que la CGT) et mettaient en avant l'autogestion.

Parmi les autres mouvements importants des années 1970 on peut citer :

  • Octobre 1973 : grève générale dans la région de Laval (Mayenne).
  • Mars 1974 : grève lycéenne contre le projet de loi Fontanet.
  • Octobre-novembre 1974 : Grève générale à la Poste et aux Télécommunications.
  • Printemps 1976 : grève étudiante contre la réforme du second cycle.
  • Automne 1978 : grève des lycées professionnels.
  • Mars 1980 : grève des instituteurs parisiens.
  • Mai 1980 : grève étudiante contre le décret Imbert.
  • du 5 mai 1980 au 10 juin 1981 : grève des mineurs du bassin houiller d'Alès avec occupation de la mine Ladrecht-Destival soit durant 13 mois (la plus longue grève d'Europe).

6 L'espoir douché sous Mitterrand[modifier | modifier le wikicode]

Au moment de l'arrivée à la présidence de Mitterrand en 1981, un certain nombre de réformes sociales promises sont octroyées, notamment une hausse du SMIC, des allocations familiales, la retraite à 60 ans. Mitterrand avait promis la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine, le gouvernement annonça 39 h, sans garantir le maintien intégral du salaire, à négocier avec le patronat. Et à cette occasion, le gouvernement ouvrait une possibilité que la droite n'avait jamais osé évoquer, celle de mettre en place la flexibilité des horaires et l'annualisation, en remettant en cause le principe du calcul du temps de travail sur la semaine.

Ce sont les travailleurs qui, en s'invitant directement dans le débat, allaient priver le patronat du bénéfice de ce gros cadeau du gouvernement de gauche. En effet, en réaction aux appétits des patrons lors des négociations qui s'ouvraient en février 1982 pour la mise en place de ces mesures, des grèves, parfois très dures, éclatèrent dans le pays. De la métallurgie à l'automobile jusqu'aux employés de supermarché, bien des secteurs connurent des réactions de protestation souvent spontanées, qui mettaient parfois des milliers de travailleurs en mouvement. Cela inquiéta le patronat et le gouvernement. Mitterrand annonça que le passage aux 39 heures serait partout indemnisé à cent pour cent. Quant au patronat, il préféra repousser la mise en place de la flexibilité à plus tard.

En 1982, le gouvernement compléta la nationalisation des banques et du crédit, qu'avait opérée De Gaulle après la Deuxième Guerre mondiale, soit 29 banques et 2 sociétés financières Paribas et Suez. À cela s'ajouta la nationalisation de 5 grands groupes industriels : Saint-Gobain, Péchiney-Ugine-Kuhlmann, Thomson, CGE et Rhône-Poulenc. 700 000 salarié·e·s passèrent du secteur privé au secteur public. Environ un quart de la valeur ajoutée (et près de la moitié du capital productif) des entreprises était sous le contrôle de l’État.[14] Pendant des mois, des années, les militants des syndicats, du PCF et du PS, avaient affirmé que les nationalisations permettraient de garantir les emplois et même de développer les entreprises. Dans les faits, des milliers de travailleurs furent licenciés, pendant que les fermetures d'usines transformaient en désert industriel des régions entières. Et c'était le gouvernement Mauroy, avec ses ministres communistes, qui se chargeait de ce que lui-même appellera « le sale boulot ».

Le gouvernement, après avoir montré de quoi il était capable dans les entreprises sous son contrôle, cautionna explicitement les plans de licenciements dans le privé. En 1983, il soutient le patronat de Renault, puis de Peugeot, lequel imposa 1 900 licenciements à son usine de Talbot-Poissy, fin 1983. Quand les ouvriers se mirent en grève et occupèrent l'usine, le gouvernement envoya les CRS pour les déloger. La grève Talbot resta isolée, mais fut suivie et commentée dans le pays par les travailleurs. Le ministre communiste Jack Ralite, passé de ministre de la Santé au poste annexe de l'Emploi, après avoir déclaré qu'il n'accepterait aucun licenciement, qualifia d'« acquis intéressant » l'accord qui entérinait ces licenciements.

Puis ce fut le plan acier annoncé en mars 1984 : 21 000 emplois supplémentaires supprimés après les dernières saignées de 1978-1979 qui venaient à peine de s'achever. La colère, le désespoir se mêlaient au sentiment de trahison. Mitterrand lui-même avait promis aux sidérurgistes qu'il ne permettrait plus aucune suppression d'emploi dans la sidérurgie.

La sidérurgie en Lorraine, qui connaît une crise majeure, est complètement abandonnée par le PS et le PCF malgré les promesses de Mitterrand

En avril 1984, 150 000 travailleurs manifestaient en Lorraine, des affrontements très violents se produisaient avec la police, des portraits de Mitterrand étaient brûlés, la permanence du PS mise à sac à Longwy.

Les syndicats encadrèrent fermement une grande marche de la sidérurgie sur Paris, le 13 avril, mais sous forme d'enterrement. Comme depuis 1981, encore une fois, les dirigeants syndicaux, qui se voulaient les défenseurs de leurs amis au gouvernement, firent tout pour que cette colère ne converge pas dans un mouvement puissant du style de celui de 1979.

Marchais pris part à la manifestation de Paris en critiquant le plan acier, pendant que ses camardes ministres manifestaient leur solidarité gouvernementale. Jean-Claude Gayssot, le numéro deux du parti, rendit visite aux travailleurs en Lorraine, les assurant que tout serait mis en œuvre pour s'opposer au plan acier, le jour même où les députés du PCF votaient la confiance au gouvernement sur sa politique industrielle. L'Humanité titra : « Nous sommes au gouvernement et avec les travailleurs »...

7 Depuis les années 1980, des luttes de plus en plus défensives[modifier | modifier le wikicode]

  • Décembre 1986 - janvier 1987 : grève des cheminots.
  • 1988 : après le mouvement chez les gardiens de prison, ce sont les mouvements chez les infirmières 29 septembre - 24 octobre et à La Poste qui retiennent l'attention. Apparition de coordinations de grève, réunissant syndiqués et non-syndiqués, combattues par la CFDT.
  • 1990 : Manifestation lycéenne contre la réforme de Lionel Jospin.
  • 1993 : grève des pilotes à Air France.
  • Mars 1994 : Après la manifestation contre la révision de la Loi Falloux du 16 janvier, grève étudiante et lycéenne contre le CIP (Contrat d'Insertion Professionnelle).
  • Été 1996 : grève de la faim des « sans-papiers » de l'église Saint-Bernard.

7.1 La « gauche plurielle » et ses attaques[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Gauche plurielle.

Le gouvernement Jospin, qui comprend des ministères PS, PC et Verts, est connu pour avoir privatisé plus que les gouvernements de droite précédents réunis. C'est par exemple le ministre PCF Gayssot qui fait éclater la SNCF par la création de RFF, pour préparer l’ouverture à la concurrence et la privatisation.

Dès l’élaboration de leur premier budget, à l’automne 1997, les députés de gauche appliquent le plan Juppé contre la Sécurité sociale (le PCF s’abstenant), alors que tous leurs partis s’y étaient opposés en décembre 1995, sous la pression de la lutte de classe.

Une des mesures que le PS a fait passer pour une mesure phare et « de gauche » est la loi Aubry sur les 35 heures. En apparence elle s'inscrit dans la ligne de la revendication ouvrière de réduction du temps de travail. En réalité, tout en réduisant le temps de travail annuel, cette réforme a introduit de l’autre une série de dispositions à l’avantage des patrons : nouvelles exonérations de cotisations sociales (donc baisse du salaire socialisé), annualisation donc flexibilité des horaires, blocage des salaires possibilités de déroger aux conventions collectives... Sans surprise, des grèves éclatent dans les entreprises au moment où les lois Aubry s’appliquent concrètement.

Le PS ajoute un nouveau type de contrat précaire avec la création des « emplois-jeunes ».

  • Fin 1997 - début 1998 : mouvement d'occupation des Assedic par les chômeurs.
  • Novembre 1998 : grève de la faim des étudiants « sans-papiers » de l'université de Nanterre.

7.2 21e siècle[modifier | modifier le wikicode]

  • En février 2000, les fonctionnaires du ministère des finances se lancent dans une puissante mobilisation qui contraint le ministre PS , Christian Sautter, à abandonner une contre-réforme et à démissionner.
  • En mars 2000, un puissant mouvement des enseignants pousse le ministre Claude Allègre, qui disait vouloir « dégraisser le mammouth » de l'Education nationale, à démissionner.
  • En novembre 2000, le travail des enfants est ré-autorisé à partir de 13 ans.
  • 2000 : grève chez Cellatex à Givet (Ardennes) du 5 au 21 juillet ; à la suite de la liquidation de leur société, les salariés menacent de déverser de l'acide dans une rivière pour attirer l'attention sur leur sort.
  • Novembre 2002 : grève des routiers pour la réduction du temps de travail, grève étudiante contre l'autonomie financière des universités.
  • Au sommet européen de Barcelone, Jospin signe avec Chirac l’engagement d’élever l’âge de la retraite pour les fonctionnaires et pour tous les salariés, ouvrant la voie à ce qui deviendra la contre-réforme contre laquelle des millions de travailleurs se sont mobilisés au printemps 2003 (plan Fillon)…
  • Été 2003 : grève des intermittents du spectacle contre la réforme du système d'indemnisation-chômage.
  • Janvier-avril 2005 : mouvement lycéen contre la loi Fillon.
  • En février-mars 2006, les lycéens et les étudiants déclenchent une mouvement de protestation contre le Contrat première embauche (CPE), suivi de quelques journées ponctuelles de grèves et de manifestations,
  • Grèves contre la réforme française des retraites de 2010.
  • Printemps 2016 : mouvement contre la loi El Khomri dite Loi Travail, en opposition à la réforme du code du travail porté par le gouvernement Valls. En parallèle, se constitue le mouvement social Nuit Debout qui occupe les places publiques par des débats citoyens.
  • Automne 2017: mouvement contre la Loi Travail 2,
  • Printemps 2018 : mouvement de grèves des cheminots de la SNCF contre la réforme ferroviaire ouvrant à la concurrence le rail en France et la fin des embauches au statut de cheminot.
  • Depuis le 17 novembre 2018 : mouvement des Gilets jaunes qui vise à un blocage du pays contre la hausse du carburant, la politique du gouvernement en général
  • Décembre 2018 : grève des lycéens contre la réforme Blanquer et, Parcoursup.
  • En décembre 2019 - janvier 2020 : mouvement social contre la réforme des retraites en France de 2019.

8 Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]

9 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Antoine Destutt de Tracy, Traité d’économie politique, 1823
  2. Jean-Baptiste Say, Cours d’économie politique (1828-1829)
  3. Frédéric Bastiat, Les harmonies économiques, 1850
  4. Sismondi, Les nouveaux principes d’économie politique ou la richesse dans ses rapports avec la population, 1819
  5. Le Semeur, (journal ouvrier), 20 et 27 novembre 1833
  6. Étienne Cabet, Comment je suis communiste, 1840
  7. Marx/Engels et la Troisième république. Lettre d’Engels du 16 avril 1890.Page 245. Editions sociales-1983
  8. Cité dans : La grève générale en France. Robert Brécy. Page 34. EDI 1969
  9. Cité dans : La grève générale en France. Robert Brécy. Page 44. EDI 1969
  10. La Commune, La Charte d'Amiens : un acquis à défendre, 2 novembre 2010
  11. Histoire du mouvement syndical en France. René Garmy. Pages 182-186. Bibliothèque du mouvement ouvrier 1970.
  12. JP Le Crom, L'introuvable démocratie salariale Le droit de la représentation du personnel dans l'entreprise (1890-2002)
  13. Histoire du mouvement ouvrier ** 1871-1920. Edouard Dolléans. Page 135. Armand Colin. 1967
  14. Tendance Claire du NPA,