Grèves de 2003 en France
En mai-juin 2003, les grèves contre la réforme des retraites de Fillon ont subi un échec par trahison des directions syndicales.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Alignement des retraites du public et allongement pour tous[modifier | modifier le wikicode]
Encore dix ans auparavant, les salariés du privé comme du public pouvaient prendre leur retraite à taux plein dès 37,5 années de cotisation. En 1993, la réforme Balaldur avait attaqué séparément le privé, allongeant à 40 annuités, malheureusement sans combat. En 1995, le plan Juppé voulait aligner les fonctionnaires sur le recul imposé au privé, ce qui a été mis en échec par un massif mouvement de grève.
Raffarin (premier ministre) et Fillon (ministre des affaires sociales) annoncent l’alignement des fonctionnaires sur le régime du privé, utilisant démagogiquement l'écart qui s'est creusé (à cause d'un autre gouvernement capitaliste !) pour diviser les travailleurs. Et cela alors même que cette nouvelle réforme Fillon contenait également une mesure attaquant l'ensemble des salariés : la hausse progressive de la durée de cotisation, à 41 ans en 2012 et 42 en 2020, pour tout le monde.
1.2 Des appareils syndicaux conciliants[modifier | modifier le wikicode]
Les principales confédérations acceptent alors de jouer, bien plus qu’en 1995, le jeu du « dialogue social » et la recherche du « diagnostic partagé ». Même FO et la CGT, qui en 1995 s’étaient considérées comme attaquées en tant qu’appareils syndicaux, au niveau de la gestion de la sécurité sociale, tiennent cette fois à paraître beaucoup moins offensives, dans la continuité de leur longue évolution (« à la CFDT ») vers le « syndicalisme de proposition et de négociation ».
La CFDT admet la nécessité d’une réforme « pour sauver les retraites par répartition » mais demande la prise en compte de la « pénibilité » et des carrières longues. La CGT ne met plus en avant les 37,5 ans pour tous ni l’abrogation des mesures Balladur de 1993, et rappelle qu’elle « n’est pas hostile à toute réforme ». FO demande le retour de tous aux 37,5 ans, mais affiche sa volonté de se rallier de toute façon à un calendrier unitaire… dicté par les autres donc. Idem pour la FSU : jamais sans les autres ! Pour le 1er février, toutes les confédérations (CFDT comprise) appellent à manifester. Le texte commun s’aligne de fait sur le plus petit dénominateur commun… et donc sur les positions officielles de la CFDT, admettant la « nécessité d’une réforme », ne défendant pas de revendication claire, et surtout pas le retour de tous les salariés, public et privé, à 37,5 ans de cotisation.
Même vide sidéral sur un éventuel plan de mobilisation. Rien n’est prévu avant une journée le 3 avril, puis… le 13 mai. La CGT évoquant pour sa part une éventuelle journée nationale de manifestation le dimanche 25 mai ! Bref, les mobilisations sont programmées davantage pour faire marcher les militants et les fatiguer, que pour préparer une épreuve de force et faire capoter la réforme. Autrement dit, contrairement à 1995, les confédérations désorganisent plus qu’elles n’organisent la lutte, par des propos et un calendrier démobilisateurs.
Rien n’était fait pour que l’on ait le plus grand mouvement social en France depuis 1995, du 3 avril au 19 juin. Le gouvernement pouvait être tranquille. Sauf qu’il y a eu quelques (gros) grains de sable. Il y a un vrai décalage entre les directions syndicales et nombre d’équipes militantes de la base, qui se manifeste, dans les manifestations, par le grand nombre de banderoles réclamant le retour aux 37,5 ans pour tous. Ensuite surgit un mouvement très profond et militant au sein de l’éducation nationale !
2 Le mouvement[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Surprise : la grève de l’Education nationale[modifier | modifier le wikicode]
L’Education nationale comptait alors 358 000 enseignants du premier degré, 508 000 du second degré, 80 000 du supérieur, mais aussi 290 000 personnels non enseignants. Ces derniers étaient la cible d’attaques gouvernementales importantes : d’un côté des suppressions massives de postes de surveillants et une dégradation brutale de leur statut, et de l’autre la décentralisation du personnel Atoss (administratifs, techniciens, ouvriers, personnels de service, de santé et sociaux). Cela contribua à engendrer un mécontentement profond, notamment chez des personnels, y compris enseignants, des établissements les plus populaires, dans les ZEP, là où le mouvement sera le plus fort. Ce qui d’emblée va lui donner un caractère pas du tout corporatiste.
Une journée d’action nationale est appelée par les syndicats de l’Education nationale le 18 mars, notamment contre les mesures de décentralisation, perçues à juste titre comme un début de démantèlement de l’Education nationale et une précarisation accrue des personnels. A priori sans lendemain… Mais dans les semaines suivantes, des personnels, qui en ont ras-le-bol des sempiternelles journées saute-mouton, se mettent en grève reconductible, de façon minoritaire, dans des établissements du 93, de Toulouse, Marseille, Le Havre et Rouen, La réunion, Bordeaux etc. Dans le 93, des enseignants de quelques dizaines d’établissements du second degré reconstituent une AG départementale (« des établissements en lutte de Seine-Saint-Denis ») et un comité de mobilisation, et commencent une « grève marchante » pour propager la grève de bahut en bahut. A Toulouse une AG de 140 enseignants appelle à la grève reconductible. Le 18 mars, le secteur du Havre part en grève reconductible, de manière minoritaire, certes, mais avec ces deux objectifs eux aussi : l’extension et la prise en main démocratique du mouvement (AG quotidienne de tous les personnels en lutte). Des grévistes viennent à Rouen le 26 pour convaincre les Rouennais de les rejoindre. Le 3 avril une AG de 400 grévistes à Rouen vote le principe de la grève reconductible, et il en sortira l’élection d’un comité de grève provisoire (membres élus par l’AG d’agglomération de différents secteurs avec la présence d’un représentant de chaque syndicat).
2.2 L’auto-organisation au service de la grève reconductible[modifier | modifier le wikicode]
Ce ne sont là que quelques exemples, parmi les plus significatifs : fin mars et début avril, plusieurs « foyers » « d’auto-organisation » et de grève minoritaire militante s’allument dans le pays pour appeler et surtout construire très concrètement la grève reconductible. Ils réussissent à faire embrayer quelques sections départementales du SNES et de la FSU, relayant les appels à la grève. L’initiative, c’est le moins qu’on puisse dire, ne vient pas des directions syndicales nationales, mais de la base militante, d’équipes locales combattives, dans lesquelles les militants d’extrême-gauche de diverses « obédiences » (LCR, PT, LO, CNT etc.) jouent un rôle certain.
Au fur et à mesure de l’extension du mouvement, les structures d’auto-organisation vont se renforcer. A Toulouse, les AG de l’agglomération réuniront jusqu’à 800 personnes, à Nantes jusqu’à 1000. A Paris se constitue une AG d’Ile-de-France (à l’issue de la manif parisienne du 6 mai, par exemple, elle réunira plus de 500 grévistes représentant 220 collèges et lycées et des dizaines d’écoles). Pendant plusieurs semaines, de 300 à 800 personnes s’y retrouveront. En lien avec des AG départementales, de 200, 400, 600, et des AG de ville. Les fédés, même les moins enthousiastes, ont dû se résigner à s’y représenter, sans bien sûr considérer que ces AG pouvaient avoir la même légitimité qu’elles à représenter et diriger le mouvement, quand par ailleurs des responsables syndicaux, un peu partout, tentaient de discréditer ces formes d’auto-organisation (« des assemblées de fous ») et s’opposaient à ce que leurs AG locales envoient des représentants à la coordination nationale.
Car sous l’impulsion des AG des régions où le mouvement est le plus fort, une coordination nationale des personnels en lutte de l’Education nationale s’est constituée. Elle se réunira régulièrement, avec des représentants de centaines d’établissements scolaires, et des délégués venant, au plus fort, de 44 départements (même si tous ne sont pas délégués par des ag départementales). C’est un lieu irremplaçable de débats, d’élaboration collective d’une politique pour faire gagner la grève, un véritable embryon d’une direction nationale et démocratique du mouvement. Certes, elle ne réussira jamais à rivaliser réellement avec les directions syndicales nationales, faute d’une légitimité reconnue dans vraiment tout le pays, mais elle exerce une sacrée pression sur celles-ci, et propose une politique à des milliers de grévistes.
2.3 Vers la grève générale ?[modifier | modifier le wikicode]
La grève reconductible se maintient et progresse peu à peu, avec beaucoup de volontarisme. L’objectif est de surmonter le chevauchement des vacances (des différentes académies). Pari réussi : les directions syndicales, notamment le syndicat majoritaire du secteur, la FSU, ayant finalement appelé à une journée de grève le 6 mai, celle-ci est un gros succès.
Or le 6 mai, c’est une semaine avant… le 13 mai. Ce mouvement de fond, qui met très consciemment sur la table des problèmes politiques (quel droit à l’éducation pour les enfants des classes populaires ?), et n’est pas entaché de corporatisme, est également conscient qu’il ne sera pas possible de gagner seul. Et la mobilisation sur les retraites s’annonce, à destination de tous les salariés. Le mouvement de l’éducation nationale contre la décentralisation va donc inévitablement se métamorphoser en mouvement contre la réforme des retraites. Et tenter d’y faire jouer sa force d’entraînement, de lui communiquer son enthousiasme et sa combativité.
De façon générale, les grévistes de l’éducation nationale se sentaient le fer de lance d’une grève générale à construire. Leurs revendications sur l’école étaient reliées explicitement aux problèmes de tous, l’un des slogans les plus repris étant d’ailleurs : « Il y en a ras-le-bol de ces guignols qui cassent les usines et ferment les écoles. » Il s’agissait de défendre les retraites de tous, ou encore de refuser une école au rabais pour les enfants d’ouvriers et de chômeurs.
A partir du 6 mai, des minorités d’enseignants et autres personnels EN, en grève reconductible, se métamorphosent en militants du mouvement sur les retraites (les militants d’extrême-gauche, eux, ayant ouvertement milité depuis le début, dès mars !, dans cette perspective). Dans le cadre des AG de villes, de coordinations départementales, régionales, nationale, tous les problèmes, y compris de calendrier d’action, sont posés. Les grévistes de l’EN usent de la reconductible pour maintenir l’effervescence, dans leur propre milieu, pour entrainer les autres collègues dans la grève et la rue lors de « temps forts » nationaux, mais aussi pour s’adresser à d’autres secteurs, en allant par exemple diffuser des tracts devant des entreprises publiques et privées, en organisant des AG interprofessionnelles.
L’activité « interpro » se développe en effet : virées d’enseignants vers les postiers, les cheminots, les hospitaliers, les agents de la DDE ou des impôts... Convocation, via les réseaux syndicaux, de réunions de travailleurs de diverses catégories et du privé - souvent des militants syndicaux ou politiques, certes, mais qui pouvaient se rassembler et discuter à plusieurs dizaines (ou centaines comme à Saint-Denis ou Bobigny dans la banlieue parisienne, à Rouen, à Toulouse etc.).
Bien sûr, l’espoir était de voir basculer le reste du pays dans la grève, à commencer, comme en 1995, le reste du secteur public. L’espoir, de façon encore plus précise, c’était de voir, comme en 1995, année de la victoire, le pays à nouveau bloqué par une grève générale illimitée des transports. Dans les AG, les débats étaient passionnés sur la tactique à adopter, sur les perspectives du mouvement. Certains espéraient que les confédérations syndicales appelleraient enfin à la grève générale, d’autres insistaient pour que la base compte sur ses propres forces et, tout en faisant pression sur les organisations syndicales, construise elle-même la généralisation de la grève.
Qui n’est jamais venue. Parce que les « conditions n’étaient pas remplies » comme le diraient les dirigeants des confédérations d’alors ? Voire ! Car comment le savoir puisque de toute façon ces dirigeants ne l’ont pas voulu, et non seulement n’ont pas agi pour la rendre possible, mais ont agi pour l’empêcher !
2.4 La trahison syndicale[modifier | modifier le wikicode]
Car il y a plusieurs façons de trahir les espoirs d’une lutte. Celle de François Chérèque et de la CFDT. Lui, au lendemain de la journée nationale du 13 mai, où beaucoup de gens étaient descendus dans la rue, trouva finalement que le plan du gouvernement était signable, moyennant de dérisoires promesses sur la pénibilité de certains métiers… qui ne furent même pas tenues ! Dans la nuit du 14 au 15 mai, la confédération CFDT annonçait donc son retrait du mouvement. Mais la victoire de 1995 n’avait pas reposé sur l’unité syndicale. Rien n’était perdu bien sûr.
Mais la CGT, tout en faisant valoir sa radicalité par rapport à la trahison ouverte de la CFDT, décida de maintenir son calendrier démobilisateur. Manifestation nationale dimanche 25 mai, grève et manifs le 3 juin. Mais aucun préavis de grève reconductible. A la SNCF ou à la Ratp, que du « carré » de 24 heures !
L’argumentation de la CGT (aussi bien la Confédé de Thibault que la fédé cheminote de Didier Le Reste) pour justifier cela ne manquait pas de sel. La CGT étant pour une vraie grève générale, publique et privée, il fallait tout faire pour faire entrer dans la mobilisation les salariés du privé (et effectivement des diffs massives de tracts CGT furent organisées, à juste titre, en direction des salariés du privé), et alors seulement une grève reconductible des cheminots et des travailleurs du public aurait du sens. Ou comment justifier par un « plus radical que moi tu meurs » une politique démobilisatrice…
La fédé CGT des cheminots se déclarait donc « résolument engagée dans la construction d’un mouvement de « Tous ensemble » interprofessionnel de nature à élargir la mobilisation au plus grand nombre, condition essentielle pour être en capacité d’imposer une autre réforme des retraites » Une déclaration commune des confédérations CGT, FO, UNSA, FSU allait dans le même sens : « En effet, seule une généralisation du mouvement, privé-public, et s’inscrivant dans la durée, pourra faire revenir le gouvernement sur ses choix néfastes ».
2.5 A la SNCF, une épreuve de force entre… les militants les plus combatifs et la fédé CGT[modifier | modifier le wikicode]
Le 13 mai était un succès assuré, avec une vraie envie d’en découdre chez les cheminots et une partie du monde enseignant déjà en grève depuis plus d’un mois ! L’interrogation portait sur le lendemain, sur la nécessité de reconduire la grève le lendemain. Il y eut le 13 mai une très grande proportion de grévistes, à la hauteur de 1995, à la SNCF, à la Ratp, dans nombre d’entreprises de transports en commun. A La Poste, on enregistre le plus gros score de grévistes (plus de 50 % sur toute la France) depuis la grève des postiers… de 1974
Le lendemain, dans un certain nombre de gares, la grève fut reconduite très majoritairement dans les AG de grévistes, à Marseille, à Toulouse, à Paris Gare du Nord, à Rouen… Des militants de l’extrême-gauche et d’équipes syndicales particulièrement combatives, rêvaient de refaire le coup de 1995, de partir des secteurs les plus combatifs pour entraîner les autres cheminots, les postiers, les travailleurs des autres transports en commun, et rejoindre le mouvement déjà bien installé de l’Education nationale. La fédé FO des cheminots et Sud-Rail ayant par ailleurs déposé un préavis de grève illimité. Contrairement à la CGT de Didier Le Reste, le successeur de Bernard Thibault (et aujourd’hui l’un des dirigeants du Front de Gauche). Or celle-ci n’était pas seulement sceptique ou prudente vis-à-vis de ces grèves reconduites à la Scnf. Elle y était carrément hostile. Un peu partout dans le pays, des équipes de permanents débarquèrent pour faire la leçon aux équipes CGT locales, des responsables CGT lurent des déclarations en début d’AG pour appeler à la reprise du travail, et annonçaient qu’ils allaient de toute façon le faire eux-mêmes indépendamment des votes des AG ! La perspective de la CGT à la SNCF, c’était, on l’a vu, d’attendre que la grève ne devienne… générale en incluant le privé ! Elle proposait aux cheminots de reprendre le travail, et de se préparer à la manifestation nationale du dimanche 25 mai (sans grève, puisqu’il fallait permettre aux manifestants de voyager) puis à une nouvelle journée de grève, le 3 juin ! Autrement dit, elle avait conçu un calendrier fait pour couper le souffle du mouvement, laisser isolée la grève de l’Education nationale, étaler la lutte pour mieux l’user. Au nom d’une grève générale imaginaire, elle envoyait ses permanents s’opposer frontalement à la grève réelle.
Les militants les plus radicaux ne suffirent pas à contrebalancer le poids de l’appareil syndical. Privés d’une perspective nationale d’ensemble, que les équipes les plus combatives n’avaient pas eu la force de construire, refroidis voire découragés, les grévistes en reconductible durent se résigner à reprendre au bout de quelques jours et encore patienter. Puis, pour convaincre ses militants du bien-fondé de sa politique, la CGT publia un « Argumentaire » où elle osait écrire : « Après un 13 mai d’un niveau jamais égalé, seuls 4 % des cheminots ont répondu à l’appel à la grève illimitée de SUD et FO ». La CGT omettait seulement de préciser qu’elle avait elle-même poussé à la reprise du travail !
La manifestation nationale du 25 mai fut un énorme succès, des centaines de milliers de gens défilant dans les rues de Paris. Avec la joie d’être nombreux, mais aussi l’inquiétude de ne pas voir la grève s’installer.
D’autant plus que ni Blondel ni Thibault ne la laissaient espérer. A la veille de la grande manifestation nationale de juin, Bernard Thibault et Marc Blondel étaient les invités de l’émission « le téléphone sonne » sur les ondes de France Inter. Premier auditeur, première question : « Compte tenu de l’ampleur de l’attaque, du mouvement, du nombre croissant de participants et du courant de sympathie dans l’opinion, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’appeler à la grève générale ? » Bref silence et Marc Blondel monte au créneau : « je voudrais préciser à cet auditeur qu’on ne manie pas la grève générale à le légère… En effet, le grève générale crée une situation insurrectionnelle. »
Lors de la manifestation, cependant, la coordination nationale des personnels de l’Education nationale avait pris l’initiative de faire se placer sur les bords de gauche et de droite, des dizaines de groupes de profs en grève, par établissements. Les manifestants arrivaient ainsi en fin de parcours avec une véritable haie d’honneur, avec des dizaines de banderoles d’établissements en grève, scandant « grève générale ». Le soir, l’intersyndicale n’appelle pas à la grève générale, et annonce un chiffrage modeste (vu l’ampleur de la démonstration de force du jour !) de 500 000 manifestants, très loin des habitudes syndicales… d’exagération.
Il y a décidément deux politiques.
2.6 L’échec du mouvement[modifier | modifier le wikicode]
Le gouvernement, loin d’être mis au pied du mur, annonçait donc maintenir la réforme, tout en lâchant un peu de lest pour démobiliser ses adversaires, mais de façon dérisoire et hypocrite. Fillon déclara que la réforme ne touchait pas les « régimes spéciaux » et que les cheminots n’avaient donc aucune raison d’être en grève (c’était techniquement vrai de sa loi, mais Raffarin avait clairement expliqué que le tour viendrait ensuite des régimes spéciaux, déclarant par exemple au Conseil économique et social le 1er février 2003 : « Les principes généraux de la réforme des retraites s’appliqueront à l’ensemble des régimes, y compris les régimes spéciaux ». Quant à Fillon, il déclarait à l’émission de France 2 « 100 minutes pour convaincre » : « On va faire la réforme des retraites la plus importante depuis 1945, parce que c’est la première qui va concerner tous les Français, tous les régimes, qui va fixer les principes pour l’ensemble des régimes... » On ne pouvait être plus clair ! Et Raffarin annonçait aménager et reporter une partie de ses mesures de décentralisation des personnels de l’EN.
La prochaine étape fut donc la journée de grève du 3 juin. Qui fut à son tour une réussite, y compris chez les cheminots. Mais là encore, la CGT se montra résolue à doucher les moindres foyers où s’allumait la grève. Avec les mêmes arguments. Elle consentit alors à déposer un préavis de grève reconductible, mais avec une interruption lors du long weekend de la Pentecôte, pour reprendre ensuite le 10… La fédération imposa aussi un peu partout des AG de cheminots par secteur (les guichets, les conducteurs, la maintenance etc.) pour cloisonner les services et empêcher les effets d’entraînement. Elle mit en garde aussi contre la venue d’éléments extérieurs (les enseignants principalement) dans les assemblées. « De ce point de vue », affirmait un communiqué de la fédération des cheminots du 6 juin, « la conduite du mouvement à la SNCF doit rester la propriété des seuls cheminots. Les interventions extérieures... sont à bannir car elles n’ont pas pour objectif de gagner sur le dossier des retraites ». Très consciemment, la CGT empêchait ainsi que soient mises en œuvre les méthodes qui avaient fait gagner la grève en 1995.
Celle-ci flanchait donc. Logiquement, après la journée d’action du 10 juin, la CGT invitait alors les cheminots à se positionner sur des revendications autres que celles concernant les retraites : « Elle (la fédération CGT des cheminots) invite à aller interpeller, dès le 11 juin, les directions d’établissement sur les motivations du conflit en cours, ainsi que sur l’ensemble du champ revendicatif (salaires, emploi, moyens pour le service public...) ».
La grève était terminée.
Elle allait l’être aussi dans l’Education nationale, puisque les grévistes, certains en lutte depuis trois mois !, étaient privés de la perspective de la généralisation du mouvement et du blocage, enfin, du pays. Le bac approchait, les appels hystériques à ne pas compromettre l’avenir des jeunes se multipliaient, et le dirigeant national de la FSU, Gérard Aschieri, qui n’avait jamais œuvré à chambouler le plan de non bataille des confédérations depuis des mois, sans oser appeler à terminer une grève qu’il n’avait d’ailleurs pas vraiment initié, disait comprendre l’angoisse des parents…
Le 12 juin, un meeting géant CGT-FO se tenait à Marseille. Alors que la messe semblait à peu près dite, Blondel se fait lyrique et appelle de ses vœux une grève générale, propos qui, à cette étape, ne lui coûtent alors pas grand-chose. Thibault, lui, s’y refuse, ce qui lui sera beaucoup reproché. Il se fait même siffler par de nombreux grévistes et militants, furieux contre la politique menée depuis le début. Mais il faut bien dire que le problème n’était pas tant que la CGT ou FO n’aient pas clairement appelé à la grève générale, même si la clarté, à certains moments d’une lutte, est indispensable. Le problème est qu’ils n’ont refusé délibérément de mener une politique de généralisation des grèves, d’extension, de construction d’une épreuve de force véritable. Il ne fallait décidément pas compter, cette année-là, sur les directions des confédés, mais sur les forces propres de ceux qui étaient désireux d’une telle épreuve de force. Notamment dans les minorités les plus combatives.
On comprend qu’en répondant à un député socialiste qui lui reprochait d’avoir handicapé le dialogue social en « refusant la main tendue par la CGT », le ministre Fillon ait rétorqué en disant que, même s’il n’y avait pas eu accord, la CGT avait « adopté tout au long du conflit une attitude responsable qui montre qu’il y a eu un vrai dialogue social ». C’était le 12 juin. Le même jour où, à Marseille, Bernard Thibault se faisait siffler par les manifestants dont certains de la CGT !
3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Yann Cézard, 1995-2003-2010 : retour sur trois batailles