Anticléricalisme

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Les Corbeaux (1904-1909) est une revue anticléricale fondée par Didier Dubucq.

L'anticléricalisme est l'opposition au clergé, souvent nourrie de sentiments hostiles à la religion.[1]

1 Anticléricalisme et socialisme[modifier | modifier le wikicode]

Fondamentalement, si le socialisme scientifique est athée, et si la laïcité doit être au cœur de ses revendications, l'anticléricalisme vulgaire est une dérive pour lui, le plus souvent d’origine petit-bourgeoise. C'est pourquoi Rosa Luxemburg disait en 1902 « L'anticléricalisme bourgeois aboutit à consolider le pouvoir de l'Eglise. »[2]

Voir Religion et socialisme scientifique.

2 Origine de l'anticléricalisme[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Bourgeoisie progressiste[modifier | modifier le wikicode]

La bourgeoisie a adopté des positions différentes, par opportunisme, envers le clergé.

Ainsi, par une opposition prudente aux pratiques les plus réactionnaires de l'Église et surtout une attaque idéologique importante contre l'obscurantisme catholique qui servait la classe noble, la bourgeoisie européenne en pleine ascension, avec Les Lumières et la Réforme notamment, a ouvert la voie à l'anticléricalisme.

Celui-ci a vraiment éclaté avec la Révolution française, notamment en 1793 avec les Jacobins de la Montagne, poussés par les sans-culotte.

Certains libéraux anglais étaient athées, comme David Hume et Adam Smith.

Adam Smith fut détesté par la prêtraille. On en peut juger par un écrit intitulé « A letter to A. Smith, L. L. D. On the Life, Death and Philosophy of his Friend David Hume. By one of the People called Christians », 4° éd. Oxford, 1784. L'auteur de ce pamphlet, docteur Horne, évêque anglican de Norwich, sermonne A. Smith pour avoir publié une lettre à M. Strahan où « il embaume son ami David » (Hume), où il raconte au monde que « sur son lit de mort Hume s'amusait à lire Lucien et à jouer au whist »' et OÙ il pousse l'impudence jusqu'à avouer : « J'ai tou­jours considéré Hume aussi bien pendant sa vie qu'après sa mort comme aussi près de l'idéal d'un sage parfait et d'un homme vertueux que le comporte la faiblesse de la nature humaine. » L'évêque courroucé s'écrie : « Convient-il donc, monsieur, de nous présenter comme parfaitement sage et vertueux le caractère et la conduite d'un homme, possédé d'une antipathie si incurable contre tout ce qui porte le nom de religion qu'il tourmentait son esprit pour effacer ce nom même de la mémoire des hommes ?... Mais ne vous laissez pas décourager, amis de la vérité, l'athéisme n'en a pas pour longtemps... Vous (A. Smith) avez eu l'atroce perversité (the atrocious wickedness) de propager l'athéisme dans le pays (notamment par la Théorie des Sentiments Moraux)... Nous connaissons vos ruses, maître docteur ! ce n'est pas l'intention qui vous manque, mais vous comptez cette fois sans votre hôte. Vous voulez nous faire croire par l'exemple de David Hume, Esquire, qu'il n'y a pas d'autre cordial pour un esprit abattu, pas d'autre contre-poison contre la crainte de la mort que l'athéisme... Riez donc sur les ruines de Babylone, et félicitez Pharaon, le scélérat endurci ! » (L. c., p. 8, 17, 21, 22.) - Un autre anglican orthodoxe qui avait fréquenté les cours d'Adam Smith, nous raconte à l'occasion de sa mort : « L'amitié de Smith pour Hume l'a empêché d'être chrétien. Il croyait Hume sur parole, Hume lui aurait dit que la lune est un fromage vert qu'il l'aurait cru. C'est pourquoi il a cru aussi sur parole qu'il n'y avait ni Dieu ni miracle... Dans ses principes politiques il frisait le républicanisme. » (« The Bee, By James Anderson », Edimb., 1791-93.) - Enfin le « révérend » Th. Chalmers soupçonne Adam Smith d'avoir inventé la catégorie des « travailleurs improductifs » tout exprès pour les ministres protestants, malgré leur travail fructifère dans la vigne du Seigneur.[3]

2.2 Révolution française[modifier | modifier le wikicode]

Le haut clergé, lié à la haute noblesse et à la royauté, va s'opposer à la Révolution. Étant donné l'influence idéologique de la religion, cela constituait une menace à combattre, en particulier pour les Jacobins. A l'inverse, de nombreux religieux s'engagent côté révolutionnaire. C'est un évêque, Talleyrand qui soumet au vote le décret de 1789 qui transfère les biens de l'Église à l'État. Les révolutionnaires votent le 12 juillet 1790 la constitution civile du clergé : les curés et évêques sont fonctionnarisés, le clergé régulier est supprimé... Il faut noter qu'il y avait des points d'appui au sein du clergé en faveur de cette réforme (gallicanisme, richérisme...). Le 10 mars 1791, le Pape condamne cette réforme, ce qui conduit à une rupture (environ 50/50) entre religieux qui jurent fidélité à la Constitution, et prêtres réfractaires.

Pillage d'une église en 1793

La dynamique révolutionnaire provoque ensuite très vite une radicalisation entre les deux bords, qui a un double effet : côté réfractaires, une tendance de plus en plus marquée vers la contre-révolution ; côté religieux révolutionnaires, une tendance à abandonner la religion (beaucoup de prêtres se marient et/ou quittent l'église, certains comme Jacques Roux ou Pierre Dolivier deviennent d'ardents défenseurs de l'égalitarisme...). Si bien que dans le contexte, le catholicisme devient associé pour beaucoup à la réaction.

En août 1793, des mouvements populaires spontanés commencent, en province, à s'en prendre aux églises et aux religieux ( iconoclasme, vandalisme, blasphèmes...). C'est un mouvement intense et profond qui s'amorce, la déchristianisation. Il gagne Paris plus tardivement, et tend à se généraliser. Certains clubs et représentants du pouvoir encouragent le mouvement et ses excès, sans qu'officiellement la déchristianisation soit imposée. La Convention adopte le calendrier républicain le 5 octobre 1793, par opposition au calendrier grégorien lié à l’Église. A Paris les hébertistes, qui tiennent la Commune de l'automne 1793 au printemps 1794, sont des fers de lance de la déchristianisation. Ils développent le culte des martyrs de la Révolution, organisent le 10 novembre une « fête de la Raison » dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, et finalement le 23 novembre ordonnent la fermeture des églises.

Mais les dirigeants montagnards sont hostiles à la déchristianisation et voient les dangers que fait courir ce mouvement à la République tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’intervention de Danton, appuyé par Robespierre, fait refluer le mouvement. Mais le Comité de salut public, s’il rappelle la liberté des cultes (6 décembre 1793), ne peut pas la faire observer normalement et n’obtient là qu’un succès de principe. Contenu à Paris, le mouvement balaiera le pays pendant des mois encore.

Le 18 septembre 1794, le financement des prêtres par l'État est supprimé. A ce moment-là, l’Église constitutionnelle est en miettes, il ne reste en fonction qu'une trentaine d'évêques constitutionnels. Sous Napoléon, le calendrier grégorien est rétabli, et finalement un compromis sur le clergé est établi avec la papauté, avec le Concordat (1801) : les prêtes sont à nouveau rémunérés par l'État.

2.3 La religion utilisée par la bourgeoisie[modifier | modifier le wikicode]

En revanche, tout comme en politique la bourgeoisie une fois au pouvoir a été tentée de revenir sur ses conquêtes libérales avec la Restauration, en religion elle a voulu utiliser l'influence catholique pour affermir sa domination.

"M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l’instruction primaire de 1849, disait : "Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici-bas pour souffrir[...]". La bourgeoisie, alors qu’elle luttait contre la noblesse, soutenue par le clergé, arbora le libre examen et l’athéisme ; mais, triomphante, elle changea de ton et d’allure ; et, aujourd’hui, elle entend étayer de la religion sa suprématie économique et politique. Aux XVe et XVIe siècles, elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme ; de nos jours [...] elle prêche l’abstinence aux salariés. [...] Les socialistes évolutionnaires ont à recommencer le combat qu’ont combattu les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie ; ils ont à monter à l’assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme..."[4]

3 Anticléricalisme moderne[modifier | modifier le wikicode]

Illustration du journal La Calotte (1908).

L'anticléricalisme est un courant important dans la bourgeoisie au début du 20e siècle. Il est notamment au cœur de l'idéologie des "bourgeois radicaux" (appellation reçue fin 19e face aux monarchistes réactionnaires...), qui dominent à la "Belle-Epoque" (1896-1914). Leurs attaques contre l'Église, notamment dans leur presse, sont frontales et trouvent un écho jusque chez les socialistes. C'est sous leur pression que la séparation des Églises et de l'État est votée en 1905.
Plus prosaïquement, si la bourgeoisie donne alors du crédit à l'anticléricalisme, c'est que le développement économique alors florissant nécessite des travailleurs un minimum instruits (école obligatoire et gratuite à la même époque...). L'idéologie dominante est alors clairement positiviste. Par ailleurs, l'anticléricalisme sert alors de diversion pour faire oublier la lutte des classes avec un cheval de bataille interclassiste. Ce qui ne veut évidemment pas dire que les socialistes doivent éviter toute implication, mais garder à l'idée ce que signifie un front unique. Citons encore Rosa Luxemburg, dans un article de 1902 :

« Les socialistes sont précisément obligés de combattre l’Église, puissance antirépublicaine et réactionnaire, non pour participer à l'anticléricalisme bourgeois, mais pour s'en débarrasser. L'incessante guérilla menée depuis des dizaines d'années contre la prêtraille est, pour les républicains bourgeois français, un des moyens les plus efficaces de détourner l'attention des classes laborieuses des questions sociales et d'énerver la lutte des classes. L'anticléricalisme est en outre resté la seule raison d'être du parti radical ; l'évolution de ces dernières trente années, l'essor pris par le socialisme a rendu vain tout son ancien programme. »[2]

4 En savoir plus[modifier | modifier le wikicode]

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Mais pas systématiquement, par exemple il existe des mouvements religieux organisés sans clergé comme les quakers.
  2. 2,0 et 2,1 Rosa Luxemburg, Le socialisme en France, page 213-214, éditions Belfond.
  3. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste, I., 1867
  4. Paul Lafargue, avant propos du Droit à la paresse