Bourses du Travail

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Bourse du travail de Toulouse.
Fresque sur la façade ouest de la Bourse du travail de Lyon

Une bourse du travail était à l'origine un bureau de placement des ouvriers, assuré par les syndicats. C'est devenu par la suite un lieu, présent dans la majorité des grandes villes où sont réunis les différents syndicats de salariés, plus connus en Europe sous le nom de « Maisons du peuple » ou « Maisons des travailleurs ».

Ce lieu partagé permet aux syndicats de posséder des locaux pour exercer leurs activités : organiser un soutien aux ouvriers malades ou au chômage et à ceux qui sont en lutte (notamment par l’organisation de caisses de grève ou de réunions publiques). Les bourses du travail ont été les lieux d'une forte auto-organisation ouvrière et d'un mouvement d’éducation populaire par des cours professionnels ou généraux et le développement de bibliothèques.

1 Histoire[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Origine[modifier | modifier le wikicode]

Initialement, les Bourses sont créées pour des besoins très immédiats des ouvriers : ainsi une proposition est déposée au bureau du Conseil municipal de Paris, le 24 février 1875 : « Les soussignés demandent qu’il soit procédé à l’étude de l’établissement, à l’entrée de la rue de Flandre, d’une Bourse du travail, ou au moins d’un refuge clos et couvert, afin d’abriter les nombreux groupes d’ouvriers qui se réunissent chaque matin pour l’embauchage des travaux du port et autres »[1]

Le projet verra le jour le 22 mai 1892, jour de l’inauguration de la Bourse du Travail, rue du Château-d’Eau et qui occupe tout un immeuble. Le Président du Conseil municipal le concède aux ouvriers syndiqués « avec la confiance qu’elle serait un instrument de pacification sociale qui contribuerait un jour à établir la paix universelle »

Certains intellectuels bourgeois comme l'économiste libéral belge Gustave de Molinari[2] ont défendu l'idée de Bourses du travail à la même époque, mais leur réalisation s'est avant tout faite sous la pression ouvrière.

Des Bourses s’implantent dans de nombreuses villes, détournées de leur vocation initiale par les militants ouvriers qui se les approprient et en font des foyers de démocratie ouvrière, des lieux d’organisation de la solidarité, de l’assistance et de l’éducation. Des Bourses se constituent, d’abord à Paris, le 3 février 1887[3] puis à Nîmes la même année, en 1888 à Marseille...

La bourse du travail de Saint Etienne, est née à l'initiative de Girodet, le maire radical. Inaugurée en 1888, elle débuta son fonctionnement en 1889 autour d'un service de statistique ouvrière et de cours professionnels.[4]

Puis encore en 1890, à Toulon, Toulouse et Bordeaux.

En 1891, on recense 14 Bourses. 24 en 1893. De 1892 à 1902, les bourses se développent rapidement en passant de 22 à 86.

1.2 Auto-organisation[modifier | modifier le wikicode]

La Bourse est donc le cœur de réseaux reliant entre eux les travailleurs d’une même localité. Les Bourses sont abondées par les cotisations des syndicats qui s’y agrègent et les subventions de municipalités. Les services qu’elles dispensent sont : Mutualité ; Enseignement ; Propagande ; Résistance. Les services de Mutualité sont : le placement, les secours de chômage, les secours en cas d’accident. Le Placement gratuit par les Bourses succède au Placement payant. Le secours de route, dit viaticum, permet aux ouvriers au chômage d’aller d’une localité à l’autre pour chercher du travail. Le service de secours aux accidents comprend un service médical et un service juridique. Les principaux services d’enseignement sont les bibliothèques et les cours.

Ainsi, en 1911, on ne dénombre pas moins de 131 bibliothèques créées par 144 Bourses du travail de France et 31 créées par des Unions locales ou régionales de syndicats.  Quant aux cours (cours du soir notamment), ils visent tout à la fois au perfectionnement de l’ouvrier et à son instruction et sa culture générale. Les bourses du travail furent donc un des premiers supports de l'éducation populaire.

Si les Bourses du Travail furent le plus souvent des concessions des mairies, celles-ci ont parfois tenté de fermer temporairement certaines bourses pour casser la dynamique du mouvement ouvrier devant menaçant. Mais le rapport de force devenait globalement trop important pour s'y attaquer de façon frontale.

1.3 Fédération des bourses du Travail (1892)[modifier | modifier le wikicode]

Au congrès qui donne naissance à la fédération nationale des Bourses du Travail, à Saint Etienne le 7 février 1892, 10 Bourses sont représentées[5][6]. Leur premier mouvement hautement significatif est de repousser « d’une façon absolue l’ingérence des pouvoirs administratifs et gouvernementaux dans le fonctionnement des Bourses, ingérence qui s’est manifestée par la déclaration d’utilité publique qui n’a été proposée par le gouvernement que pour nuire à leur développement »[7].

Le Manifeste des Bourses adoptée ce jour-là affirme : « Le prolétariat conscient, oubliant les néfastes divisions qui avaient paralysé ses efforts, est uni…autour de la Fédération des bourses, toutes les forces ouvrières ne formeront qu’un seul bloc, uni par des intérêts communs, aimanté par la solidarité. Solidarité. Unité »[8]

Fernand Pelloutier devient le premier secrétaire de la fédération. Il est le principal artisan de cet effort de fédération des Bourses au plan national.

La fondation définitive de la Fédération des Bourses du Travail sera ratifiée par le Congrès de Toulouse en 1893 qui en élabore les statuts dont l’article 1er  précise :

« Une fédération est formée entre les Bourses du travail. Elle a pour but :

1) D’unifier et de faire aboutir les revendications des syndicats ouvriers

2) D’étendre et de faire aboutir les revendications des syndicats ouvriers

3) D’étendre et de propager l’action des Bourses du travail dans les centres industriels et agricoles

4) De nommer les délégués au secrétariat national du travail

5) De réunir tous les éléments statistiques et de les communiquer aux Bourses adhérentes et, en même temps, de généraliser le placement gratuit des travailleurs des deux sexes de tous les corps d’état »[7]

1.4 Clivage avec les guesdistes[modifier | modifier le wikicode]

Une Fédération nationale des syndicats (FNS) avait déjà été créée en 1886. Elle était dirigée par les guesdistes du Parti ouvrier français (POF). Jules Guesde était le leader du courant se revendiquant du marxisme en France, bien qu'il ait beaucoup été critiqué pour avoir représenté un marxisme caricatural.

Mais les guesdistes vont perdre la prépondérance, à la fois dans la FNS et dans la nouvelle fédération des Bourses, qui a en partie était créée pour contrer leur influence. Comme l'admettra Fernand Pelloutier lui-même :

« L’idée de fédérer des Bourses du Travail était inévitable. Nous devons à la vérité reconnaître qu’elle eut une origine plus politique qu’économique. Elle vint à quelques membres de la Bourse de Paris qui, adhérents à des groupes socialistes rivaux du Parti Ouvrier Français et mécontents de ce que la Fédération des syndicats fût entre les mains de ce Parti »[9]

Si un front commun des diverses forces opposées aux guesdistes (allemanistes, blanquistes, anarchistes...) a vu le jour, c'est aussi en raison de la position sectaire et erronnée des guesdistes sur la grève générale. Les guesdistes déroulaient toute une série d'argument contre (cela aurait nécessité d'attendre que la grande majorité de la classe soit organisée, cela aurait affaibli les pays les plus industrialisés par rapport aux autres...). Ils prônaient le primat de « la politique », ce qui signifiait pour eux les élections, le socialisme municipal et le parlementarisme, et « la révolution », un futur renversement de la bourgeoisie, qui restait abstrait, ce qui donnait une allure dogmatique au guesdisme, tout en permettant une évolution vers une politique concrète de plus en plus opportuniste.

A l'inverse, le courant qui va devenir majoritaire dans le syndicalisme français du tournant du siècle, le syndicalisme révolutionnaire, va mettre en avant « la lutte économique », ce qui incluait la résistance immédiate à partir des lieux d'auto-organisation ouvrière, et la perspective d'une extension de cette lutte jusqu'à la grève générale expropriatrice. Et devenir hostile à la participation à la « politique » vue comme institutionnelle. Pourtant Pelloutier, lui-même membre du POF à l'origine, avait tenté de convaincre Guesde de sortir de sa position sectaire. A l’origine, rien ne prédestinait les Bourses du Travail à devenir une des bases fondatrices d'un syndicalisme ouvrier « indépendant ».

1.5 Les bourses comme Union locales des syndicats[modifier | modifier le wikicode]

Les Bourses du travail deviennent le creuset des Unions locales de syndicats des différentes corporations d’une même ville. La Fédération des Bourses du travail a été l'un des fondements du mouvement syndical en organisant les travailleurs syndiqués dans les territoires.

L'agitation ouvrière qui régnait en ces lieux a finalement découragé employeurs et salariés d'y venir pour la fonction de bureau de placement, qui a depuis donc disparu[10].

Le mouvement syndical s'amplifie et s'unifie dans ce qui deviendra en 1895 la Confédération générale du Travail (CGT). En 1902, la fondation de la CGT est parachevée par l’intégration pleine et entière de la Fédération des bourses du travail, et l’adoption de statuts dont l’article 1er proclame :

La confédération générale du travail, régie par les présents statuts, a pour objet

1° Le groupement des salariés pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels ; 2° Elle groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du Salariat  et du PatronatNul syndicat ne pourra faire partie de la confédération s’il n’est fédéré nationalement et adhérent  à une Bourse du travail ou à une Union locale de syndicats locale, départementale ou régionale de corporations diverses

Le principe retenu est celui de la double-affiliation de chaque syndicat à une fédération de branche et à une union interprofessionnelle locale, départementale ou régionale. Cette double-affiliation est un garde-fou au verticalisme : le syndicat cloisonné dans sa branche et, de fait, perméable au corporatisme.

L’élan est donné : en 1902, 1 403 syndicats, 30 fédérations et 86 Bourses du travail sont affiliés à la CGT. En 1906, ce sont 2 399 syndicats, 52 fédérations et 109 Bourses du travail.  Plus de 200 000 cotisants. Cet effectif sera multiplié par quatre au 1er janvier 1914 : 839 331 syndiqués sur 7 630 000 salariés de l’industrie.[11]

Le courant syndicaliste-révolutionnaire était majoritaire dans les bourses et considérait que la structuration syndicale des bourses favorisait la conscience de classe des travailleurs des différentes professions réunies et permettait de développer une autonomie politique et culturelle de la classe ouvrière. Les bourses devaient être l'embryon de la réorganisation de la société par les syndicats comme l'exprimait la charte d'Amiens de 1906.

La CGT et en particulier les militant·es des Bourses, défendent farouchement le principe d'auto-organisation. Ils s'opposent notamment aux tentatives de Millerand (premier socialiste à entrer dans un gouvernement), d'instaurer un arbitrage obligatoire des conflits par l'État. En 1906, Millerrand propose par ailleurs une loi qui vise à institutionnaliser davantage les syndicats. La fédération des Bourses répond :

« La Fédération des Bourses du Travail, après avoir examiné les modifications à la loi du 21 mars 1884 proposées par le gouvernement, considérant :

1° que celles d'entre elles qui ont pour objet d'autoriser les syndicats à faire de leurs ressources un usage commercial auraient pour effet de dénaturer le rôle des organisations corporatives en y attirant les hommes exclusivement inspirés par l'esprit de lucre et en écartant ceux qui considèrent le syndicat comme devant être, avant tout, une société de résistance à l'exploitation capitaliste ;

2° que le droit d'ester en justice, accordé aux unions de syndicats, loin d'être pour elles un accroissement de liberté, est le meilleur moyen que puisse trouver le gouvernement de les frapper, puisque ce droit les soumettra à la réparation civile à laquelle elles échappent sous le régime actuel, et les contraindra ainsi, en cas de grève, à la neutralité ou à des poursuites dûment garanties par les saisies légales et partant ruineuses...

... La Fédération des Bourses demande le retrait pur et simple du projet de loi ; et, considérant que, dans l'état de lutte auquel l'inégalité économique réduit la classe ouvrière, celle-ci n'a nul souci de l'ordre social, réclame, avec l'abrogation des lois du 7 juin 1848 sur les attroupements, de 1872 contre l'Internationale et des articles 414 et 415 du Code pénal, la liberté complète de réunion et d'association. »[12]

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1.6 Perte d'influence[modifier | modifier le wikicode]

Après la Première Guerre mondiale, la priorité est donnée aux Unions départementales au détriment des bourses. Les services d'entraide des bourses sont peu à peu abandonnés sous l'influence des partis politiques de gauche qui les transfèrent vers les mairies ou l'État (secours du chômage, cours professionnels, placement gratuit).

1.7 Autres activités[modifier | modifier le wikicode]

Les bourses du travail peuvent aussi accueillir ponctuellement diverses organisations, collectifs ou associations luttant dans des domaines sociaux tels que les associations de droit au logement, d'aide aux étrangers en situation irrégulière (certaines grèves de la faim historiques de « sans-papiers » menées par la coordination des sans-papiers (CSP59) se sont déroulées dans la bourse du travail de Lille).

2 Congrès[modifier | modifier le wikicode]

Date Lieu Congrès Remarques et documents
1892

7-8 février

Saint-Étienne 1er Congrès constitutif, animé par Fernand Pelloutier
1893

12-15 février

Toulouse 2e
1893

25-27 juin

Lyon 3e
1894

17-22 septembre

Nantes 4e En commun avec la FNS

3 Références[modifier | modifier le wikicode]

Bibliographie

  • Fernand Pelloutier, Histoire des Bourses du travail, Paris, 1902.
  • David Rappe, La Bourse du travail de Lyon, Lyon, Atelier de création libertaire, 2004.
  • Peter Schöttler, Naissance des Bourses du travail : un appareil idéologique d'État à la fin du 19e siècle, Paris, PUF, 1985.
  • Rolande Trempé, Solidaires : les Bourses du travail, Paris, Scandéditions, 1993.
  • Courant syndicaliste révolutionnaire, Les Courants syndicaux, 2005.
  • Benjamin Jung, La Bataille du placement. Organiser et contrôler le marché du travail, France, 1880-1918, Presses universitaires de Rennes, 2017 (ISBN 978-2-7535-5167-1)

Vidéo

Radio

Notes

  1. Cité dans : Histoire du mouvement syndical en France. René Garmy. Page 142. Bibliothèque du mouvement ouvrier 1970.
  2. Harmel, La pensée libérale et les questions sociales, Perrin, 1997.
  3. « Histoire de la Bourse du Travail », sur Bourse du travail de Paris (consulté le 7 janvier 2019)
  4. Yves Lequin, Les intérêts de classe et la République, Lyon, PUF, 1 rue Raulin, , p. 320
  5. Histoire de la bourse du travail de Saint-Étienne sur Forez-Info
  6. Histoire des bourses du travail sur le site de la Bourse du travail de Paris
  7. 7,0 et 7,1 Cité dans : Histoire du mouvement syndical en France. René Garmy. Page 149. Bibliothèque du mouvement ouvrier 1970.
  8. Cité dans : Histoire du mouvement ouvrier 1871-1920. Edouard Dolléans. Page 34. Armand Colin. 1967
  9. Fernand Pelloutier, Histoire des Bourses du Travail, cité dans : La grève générale en France. Robert Brécy. Page 38. EDI 1969
  10. Harmel, Ibid.
  11. Chiffres extraits de : Histoire du mouvement syndical en France. René Garmy. Page 159. Bibliothèque du mouvement ouvrier 1970.
  12. Cité dans : Histoire du mouvement ouvrier ** 1871-1920. Edouard Dolléans. Page 28. Armand Colin. 1967

4 Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]