Émeute des quatre sous
L'émeute des quatre sous est une grève des mineurs qui se produit en et touche la compagnie des mines d'Anzin. Elle est considérée comme la première révolte à fort caractère social de l'époque pré-syndicale en France[1]. Le procès des mineurs, poursuivis pour délit de coalition, eut un grand retentissement.
1 Le contexte[modifier | modifier le wikicode]
La grève intervint alors que se termine l'époque des pionniers dans l'exploitation du bassin minier. Pendant plusieurs dizaines d'années, les descendants des découvreurs du gisement, la famille Mathieu, étaient demeurés présents dans l'encadrement de la compagnie des mines d'Anzin; ils étaient considérés par les mineurs comme proches d'eux.
En 1821, l'arrivée de Casimir Perier à la direction marque le début d'une rationalisation de la gestion de l'entreprise. Les anciens cadres de la compagnie furent congédiés ou mis à la retraite d'office, et remplacés par des gestionnaires nommés depuis le « bureau de Paris »[2].
Cette mutation se situe dans un contexte où les conditions de vie des mineurs étaient difficiles, et se dégradaient. En 1823, la catastrophe du Chaufour, un des premiers coups de grisou, fit une vingtaine de victimes, ce qui avait suscité beaucoup d'émotion[3].
En 1832, l'arrondissement de Valenciennes fut touché par une épidémie de choléra[4], et le manque de compassion de leur direction lors de ces coups du sort affecta les mineurs de la région.
2 La baisse de salaire de quatre sous[modifier | modifier le wikicode]
La baisse de salaire, dont l'annulation fut la revendication affichée à cette grève, était intervenue en 1824. Elle faisait passer le salaire des mineurs de 34 à 30 sous par jour[n 2] et avait comme motif la forte concurrence des mines de charbon belge[1].
Cette baisse de salaire s'accompagnait de l'introduction du travail à la tâche, les mineurs étant payés différemment en fonction des difficultés d'extraction[1]. Leurs protestations restèrent à l'époque sans effet.
Quand le conseil de régie se réunit à Anzin le , des rumeurs firent craindre une nouvelle baisse de salaire, et le limogeage de Charles-François Mathieu[1], directeur du fond particulièrement estimé des mineurs[n 3].
Le mécontentement accumulé pendant toutes ces années se manifesta alors.
3 La grève[modifier | modifier le wikicode]
La grève débuta le avec des rassemblements devant le siège de la compagnie des mines, dans le quartier Saint-Waast de Valenciennes. Un des slogans scandés par les deux cents manifestants était « À bas les Parisiens, vivent les Mathieu d'Anzin ! »[2]. Outre la revendication salariale, les mineurs réclamaient le départ de trois ingénieurs, Dournay, Quinet et Monnier[5]. Ce dernier en particulier, surnommé « le pacha d'Anzin », était particulièrement honni pour ses humiliations ; son domicile fut dévasté par les manifestants.
Au bout de quatre jours, la grève était générale ; la compagnie des mines fit appel à la troupe, et le général de Rigny établit son quartier général dans le bâtiment de la direction des mines[5]. 3 000 à 4 000 soldats occupèrent les corons et les fosses, face à 5 000 à 6 000 grévistes et installèrent 3 pièces d'artillerie pointées sur le carreau de la mine[6]. Le 27, les mineurs reprirent le travail sans avoir rien obtenu.
4 Le procès[modifier | modifier le wikicode]
Le « délit de coalition » était interdit en France depuis la loi le Chapelier de 1791 ; c'est sous ce chef d'accusation, et pour les violences constatées, que 19 mineurs considérés comme les meneurs furent jugés le . Cependant les débats du procès, relayés par la presse, révélèrent la pénible condition des mineurs. Les accusés ne furent condamnés pour certains qu'à des peines légères[n 4], le président du tribunal s'adressant à eux en ces termes : « Toutes les autorités forment des vœux sincères pour l’amélioration de votre sort, la voix de l’humanité ne tardera pas à se faire comprendre ; les riches propriétaires des établissements des mines ne peuvent être vos tyrans. Non, ils ne peuvent l’être ; un titre plus digne leur est réservé ; ils ne laisseront pas à d’autres le mérite d’être vos bienfaiteurs. »[7].
5 Les suites et conséquences[modifier | modifier le wikicode]
La Compagnie finit par céder sur la question de salaire à la suite du procès de . Trois ans plus tard, il fut à nouveau revalorisé de 30 centimes (soit 6 sous)[8] quand l'ouverture de nouvelles usines[n 5] donna aux ouvriers l'opportunité d'aller chercher un emploi ailleurs[9].
Les autres compagnies minières alignèrent leur taux de salaire sur ceux d'Anzin, et ils restèrent à ce niveau jusqu'en 1847[9].
6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
6.1 Notes[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ En 1834, le hameau de l'Écorchoir sis à Anzin, est rattaché à Valenciennes et devient le Faubourg de Lille. Cela implique que les fosses du Chauffour, du Poirier et Beaujardin, ainsi que la fosse fermée Riviérette, sont désormais valenciennoises.
- ↑ Soit d'un franc soixante-dix centimes à un franc cinquante centimes. À cette époque, le prix d'un kilo de pain est de cinquante centimes (d'après Le peuple de la Nuit, note 2 page 383).
- ↑ Lors de la catastrophe du Chauffour entre autres, il avait envoyé ses propres fils en tête des colonnes de secours, d'après Les trois âges de la mines, tome 1, page 35.
- ↑ Six d'entre eux sont condamnés à des peines allant de huit jours à un mois de prison ; les autres sont acquittés d'après « Article de L'Écho de la Fabrique », sur ENS-LSH.
- ↑ Les Forges et Laminoirs d'Anzin sont fondés en 1834.
6.2 Références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ 1,0 1,1 1,2 et 1,3 Bruno Mattei, Rebelle, rebelle ! : révoltes et mythes du mineur, 1830-1946, p. 14
- ↑ 2,0 et 2,1 Gérard Dumont et Valérie Debrabant, Les 3 âges de la mine, t. 1, p. 43
- ↑ Gérard Dumont et Valérie Debrabant, Les 3 âges de la mine, t. 1, p. 26-27
- ↑ « Un tour du Saint-Cordon pas comme les autres (5/8) », sur La Voix du Nord, (consulté le 4 octobre 2009)
- ↑ 5,0 et 5,1 Jean-Claude Mouys, Histoire d'Anzin, JC Mouys, , p. 63-64
- ↑ Diana Cooper-Richet, Le Peuple de la nuit, p. 225
- ↑ Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, t. 1 : 1830-1871, p. 61
- ↑ Diana Cooper-Richet, Le Peuple de la nuit, p. 212
6.3 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Diana Cooper-Richet, Le Peuple de la nuit : mines et mineurs en France, Paris, Ed Perrin - Terre d'histoire, , 441 p. (ISBN 2-262-01328-4)
- Gérard Dumont et Valérie Debrabant, Les 3 âges de la mine, Lille, La Voix du Nord & Centre historique minier de Lewarde, 51 p. (ISBN 978-2-84393-107-9)
- Bruno Mattei, Rebelle, rebelle! : révoltes et mythes du mineur, 1830-1946, Editions Champ Vallon, (lire en ligne)