Grève

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GrèveGénérale.jpg

Une grève est un arrêt de travail par des salariés pour lutter contre un ou des patrons, voire, pour les plus massives (grève générale), contre le patronat et le gouvernement bourgeois.

De nombreux révolutionnaires ont comme axe stratégique pour le renversement de la bourgeoisie une grève générale insurrectionnelle.

1 Principe[modifier | modifier le wikicode]

Le principe d'une grève locale est de faire perdre des profits à l'entreprise, pour faire pression sur son patron et obtenir des concessions (augmentation de salaire, annulation de licenciements...). Chaque grève, et plus généralement chaque lutte collective dans une entreprise porte en germe la question de "qui dirige ?". A priori, c'est le patron, mais les travailleurs peuvent rapidement prendre conscience de leur force collective et piétiner la propriété privée des capitaux (contrôle ouvrier, expériences d'autogestion...).

Plus les travailleurs prennent largement conscience de leurs intérêts communs, plus ils s'organisent, notamment via les syndicats, et luttent à une échelle plus large. Par exemple, les travailleurs peuvent grève dans toute une branche de métier pour obtenir des améliorations de leurs conditions de travail communes.

Une grève générale dans tout un pays est un des moyens de lutte les plus puissants des exploités. Lorsqu'une grève générale illimitée est lancée et s'élargit à des revendications politiques, elle pose rapidement la question du pouvoir au niveau de l'Etat. C'est pourquoi beaucoup de socialistes révolutionnaires ont fait de la grève générale un cheval de bataille.

Le nombre de grèves peut être considéré comme un indicateur de la combativité générale de la classe ouvrière.[1][2]

2 Droit de grève[modifier | modifier le wikicode]

Le droit de grève ne va pas de soi. De nombreux gouvernements le limitent ou l'interdisent, espérant par là offrir au patronat de meilleures conditions d'exploitation ou pour éviter que des grèves politiques ne les menacent. Néanmoins, dans les pays où le mouvement ouvrier a atteint une grande puissance, le droit de grève a souvent été finalement accordé, à la fois sous la pression, et à la fois parce que cela devient un moyen de canaliser les mouvements : une fois autorisés, les organisations et leurs leaders sont connus, il devient possible de parlementer avec eux, les soudoyer ou les assagir par un embourgeoisement partiel, etc.

Dans le cas de la France, le droit de grève a été interdit au moment même ou s'ouvrait l'ère bourgeoise, pendant la Révolution française. En effet la Révolution va abolir les corporations de l'Ancien régime, qui étaient alors impopulaires de par le conservatisme qu'elles entretenaient (défense des intérêts des maîtres de jurande...). L'idéologie majoritaire parmi les révolutionnaires était qu'il ne devait y avoir aucun corps intermédiaire entre la Nation dans son ensemble et l'État républicain, et cela convenait assez bien à la bourgeoisie montante, qui pouvait ainsi espérer s'enrichir au delà des limites protectionnistes corporatives. Or, cette reglementation (loi d'Allarde puis loi le Chapelier) va ensuite être appliquée pour nier le droit de grève et interdire la formation de syndicats. L'interdiction est ainsi explicite dans le Code pénal de 1810.

Sous le Second Empire, Napoléon III a tenté de jouer la carte de la « compassion sociale », espérant ainsi dépolitiser les revendications ouvrières et les couper de toute revendication anti-gouvernementale. Il autorise ainsi les grèves en 1864. Mais cela ne fonctionne pas, le socialisme se renforce lentement mais sûrement. Mais les syndicats sont toujours interdits.

Finalement, c'est la grande grève des mineurs de 1884, celle qui inspirera Germinal à Zola, qui débouchera sur la légalisation des syndicats. Mais pendant encore des décennies, les gouvernements n'hésiteront pas à s'appuyer sur le délit dit « d’atteinte à la liberté du travail » (articles 414 et 415 du Code pénal) pour faire réprimer des grèves par l’armée et emprisonner des syndicalistes et des grévistes.

Le droit de grève a généralement été acquis plus tard dans la fonction publique. Encore au début du 20e siècle, les fonctionnaires étaient peu nombreux, et ce terme désignait avant tout des employés des fonctions régaliennes, privés du droit de grève. La tendance à l'extension de la sphère publique, ainsi que la revendication de socialisation portée par les socialistes, posait la question du statut des travailleur·ses de ces secteurs. Kautsky écrivait ainsi en 1922 :

« Ceux qui sont employés aux services économiques de l'Etat doivent avoir au moins les mêmes droits que les autres travailleurs face à leurs employeurs. Dans l'intérêt des travailleurs eux-mêmes, nous devons condamner et combattre toute grève frivole. Nous sommes fondés à exiger que les travailleurs engagés dans les services vitaux n'agissent jamais pour leur propre compte, mais toujours en accord avec l'ensemble des travailleurs organisés. Mais nous devons nous opposer énergiquement à l'idée de faire des travailleurs des fonctionnaires de l'Etat et de les priver de leur droit de se défendre contre une bureaucratie supérieure et hostile. »[3]

3 Types de grèves[modifier | modifier le wikicode]

On peut différencier schématiquement plusieurs types de grèves.

3.1 Grève locale, grève sectorielle et grève générale[modifier | modifier le wikicode]

  • La grève locale est celle qui ne touche qu'une seule entreprise.
  • La grève sectorielle s'étend à toutes les entreprises d'un secteur, parce que les travailleurs de ce secteur ont des intérêts communs. Cela peut être par exemple à l'initiative d'un syndicat de branche.
  • La grève générale est une grève qui touche tous les secteurs et tout le pays. Cela n'arrive bien sûr jamais à 100%, mais lorsqu'une grève touche de nombreux secteurs des centaines de milliers d'ouvriers, elle a un impact majeur qui focalise la vie politique de tout le pays.

La grève générale est un mouvement qui a un minimum de durée, et repose sur une dynamique de mobilisation enthousiaste des travailleurs. Lorsque l'on parle de "grève générale" pour une journée de grève nationale ponctuelle, appelée par les directions syndicales sur des mots d'ordre timorés, c'est donc un abus de langage.

3.2 Grève économique et grève politique[modifier | modifier le wikicode]

  • La « grève économique », qui ne vise qu'à obtenir des revendications concernant le rapport travailleur/patron (hausse des salaires, meilleures conditions de travail, pour des embauches ou contre des licenciements...)
  • La « grève politique », qui concerne des revendications politiques plus générales (droits démocratiques, paix, démission d'un gouvernement...)

La limite est bien sûr floue, et c'est un enjeu politique de la surmonter, pour que les travailleur·ses ne voient tout ça que comme un seul et même combat. Par exemple, une grève de solidarité[4] avec des travailleur·ses d'une autre usine de la même entreprise est-elle économique ? On peut soutenir que oui, puisque cela augmente le rapport de force de ces salarié·es. Et une grève de solidarité avec des salarié·es de la même entreprise dans un autre pays ? Un bureaucrate syndical d'IG Metall (Allemagne) a dit qu'il serait illégal de faire grève en Allemagne en solidarité avec IF Metall (Suède), contre Tesla, car ce serait une grève politique. [5] Considérer que la solidarité internationale est un acte politique contrairement à la solidarité nationale qui irait de soi, c'est une position politique en soi.

3.3 Grève générale passive et grève générale active[modifier | modifier le wikicode]

Il faut distinguer une grève générale largement passive dans laquelle les ouvrier·es se limitent à arrêter le travail d’avec une grève générale avec occupation d’usines, qui est évidemment un énorme pas en avant, parce qu’elle permet de rassembler la force de la classe. Une grève générale passive est une grève qui disperse la force de la classe : chaque ouvrier·e restant chez soi.

Il y a quelques exemples de grève passive dans l’histoire, et même parmi les plus éclatants : la plus grande grève générale qu’on ait jamais connu en Europe occidentale, la plus efficace, est la grève générale de la classe ouvrière allemande contre le putsch du général Kapp en 1920, qui a été absolument totale dans son efficacité, dans son effet, qui a arrêté toute la vie économique et publique, était passive.

Le type le plus avancé de grève active est celle dans laquelle les ouvrier·es reprennent en main la production pour leur propre compte (autogestion), ou a minima vendent les produits. C'est un point extrêmement important pour les révolutionnaires, car la généralisation et la coordination de tels phénomène constitue le cœur du socialisme. En dehors des grands moments révolutionnaires (Octobre 1917, révolution espagnole de 1936), les exemples historiques sont peu nombreux : Lip en France, la Clyde en 1971 en Angleterre[6], Glaverbel en 1975 en Belgique...

Des grévistes des secteurs des transports ont parfois organisé une reprise de certaines lignes sous leur contrôle direct afin de permettre la circulation de manifestants.

En Belgique, les ouvriers de Gazelco (gaz, électricité) ont longtemps appliqué la règle qu’en cas de grève, ils contrôlent eux-mêmes la distribution du courant pour couper le courant aux entreprises, aux administrations publiques, banques, etc. et éviter que le courant ne soit coupé aux ménages, car cela risque de diviser la classe ouvrière, car la grève sera impopulaire dans certains secteurs de la classe ouvrière.[7]

Un autre exemple eut lieu en mai 68 à Nantes, quand des comités de grève ont voulu organiser le ravitaillement des grévistes en assurant un échange de produits avec les paysans, ce qui impliquait la reprise ou le maintien de la production, ou l’écoulement des stocks qui existaient.

3.4 Dynamiques[modifier | modifier le wikicode]

Bien sûr, ces catégories n'ont pas de frontière nette. Les grèves concrètes, réelles, se situent plus ou moins entre ces « pôles » et peuvent évoluer rapidement dans leur contenu. La classe ouvrière peut rapidement politiser ses grèves dans certaines circonstances. Trotski décrit par exemple la radicalisation des ouvriers russes pendant la Guerre, avec l'avant-garde de Petrograd plus politisée :

« Les industriels se refusaient de plus en plus à faire des concessions aux ouvriers et le gouvernement continuait à répondre à chaque grève par une rigoureuse répression. Tout cela portait la pensée ouvrière du particulier au général, de l'économique à la politique : " Il faut qu'on déclare la grève tous en même temps. " Ainsi renaît l'idée d'une grève générale. Le processus de la radicalisation des masses est exprimé de la façon la plus convaincante par la statistique. En 1915, le chiffre des participants aux grèves politiques est de 2,5 inférieur à celui des ouvriers engagés dans des conflits économiques ; (...) au cours des deux premiers mois de 1917, les grèves politiques englobèrent six fois plus d'ouvriers que les grèves économiques. Le rôle de Pétrograd est suffisamment indiqué par un chiffre : pendant des années de guerre, 72 % des grévistes politiques appartiennent à la capitale !  »[2]

Les communistes révolutionnaires cherchent souvent à favoriser la généralisation des grèves et leur politisation, parce que c'est un outil majeur pour augmenter le rapport de force du côté ouvrier, et parce que cela forge la conscience de classe. Les plus grandes grèves générales politiques peuvent déboucher sur des situations révolutionnaires. Enfin, au cours même des grèves durables et massives, la nécessité d'organiser l'ensemble des travailleurs peut faire apparaître des structures d'auto-organisation (des conseils, soviet en russe), et celles-ci sont pour la plupart des communistes révolutionnaires susceptibles de former la base du pouvoir ouvrier.

4 Aspects pratiques[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Le temps et l'argent[modifier | modifier le wikicode]

Il y a une contradiction majeure dans une grève : les travailleurs aussi bien que les capitalistes perdent de l'argent. Pour les travailleurs, les conséquences sont souvent pénibles. Il peut sembler que ce sont les travailleurs les plus aisés qui se mettent plus facilement en grève, mais c'est loin d'être aussi simple. Lorsque les conditions de vie sont déjà intenables, certains se disent qu'ils n'ont plus rien à perdre et tout à gagner. Un des moyens principaux qu'ont les travailleurs de mieux tenir dans une grève dure et longue, c'est en constituant des caisses de grève. De ce point de vue, les syndicats sont une arme. Mais un syndicat bureaucratisé et versé dans la collaboration de classe peut aussi être un frein...

Les patrons ont eux aussi des armes pour résister à des grèves. Déjà, la centralisation du capital permet à des capitalistes qui ont de nombreuses entreprises de supporter des pertes conséquentes dans une entreprise tout en engrangeant assez de profits ailleurs. Il est fréquent que des grands patrons ou directions d'entreprises étatiques imposent des reculs sociaux entreprises par entreprises pour éviter une grève d'ensemble.

Il est évident que les patrons perdent d'autant plus d'argent que la grève est longue. Ce qui inquiète le plus les capitalistes, c'est d'avoir face à eux des travailleurs prêts à faire grève jusqu'à satisfaction. C'est pourquoi les vendus qui dirigent la plupart des centrales syndicales font semblant d'organiser la défense des travailleurs en les appelant à des journées ponctuelles de grève. De son côté, le patron reconnaissant n'a qu'à attendre la fin de la journée.

4.2 L'unité et les "jaunes"[modifier | modifier le wikicode]

Pour être efficace, il faut qu'une grève soit suivie. Dans certains entreprises industrielles, il suffit que certains secteurs stratégiques se mettent en grève pour que la production soit arrêtée et que les profits soient bloqués. Dans les autres cas, le niveau de gêne est souvent proportionnel au nombre de grévistes.

C'est pourquoi les patrons font parfois appel à d'autres travailleurs - parfois même qui ne travaillent pas sur place - pour remplacer des grévistes. Les grévistes tentent souvent de faire appel à la solidarité de ces recrues pour qu'elles ne sapent pas la grève. Il est arrivé que des tensions assez dures éclatent entre grévistes et "briseurs de grève", aussi appelés "jaunes" (couleur symbole de trahison).

4.3 Grève et services vitaux[modifier | modifier le wikicode]

Dans le cas de services vitaux, comme dans les urgences des hôpitaux, il est souvent très difficile moralement de cesser l'activité. Les administrateurs s'appuient souvent sur ce sentiment de culpabilité vis à vis des patient·es pour en profiter. La grève des urgentistes en France en 2019 a constitué une rupture de ce point de vue, avec un ras le bol et une situation tellement critique dans les urgences, pour cause de sous-financement chronique, que le mouvement de cessation du travail a pris de l'ampleur.

4.4 Grève et opérations gratuité[modifier | modifier le wikicode]

Parfois au lieu de cesser l'activité, des salarié·es en luttent imposent la gratuité de leurs activités. Dans le secteur de la santé, il est arrivé (en Angleterre dans les années 1970 notamment) que les infirmières continuent de travailler mais en refusant de facturer les patient·es.

Des grévistes des transports ont parfois organisé des opérations transports gratuits. Cependant cela pose d'autres difficultés : notamment cela expose les salariés à de lourdes sanctions (contrairement au droit de grève), et cela diminue le pouvoir de blocage de l'économie qu'ont les transports.[8]

5 Débats stratégiques sur la grève[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Premiers débats[modifier | modifier le wikicode]

De par sa révolution industrielle, l'Angleterre fut aussi le berceau du mouvement ouvrier. Ce fut logiquement là que fut la première fois évoquée la question de la grève générale, dans le mouvement chartiste.

« Durant le développement rapide et vigoureux pris par le chartisme parmi les ouvriers anglais à la suite de la crise de 1837, on prêchait dès 1839 le «Mois saint», la suspension du travail réalisée nationalement, et cette prédication avait trouvé tant d'écho que les ouvriers de fabrique du nord de l'Angleterre tentèrent, en juillet 1848, de réaliser l'affaire. »[9]

Dans l'Association internationale des travailleurs (AIT, Première internationale), Marx a dû défendre l'importance du recours à l'arme de la grève par les travailleurs, face à des courants comme celui de Proudhon qui lui tournaient le dos. Proudhon avait condamné la grève dans son livre Philosophie de la misère en 1846, comme une action violente, inefficace et illégitime. Et dans sa réponse, Misère de la philosophie, Marx avait au contraire défendu la grève, sur un plan économique comme politique.

Au Congrès de 1868 de la I'AIT, le socialiste belge César de Paepe défend le recours à la grève générale pour s'opposer à une éventuelle guerre, ce que Marx considère alors comme « absurde ».[10]

Dans l'AIT, une partie des « anti-autoritaires » (bakouniniens notamment) se sont appuyés sur l'idée de grève générale révolutionnaire pour l'opposer à la ligne des « marxistes », qui étaient en faveur de la conquête de bastions ouvriers dans les élections. C'était le début d'une opposition (malheureusement caricaturale) entre voie « politique » et voie « économique ». Ainsi, lors du congrès de Genève de l'AIT en 1873, James Guillaume expose la position bakouniniste, tandis qu'Engels lui répond :

« La grève générale est, dans le programme de Bakounine, le levier employé à inaugurer la révolution sociale. Un beau matin tous les ouvriers de tous les ateliers d'un pays, ou même du monde entier, abandonnent le travail et, par là, forcent en quatre semaines au plus les classes possédantes ou à capituler ou à se déchaîner contre les ouvriers, en sorte que ceux-ci ont alors le droit de se défendre et par la même occasion d'en finir avec la vieille société tout entière. (...) Au Congrès des alliancistes à Genève, le 1er septembre 1873, la grève universelle joua également un grand rôle, sauf qu'on reconnut de tous les côtés qu'il fallait, pour la faire, une organisation complète de la classe ouvrière et une caisse pleine. Et justement, c'est là l'encolure. D'une part les gouvernements, surtout si on les encourage par l'abstention politique, ne laisseront jamais arriver à ce point ni l'organisation, ni la caisse des ouvriers ; et, d'autre part, les événements politiques et les entreprises des classes dominantes mettront en train l'affranchissement des travailleurs bien avant que le prolétariat en arrive à se donner cette organisation idéale et ce fonds de réserve gigantesque. Si d'ailleurs il les avait, il n'aurait plus besoin du détour de la grève générale pour parvenir à son but. »[9]

Marx et Engels raillaient qui faisaient de la grève générale une panacée universelle, et se servaient de cet objectif (alors tout à fait hypothétique) pour s'opposer à des conquêtes politiques partielles.

Il faut noter qu'à cette époque, le débat sur la grève générale restait abstrait. Marx et Engels n'ont pas vraiment connu les grands mouvements de grève générale qui éclateront à la Belle Epoque. Engels a vécu les prémisses, dont il ne semble pas avoir vu le potentiel. Par exemple en 1891 il était persuadé que le mouvement en Belgique était voué à l'échec.[11]

5.2 Le syndicalisme révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

L'expression de « grève générale » est née en France à la fin du 19e siècle dans les milieux du syndicalisme. Théorisée, entre autres, par Joseph Tortelier et Aristide Briand, elle devait être une grève générale expropriatrice, synonyme de révolution. Mais le courant marxiste français, autour de Jules Guesde, était dominé par un dogmatisme couvrant une politique à la fois sectaire et opportuniste. Il s'opposait à l'idée de grève générale comme une chimère trop lointaine, tout en mettant de plus en plus exclusivement ses forces dans les élections locales et parlementaires, parlant de révolution mais de façon seulement abstraite. Cette position précipita la perte d'influence du marxisme dans le syndicalisme français, et l'évolution de ce dernier vers les positions « apolitiques » et syndicalistes révolutionnaires (évolution que Fernand Pelloutier incarne en un sens), qui culmineront dans la Charte d'Amiens.

La cessation de toute activité productive conduisant obligatoirement à l'effondrement du capitalisme, Georges Sorel en fit l'apologie en 1905-1906 en la présentant sous la forme d'un mythe mobilisateur censé remplacer la théorie marxiste de la catastrophe finale du capitalisme, jugée fataliste (voir ses Réflexions sur la violence). Elle fut à ce titre au centre de la théorie du syndicalisme révolutionnaire et considérée comme le prolongement de la politique d'action directe. L'échec des grèves générales lancées par la CGT, notamment le premier mai 1906, contribua au déclin du mythe révolutionnaire qu'elle représentait.

5.3 Grèves générales en Europe au début du 20e s.[modifier | modifier le wikicode]

En 1903, les Pays-Bas connaissent une grève générale à caractère économique.

Les socialistes autrichiens organisent deux grèves générales, en 1896 et en 1905 (la seconde ne dura que 24 heures).

En Suède, une grève générale à caractère politique eut lieu en 1901 et une seconde, motivée par des raisons économiques, en 1909.

Mais ce fut en Belgique que le mouvement fut le plus fort (après la Russie), dès 1887, puis en 1890, 1893, 1902 et 1913. Mais la direction du POB ne faisait le plus souvent que canaliser, avec réticence, les explosions spontanées des masses[12]. Lors de la grève générale de 1887, le Congrès extraordinaire du POB du 15 juin 1887 adopte une résolution qui centre sur le suffrage universel, et repousse tout caractère révolutionnaire (adopté par 59 voix contre 34 et 24 abstentions). Lors de la grève générale de 1902, la Neue Zeit (dont Rosa Luxemburg) critiqua la collaboration du POB avec les libéraux bourgeois (tandis que Bernstein en prit la défense).

5.4 L'expérience russe de 1905[modifier | modifier le wikicode]

Trotski fut un des premiers et des principaux social-démocrates russes à insister sur la grève générale insurrectionnelle, dès la fin 1904, avant que celle-ci n'éclate[13][14].

Les événéments révolutionnaires en Russie à partir de fin 1905, au cours desquels les ouvriers sont entrés spontanément dans des grèves de masse, ont provoqué de larges débats dans l'Internationale ouvrière. Lénine note que « déjà en mai 1905, le Congrès [du POSDR] chargeait toutes les organisations du Parti "d’étudier le rôle des grèves politiques de masse, qui peuvent avoir une grande importance au début et dans le cours de l’insurrection" ».[15]

Après l'expérience de 1905, les bolchéviks seront plus affirmatifs :

« Pour la première fois dans l'histoire du monde, la lutte révolutionnaire atteignit un tel degré de développement et une telle puissance que l'insurrection armée coïncida avec la grève de masse, cette arme spécifiquement prolétarienne. Il est clair que cette expérience a une signification internationale pour toutes les révolutions prolétariennes. Et les bolchéviks l'ont étudiée avec la plus grande attention et la plus grande application, tant dans ses aspects politiques que dans ses aspects économiques. »[15]

Trotski fut le président du Soviet ouvrier de Petersbourg, centre organisateur de la grève générale. Rosa Luxemburg, même en se basant uniquement sur les compte-rendu de presse, reconnut tout de suite l'importance majeure de ces mouvements de grèves de masse. A l'inverse, « l'immense majorité des représentants officiels des partis (...) officiels, dont les réformistes et les gens de l'espèce des futurs « kautskistes », « longuettistes », partisans de Hillquit en Amérique, etc., se montrèrent absolument incapables de comprendre la signification de cette expérience et de faire leur devoir de révolutionnaires, c'est‑à-­dire d'entreprendre l'étude et la propagande des enseignements de cette expérience »[15].

Dans son Histoire de la révolution russe, Trotski montre rétrospectivement que l'année révolutionnaire de 1905 fait apparaître nettement un pic du nombre de grévistes.[2]

5.5 Débats dans l'Internationale ouvrière[modifier | modifier le wikicode]

La révolution russe de 1905 et  la montée des luttes ouvrières à cette époque soulèvent d'intenses débats dans le SPD et l'Internationale ouvrière sur l'utilisation qui pouvait être faite de la grève générale. Les bureaucrates à la tête de la social-démocratie montrent leur réticence, et les dirigeants syndicaux jouent déjà un rôle de frein.

En 1905, l'Allemagne est secouée par une vague de grèves que la direction syndicale fait tout pour canaliser, notamment la grève des mineurs (qui menaçait l'économie de paralysie) qu'elle incite à reprendre le travail. Les syndicats allemands tiennent leur congrès à Cologne en mai 1905, et condamnent l'usage de la grève générale (que Carl Legien appelait « l'obscurité générale ») et même le fait de faire de la propagande pour. Ils déclarent qu’ils n’ont pas les moyens pour soutenir une grève générale et qu’ils ont besoin de la paix sociale pour continuer leur progression numérique.

Quelques mois plus tard, au congrès du parti, Bebel marque son hostilité aux révisionnistes qui rejettent la grève générale, affirmant que « la grève des masses doit être retenue comme une mesure défensive ».

Il reçoit le soutien de Rosa Luxemburg, qui rentre de Russie et publie en 1906 Grève de masse, Parti et syndicat[16], où elle réfute les positions des syndicalistes : elle dénonce leur caractère mécanique (attendre que toute la classe ouvrière soit organisée), leur attitude de comptable (les caisses des syndicats ne permettent pas de soutenir une grève générale) et met en avant que c’est dans la lutte que les travailleurs réalisent les plus grands progrès dans leur organisation et donc dans leur auto-émancipation. Il est à noter que Luxemburg contredit nettement les railleries que lançait Guesde 11 ans auparavant.

Lors du Congrès de Stuttgart (1907) de l'Internationale ouvrière, les délégués français proposent qu'en cas de guerre, il soit lancé un appel à la grève générale. Les Allemands, conduits par Bebel et Vollmar rejettent leur motion, au nom du fait que la grève générale détruirait toutes les organisations.

Dans ses attaques des bolchéviks après la révolution d'Octobre, Kautsky parle tout au plus de grève générale dans les moyens extra-parlementaires qui peuvent être utilisés selon lui. Trotski lui répond en 1920 :

« La grève générale ne peut avoir d'influence décisive que si elle est le prélude d'un conflit entre le prolétariat et la force armée de l'ennemi, c'est-à-dire d'une insurrection.  »[17]

5.6 Trotskisme et grève générale[modifier | modifier le wikicode]

Dans ses écrits sur la grève générale en France (1935), Trotski écrivait :

« La grève générale, comme le sait tout marxiste, est un des moyens de lutte les plus révolutionnaires. La grève générale ne se trouve possible que lorsque la lutte des classes s'élève au-dessus de toutes les exigences particulières et corporatives, s'étend à travers tous les compartiments des professions et des quartiers, efface les frontières entre les syndicats et les partis, entre la légalité et l'illégalité et mobilise la majorité du prolétariat, en l'opposant activement à la bourgeoisie et à l'Etat. Au-dessus de la grève générale, il ne peut y avoir que l'insurrection armée. Toute l'histoire du mouvement ouvrier témoigne que toute grève générale, quels que soient les mots d'ordre sous lesquels elle soit apparue, a une tendance interne à se transformer en conflit révolutionnaire déclaré, en lutte directe pour le pouvoir. En d'autres termes : la grève générale n'est possible que dans les conditions d'une extrême tension politique et c'est pourquoi elle est toujours l'expression indiscutable du caractère révolutionnaire de la situation. ! »[18]

Ernest Mandel a systématisé sa conception de la grève générale insurrectionnelle comme hypothèse stratégique.[7]

5.7 La grève sous un État ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Syndicats en Russie.

Les bolchéviks, une fois au pouvoir en Russie, ont eu d'intenses débats sur la question des syndicats. En particulier pendant la période du communisme de guerre, où la guerre civile imposait des conditions matérielles très difficile, et où l'économie était étatisée, la direction du parti a considéré que les ouvriers n'avaient pas à faire grève contre un État ouvrier. Il y a eu des nuances sur ce point, et des oppositions des communistes de gauche.

Sous le régime stalinien, les syndicats deviendront un simple rouage de l'État totalitaire, sans la moindre parcelle d'autonomie. La législation soviétique ne comportait pas d'interdiction formelle de la grève, mais elle n'était pas non plus autorisée, donc la grève constituait une infraction à la discipline du travail.

6 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

6.1 En France[modifier | modifier le wikicode]

Les grèves de 1995 ont marqué un réveil des luttes en France : c'étaient alors les plus grandes grèves depuis Mai 68, et le nombre des jours de grève a explosé jusqu'à 6 millions en 1995, alors que le nombre moyen annuel de jours de grève de la période 1982-1994 est de 1,1 million par an.[19]

Parmi les grèves régionales d'ampleur, on peut citer l'affaire Lip de 1973 à 1974, dans la ville de Besançon.

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6.2 Ailleurs dans le monde[modifier | modifier le wikicode]

  • 1155 av. J.-C. : la première grève attestée de l'histoire, une grève des ouvriers de la Vallée des Rois en Egypte[20]
  • 1825 : légalisation du droit de grève en Angleterre, suite à l'essor du mouvement ouvrier
  • 1841-1842 : grèves de masse en Angleterre, provoquées par la crise
  • 1902 : Grève générale en Belgique pour le suffrage universel
  • 1905 : Grève générale en Russie, dite "révolution de 1905"
  • 1912-1914 : Vague de grèves en Russie
  • 1917 : Grèves générales en Russie, jusqu'à la révolution d'Octobre
  • 1917 : Grève générale en Espagne
  • 1918 : Grève générale en Suisse
  • 1919 : Grève générale à Seattle, et à Winnipeg
  • 1920 : Grève générale en Allemagne, pour contrer le putsch de Kapp
  • 1926 : Grève générale au Royaume-Uni
  • 1932 : Grève générale à Genève, grève générale à Vitchouga (URSS)
  • 1956 : Grève générale lancée le 19 mai 1956 en Algérie, en Tunisie et au Maroc, par l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), durant la Guerre d'Algérie
  • 1960 : Grève générale de l'hiver 1960-1961 en Belgique
  • 1978 : Jeudi noir en Tunisie
  • 1980 : Grève générale au Sri Lanka[21]
  • 1984 : Grèves contre Thatcher au Royaume-Uni
  • 2000 : Grèves et blocages des travailleurs au Vietnam
  • 2003 : Grève-générale en Inde contre un vaste plan de privatisation
  • 2004 : émeutes ouvrières à Dongguan suite à violences policières, grèves d'ouvrières dans le textile et l'électronique, tentatives de créer des syndicats, forte répression.
  • 2004 : Révolution orange en Ukraine
  • 2006 : Grève générale au Népal qui ébranle le pouvoir et conduira à l'abolition de la monarchie.
  • 2008 :
    • Grève d'aiguilleurs du ciel dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, la grève déborde les syndicats.
    • Grève générale en Afrique du Sud contre l'augmentation brusque des prix de l'électricité (suite à privatisation).
  • 2009 :
    • Grèves de médecins au Nigeria pour de meilleures conditions de travail.
    • 44 jours de grève générale en Guadeloupe, unité syndicale et politique dans le LKP, victoire, hausse des salaires
    • Mouvement analogue (de 38 jours) Martinique

7 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Bibliographie

Notes

  1. Lénine, Experience Teaches, Pravda n°15, 19 janvier 1913
  2. 2,0 2,1 et 2,2 Léon Trotski, Histoire de la révolution russe, 1930
  3. Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
  4. Wikipedia, Solidarity action
  5. Paroles de Markus Sievers (IG Metal), citées dans Dagens Nyheter, Tyska facket om sympatistrejk: ”Vore olagligt”, 2023-12-07
  6. https://autogestion.asso.fr/1971-greve-active-a-la-clyde/
  7. 7,0 et 7,1 Ernest Mandel, La grève générale. Questions stratégiques, années 1970 (republié dans Contretemps, 12 décembre 2019)
  8. Alternative révolutionnaire communiste, RATP : grève ou transports gratuits ?, 15 décembre 2019
  9. 9,0 et 9,1 Friedrich Engels, Les bakouninistes à l'oeuvre, 1873
  10. Karl Marx, Lettre à Friedrich Engels, 16 septembre 1868
  11. Friedrich Engels, Lettre à Friedrich Adolph Sorge, 8 avril 1891
  12. Marcel Liebman, La pratique de la grève générale dans le Parti ouvrier belge jusqu'en 1914, Le Mouvement social, N° 58 – janvier-mars 1967
  13. Léon Trotski, Ma vie, 13. Retour en Russie, 1930
  14. Léon Trotski, 1905, 1909
  15. 15,0 15,1 et 15,2 Lénine, Contribution à l’histoire de la dictature, 20 octobre 1920
  16. Rosa Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicat, 1906
  17. Trotski, Terrorisme et communisme, 1920
  18. Trotski, Où va la France ?, mars 1935
  19. Six fois plus de jours de grève en 1995, L'Humanité, 16 novembre 1996.
  20. La toute première grève. Courrier international, Février 2020. Traduction d'un article du magazine roumain Historia
  21. DailyFT, How the 1980 general strike was smashed, 2016