Passéisme
Le passéisme est une attitude qui consiste à préférer ou à idéaliser le passé par rapport au présent, en considérant que les valeurs, les coutumes ou les modes de vie d'une époque révolue étaient meilleurs ou plus souhaitables que ceux d'aujourd'hui.[2][3][4] C'est un terme souvent utilisé pour décrire une résistance au changement ou un refus de s'adapter aux évolutions de la société. Cette qualification est généralement utilisée de manière péjorative. Le passéisme est souvent résumé par la phrase « C'était mieux avant ».
Idées réactionnaires et obscurantisme sont utilisés parfois dans le même sens que passéisme d'une manière péjorative[5]. La nostalgie peut être un synonyme de passéisme sans connotation péjorative. Le conservatisme par opposition au progressisme ou le traditionalisme décrivent des courants politiques pouvant être associés à une nostalgie du passé.
Au passéisme, on peut opposer le concept de futurisme[6], de modernisme[7] ou encore de progressisme.
1 Causes[modifier | modifier le wikicode]
La tendance au passéisme semble exister depuis toujours dans l'humanité. Déjà, au 1er siècle av. J.-C., dans son Art poétique, le poète latin Horace fustigeait ses aînés dans son œuvre[8], comme nous l'indique cette citation (vers 173-174) : « Mille incommodités assiègent le vieillard […] Quinteux, râleur, vantant le temps passé, quand il était gosse, toujours à censurer les jeunes ». Il y a donc des causes générales à cette tendance, même si des facteurs socio-historiques peuvent ensuite fortement moduler cette tendance, l'atténuer ou l'exacerber.
1.1 Aspects psychologiques[modifier | modifier le wikicode]
Selon la "théorie de la sélectivité socio-émotive"[9], chacun dirige ainsi son attention vers des pensées ou des souvenirs positifs lorsqu’il se rend compte que le temps qui lui reste à vivre est limité. Selon "l'effet de simple exposition" bien connu des radios, plus on vous expose à quelque chose de nouveau, plus vous l'apprécierez. De plus, des parents auront tendance à avoir peur de la nouveauté pour protéger leurs enfants.
1.2 Aspects socio-historiques[modifier | modifier le wikicode]
De manière générale, on peut dire que si une génération voit son mode de vie se dégrader par rapport à la génération précédente, elle sera beaucoup plus sensible aux discours passéistes. L'évolution sociale et en particulier, pour l'époque contemporaine, la dynamique économique du capitalisme, est donc fortement déterminante pour cette tendance idéologique.
L'industrie de la culture utilise désormais la carte de la nostalgie dans leurs productions (culture-bait[10]).
2 Le passéisme de droite[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Du rêve passéiste de Nicolas Sarkozy[modifier | modifier le wikicode]
Sur six discours du 10 au 19 Avril 2007, Nicolas Sarkozy citera Jean Jaurès 37 fois, Jules Ferry 17 fois, Charles de Gaulle 12 fois et Léon Blum 7 fois[11]. Ces discours ont pour double but de réécrire un roman national coupé de toute historicité, portant l'auditeur dans un rêve fantasmé et ainsi parler moins d'un programme éloigné des valeurs portés par les personnes cités. Il ajoutera sur ses discours des personnalités locales tirés du Tour de la France par deux enfants[12]. À Rouen, le 24 avril, c’est Corneille et Jeanne d’Arc. À Marseille, le 19 avril, c’est Mirabeau. À Dijon, le 23 avril, c’est le pays de Bossuet, de Buffon et de Lamartine. Mais aussi le Petit Lavisse[13], autre best-seller de la littérature scolaire de la IIIe République, réconciliant la France des Rois et celle de la République. On y retrouve la vision de l'Ordre, des devoirs du citoyen, du courage à la Patrie et des "bienfaits" de la colonisation, autant de valeurs moralisatrices pour enfants qui séduiront les nostalgiques de l'école d'avant 1970. Si Nicolas Sarkozy ne citera pas Napoléon Bonaparte et Pétain, il citera tout de même Maurice Barrès lors de son discours de Metz[11], le père du nationalisme qui était aussi antidreyfusard et antisémite.
2.2 À aujourd'hui[modifier | modifier le wikicode]
Si l'appel au Gaullisme a toujours existé dans les formations comme l'UMP comme LR, il s'est étendu à tous les partis de droite[14], y compris à l'extrême droite qui historiquement était ennemie du gaullisme (le FN/RN vient de l'OAS[15]).
Les appels aux Bonapartismes sont passés de l'extrême droite à la droite, comme pour Napoléon Bonaparte. Gérald Darmanin, depuis 2015 dans le Point[16] puis dans son manifeste à la laïcité s'y réfèrera, reprenant en même temps les tropes antisémites de l'Empereur[17]. Macron rendra hommage à Napoléon Bonaparte, ce qu'aucun autre chef d'Etat Français n'avait fait depuis Pompidou, mais aussi Pétain, utilisant même son grade qu'il a perdu lors de sa déchéance. Il fera de même avec Maurras[18], tentant de fantasmer un nationalisme sans racisme.
L'apogée sera atteint sur la vidéo de campagne d'Eric Zemmour largement basé sur le rappel du passé, mêlant Napoléon, Louis XIV, Jeanne d'Arc, De Gaulle ou Brassens[19] (aux convictions radicalement opposées...). Chaque image, jusqu'au mobilier[20], la musique et sa posture ont été mis au service d'une vision d'un passé fantasmé.
Selon l'écrivain réactionnaire Sylvain Tesson, l'être humain doit fuir le monde numérisé afin de retrouver « l’espace et le temps, le silence et la durée »[21]. Dans le même sens, Frédéric Beigbeder considère les réseaux sociaux comme sans intérêt et leur utilisation supposée incontournable serait autant artificielle qu'imposée[22].
3 Le passéisme de gauche[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Le mythe de l'âge d'or[modifier | modifier le wikicode]
Au-delà du mythe grec, l'âge d'or est la vision d'un passé heureux et lointain qui s'éloigne de plus en plus avec le temps qui passe.
Beaucoup d'auteurs ont souligné que le mythe de l'âge d'or est une forme de passéisme, tout en servant de discours normatif sur le présent et le futur.
3.2 Socialisme utopique[modifier | modifier le wikicode]
Le communisme de Marx et Engels était tourné vers l'avenir, s'inscrivant dans la modernité, et voulant tirer tous les fruits de la technologie que le capitalisme accapare voire rend destructeurs. Pour cette raison, ils dénigraient parfois des courants dans le mouvement ouvrier ou dans le socialisme qui s'appuyant sur le passéisme.
Par exemple, ils dénigraient parfois dans leurs lettres les « straubingers »[23], des artisans allemands encore largement influencés par les préjugés liés aux corporations et qui entretenaient l'illusion d'un retour à la production artisanale à petite échelle.[24]
3.3 Dans les pays de l'est[modifier | modifier le wikicode]
L'ostalgie, néologisme désignant une forme de nostalgie de l'ancienne République démocratique allemande, puis par la suite, élargi au regret de la vie quotidienne des démocraties populaires de l'ex-Bloc de l'Est. C'est une forme de passéisme très répandu dans ces nostalgiques du communisme d'État.
3.4 Au nom de la simplicité[modifier | modifier le wikicode]
Brassens vivait simplement, sans eau courante et électricité. « Le cul dans un fauteuil, tu n’as pas envie de faire de grandes choses, mais dès qu’une vie est passionnée, la question de confort n’a plus beaucoup d’importance. Je pense que Beethoven, pour composer, n’avait pas besoin de confort »[25]. Chanteur et poète, il aimait raconter des histoires. Sa chanson nommée le passéiste[26], écrite à la première personne, raconte sa relation avec les critiques de salon sur sa vision critique du présent et ses appels récurrents aux écrits du passé. Il cite Jadis et Naguère, un recueil de poèmes de Paul Verlaine publié en 1884 dont il a tiré une chanson. Sa phrase fétiche qu'il répète en refrain est "Il était une fois".
4 Critiques du passéisme[modifier | modifier le wikicode]
4.1 Instrumentalisation « libérale »[modifier | modifier le wikicode]
Dans la préface du livre Non ce n'était pas mieux avant, de l'écrivain suédois militant pour la défense du libéralisme, Johan Norberg, l'entrepreneur Mathieu Laine.[27]
L’expression « gauche passéiste » est attribuée à l'ancien Premier ministre Manuel Valls qui l'a utilisée pour répondre à l'appel de Martine Aubry et des frondeurs du PS[28] lui intimant d'infléchir sa politique ou d'autres l'accusant de vouloir tuer la gauche[29]. Il a ainsi déclaré : « Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s'attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. La seule question qui vaille, c'est comment orienter la modernité pour accélérer l'émancipation des individus »[30]. Manuel Valls passera ensuite chez LREM pour finir sa carrière politique comme conseiller municipal d'un parti de centre droit à Barcelone, parti qu'il quittera après l'élection en raison d'un rapprochement avec Vox, l'extrême droite espagnole[31].
4.2 Honnêteté[modifier | modifier le wikicode]
Le simple souci de l'honnêteté peut pousser certaines personnes à rejeter les généralisations abusives du passéisme.
Par exemple lorsque Laurent Terzieff dit :
« Le passéisme des gens de mon âge m'effraie. Évidemment, ce sentiment que ce qui arrive de nouveau est quelque chose qu'on a déjà vécu, je l'ai moi-même éprouvé, mais c'est faux. Ce qui est nouveau est vraiment nouveau, on ne l'a pas vécu. L'histoire ressasse, parfois, mais elle ne bégaie pas ».[32]
5 Statistiques[modifier | modifier le wikicode]
Une étude réalisée entre 2013 et 2014 indique que 46 % des Français interrogés pensent que « c’était mieux avant ». Par rapport à l’enquête précédente, réalisée en 2004, la DREES indique que « les Français sont de plus en plus nombreux à penser que leur situation générale est moins bonne que celle de leurs parents ». Selon cet organisme public, ces personnes évoquent un sentiment de déclassement, les jeunes se sentant les plus concernés[33].
Une enquête effectuée en 2016 indique que pour 70 % des français interrogés, la télévision, « c'était mieux avant ». Ce sondage indique également les préférences des français en matière de programmes et de présentateurs[34].
6 Dans la culture[modifier | modifier le wikicode]
6.1 Chansons[modifier | modifier le wikicode]
- Georges Brassens : Le passéiste (album Les dernières chansons inédites de Brassens), 1982
- Clarika : C'était mieux avant (album La Tournure des choses, 2013)
- Joseph Dahan : C'était mieux avant (album Ma langue aux anglais, 2014)[35].
7 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Jacopo Masi, Ce sentiment qui nous rappelle: Déclinaisons de la nostalgie chez Giorgio Caproni, Philip Larkin, Claude Esteban et Seamus Heaney, 2018
- ↑ « passéisme », dictionnaire Larousse.
- ↑ Définitions lexicographiques et étymologiques de « passéiste » sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
- ↑ Définitions lexicographiques et étymologiques de « passéisme » sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
- ↑ Dictionnaire Reverso, "fiche synonyme pour le mot passéiste", consulté le 9 octobre 2018
- ↑ « Futurisme », sur cnrtl.fr
- ↑ « Modernisme », sur cnrtl.fr
- ↑ Site franceculture.fr, article "C'était mieux avant… et ça fait 2 000 ans que ça dure !", consulté le 30 novembre 2021.
- ↑ Serge Ciccotti, Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables, Dunod, , 424 p. (ISBN 978-2-100-56165-0, lire en ligne), p. 110
- ↑ Lucie Dachary, « Stranger things, la série nostalgique par excellence »
- ↑ 11,0 et 11,1 CVUH, « l'histoire par Nicolas Sarkozy »
- ↑ G. Bruno, « Le Tour de la France par deux enfants »
- ↑ Ernest Lavisse, « Petit Lavisse »
- ↑ Pierre Manenti, «On peut voir le projet d’Emmanuel Macron comme éminemment gaulliste»
- ↑ Julie Clarini, Xavier de La Porte, Rémi Noyon et Pascal Riché, « « C’est la faute de Mitterrand », « le RN est l’héritier du gaullisme » : sept idées fausses sur l’histoire du Front national »
- ↑ « Darmanin: créer un Islam de France pour "éviter une guerre civile religieuse" »
- ↑ Noémie Emmanuel, Sarah Benichou, « Napoléon, Darmanin et la grammaire antisémite »
- ↑ Juives et juifs révolutionnaires, « Macron, Maurras, Pétain et l’antisémitisme »
- ↑ Romain Imbach, Romain Geoffroy, Pierre Breteau et Assma Maad, « Le clip de campagne d’Eric Zemmour décortiqué : 114 séquences « empruntées » et quelques contresens »
- ↑ Chayka HACKSO, « DÉCRYPTAGE DE LA VIDÉO DE ZEMMOUR »
- ↑ Site du journal Le Monde, article de Nicolas Truong sur Sylvain Tesson, publié le 03 août 2018
- ↑ Site de la station de radio France Inter, le billet de Frédéric Beigbeder, publié le 2 novembre 2017
- ↑ Aux 18e et 19e siècles, le ville de Straubing était réputée comme un lieu de passage pour de nombreux artisans ambulants ayant achevé leur apprentissage et qui voyageaient de ville en ville à la recherche de travail.
- ↑ Friedrich Engels, Letter to Karl Marx, about October 23, 1846
- ↑ Hugues Folloppe, « Georges Brassens, une vie philosophique »
- ↑ Georges Brassens, « Le passéiste »
- ↑ Livre Google, "Non ce n'était pas mieux avant" de Johan Norberg, consulté le 07 octobre 2018
- ↑ « Martine Aubry demande une "réorientation politique" à François Hollande », (consulté le 11 octobre 2022)
- ↑ Nathanaël Uhl, « Guillaume Balas : « Pour sauver la gauche, Manuel Valls propose sa disparition » », (consulté le 11 octobre 2022)
- ↑ « Manuel Valls : "Il faut en finir avec la gauche passéiste" », sur L'Obs (consulté le 19 mars 2016)
- ↑ AFP - Pau Barrena, « MUNICIPALES À BARCELONE: LE PARTI DE CENTRE-DROIT CIUDADANOS SE SÉPARE DE MANUEL VALLS »,
- ↑ Fabienne Darge, « Laurent Terzieff : "Le passéisme m'effraie" », sur lemonde.fr,
- ↑ Site du journal Ouest France, article "Pour 46 % des Français, c’était mieux avant", publié le 11 juillet 2016
- ↑ Site du TV Mag Figaro, article "Télévision : pour 70% des Français, c’était mieux avant", publié le 01 août 2015
- ↑ Site Lords of rock, page "Jo Dahan, Ma Langue Aux Anglais"