Bureaucratisation soviétique

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L'État soviétique a connu un processus de dégénérescence bureaucratique dans ses premières années. Pour les communistes révolutionnaires qui se revendiquent de Lénine (trotskistes essentiellement), ce processus a conduit à un État ouvrier dégénéré à partir du milieu des années 1920 (ce que Trotski a appelé le Thermidor soviétique). Pour les staliniens, les libéraux et la plupart des anarchistes, le bolchévisme conduit au stalinisme. D'autres communistes révolutionnaires considèrent que la bureaucratisation a commencé dans les tous premiers mois après la révolution d'Octobre.

1 Les premières années de la Russie révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Cette section a pour but de décrire plusieurs phénomènes imbriqués et plus ou moins simultanés, sans trancher sur l'importance de chacun et les rapports de causalité :

  • la bureaucratisation dans les rapports entre direction et base dans les soviets, les syndicats...
  • la bureaucratisation dans l'appareil de l'État soviétique,
  • la bureaucratisation dans le parti communiste,
  • la bureaucratisation dans les rapports entre parti, État, syndicats...
  • les difficultés de la guerre civile (menace des Blancs, problèmes d'approvisionnements et réquisitions...)

1.1 Pendant la révolution[modifier | modifier le wikicode]

Les organes issus de l'auto-organisation qui se forment « spontanément » deviennent rapidement massifs et connaissent dès l'origine (au cours de l'année 1917) des processus de « bureaucratisation ». Les soviets, les comités d’usine et comités de quartier, la garde rouge, etc. se dotent très vite d’un lourd appareil administratif, et ce quelles que soient les forces politiques qui y prédominent. La professionnalisation des membres des comités est extrêmement rapide. L'historien Marc Ferro insiste sur ce phénomène et soutient que la bureaucratisation est consubstantielle à l’auto-organisation.

Trotski évoque ce phénomène dans son Histoire de la Révolution russe, mais uniquement sous l'angle du retard des directions par rapport aux bases, en le décrivant comme inhérent à tout « parlementarisme », tout en étant bien moindre dans les soviets que dans les parlements classiques (grâce aux élections fréquentes et à la possibilité de révoquer les élus). Il y a ainsi une inertie des directions, qui restent un instant conciliatrices (menchéviks et SR) alors que la base se radicalise. Trotski met notamment cela en lien avec la sociologie (les élus sont souvent des intellectuels, des notables...).

Même si la légitimité des instances soviétiques reposait sur le pouvoir des assemblées, les comités exécutifs et leurs bureaux ont une tendance à s'autonomiser. Ils ont notamment la tâche de convoquer les prochains pléniers, tâche technique qui peut facilement être utilisée politiquement. Par exemple, les conciliateurs, nettement majoritaires à l'issu du 1er congrès des soviets et donc dans son comité exécutif, mais perdant du terrain dans le Soviet de Petrograd, ne convoquaient plus le comité exécutif du Soviet de Petrograd. Fin juillet, les bolchéviks protestent contre le fait que celui-ci n'ait pas été convoqué depuis 2 mois.

Un enjeu fort a été l'application plus ou moins forte du principe majoritaire (les directions surreprésentent les courants majoritaires) ou de la proportionnelle. Pendant l'année 1917 les bolchéviks ont souvent protesté contre la surreprésentation des conciliateurs (et réclamé de nouvelles élections), et après Octobre ils ont rapidement pratiqué la même chose.

Dès l'origine les dirigeants des soviets se sont permis de nommer les membres des bureaux (dans une proportion croissante), faisant sanctionner le choix par un vote des assemblées devenant de plus en plus formel, voire sans demander leur avis. A l'origine ces nominations étaient souvent justifiées par des arguments techniques : il fallait aux bureaux des gens compétents, sachant bien lire, compter, discourir... et bien souvent des membres élus acceptaient d'eux-mêmes de laisser la place à d'autres. Ces autres, cooptés, ont forcément été choisis par les partis majoritaires.

La part des partis politiques par rapport aux sans partis s'est accrue au cours même de la révolution de 1917, correspondant certes à l'accroissement du nombre d'adhérents des partis (politisation), mais aussi à des habitudes de plus en plus ancrées de décider par en haut des délégations. Dans certaines régions, celle de Novgorod par exemple, la formation du comité exécutif fut assurée seulement pour moitié par élection directe, l’autre étant le fait des organisations. Au cours des conférences de comités d’usine, le nombre de délégués nommés par le haut passe de 4% à 12% entre juin et septembre.

Marc Ferro évoque une bureaucratisation des institutions révolutionnaires perceptible dès avril 1917 : « Dans chaque quartier, il y avait un comité de 40 à 100 personnes, vers lequel les gens convergeaient pour demander un logement ou le paiement d’une pension. Au bout d’un certain temps, certains membres du comité, mieux informés, connaisseurs de dossiers, sont devenus permanents, et se sont bureaucratisés. Le jour où Lénine organise l’insurrection, il lui faut des relais : ce seront ces responsables des comités de quartier. Ils ne sont pas forcément bolcheviques, mais ont tout à perdre si la révolution échoue. [...] Cette rencontre donne naissance aux apparatchiks, ces gens d’en bas, ouvriers ou paysans […] qui vont monter l’appareil d’État. C’est ce que j’ai appelé la “plébéianisation” du pouvoir. »[1][2]

1.2 La terreur et la guerre civile[modifier | modifier le wikicode]

Il ne fait aucun doute qu'au moment de l'insurrection, les premières mesures révolutionnaires furent immensément populaires. Elles furent proposées par les bolchéviks, mais ratifiées par le 2e congrès des soviets, avec une majorité avec les SR de gauche. Il s'agissait alors essentiellement de légaliser les revendications populaires, déjà largement réalisées par en bas, et parfois ce n'était pas le programme bolchévik (comme dans le cas du partage des terres).

Dès les jours suivant la révolution, le nouveau pouvoir doit faire face à plusieurs tentatives contre-révolutionnaires de soulèvements, de reconquêtes armées par les armées blanches (à partir de régions rurales) appuyées par des forces internes (presse bourgeoise qui calomnie les bolchéviks, qui appelle à la révolte...). Le pouvoir soviétique doit assurer sa défense, et pour cela, le gouvernement est dans une certaine mesure obligé de prendre des mesures drastiques.

Dans ces conditions, le nouveau pouvoir prend des mesures répressives tant par des décisions au niveau central que par des initiatives locales. Les deux se nourrissent : les dirigeants à Petrograd lancent des appels à l'initiative des masses, celles-ci prennent des mesures qui inspirent parfois des décrets nationaux, et d'autre fois les dirigeants nationaux essaient de modérer des excès de la base. C'est l'ensemble qui est appelé « terreur rouge ».

La répression frappe d'abord le parti KD et la presse bourgeoise en général. En décembre 1917, les bolchéviks et les SR de gauche créent la Tcheka, une police politique conçue comme provisoire, et fonctionnant secrètement. Un appel est lancé pour la création de tchékas locales, le processus de centralisation se fera progressivement par la suite.

L'effort des impérialistes pour renverser le nouveau régime (embargo, financement et soutien des armées blanches...) va entraîner une véritable guerre civile qui fera rage de 1918 jusqu'en 1921.  Aux 5 millions de morts de la guerre de 1914-1917 s'ajouteront 4,5 millions de morts et 2,5 millions d’exilés. La guerre civile a de nombreuses conséquences négatives : l'économie s'effondre encore plus, la menace des Blancs conduit à une militarisation des Rouges, la militarisation conduit à une méfiance extrême envers toute critique du nouveau pouvoir... Comme l'écrivit Victor Serge : « Quelles raisons profondes motivèrent la décision du Comité central de maintenir et fortifier le monopole du pouvoir ? Tout d’abord, dans ces crises, les bolcheviks n’avaient de confiance qu’en eux-mêmes »

Dans ce contexte, beaucoup de socialistes européens, même réformistes ou centristes, font le choix de dénoncer avant tout le blocus et les interventions impérialistes contre la Russie, et ceux qui se rendent en visite en Russie passent sous silence les aspects les moins reluisants du jeune régime. Le philosophe anglais Bertrand Russel écrit après son son voyage en 1920 : « je ne puis participer à la conspiration du silence qu’estiment nécessaire de nombreux socialistes occidentaux qui ont visité la Russie »[3]. Il décrit l'état socio-économique catastrophique du pays, et les dégâts causés par le blocus impérialiste, ainsi que les conséquences : un État stabilisé dans une absence de réelle démocratie.

« Je crois que tous ceux qui sont allés en Russie ces temps derniers sont convaincus que le gouvernement actuel est stable. Il pourra subir des modifications internes et pourrait facilement, sans Lénine, devenir une autocratie militaire bonapartiste. Mais ce serait là un changement émanant de l’intérieur – changement qui peut-être ne serait pas très grand – et qui ne ferait sans doute pas grand-chose pour modifier le système économique. »

Mais dès décembre 1917, certains dénoncent le fait que la terreur touche aussi la classe ouvrière. Ainsi le bolchévik Losovski, dirigeant syndical, écrit le 20 décembre dans le journal officiel des syndicats, le Professional’ny Vetsnik :

« la tâche des syndicats et du pouvoir des Soviets est d'isoler les éléments bourgeois qui dirigent les grèves et poussent au sabotage, mais nous ne devrions pas essayer d'y arriver par des moyens purement mécaniques, par des arrestations, des envois au front, ou la suppression des cartes de ravitaillement (...). Nous trouvons absolument inadmissible la censure préalable, la suppression de la liberté d'agitation pour les partis socialistes et démocratiques. L'interdiction de journaux, la violence contre des grévistes, etc., irritent des plaies toujours vives. Il y a eu beaucoup trop d'« actions » de ce genre dans un passé récent qui restent gravées dans la mémoire des masses laborieuses russes, et cela peut mener à des analogies funestes pour le pouvoir soviétique »

1.3 Armée rouge : recréation d'une armée permanente[modifier | modifier le wikicode]

Selon la théorie marxiste, la base de l'Etat, qui s'est maintenue et renforcée du féodalisme au capitalisme, c'est notamment l'armée permanente. Lénine avait réaffirmé dans les thèses d'avril et dans L'État et la révolution l'objectif de remplacer celle-ci par le peuple en armes. Il semblait que le demantèlement de la police et la création de milices d'ouvriers armés (gardes rouges) en 1917 allait dans ce sens. Mais face à des armées blanches aidées par les impérialistes et disposant de plus de formation militaire, les gardes rouges s'avèrent peu efficaces. La direction bolchévique et Trotski en particulier décident de créer une Armée rouge au fonctionnement centralisé et hiérarchisé : rétablissement des grades et de la discipline, incorporation de nombreux anciens officiers tsaristes... La peine de mort est rétablie...

Par ailleurs, en particulier lors de la guerre contre la Pologne à partir d'avril 1920, beaucoup d’officiers blancs se rallient à l’Armée rouge sur une base chauvine, encouragée par une partie de l'appareil d'Etat.

1.4 Vers le parti unique[modifier | modifier le wikicode]

Les bolchéviks n'avaient à l'origine pas en tête de fonder un régime de parti unique, mais une démocratie soviétique : le ou les partis qui ont la majorité dans les soviets forment le gouvernement. Ils assumaient majoritairement l'idée de répression des forces contre-révolutionnaires et bourgeoises, mais estimaient que d'autres forces socialistes pouvaient avoir leur place. Cependant dès 1917 un processus de polarisation autour du parti bolchévik eut lieu : les masses affluaient vers les bolchéviks, tandis que les autres partis socialistes se vidaient et menaient une politique hostile à la révolution. Cela conduisit beaucoup de bolchéviks à considérer que leur parti s'identifiait à la révolution, et que les autres avaient été rejetés dans le camp contre-révolutionnaire. Juste avant l'insurrection d'Octobre, Lénine pouvait par exemple écrire : « le pouvoir des bolchéviks, c’est-à-dire le pouvoir du prolétariat »[4].

Ernest Mandel faisait le commentaire suivant à propos de cette dérive :

« L’interdiction des partis soviétiques, de même que l’interdiction des fractions au sein du parti gouvernemental qui lui fit logiquement suite (chaque fraction est en effet un autre parti en puissance) étaient sans doute conçues comme des mesures provisoires. […] Il nous faut soulever une autre question, plus générale : quelles ont été les conséquences des théories avancées pour justifier de telles interdictions. […] Nous estimons que ces justifications théoriques ont causé beaucoup plus de dommages, à plus long terme, que les mesures elles-mêmes » [5]

Juste après la révolution d'Octobre, seuls quelques dirigeants SR de droite sont réprimés (ceux qui étaient ministres dans le gouvernement provisoire sont arrêtés, certains qui se joignent à des tentatives contre-révolutionnaires avec les KD également...). Mais le parti SR connaît une scission qui voit la majorité (et la base) du parti soutenir les mesures révolutionnaires des bolchéviques. Ces SR de gauche participent même au gouvernement. Mais ils rompent en juillet 1918 et se lancent dans une vague d'attentats, ce qui cause immédiatement leur répression.

Les menchéviks et leur presse seront ensuite interdits entre 1919 et 1921. Cependant en 1920, Bertrand Russel (très critique des bolchéviks) raconte au sujet de son voyage en Russie :

« On nous accordait liberté entière de fréquenter les hommes politiques des partis de l’opposition, liberté dont, il va de soi, nous avons profité largement. Nous avons interviewé des mencheviks, des socialistes révolutionnaires appartenant à divers groupes et des anarchistes ; nous leur avons parlé sans que les bolcheviques fussent présents à nos entretiens, et ils nous ont parlé librement, une fois surmontée leur appréhension première. »[3]

Le 5e Congrès des Soviets (juillet 1919) statue que « le parti dirige, commande et domine tout l’appareil d’État ».

Des anarchistes hostiles au régime furent interdits en 1921. Le parti bolchévik devient de fait un parti unique.

1.5 Le parti et les soviets[modifier | modifier le wikicode]

Le nouveau pouvoir bolchévik-SR de gauche tente de normaliser la sphère gouvernementale. La forme soviet est refusée dans le sein des institutions gouvernementales. Un soviet d'employés avait pris le contrôle du Commissariat du Peuple des Postes et Télégraphes et un autre s'était établi dans l'Amirauté. Le 9 novembre (a.s), le commissaire du peuple du Ministère (sic) des Postes et Télégraphes, lançait un appel qui concluait ainsi : «  je déclare qu'aucun soi-disant groupe d'initiative ou comité pour l'administration des Postes et Télégraphes ne peut usurper des fonctions qui sont celles du pouvoir central, et celles qui m'appartiennent en tant que Commissaire du Peuple ».

Au nom de l’efficacité, le gouvernement prit l’habitude dès janvier 1918 de publier ses décrets sans les faire discuter par le soviet. Les mesures répressives que prirent les bolchéviks pendant la guerre civile mirent fin au pluripartisme, et très vite les décisions des soviets furent décidées d'avance par le simple fait que les militants bolchéviks y étaient hégémoniques. A la fin de 1919, 1500 des 1800 délégués au soviet de Petrograd étaient membres du parti communiste et appliquaient en conséquence la ligne qu’avait définie leur direction. La démocratie ne tenait plus qu'à la démocratie interne du parti.

Début 1918, dans certains soviets, la moitié des membres du comité exécutif sont cooptés[6]. En février 1918, les bolchéviks du soviet de Saratov excluent les menchéviks et SR de droite de la commission des mandats. Certains protestent (à Petrograd ils ne sont pas exclus), la majorité locale répond que dans les circonstances actuelles tendues, « il ne doit y avoir ni hésitation, ni désaccord sous la dictature du prolétariat ». Dès le mois de juin 1918, certains membres du parti dénoncent une sorte de carriérisme dans les appareils des soviets et de l'Etat. C'est notamment le cas des communistes de gauche qui, tel le bolchevik Vladimir Sorine, dénoncent dans leurs revues « ces permanents soviétiques » qui « s’en sont sortis pour devenir quelqu’un », « songent à faire carrière » et « tiennent à leurs places »[7].

Le vote dans les soviets continuait à s’effectuer à main levée, mais au fur et à mesure que l'État devenait répressif, cela devenait un moyen de repérer immédiatement ceux qui oseraient voter contre les candidats désignés par en haut par le PC. Par ailleurs, un candidat non désigné par le PC ne pouvait quasiment pas avoir les moyens de faire sa propagande, car les imprimeries et les salles de réunion appartenaient à l'État bureaucratique. Des critères avaient été attribués à l'origine pour que des groupes de représentant un certain nombre de travailleur-se-s aient accès aux moyens (et ce indépendamment de leur richesse, comme cela se fait sous la « liberté de la presse » bourgeoise). Mais les principales forces politiques se retrouvaient interdites, et celles qui restaient étaient trop réduites. En 1920 subsistaient seulement des délégués non bolchéviks (menchéviks, anarchistes...) dans quelques usines où l'on pouvait encore faire de la propagande de vive voix.

Au sein même des soviets, la pression du bas vers le haut a très vite laissé place à un fonctionnement du haut vers le bas. Les réunions plénières des soviets étaient de plus en plus espacées, irrégulières, et réduites à une chambre d'enregistrement des décisions des organes dirigeants. Par exemple en 1920 l'exécutif du Congrès des soviets, c'est-à-dire officiellement l'organe suprême, ne se réunissait quasiment plus que pour ratifier sans discussion les décrets du gouvernement. On ne passait par cette formalité que parce qu'elle était nécessaire selon la Constitution. Dans tous les soviets, le vrai pouvoir était détenu par le Comité exécutif du soviet, ou plutôt par le Présidium du Comité exécutif, qui lui, se réunissait en général tous les jours. Russel témoigne (1920) :

« Kamenev, qui est président du Soviet de Moscou, nous apprit que le retrait des mandats était très souvent appliqué ; il nous dit qu’à Moscou il se produit en moyenne trente retraits par mois. Je lui demandai quels étaient les principaux motifs de cette mesure ; il m’en nomma quatre : ivrognerie, envoi au front (et par conséquent incapacité de faire son service), changement de politique de la part des électeurs, et omission du compte rendu aux électeurs, que doivent faire tous les quinze jours tous les membres du Soviet. Il est clair que le retrait de mandat rend plus facile la pression gouvernementale, mais je n’ai pas eu l’occasion de m’assurer si l’on s’en sert à cette fin. »[3]

Ou encore, à propos de la particularité des soviets ruraux :

« Dans les campagnes (...) il est impossible d’obtenir que ces Soviets villageois se composent de communistes vu que, d’une façon générale (en tout cas dans les villages que j’ai vus personnellement) il n’y a pas de communistes. Mais quand je demandais aux villageois comment ils étaient représentés au Volost ou à la Goubernia, ils me répondaient toujours qu’ils n’étaient pas représentés du tout. Je n’ai pu vérifier ces dires, probablement exagérés. Mais tous s’accordaient à déclarer que s’ils élisaient un représentant non communiste, celui-ci ne pouvait obtenir un permis l’autorisant à prendre le chemin de fer et ne pouvait par conséquent assister aux séances des Soviets du Volost ou de la Goubernia. J’ai assisté, pour ma part, à une séance du Soviet de la Goubernia de Saratov. La représentation est constituée de telle sorte que les ouvriers des villes aient une prépondérance énorme sur les paysans des campagnes environnantes ; mais même en tenant compte de ce fait, le nombre relatif des paysans semblait être extraordinairement petit pour le centre d’une très importante région agricole. »

Ce sont ces constats qui font dire à Russel : « Une des choses que nous espérions pouvoir étudier était la question de la supériorité du système des Soviets sur le parlementarisme. Nous n’avons pu nous livrer à cette étude pour la simple raison que le système des Soviets est moribond ».

1.6 « Communisme de guerre », rationnement et réquisitions[modifier | modifier le wikicode]

Les villes connaissaient de graves difficultés d'approvisionnement, qui avaient commencé depuis la guerre de 1914 et s'étaient aggravées depuis le début du processus révolutionnaire en Février 1917. Le gouvernement provisoire avait lui-même déjà mis en place des réquisitions forcées de récoltes dans les campagnes, qui avaient d'ailleurs contribué à son impopularité.

Après Octobre, les bolchéviks abandonnent d'abord ces réquisitions. Mais très vite, ils sont obligés de prendre à leur tour des mesures drastiques. Un rationnement rigoureux est mis en place, avec des réquisitions agricoles. Une politique qui sera appelée a posteriori « communisme de guerre ».

« Je lus un jour dans un journal social-démocrate allemand que Lénine, Tchitchérine, Boukharine et Balabanoff étaient les seuls dirigeants russes à vivre comme des citoyens ordinaires. Je pourrais ajouter d'autres noms à la liste. Je sais que la famille Trotski (et lui-même lorsqu'il n'était pas au front) partageait les privations communes. De nombreux révolutionnaires enduraient héroïquement des sacrifices qu'ils s'imposaient à eux-mêmes. »[8]

Un des premiers effets sera l'hostilité du mouvement paysan. L’automne et l’hiver 1920 furent marqués par de grandes révoltes paysannes des « armées vertes » se battant indépendamment des rouges ou des blancs. Néanmoins, les blancs faisaient également des réquisitions forcées, et en plus rétablissaient les propriétaires et la noblesse dans les zones dont ils prenaient le contrôle. Par conséquent (ne parvenant pas à se maintenir autonomes) les paysans finirent par accepter le nouvel ordre bolchévik.

Le communisme de guerre fut aussi une période où le pouvoir bolchévik pris des mesures pour rendre le travail obligatoire, afin de lutter contre la désorganisation économique du pays. L'armée rouge fut parfois utilisée directement pour réaliser des travaux, et la logique du travail obligatoire s'étendit rapidement aux ouvriers d'usine. Elle fut même théorisée. Ainsi une des résolutions votées par le 9e Congrès du PCR (mars 1920) déclare :

« Tout système social, qu’il soit basé sur l’esclavage, le féodalisme ou le capitalisme, a ses voies et moyens pour rendre obligatoire le travail dans l’intérêt des exploiteurs. Le système soviétique a le devoir de recourir à sa propre méthode de travail obligatoire pour obtenir une augmentation du rendement et de l’utilité du travail ; cette méthode doit être basée sur la socialisation de l’économie nationale dans l’intérêt de la nation tout entière. »

1.7 Discipline d'usine et « spécialistes »[modifier | modifier le wikicode]

Le décret sur le contrôle ouvrier fut le troisième publié par le nouveau pouvoir soviétique, juste après l'insurrection. La première proposition de Lénine laisse une assez grande place à l'autogestion par les comités d'usine, mais d'autres dirigeants bolchéviks veulent déjà la limiter fortement au profit du pouvoir de commissaires du gouvernement, au nom de l'efficacité. Lors du débat, il est proposé de n’introduire le contrôle ouvrier que dans les grandes usines ou dans les chemins de fer. Un conseil suprême de l'économie sera créé en décembre, et très vite les décisions dans les usines descendront uniquement de cet organe.

La priorité des bolchéviks fut d'abord de canaliser les initiatives des comités d'usine, pour réorganiser la production déstabilisée par la révolution et le sabotage de la bourgeoisie.

Une critique récurrente que faisaient les dirigeants bolchéviks aux comités d'usine étaient qu'ils étaient trop localistes et anarchisants. Ainsi le bolchevik Stepanov publie en 1918 une brochure intitulée Du contrôle ouvrier à la gestion ouvrière de l’industrie et de l’agriculture, dans laquelle il écrit : « Au lieu d'une rapide normalisation de toute la production et de la distribution, au lieu de mesures qui auraient constitué une approche vers une organisation socialiste de la société, nous trouvons une pratique qui rappelle les rêves anarchistes des communes productives autonomes ». C'est ce reproche qui est repris par Isaac Deutscher lorsqu'il écrit que dès leur création «  les tendances anarchisantes des Comités d'usine firent leur apparition. Chaque Comité désirait avoir le dernier mot sur tout ce qui touchait à l'usine, sa production, ses stocks de matières premières, ses conditions de travail, etc... et se souciait peu, ou pas du tout des besoins de l'industrie dans son ensemble ».[9]

Un exemple des conflits entre comités d'usine et organes supérieurs était la socialisation spontanée mise en place dans certaines usines, alors que l'État bolchévik chercha d'abord à rassurer les investisseurs potentiels. La direction syndicale s’associait aux décisions prises par le gouvernement qui sélectionnait les types d’entreprise à nationaliser ou non, la forme de la direction (prônant une direction unipersonelle et non collégiale). En échange elle pouvait s’appuyer sur la loi qui déclarait obligatoires les décisions de la direction syndicale, mettant hors la loi les syndicats particuliers qui n’obéissaient pas.

Dans les comités d'usines, les ouvriers voyaient à l'origine avec enthousiasme à la fois l'objectif de nationalisation et de planification, et celui d'une gestion ouvrière à l'échelle de l'entreprise qu'ils n'opposaient pas. De manière vague et non théorisée, les dirigeants des comités en faisaient une condition de l’émancipation du travail. Au cours de l’hiver 1917-18, les comités célébrèrent dans leur discours, et surtout dans leur pratique, l’initiative directe des producteurs directs dans la transformation du processus productif. Lénine également fait des discours en ce sens.

Après la prise du pouvoir, les bolchéviks laissèrent tomber le soviet central des comités d'usine, censé être remplacé par le Conseil pan-russe du contrôle ouvrier. Celui-ci se réunit pour la première fois le 28 novembre 1917. Il est traversé des mêmes débats que les comités d'usines, le porte-parole des Comités d'usine, Jivotov, déclara ainsi :

«  Dans les Comités d'usine nous élaborons les instructions qui viennent de la base, dans la perspective de voir comment elles peuvent s'appliquer à l'industrie dans son ensemble ; ce sont là des instructions de l'atelier, de la vie ; ce sont les seules instructions qui puissent réellement avoir de la valeur. Elles montrent de quoi sont capables les Comités d'usine et devraient donc tenir la première place dans tout ce qui concerne le contrôle ouvrier ». Pour le porte-parole des Comités, «  le contrôle est l'affaire du Comité dans chaque établissement. Les Comités de chaque ville devraient se réunir (...) et établir ensuite une coordination sur des bases régionales ».

Mais les délégués étaient en grande partie nommés par le parti bolchévik, et la position centralisatrice prévalut, telle qu'exprimée par Larine, représentant de la fraction bolchevik dans les syndicats, qui affirma que les «  syndicats représentent les intérêts de la classe dans son ensemble, tandis que les comités d'usine ne représentent que les intérêts particuliers de leur entreprise. Il faut donc que les comités d'usine soient subordonnés aux syndicats ». Le Conseil pan-russe du contrôle ouvrier, après avoir été un écho affaibli des comités d'usine, fut lui-même aussitôt délaissé. En Janvier 1918, Riazanov déclara qu'il ne s'était réuni qu'une fois, et en mai 1918, qu'il ne s'était jamais réellement réuni.

Un congrès des syndicats réuni en janvier 1918 (avec des délégués bolcheviks, mencheviks et SR) adopte un texte qui revient largement sur la logique du décret sur le contrôle ouvrier. Il affirme que la socialisation (gérée par les organes centraux) ne doit pas être confondue avec le « transfert des entreprises aux ouvriers », et affirme clairement que les comités d'usines n'ont pas «  le droit de prendre des décisions ayant valeur opératoire sur des questions qui affectent la vie même de leur entreprise ». La résolution syndicale propose un nouveau fonctionnement du contrôle ouvrier, censé fusionner syndicats et comités d'usine : chaque usine doit avoir des commissions de contrôle ouvrier, composées de représentants du syndicat de la branche correspondante, et de représentants de l'assemblée générale des travailleurs (prenant de fait la place de l'ancien comité d'usine), ces derniers devant être validés par une commission du syndicat. Les représentants de l'AG doivent être renouvelés régulièrement (contrairement aux représentants syndicaux), ce qui est justifié par le but d'entraîner le maximum de travailleurs à la gestion. En s'appuyant sur les syndicats (jugés « plus stables ») contre les comités d'usine, les bolchéviks leur accordent une certaine indépendance (qui sera remise en question en 1920-1921). Il y a néanmoins déjà déjà des charges lors de ce congrès, comme celle de Zinoviev qui affirmait que le soutien au droit de grève contre un État ouvrier ne pouvait être que le soutien aux saboteurs. Quelques jours plus tard, Lozovski déclara que « si le « patriotisme » local de certaines usines entre en conflit avec les intérêts du prolétariat dans son ensemble, nous affirmons résolument que nous ne reculerons devant aucune mesure pour supprimer les tendances pernicieuses pour les travailleurs »[10].

Le décret du 28 mai 1918, qui étend la collectivisation à toute l’économie, réintègre les socialisations spontanées dans le cadre des nationalisations. De nombreux exemples d’initiatives ouvrières sombrant dans les tracasseries administratives sont cités, aussi bien par Voline que par Kollontai.

La majorité des bolchéviks derrière Lénine et Trotski défend l'idée que le prolétariat n'est pas encore capable de gérer lui même, directement, la production. Pour cette raison, il faut surtout se reposer sur les compétences des anciens techniciens ou administrateurs (les « spets », spécialistes), en exerçant un « contrôle ouvrier » sur eux. En 1918, le pouvoir central doit lutter contre le sentiment populaire et les soviets locaux pour imposer le respect de ces spécialistes impopulaires (à qui des avantages sont donnés pour les rallier à la révolution).

La majorité communiste défendra aussi que la gestion ouvrière est équivalente à la gestion par l'État ouvrier. Par conséquent, nul besoin que les ouvriers contrôlent par en bas les directeurs d'usine si ceux-ci sont nommés par en haut par un pouvoir qui lui est issu (via les institutions soviétique) des ouvriers et paysans. Seul compte alors l'efficacité et la discipline, donc notamment le pouvoir d'un directeur plutôt que des comités d'usine. Le 7e Congrès du PC (mars 1918) demande aux ouvriers de voir dans le patron de l’usine seulement un « spécialiste ». Progressivement, les directions des entreprises sont nommées par le Vesenkha ou ses déclinaisons régionales, c’est-à-dire par le PC. A la fin de 1920, sur 2051 entreprises importantes, 1783 étaient déjà sous contrôle uninominal. Les comités d’usine deviennent de sortes de cellules de base des syndicats.

Le 20 mars 1918, Chliapnikov accusait d'excès les cheminots d'Arkhangelsk : refus de prendre des voyageurs, absentéisme, non-entretien des machines... et concluait : « Il faut prendre des mesures rigoureuses pour rétablir la discipline dans le travail, et à n’importe quel prix. » Le 25 mai, Tomski disait que « la productivité du travail atteignait des proportions catastrophiques. (...) L’ouvrier produit moins qu’il ne reçoit en salaire (…) Il devient une sorte de pensionnaire de l’État, un parasite qui vit aux dépens de la société ».[2]

Lénine défend publiquement la nécessité de « développer la discipline du travail », condition de «  l'essor économique ».[11] Il propose le travail aux pièces, la définition de normes de productivité et l'enregistrement de la productivité individuelle des ouvriers accompagnées de primes pour les ouvriers plus productifs, l'introduction du taylorisme. Il défend aussi le principe de la direction unipersonnelle :

« Que la dictature personnelle ait très souvent été, dans l'histoire des mouvements révolutionnaires, l'expression, le véhicule, l'agent de la dictature des classes révolutionnaires, c'est ce qu'atteste l'expérience irréfutable de l'histoire (...). [T]oute grande industrie mécanique, qui constitue justement la source et la base matérielle de production du socialisme, exige une unité de volonté rigoureuse, absolue (...) Mais comment une rigoureuse unité de volonté peut-elle être assurée ? Par la soumission de la volonté de milliers de gens à celle d'une seule personne (...) [L]a soumission sans réserve à une volonté unique est absolument indispensable pour le succès d'un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique (...) La révolution exige aujourd'hui (...) que les masses obéissent sans réserve à la volonté unique [souligné par Lénine] des dirigeants du travail »

Dès mai 1918, face aux bolchéviks qui dénoncent la mise en place d'un capitalisme d'Etat, Lénine assume cette notion, la défendant comme une étape qui présenterait un grand progrès vers le socialisme : « Ce qui prédomine actuellement en Russie, c'est le capitalisme petit‑bourgeois, à partir duquel il n'est qu’un seul et même chemin pour parvenir aussi bien au grand capitalisme d'État qu'au socialisme ».[12] Il valorise la grande industrie du capitalisme allemand (plus développé et centralisé), et prône son implantation en Russie : « notre devoir est de nous mettre à l'école du capitalisme d'État des Allemands, de nous appliquer de tous nos forces à l'assimiler, de ne pas ménager les procédés dictatoriaux pour l'implanter en Russie encore plus vite que ne l'a fait Pierre I° pour les mœurs occidentales dans la vieille Russie barbare, sans reculer devant l'emploi de méthodes barbares contre la barbarie. » Lénine intervint personnellement dans le premier congrès des conseils économiques pour faire annuler une décision prévoyant deux tiers d'ouvriers au moins dans la direction des entreprises, et au lieu de cela, limiter à un tiers les membres dirigeants désignés par élection (afin de privilégier la nomination de spécialistes).[13]

Cette politique déclenchera de nombreuses oppositions dans le parti bolchévik (Kommunist, Opposition ouvrière...) et des contestations ouvrières, même au cœur révolutionnaire de Petrograd. Une lutte s'engage entre les comités d'usine et les organes de planification qui se mettent vraiment en place en juin 1918. Mais la guerre civile a un effet désagrégateur sur les comités, ne serait-ce que parce que de janvier à juin 1918, à Petrograd, le nombre de salariés au travail est passé de 340 000 à 145 000.

Dans la deuxième moitié de 1918, dans le contexte de la guerre civile, les ouvriers qui soutiennent les formes les plus autogestionnaires de contrôle ouvrier dans leur usine sont réprimés.[14]

De nombreux bolchéviks se mettent à théoriser contre le contrôle ouvrier. En 1919, le 2e Congrès de l’Économie nationale opère une redéfinition du contrôle ouvrier, décrit au passé, comme une « arme puissante entre les mains des organisations ouvrières » nécessaire avant Octobre, mais que maintenant que l'industrie est étatisée, les représentants des ouvriers dirigent l'économie à travers les syndicats (les comités d'usine ne sont plus mentionnés), et le contrôle ouvrier « doit suivre plutôt que précéder le travail de l’administration ».

En 1923 la dirigeante bolchévique Pankratova s'exprimera plus clairement : «  À l'époque transitoire il fallait accepter les côtés négatifs du contrôle ouvrier, simple moyen de lutte contre la résistance du Capital. Mais lorsque le pouvoir passa entre les mains du prolétariat, la « politique de propriétaire » des Comités d'usine isolés devint antiprolétarienne (...) »[15]

En parallèle de la limitation des pouvoirs des comités d’usine, qui accroit relativement celui des syndicats, l’État cherche à contrôler de plus en plus étroitement les syndicats. Cela passa d'abord par un contrôle accru des syndicats, par cooptation de dirigeants toujours plus contrôlables. Ainsi au 2e Congrès des syndicats (janvier 1919), certains protestent contre le fait que le Commissariat au Travail ratifie les délégués élus par les syndicats pour les représenter dans les instances centrales. La résistance qui avait été menée par les comités d'usine contre les syndicats se déplaça au sein du mouvement syndical, opposant les organisations de base à l’appareil de direction.

Le 4 décembre 1919, la 8e conférence du parti bolchévik vote les statuts des factions communistes dans les syndicats. Il s'agit de faire en sorte que les communistes appliquent les directives votées centralement en votant en bloc dans les instances syndicales. L'idée est résumé par la formule selon laquelle un communiste dans un syndicat doit être « d'abord un communiste, ensuite un syndicaliste ». La volonté de main-mise s'accélère encore, avec notamment la proposition de Trotski de « militariser les syndicats » (défendue dès décembre 1919 et soutenue par Lénine). Lénine s'en dissociera légèrement fin 1920 en raison du tollé que cela provoque, mais défend aussi le processus de centralisation face à l'opposition ouvrière.

L'obéissance va assez rapidement prendre le dessus, même des grèves ont lieu dans les grands centres entre 1919 et 1921. Pour toutes ces raisons, plusieurs marxistes ont fait la comparaison avec ce que Marx, parlant du capitalisme, appelait le despotisme d'usine.

Enfin le 2 avril 1922, le 11e Congrès du parti communiste vote une résolution interdisant toute ingérence des syndicats dans la direction des entreprises, parce que la priorité est «  l’accroissement considérable des forces productives de la société », qui est « encore plus urgent dans l’état actuel de dévastation, de famine et de désorganisation », et pour cela il faut « la concentration absolue de tout le pouvoir entre les mains de la direction d’entreprise ».

1.8 Bureaucratisation du parti et de l'État[modifier | modifier le wikicode]

La guerre civile s'achève sur une victoire militaire de l'Armée rouge, mais aussi sur un affaiblissement considérable de la démocratie soviétique. Les masses ont majoritairement soutenu les Rouges face aux Blancs, mais le lien organique des bolchéviks avec les masses s'est rompu. Le parti imbriqué à l'État est le seul appareil qui fonctionne, et l'auto-organisation s'est largement tarie. Même si le parti bolchévik a recruté massivement en absorbant la majorité du camp révolutionnaire, il a aussi été profondément transformé dans la guerre civile. Ses traditions de démocratie interne en sortent laminées. Dès 1918, l'habitude de nommer d'en haut aux postes de responsabilité du parti se généralise.

Le parti recrute en masse pendant et après la révolution. En 1919, la guerre civile n'est pas gagnée, et les arrivistes se tiennent encore hors du parti, qui est de composition nettement prolétarienne. Mais « l'écrasante majorité des membres du parti exercent des fonctions d'autorité et sont à un titre ou à un autre des "gouvernants" »[16] : 53% travaillent à des échelons divers de l'Etat, 8% dans l'appareil du parti et des syndicats; 27% dans l'armée rouge.

Mais plus il apparaît clair que le parti-État bolchévik est parti pour durer, plus les arrivistes tendent d'y prendre des postes. Dans ce contexte d'effondrement économique, il n'y a d'ailleurs pas beaucoup d'autres emplois attractifs que ces postes pour les couches petite-bourgeoises (anciens employés, intellectuels...). Par exemple, en 1920, 40% de la population de Moscou et Petrograd est employée dans les bureaux. En province les petit-bourgeois représentent 57% des exécutifs des soviets.[17] Or le parti et l'État ont besoin de personnes avec un minimum de formation, ce qui favorise ces nouveaux éléments par rapport aux prolétaires.

Les Vieux bolchéviks et plus généralement les communistes sincères, deviennent vite minoritaires. La masse du parti vit du parti, et n'a d'autre intérêt matériel que la préservation de ses quelques privilèges qui se sont formés pendant la guerre civile. L'historien Marc Ferro parle de « plébéianisation du Parti » qui aurait formé la base sociale pour la bureaucratie. Russel raconte, en 1920 : « J’ai parlé un jour avec un ouvrier visiblement affamé dans les rues de Moscou ; il me montra du doigt le Kremlin et dit : "Là-dedans, ils ont de quoi manger." »[3]

Avec le monopole bolchévik de la presse à chaque échelon, il est devenu quasiment impossible de protester contre un abus de pouvoir, même s'il est causé par un bureaucrate local qui n'aurait en théorie pas le soutien des autres bolchéviks. Ainsi il est fréquent dans les premières années du régime que des personnes aillent directement trouver Lénine pour protester contre tel ou tel organe de pouvoir local, et que Lénine rectifie les choses. Mais cela ne faisait qu'entériner que le pouvoir venait d'en haut. Des scandales de corruption et abus de pouvoir seront toutefois encore dénoncés dans la presse pendant les années 1920 (affaire de Tchoubarovo, de Smolensk, d'Artemovka...).

Le 8e congrès du parti (mars 1919) reconnaît une « renaissance partielle du bureaucratisme au sein du régime soviétique ». Le communiste de gauche Ossinski déclare : «  Il est indispensable que des ouvriers entrent en masse au Comité Central ; il est indispensable qu'ils y soient assez nombreux pour «  prolétariser » le Comité Central ». Les thèses de Sapronov et d'Ossinski selon lesquelles le Parti ne devait pas chercher à «  imposer sa volonté aux Soviets » furent catégoriquement rejetées. La résolution adoptée prévoit :

«  Le Parti communiste cherche à exercer la prépondérance et à prendre intégralement en main la direction de toutes les organisations de travailleurs : syndicats, coopératives, communes agricoles, etc. Il vise en particulier à obtenir des actuels organismes d'État, les soviets, l'exécution de son programme autant qu'à les diriger en tout (...). Le Parti communiste de Russie doit arriver à exercer sur les soviets une domination politique incontestée et à contrôler effectivement leurs activités grâce à un travail pratique et à une abnégation de chaque jour, grâce aussi à l'occupation de tous les postes soviétiques par les militants les plus dévoués et les plus sûrs »[18]

Le congrès créa le Politburo, l'Orgbureau et le Secrétariat, qui n'étaient techniquement que de simples sous-comités du Comité Central, mais qui devaient rapidement assumer un énorme pouvoir. Il s'agissait d'un grand bond en avant dans la concentration du pouvoir de décision. La «  discipline du Parti » fut renforcée. Le Congrès décida que toutes les décisions devaient être d'abord appliquées, et ce n'est qu'une fois appliquées qu'on pouvait présenter un appel devant les instances correspondantes du Parti. «  Tout ce qui concerne le déplacement des camarades qui font du travail de Parti est entre les mains du Comité Central. Ses décisions sont obligatoires pour tous ». Cela devait vite être utilisé par la suite comme méthode pour éliminer les critiques.

Un professeur «  blanc » qui arriva à Omsk à l'automne 1919, constata : « à la tête de beaucoup de centres et de « glavki » [organes de planification économique] siégeaient les anciens patrons, fonctionnaires et directeurs. »[19]

La 9e conférence du parti (septembre 1920) demandait au Comité central de faire plus de «  recommandations » et moins de nominations autoritaires, et de s'abstenir d'avoir recours à des mutations de responsables du Parti comme sanctions imposées en fonction de divergences politiques.

1.9 1921 : Cronstadt et la NEP[modifier | modifier le wikicode]

1921 fut une année charnière. En février 1921, réunions, grèves et manifestations ouvrières se développent à Moscou. L’ordre est rétabli par les troupes régulières et les cadets de l’Armée rouge. Suit une vague de grèves plus dures à Petrograd, qui touche toutes les usines, y compris ce qui reste de Poutilov (6 000 ouvriers). Les revendications sont économiques, mais aussi de plus en plus politiques : contestation du pouvoir bolchevik, revendications de libertés, parfois même revendication d'origine menchévique d’élection de la Constituante. Le slogan « tout le pouvoir aux soviets » réapparaît, cette fois contre les bolchéviks[20]. Le comité de défense mis en place par le parti bolchevik dénonce les « fainéants », les « égoïstes », les « provocateurs », quand ce n’est pas les espions anglais, français et polonais. Le gouvernement reste ferme, mais cède sur les revendications économiques, distribue des rations alimentaires, autorise les ravitaillements directs à la campagne pour faire cesser le mouvement.

En mars 1921 a lieu le 10e Congrès du PC, que Lénine ouvre par une violente charge contre l’Opposition Ouvrière, « une menace pour la révolution ». Trotski affirme le « droit d’aînesse historique révolutionnaire du Parti » et explique que « Le Parti est obligé de maintenir sa dictature (…) quelles que soient les hésitations temporaires même dans la classe ouvrière (…). La dictature n’est pas fondée à chaque instant sur le principe formel de la démocratie ouvrière ». Lénine théorise : « Le marxisme enseigne que le parti politique de la classe ouvrière, c’est-à-dire le parti communiste, est le seul capable de grouper, d’éduquer et d’organiser l’avant-garde du prolétariat et de toutes les masses laborieuses ».[21]

Au même moment éclate la révolte de Cronstadt. Celle-ci fut un révélateur de l'ampleur de la rupture du lien avec les masses. L'ensemble de la direction bolchévique, tous courants confondus, accepte la répression des insurgés. On craint alors que la contre-révolution s'empare de Cronstadt (même s'il apparaît rétrospectivement que la guerre civile était déjà gagnée). Malgré les désaccords importants qui les divisent (Opposition ouvrière, décistes...), l'esprit de citadelle assiégé est tel que les congressistes acceptent la suppression du droit de fraction, et prennent tous les armes contre Cronstadt.

La direction bolchévique est bien consciente que la révolution est gangrenée par les problèmes, Lénine définit lui-même l'État soviétique comme un « État ouvrier présentant une déformation bureaucratique »[22]. Mais le « bureaucratisme » perçu par Lénine (et Trotski) est surtout un problème d'inefficacité de l'Etat, freinant le développement du pays (menaçant le pouvoir d'une chute en cas de perte de la confiance des masses), plus qu'un risque de domination sociale. En termes de causes, il renvoie toujours à des éléments extérieurs (poids du passé, niveau culturel et/ou mobilisation des masses) ou aux seuls effets de la structure sociale : « II y a chez nous une racine économique de la bureaucratie : c’est l’isolement, l’éparpillement des petits producteurs, leur misère. »[23] Selon lui, la priorité pour regagner la confiance des masses et aller vers le socialisme est de rétablir la production économique à tout prix via un « capitalisme d'Etat ». Le 10e congrès décide donc une Nouvelle politique économique :

  • dans les industries d'Etat : de maintenir une discipline stricte (Trotski est même pour la militarisation des syndicats, que Lénine repousse) ;
  • dans l'agriculture et le petit-commerce : de permettre une libéralisation, notamment pour inciter la paysannerie à produire en la laissant libre de vendre sur le marché.

Même l'interdiction des fractions est justifiée notamment par la lutte contre le bureaucratisme. Ce qui est certain est que l’appareil a les mains libres à partir de ce congrès. Le Comité central ne se réunit que tous les deux mois et le Bureau politique est réduit à 7 membres. Le secrétariat du Comité Central contrôle le bureau des affectations, fondé en 1920 pendant la guerre civile pour organiser le transfert de communistes dans les secteurs névralgiques, et prend de plus en plus d’importance : il nomme, remplace des responsables, affecte les militants aux postes les plus importants sur la base de « recommandations », donc par en haut.

Au lendemain du congrès, un vrai durcissement s'opère dans le parti. Le Comité central vota une résolution stipulant que sa  « tâche immédiate la plus importante (...) est d’obtenir la stricte uniformité dans la struc­ture des Comités du parti ». Le nombre de membres du Comité Central passa de 19 à 25, dont 5 devaient se consacrer exclusivement au « travail du Parti » (et spé­cialement visiter les comités provinciaux et assister aux Conférences provinciales). Le nouveau Comité Cen­tral imposa immédiatement un changement radical dans la composition du Secrétariat. Les « trotskystes » (Krestinski, Preobrajenski et Sérébriakov) furent éliminés du Comité Central. Des changements considé­rables  furent  également  apportés  à  l’Orgbureau,  ainsi qu’à la composition d’un certain nombre d’organisations régionales du Parti. On installa à tous les échelons des éléments médiocres mais « disciplinés » et « sûrs ».

Ainsi, 136 836 membres du parti seront exclus (sur 730 000) : 11% pour indiscipline, 34% pour passivité, 25% pour des délits mineurs (ivrognerie ou carriérisme) et 9% pour des fautes graves. Cette première purge écarte un certain nombre de membres réellement douteux. Mais il est clair aussi qu'elle instaure ou acte un mode de fonctionnement totalement descendant.

En mars 1922, Lénine disait que le parti bolchévik, « il faut le reconnaître, se distingue en général par sa grande unanimité »[24].

1.10 Staline et l'appareil du parti[modifier | modifier le wikicode]

Staline est nommé secrétaire général du PCUS le 3 avril 1922.

Le 8 octobre 1923, Trotski envoie une lettre au Comité central et à la Commission centrale de contrôle qui dénonce le manque de démocratie interne , ce qui sera l'acte fondateur de l'Opposition de gauche :

« Aux pires moments du communisme de guerre, le système de nomination au sein du parti n'atteignait pas le dixième de ce qu'il est maintenant. La nomination des secrétaires des comités provinciaux est maintenant la règle. Cela crée pour le secrétaire un poste essentiellement indépendant de l'organisation locale. [...] La bureaucratisation de l'appareil du parti s'est développée dans des proportions inouïes au moyen de la méthode de sélection des secrétariats. On a créé une très large couche de travailleurs du parti, entrant dans l'appareil du gouvernement du parti, qui renoncent totalement à leur propre opinion de parti, au moins l'expression ouverte, faisant comme si la hiérarchie du secrétariat était l'appareil qui crée l'opinion et les décisions du parti. Sous cette strate, s'abstenant de leurs propres opinions, se trouve la grande masse du parti, devant qui chaque décision prend la forme d'une injonction ou d'un commandement. »[25]

La semaine suivante est envoyée au Politburo une déclaration de 46 dirigeants bolchéviks allant dans le même sens. Elle dénonce prudemment « le régime de dictature fractionnelle à l'intérieur du parti qui s'est objectivement formé après le Xe congrès ». Le 8 décembre, Trotski publie une critique plus développée dans Cours nouveau, que Boukharine, rédacteur en chef de la Pravda, bloque deux jours, puis publie le 11. Staline-Zinoviev-Kamenev démettent 15 responsables du comité central des Jeunesses, révoquent Antonov-Ovseenko de l’administration politique de l’Armée rouge... Staline, dans la Pravda (15 décembre), qualifie les opposants de « bureaucrates ».

Le 16 janvier 1924, Staline réunit une conférence nationale, dont le secrétariat a pour la première fois désigné lui-même les participants. L’Opposition de gauche y est sans surprise condamnée pour avoir « lancé le mot d’ordre de destruction de l’appareil du parti ». En 1924, après la mort de Lénine, l’appareil organise par en haut une vague de cooptation de 200 000 membres, la « promotion Lénine ». Le tout est supervisé par des secrétaires de comité qui ne manquent pas de moyens de pression sur la vie des prolétaires. En mai 1924, 57% des membres sont illettrés, et forment une masse malléable pour Staline.

Si la production va connaître un regain, la bureaucratisation va vite devenir définitive. L'échec des processus révolutionnaires ailleurs qu'en Russie (Hongrie, Allemagne, Italie, Chine...) va renforcer le noyau bureaucratique du parti, autour de Staline, qui se stabilise dans une logique gestionnaire du « socialisme en Russie ». Toute opposition sera réprimée, notamment celle de Trotski.

En décembre 1927, Rakovski, qui fut le dernier porte-parole de l'opposition de gauche au comité central, fut exclu du parti. Dans une lettre[26] à un camarade déplorant la passivité des masses ouvrières, il met l'accent sur la responsabilité première des actes de la bureaucratie soviétique, dont il pointe la différenciation sociale croissante avec les ouvriers. Comme facteur ayant conduit au désaisissement du pouvoir, il évoque la généralisation des nominations des dirigeants au détriment des élections. Il souligne aussi que si les dirigeants du parti font encore un semblant d'argumentation « faite de sophismes et mêlée, il est vrai, à une forte dose de mauvaise foi », la situation est dramatique au niveau des cadres proches de la base, qui ont recours à « la plus effrénée des démagogies contre l'opposition » et n'hésitent pas « à user de l'antisémitisme, de la xénophobie, de la haine des intellectuels, etc ».

1.11 Le totalitarisme stalinien[modifier | modifier le wikicode]

En 1927, Boukharine écrit : « Sous la dictature du prolétariat, deux, trois ou quatre partis peuvent exister mais à une seule condition : l’un au pouvoir, les autres en prison ».

Staline finira par développer un État totalitaire et à éliminer presque tous les Vieux bolchéviks, ceux qui avaient fait la Révolution d'Octobre, mais pas pour ce résultat... Un par un, ou par brassée entières lors des grandes purges, ils furent emprisonnés, torturés, exécutés, le plus souvent au nom de l'article 58 du Code criminel définissant le « sabotage contre-révolutionnaire ».

Le personnel administratif passe de 1 450 000 membres en 1928 à 7 500 000 en 1939.

Staline finira d’étouffer les idéaux de la révolution. Dès le milieu des années 1930, il exalte la famille et la patrie « socialistes », restaure des titres militaires tels le grade de maréchal, académisme et contrôle étatique dans l’art[27], russification forcée des minorités et antisémitisme… La Seconde Guerre mondiale parachèvera cette évolution, l'Internationale cessant par exemple d’être l’hymne soviétique en 1943, et les grades et uniformes de l’Ancien Régime étant spectaculairement rétablis.

2 Oppositions au sein du parti bolchévik[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Les oppositions de gauche[modifier | modifier le wikicode]

Tout au long du processus révolutionnaire sont apparus dans le parti bolchevik des mouvements oppositionnels internes :

Ils avaient des préoccupations et des positions très diverses, mais tous critiquent un centralisme étouffant et un manque de confiance dans la capacité d'initiative de la base.

Début 1918, les communistes de gauche veulent épouser la volonté des nombreux comités d'usine qui socialisent spontanément leurs usines, tandis que la majorité autour de Lénine freine ce mouvement, jugé prématuré. Certains avaient des positions intermédiaires, comme Radek qui s’inquiétait dès avril 1918 des « excès de la centralisation », qui rallait à l'idée de « généralisation des nationalisations », mais concédait à Lénine qu’il fallait à l’usine une direction unique (non collégiale).

En juin 1918, la revue Kommunist publiait un article proposant une explication sociologique du conservatisme des permanents de l'appareil soviétique, dont les privilèges matériels (et pour les plus anciens militants bolchéviks une part de lassitude face aux efforts révolutionnaires passés) les conduisaient à être routiniers, frileux face aux nouvelles initiatives, de plus en plus indifférents aux problèmes de la classe ouvrière...

Boukharine a écrit en 1920 un ouvrage sur la situation de la nouvelle économie russe : Économique de la période de transition[28]. Il y  fait un dessin dans lequel il place le petit cercle des cadres (qui étaient déjà une couche intermédiaire sous le capitalisme, récupérée au service du socialisme) entre deux grands cercles du prolétariat, celui du haut qui donne les directives aux cadres et celui du bas qui leur obéit. Il représente donc le cercle des « organisateurs » de la classe ouvrière comme celui du prolétariat lui-même. Dans les dernières pages, il s’inquiète du risque de « dégénérescence » de la couche dirigeante des révolutionnaires que sont les « organisateurs », le parti en tête…

2.2 Les dernières critiques de Lénine[modifier | modifier le wikicode]

A partir de mai 1922, Lénine est gravement malade et a de grandes difficultés à suivre et à intervenir dans la politique soviétique. La question de la bureaucratie est une de celles qui l'ont le plus inquiété jusqu'à sa mort le 21 janvier 1924. Il reconnaissait pourtant que « c’est une question que nous n’avons pas encore pu étudier ».

Lénine voyait surtout le problème du bureaucratisme dans un manque d'efficacité qui risquait de conduire à l'échec du nouveau pouvoir, et il situait surtout le problème dans l'État plus que dans le parti qui était à la tête de cet Etat :

« Les forces de la classe ouvrière ont été épuisées par la création de l’appareil d’État. Nous sommes au sommet du pouvoir (...) Cependant en bas de la hiérarchie, des centaines de milliers d’anciens fonctionnaires que nous avons hérités du Tsar et de la société bourgeoise travaillent en partie sciemment, en partie inconsciemment contre nous.»

En conséquence, Lénine préconise surtout de revitaliser le contrôle du parti sur l'Etat, et de renforcer l’Inspection ouvrière et paysanne, chargée de lutter contre la bureaucratie. Il déplorait que cette inspection est le ministère le plus mal organisé et elle ne dispose d’aucun crédit.

Lénine explique la bureaucratisation comme un héritage ou comme le résultat du niveau culturel insuffisant des ouvriers, mais pas comme un rapport social en développement. Il n’envisage de lutter contre elle que de l’intérieur du parti, par le dégagement d’une élite politique et non par une lutte de classe imposant la participation active des masses. Lénine pense uniquement à partir du parti, qui représenterait toujours l'avant-garde des masses, et aurait à partir à la reconquête de celles-ci.[29]

Dans les tous derniers moments de sa vie, Lénine comprend que Staline utilise de façon néfaste l'immense pouvoir qu'il a accumulé dans ses mains, et propose dans son Testament de le démettre du poste de Secrétaire général, et il a cherché à s'allier à Trotski en qui il avait confiance. Cependant Lénine n'a pas réellement questionné la structure qui donnait autant de pouvoir au Secrétaire général.[30][31]

2.3 La bureaucratisation selon Trotski[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Opposition de gauche.

Les premiers combats et écrits de Trotski contre la bureaucratie de Staline datent de fin 1923. Dans Cours nouveau, il centre son attention sur l’appareil d’État, « source la plus importante du bureaucratisme », en refusant de réduire le problème à « l’ensemble des mauvaises habitudes des employés de bureau » (comme le faisaient jusque là les bolchéviks, Lénine le premier). Mais en termes de causes, Trotski ne fait alors que systématiser ce que disait aussi Lénine : il évoque le manque de culture des masses, et la nature particulière de l’État russe en raison de l’alliance avec une classe non prolétarienne (paysannerie) : « Chez nous, la source essentielle du bureaucratisme réside dans la nécessité de créer et de soutenir un appareil d’État alliant les intérêts du prolétariat et ceux de la paysannerie ». Il souligne qu'il ne faut ni sous-estimer les causes objectives de la bureaucratisation, mais qu'il ne faut pas non plus négliger la volonté politique.

Trotski remarque que si au lendemain d'Octobre, de nombreux communistes d'origine ouvrière ont pris en main les postes à responsabilité, 6 ans après, il s'est formé une couche de fonctionnaires relativement stable, indépendemment de l'origine (ouvriers, intellectuels...) de ses membres. Or il considère que relativement aux cellules d'usine du parti (réduites à un sixième de la taille du parti), la part des membres absorbés par la gestion de l'État est croissante. Ainsi, « la source du bureaucratisme réside dans la concentration croissante de l’attention et des forces du Parti sur les institutions et appareils gouvernementaux et dans la lenteur du développement de l’industrie ». Trotski considère que le parti doit diriger l'Etat, mais «  sans se fondre dans l’appareil bureaucratique de l’État afin de ne pas s’exposer à une dégénérescence bureaucratique ». Il se montre optimiste sur la possibilité de redresser la démocratie interne du parti, qu'il voit comme tourné vers l'objectif communiste, au delà des clivages sociaux :

«  Les communistes se trouvent groupés différemment dans le Parti et dans l’appareil étatique. Dans ce dernier, ils sont disposés hiérarchiquement les uns par rapport aux autres et aux sans-parti. Dans le Parti, ils sont tous égaux (...). L’avantage essentiel, incomparable de notre Parti, consiste en ce qu’il peut, à chaque instant, regarder l’industrie avec les yeux du tourneur communiste, du spécialiste communiste, du directeur communiste, du commerçant communiste, réunir l’expérience de ces travailleurs qui se complètent les uns les autres. »

C'est plus tard, en exil, que Trotski développera son analyse de la dégénérescence de l'État issu d'Octobre, notamment dans La Révolution trahie (1936).

Le stalinisme s'est construit en même temps que la jeune révolution bolchévique dégénérait. Pour Trotski, cela est est dû à l'essoufflement de l'effervescence révolutionnaire (à l'intérieur et à l'extérieur de la Russie soviétique) qui a laissé seule la Russie économiquement arriérée. Une couche bureaucratique a alors détourné les richesses et confisqué le pouvoir des mains des soviets et donc des ouvriers. C'est cette bureaucratie qui s'est reconnue dans Staline et a donné du poids à son "argumentation" et à sa propagande. C'est ce poids croissant qui a permis au stalinisme de se présenter de grès ou de force comme la continuateur de Lénine, en calomniant tout opposant comme Trotski et l'Opposition de gauche.

C'est dans le problème de la répartition de la production que Trotski situe l'origine de la bureaucratisation :« Quand il y a peu de marchandises, les acheteurs sont obligés de faire la queue à la porte. Sitôt que la queue devient très longue, la présence d’un agent de police s’impose pour le maintien de l’ordre. Tel est le point de départ de la bureaucratie soviétique.  »

A l'inverse il ne situe pas du tout la bureaucratisation dans les rapports de production. Pour autant il voyait très bien que les ouvriers avaient perdu le contrôle réel des entreprises : «  La gestion de l’industrie est devenue extrêmement bureaucratique. Les ouvriers ont perdu toute influence sur la direction des usines. Le fonctionnaire est pour (eux) un chef, l’État un maître ».

Pour Trotski l'URSS est une société de transition, entre le capitalisme et le socialisme. Elle ne peut être qualifiée de socialiste, en l'absence de satisfaction harmonieuse des besoins sociaux, mais elle n'est pas capitaliste, la classe capitaliste ayant été expropriée. L'étatisation de l'économie par une révolution socialiste a fondé des rapports de production « ouvriers », qui demeurent malgré la bureaucratie. Pour lui la bureaucratie est une caste parasitaire, mais pas une classe. La classe dominante reste le prolétariat.

« La dualité de fonction de l’État ne pouvait manquer de se manifester dans sa structure. (Si) la tentative du début - créer un État débarrassé du bureaucratisme - s’est avant tout heurtée à l’inexpérience des masses en matière d’auto-administration (...), etc., d’autres difficultés n’allaient pas tarder à se faire sentir (...). Une puissante caste de spécialistes de la répartition se forma et fortifia grâce à l’opération nullement socialiste qui consistait à prendre à dix personnes pour donner à une seule. »

Trotski employait le terme de Thermidor par analogie avec la phase réactionnaire qui a suivi la dictature des Jacobins (point culminant de la Révolution française) :

« Pour les sections de la IVe Internationale, les procès de Moscou, qui n'ont pas été une surprise, sont, non pas le résultat de la démence personnelle du dictateur du Kremlin, mais les rejetons légitimes de Thermidor. Ils sont nés de conflits insupportables au sein de la bureaucratie soviétique, qui, à leur tour, reflètent les contradictions entre la bureaucratie et le peuple, aussi bien que les antagonismes qui s'approfondissent à l'intérieur du « peuple » lui-même. Le « fantastique » sanglant des procès dénote l'intensité de ces tensions et la force de ces contradictions, tout en annonçant leur prochain dénouement. […] Sur ce système d'antagonismes croissants, qui détruisent de plus en plus l'équilibre social, se maintient, par des méthodes de terreur, une oligarchie thermidorienne qui se réduit désormais surtout à la clique bonapartiste de Staline. »[32]

Il n'était pas le seul. La plupart des révolutionnaires de l'époque avaient comme référence directe la révolution française. Dans ses notes pour la 10° Conférence du parti, Lénine écrivait : « Thermidor ? Raisonnablement on doit dire : c'est possible, n'est-ce pas ? Est-ce que ça viendra ? Nous verrons. »[33]

Tout comme la réaction thermidorienne de 1794 a été une réaction politique, mais n'a pas rétabli le féodalisme, la réaction stalinienne n'a pas renversé les rapports de production ouvriers, même si politiquement la bureaucratie a accaparé le pouvoir. Ainsi l'État reste un État ouvrier dégénéré.

En 1936, avec le recul, Trotski admit que « l’interdiction des partis d’opposition entraîna l’interdiction des fractions au sein du parti bolchevique ; l’interdiction des fractions aboutit à l’interdiction de penser autrement que le chef infaillible ». Cette « mesure exceptionnelle, appelée à tomber en désuétude dès la première amélioration sérieuse de la situation », avait fini par s’éterniser à cause du « goût de la bureaucratie [...] à considérer la vie intérieure du parti sous l’angle exclusif de la commodité des gouvernants »

En 1938, il reconnaît aussi qu'un pluralisme soviétique est nécessaire : « La démocratisation des soviets est inconcevable sans la légalisation des partis soviétiques.[32] »

3 La bureaucratisation selon les anarchistes[modifier | modifier le wikicode]

La plupart des anarchistes font un lien immédiat entre bolchévisme et stalinisme, même si beaucoup reconnaissent que le stalinisme n'était pas dans les intentions originelles. Pour eux la bureaucratisation provient du marxisme et du « léninisme », dans lesquels ils dénoncent des « principes autoritaires », par oppositions aux principes « anti-autoritaires » (anarchistes). Toutefois, l'historien anarchiste Daniel Guérin parle d'une « période libertaire des bolchéviks », dont il situe la fin vers le printemps 1918. En effet, en 1917 les bolchéviks coopéraient souvent avec les anarchistes russes et les réactionnaires dénonçaient les « anarcho-bolchéviks ».

La répression de la révolte de Kronstadt (1921) est souvent le symbole de la rupture entre anarchistes et communistes (même trotskistes). C'est notamment à ce moment qu'Emma Goldman rompt avec les bolchéviks.

Certains anarchistes rompront plus tard. Victor Serge rejoint un moment le combat de Trotski, puis s'éloigne de lui et fait un retour plus critique sur les premières années de l'URSS.

4 Critiques communistes du bolchévisme[modifier | modifier le wikicode]

Certains marxistes révolutionnaires font des critiques sur le fonctionnement ou la politique du parti bolchévik, et y voient une part de la responsabilité dans la dégénérescence de la révolution. Ces critiques peuvent se rapprocher de certaines critiques anarchistes, mais contrairement à ceux-ci, elles ne rejettent pas toute idée de parti révolutionnaire, de dictature du prolétariat, etc.[20]

C'est par exemple le cas de Victor Serge, anarchiste rallié au bolchévisme, qui a vécu les premières années de la révolution et cotoyé les dirigeants bolchéviks. Il a le plus souvent compris leurs choix même lorsqu'ils paraissaient choquants. Mais il a fini par rompre, y compris avec Trotski. Serge estime que la création de la Tchéka, avec ses procédures secrètes, est la plus grave erreur du pouvoir bolchevique. Il note toutefois que la jeune république vivait sous des « périls mortels » et que la terreur blanche a précédé la terreur rouge. Il précise que Dzerjnski redoutait les excès des tchéka locales et que bien des tchékistes furent eux-mêmes fusillés pour cela.

Certains communistes (Monatte, Rosmer, Souvarine...) ont reproché au léninisme :

Certains soulignent aussi que Trotski avait fait une critique cinglante du « jacobinisme » de Lénine en 1904, lorsqu'il était menchévik. Cependant Trotski a toujours considéré après son ralliement aux bolchéviks en 1917 que Lénine avait eu raison sur la question de l'organisation. Pendant la guerre civile, Trotski (qui fonde l'Armée rouge) est sur la même ligne centraliste que Lénine, voire parfois plus centraliste (sur la question des syndicats).

Enfin, Rosa Luxemburg avait commencé à écrire en prison, en 1918, un texte sur la révolution russe. Elle défend globalement la politique des bolcheviks comme « un pas énorme dans la voie du règlement de comptes final entre le Capital et le Travail dans le monde entier », et elle comprend qu'il y a des difficultés qui défigurent « toute politique socialiste animée des meilleures intentions ». Mais elle livre aussi des critiques de fond sur le nouveau pouvoir. Elle pense qu'il était juste de dissoudre l’Assemblée constituante réactionnaire en janvier 1918, mais qu'il fallait en convoquer une autre. Plus généralement, elle reproche aux dirigeants bolchéviks de ne pas voir à quel point la démocratie est indissociable de la dictature du prolétariat :

« Lénine dit : l’État bourgeois est un instrument d’oppression de la classe ouvrière, l’État socialiste un instrument d’oppression de la bourgeoisie. C’est en quelque sorte l’État capitaliste renversé sur la tête. Cette conception simpliste oublie l’essentiel : c’est que si la domination de classe de la bourgeoisie n’avait pas besoin d’une éducation politique des masses populaires, tout au moins au-delà de certaines limites assez étroites, pour la dictature prolétarienne, au contraire, elle est l’élément vital, l’air sans lequel elle ne peut vivre.

La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement.

L’erreur fondamentale de la théorie Lénine-Trotski est précisément que, tout comme Kautsky, ils opposent la démocratie à la dictature. La démocratie socialiste commence avec la destruction de l’hégémonie de classe et la construction du socialisme. Elle n’est pas autre chose que la dictature du prolétariat.

Parfaitement : dictature ! … Mais cette dictature doit être l’œuvre de la classe et non d’une petite minorité dirigeante, au nom de la classe, autrement dit, elle doit sortir pas à pas de la participation active des masses, être sous leur influence directe, soumise au contrôle de l’opinion publique, produit de l’éducation politique croissante des masses populaires.  »[34]

Cependant, un certain nombre des caractéristiques que certains critiques attribuent au parti bolchévik ou au léninisme étaient en fait largement communes aux partis révolutionnaires de l'époque. Victor Serge explique les origines de ce travers qui, selon lui, n’épargnait personne, pas même l’anarchiste Bakounine :

« Tous les partis révolutionnaires russes, depuis les années 1870-1880, furent en effet autoritaires, fortement centralisés et disciplinés dans l’illégalité, pour l’illégalité. [...] Presque tous furent imbus d’une mentalité jacobine, prolétarienne ou non. Tous produisirent des héros et des fanatiques. [...] Tous les grands partis étaient étatiques par leur structure et par la finalité qu’ils s’assignaient. En réalité, il y avait, au-delà des divergences doctrinales importantes, une mentalité révolutionnaire unique. »[35]

Certains marxistes issus du trotskisme reprochent aux bolchéviks (à Lénine et Trotski en premier lieu) d'avoir théorisé après Octobre la dictature du parti unique (notamment au 10e congrès), ce qui dépasse alors les seules difficultés objectives et apporte un élément politique favorisant la bureaucratisation. A l'inverse, pour tirer les leçons du bolchévisme, il faut être bien conscients de l'importance de la démocratie, et être prêts à revenir sur toute mesure d'exception prise.[36]

L'historien Marc Ferro a lui beaucoup insisté sur le fait que dès avant Octobre, tous les partis faisaient couramment des entorses aux principes démocratiques. « Ils manipulent la représentation des soldats et des paysans, éliminent les sans-parti de toutes les institutions, réduisent celles qu’ils n’ont pas fondées eux-mêmes en niant leur légitimité. »[37] Il voulait ainsi souligner « la part que le régime soviétique emprunte au passé propre de la Russie ».

5 Quelques arguments particuliers[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Étapisme et échec inévitable de la révolution socialiste[modifier | modifier le wikicode]

Pour un certain nombre de marxistes non-bolcheviques, Lénine a commis l’erreur fatale de vouloir déclencher une révolution ouvrière dans un pays massivement paysan et a surestimé les potentialités révolutionnaires dans les pays occidentaux. Selon eux, le bolchévisme était une déviation volontariste en rupture avec le matérialisme historique. En ayant pris le pouvoir au nom d'un prolétariat minoritaire, il ne pouvait conduire qu'à une dictature impuissante. Selon eux, dans une logique étapiste, il fallait d'abord soutenir une révolution bourgeoise. Ce type d'argument a été utilisé par les menchéviks, par Kautsky... En général, cela recouvre une volonté de justifier une politique non révolutionnaire (Kautsky par exemple n'aura pas plus une politique révolutionnaire en Europe occidentale qu'en Russie...).

Mais on retrouve aussi cette critique parmi des communistes révolutionnaires, comme les luxemburgistes.[38]

5.2 Continuité avec le tsarisme[modifier | modifier le wikicode]

Certains historiens défendent l'idée que la dictature soviétique n'a été qu'un retour sous une autre forme au totalitarisme du régime tsariste. Certains en donnent une explication culturaliste, parfois quasi raciste (ce serait une caractéristique du peuple russe). D'autres tentent de donner des raisons plus objectives, comme l'historien Claudio Sergio Ingerflom :

« Les traits du pouvoir communiste généralement associés au totalitarisme et sont en fait un héritage de la Russie tsariste : une société trop fragmentée pour qu’existe une réelle lutte des classes, trop polarisée dans un rapport individu/autocrate pour que se constitue un citoyen, trop violente pour permettre la confrontation démocratique des idées… Distinct de la société grâce à la stricte sélection de ses membres mais intervenant sur elle, le Parti reproduit à une échelle plus vaste les tares du mode de fonctionnement autocratique, et sa prise du pouvoir à la faveur de la révolution est bien le signe du manque de maturité de la société. »

Dans tous les cas, ce genre d'explication a tendance à minimiser fortement l'impact de la révolution de 1917.

5.3 Continuité entre bolchévisme et stalinisme[modifier | modifier le wikicode]

Un certain nombre de courants politiques insistent pour faire un lien fort entre bolchévisme et stalinisme. C'est le cas à la fois de la plupart des anarchistes, des libéraux, et bien sûr des staliniens.

A l'inverse, les trotskistes insistent sur une contre-révolution stalinienne, un thermidor.

D'autres (Serge, Balabanova...) tentent de combiner une analyse basée sur le sous-développement, la guerre civile et l'isolement de la Russie d'une part, et une dénonciation des méthodes (jugées autoritaires, substitutistes, manoeuvrières, parfois calomniatrices dans la lutte contre les rivaux..) des bolchéviks comme facteur aggravant.

5.4 La description de Marc Ferro[modifier | modifier le wikicode]

L'historien Marc Ferro décrit le processus de bureaucratisation dans son ouvrage de 1980, Des soviets au communisme bureaucratique. Selon lui, on assiste à la fois à une bureaucratisation « par en haut » et « par en bas ».

La bureaucratisation « par en haut » se décline de trois façons distinctes :

  • la cooptation d’un certain nombre de délégués qui se retrouvent en place à la direction du soviet, directement nommés par les bureaux des partis et non désignés par l’assemblée plénière, seulement ratifiés,
  • pouvoir croissant du comité exécutif au détriment du pouvoir de l’assemblée plénière, qui voit le rythme de ses convocations s’espacer de plus en plus,
  • l'excès de pouvoir de la majorité : contrairement à un système purement proportionnel, tous les partis majoritaires (à commencer par les menchéviks) en ont profité pour s'attribuer une hégémonie dans les instances dirigeantes.

Mais il évoque aussi une bureaucratisation par en bas, venant quant à elle d'une professionnalisation des délégués (même d'origine ouvrière), qui quittent leur poste de travail, deviennent permanents (à l'origine souvent par volontarisme pour certaines tâches nombreuses, politiques ou techniques...) et prennent goût à leur statut particulier, finissant par s'accrocher à leur poste. Ce milieu est alors « enclin à devenir un groupe social conservateur ».

6 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Marx Ferro, Interview dans L’Humanité du 30 avril 2004
  2. 2,0 et 2,1 Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, 1980
  3. 3,0 3,1 3,2 et 3,3 Bertrand Russell, Pratique et théorie du bolchevisme, 1920
  4. Lénine, Les bolchéviks garderont-ils le pouvoir ?, octobre 1917
  5. Ernest Mandel, Octobre 1917: Coup d’état ou révolution sociale, Cahier IIRF, 1992
  6. George Gurvitch, Vse Vlast Sovetam, Moscou, 1918
  7. La Revue Kommunist. Les communistes de gauche contre le capitalisme d’État, Smolny, 2011
  8. Angelica Balabanoff, Ma vie de rebelle, 1938
  9. I. Deutscher, Le Prophète Armé, [1954], tr. fr. Julliard, Paris 1962
  10. Vsesoyuzny s'yezd professionalnykh soyuzov tekstilshchikov i fabrichnykh komitetov, Moscou 1918
  11. Lénine, Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets, 28 avril 1918
  12. Lénine, Sur l'infantilisme "de gauche" et les idées petites-bourgeoises, Pravda, 5 mai 1918
  13. Ossinsky, in Trudy pervogo vserossiiskogo s'yezda sovetov narod nogo khozyaistva [Travaux du premier Congrès Panrusse des Conseils Économiques], Moscou, 1918
  14. M. Dobb, Soviet Economic Development since 1917, New york, 1948
  15. A.M. Pankratova, Fabzavkomy Rossii v borbe za sotsialisticheskuyu fabriku (Les Comités d'usine russes dans la lutte pour l'usine socialiste), Moscou, 1923
  16. Pierre Broué, Le parti bolchévique - VI: La guerre civile et le communisme de guerre, 1963
  17. Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, 1994
  18. V.K.P. (b) v rezoljucijakh s-ezdov, konferencii i plenumov C.K.,Moscou, 1932, p. 356
  19. O.K. Gins, Sibir, Soyuzniki, Kolchak, Pékin, 1921, p. 429
  20. 20,0 et 20,1 Revue Contretemps, Socialisme, démocratie et parti. Réflexions à propos de la Révolution russe, 2017
  21. La bataille socialiste, Le X° Congrès du Parti bolchevik en 1921
  22. Lénine, Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotski, 30 décembre 1920
  23. Lénine, Sur l'impôt en nature, 1921
  24. Lénine, XIe congrès du PCR(b), 27 mars 1922
  25. Trotski, Aux membres du Comité Central et de la Commission Centrale de Contrôle, 8 octobre 1923
  26. Christian Rakovski, Les dangers professionnels du pouvoir, 6 août 1928
  27. NPA, Un nouvel art pour un monde nouveau, juillet 2017
  28. Boukharine, Économique de la période de transition, 1920
  29. OCML-VP, Les derniers combats de Lénine, 1994
  30. Moshe Lewin, Le dernier combat de Lénine, 1967
  31. NPA, Au chevet de Lénine, 2015
  32. 32,0 et 32,1 Léon Trotsky, Programme de transition, Les bons caractères, coll. « Classiques », (1re éd. 1938), 73 p. (ISBN 9782915727371, lire en ligne), p. 43-44, 46
  33. V. l. Lénine, Sochineniya (œuvres Complètes en russe), t. 43, p. 403 de la cinquième édition.
  34. Rosa Luxemburg, La Révolution russe - 4. La dissolution de l'Assemblée constituante, 1918
  35. Victor Serge, Trente ans après la Révolution russe, 1947
  36. Samuel Joshua, Révolution d’Octobre 17, comment en est-on arrivés au Parti Unique ?, novembre 2017
  37. Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, 1980
  38. Le léninisme et la révolution russe, Démo­cra­tie Com­mu­niste (Luxem­bur­giste), mars 2008