État

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L’État est une structure sociale, politique et juridique qui organise la société. Il est la forme politique élaborée qui sert de pérennisation au pouvoir de la classe dominante. La forme de l'État est donc déterminée par les conditions historiques et la lutte des classes.

L'État est ici employé dans un sens large qui inclut les collectivités locales. Cependant pour produire une analyse concrète d'une situation concrète il est évidemment nécessaire de prendre en compte le degré de centralisation du pouvoir et des différents organes qui forment l'appareil d'État.

1 Caractéristiques principales de l'État[modifier | modifier le wikicode]

Tous les États partagent les caractéristiques suivantes :

  • une armée distincte de la masse des citoyens ;
  • des juges distincts de la masse des citoyens jugeant leur semblables ;
  • des chefs héréditaires, des rois, etc. ;
  • des administrateurs : mandarins, scribes, bureaucrates, etc. ;
  • des producteurs d’idéologie : prêtres, enseignants, philosophes, etc.

Toutefois, toutes ces caractéristiques ne se valent pas entre États, et peuvent varier fortement : il est évident que le pouvoir militaire est quasi-inexistant au Vatican, quand bien même ce dernier est formellement reconnu comme État...

2 Communisme primitif[modifier | modifier le wikicode]

Les sociétés humaines ont vécu et se sont développées sans avoir constitué une administration spéciale, un corps de fonctionnaires chargé des « affaires publiques ». Dans ces sociétés sans classes ni État que l'on peut appeler « communisme primitif » (qu’il ne faut pas idéaliser, à cause de la domination des aînés sur les jeunes, des hommes sur les femmes, de l'ignorance, etc.), chacun portait des armes, participait aux assemblées qui prenaient des décisions concernant la vie collective et les rapports de la communauté avec le monde extérieur, réglaient les conflits personnels.

🔍 Voir : Communisme primitif.

3 Origine de l’État[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Découvertes techniques et surproduit social[modifier | modifier le wikicode]

L’agriculture, l’élevage et le développement de l’artisanat, rendus possibles par la maîtrise de la technique et de la nature par l'homme, ont modifié profonde son organisation sociale. En accroissant les forces productives, un surproduit social est apparu en même temps que la division du travail. Cela a conduit à des différentiations en classes sociales distinctes et notamment à une classe dominante qui s’approprie alors une part de ces richesses produites.

3.2 Domination et légitimation[modifier | modifier le wikicode]

L’État naît avec la société de classes, il est nécessaire en tant que force de la classe dominante pour maintenir l'organisation contradictoire de la société et la domination. C'est pourquoi « en dernière instance, l’État est une bande d’hommes armés » (Engels). Des fonctions qui étaient exécutées par l’ensemble des membres de la collectivité passent dans les mains d’un groupe d’hommes séparé (des fonctionnaires, une armée...). En même temps que la force, des idéologies dominantes naissent pour légitimer l'ordre existant. (les religions deviennent un enjeu d'État, etc...)

3.3 Autres interprétations[modifier | modifier le wikicode]

Plusieurs autres interprétations de l'origine de l'État existent :

  • certains, et c'est notamment la vision "courante", ne voient pas qu'il y a un saut qualitatif entre les premiers chefs de tribus et les chefs des sociétés de classe. Dans cette vision, l'État est présent de tout temps, et serait expliqué pêle-mêle par la violence universelle de la nature humaine, la nécessité d'avoir des dirigeants, ou encore par des inégalités naturelles entre hommes ;
  • parmi ceux qui raisonnent en terme de classes, certains pensent que celles-ci sont d'abord venues de conquêtes et d'asservissement de peuples par d'autres peuples. Cette vision ne repose donc pas sur une base socio-économique (la division du travail), et considère que les classes ont été créées par des actes politiques. C'est ce qu'on notamment défendu Eugen Dühring, Ludwig Gumplowicz ou Franz Oppenheimer.[1]
Représentation de l'État sur le livre « Léviathan » de Hobbes (1651)

4 Fonctions socialement utiles[modifier | modifier le wikicode]

L'État a endossé des fonctions qui sont socialement utiles, et qui se retrouvent entremêlées avec les fonctions de domination de classe.

« [le but de l'État] doit être défini par les intérêts des classes dirigeantes et seulement par ces intérêts. Cette situation n'est en rien contredite par le fait que l'État remplit, et a rempli, une variété de fonctions socialement utiles. » [1]

En fait, la présence de ces fonctions socialement utiles est une condition nécessaire pour l'existence et la stabilité d'un État. Par exemple, les institutions de police et de justice, si elles sont fondamentalement inégalitaires, peuvent rendre des actes "justes", notamment dans des conflits qui opposent des personnes de même classe. La condamnation de la violence ou du vol entre personnes de même rang est reconnue légitime par l'ensemble de la société.

Les classes dirigeantes ont également utilisé l'État pour impulser de nombreuses activités qui peuvent paraître généreuses, mais qui sont en réalité dans leur intérêt :

  • éducation : afin de bénéficier d'administrateurs ou cadres formés, puis de plus en plus pour les besoins en travailleurs qualifiés ;
  • infrastructures : afin de faciliter les communications de l'État, les transports commerciaux ou militaires ;
  • droit du travail : afin d'éviter une surexploitation affaiblissant trop les potentiels soldats (c'est notamment ce qui a été la motivation première des premières lois sociales en Angleterre[2]), ou d'éviter des révoltes.

Depuis l'origine, l'idéologie dominante présente l'État comme garant de l'intérêt général. Le code de Hammurabi, en 1750 av. JC en Mésopotamie, annonçait que le but de l'État était « d'établir la loi dans le pays, d'éliminer la méchanceté et le mal, afin que le fort ne fasse plus de tort au faible ». L'idéal de l'État basé sur le "contrat social" (Rousseau) ne fait que reprendre cette idée.

Les statistiques sont un outil important pour les États (le mot « statistique » a d'ailleurs la même racine que le mot État).

L'État peut aussi endosser des fonctions qui ne sont pas utiles à la classe dominante sous la pression de la lutte de classe. Par exemple, une grande partie des acquis sociaux (congés payés, sécurité sociale, retraite...) ont été arrachés par de grandes luttes des travailleur·ses, et les capitalistes cherchent en permanence à réduire cette composante. Au sein de l'éducation, il y a des aspects qui peuvent avoir des vertus émancipatrices qui ne sont pas directement utiles aux dominants, voire qui peuvent être subversifs.

5 Évolutions historiques[modifier | modifier le wikicode]

À partir de son apparition, l'État a bien évidemment connu de très importantes variations, dans son degré de séparation par rapport à la société, son degré de centralisation, et dans l'ampleur de ses structures (appareil d'État).

5.1 Tendance à la centralisation[modifier | modifier le wikicode]

Il se renforce tendanciellement dans les sociétés qui voient les écarts de classe se creuser, comme lorsque l’essentiel de la production est assuré par des esclaves, comme en Égypte, en Grèce ou à Rome.

Le degré de centralisation a connu beaucoup d'évolutions, en fonction de facteurs historiques divers (principalement d'affrontements guerriers). En un sens, les grands empires ont représenté des degrés de centralisation importants, et les périodes qualifiées de médiévales à l'inverse un recul (avec une multiplication d'États plus réduits).

Si l'on peut pour simplifier parler d'un État sur un territoire donné, il peut y avoir dans certaines situations des institutions cohabitant de façon plus ou moins conflictuelles. Par exemple, dans l'Europe médiévale, le clergé de l'Église catholique représentait une puissance transnationale, surtout économique et idéologique, fonctionnant en accord avec les différents États.

L'État a eu une tendance à se renforcer avec l'évolution vers la monarchie absolue, et à concentrer davantage le pouvoir, au détriment des féodaux et de l'Église.

5.2 Entre bureaucratie et démocratie[modifier | modifier le wikicode]

A l'époque moderne et surtout des révolutions atlantiques, la montée de la bourgeoisie s'accompagne de critiques de l'État d'Ancien régime. Les démocrates les plus révolutionnaires remettent en question la séparation entre l'État et la société, par exemple en défendant l'armement du peuple par opposition à l'armée permanente (cela se concrétisera dans quelques institutions comme la garde nationale ou la landwehr). Par ailleurs, en tant que bourgeois réticents aux impôts (en partie parce que jusqu'à présent largement utilisés à mauvais escient), ils dénoncent les dépenses étatiques et revendiquent un « gouvernement à bon marché ».

Suite à des révolutions bourgeoises, les États ont eu tendance à être plus directement contrôlés par la bourgeoisie, au travers des parlements. Mais très vite, la lutte des classes menée par le prolétariat contre la bourgeoisie, et / ou la force de mouvements petit-bourgeois radicalisés, ont eu tendance à rendre instables les régimes parlementaires bourgeois, surtout ceux dans lesquels la bourgeoisie n'est pas assez riche pour obtenir facilement une hégémonie politique. Cela explique que dans le capitalisme tardif la plupart des États capitalistes ont eu tendance à se ré-autonomiser de la société pour mieux assoir l'ordre établi (ce que les marxistes appellent bonapartismes).

Des parallèles peuvent être dressés entre ces bonapartismes et l'État de la monarchie absolue, qui avait « au moins dans les apparences, une existence autonome au-dessus des partis et des classes. »[3]

C'est ce qui explique que globalement, tout en étant transformé en profondeur dans sa nature de classe (État bourgeois), l'appareil d'État continue de se renforcer. Marx avait bien relevé cette tendance croissante de la bureaucratie :

« L’énorme para­site gou­ver­ne­men­tal, qui enserre le corps social comme un boa constric­tor dans les mailles uni­ver­selles de sa bureau­cra­tie, de sa police, de son armée per­ma­nente, de son clergé et de sa magis­tra­ture, date du temps de la monar­chie abso­lue. »[4]

Cette critique radicale de l'État fait que certains marxistes considèrent même Marx comme le premier « théoricien de l'anarchisme ».[5] Cependant, contrairement à la plupart de ceux qui se sont réclamés de l'anarchisme à partir de son époque, Marx ne voyait aucune issue dans un affrontement qui se ferait directement « contre l'État ». Pour lui, aussi bien la tendance bureaucratique de l'État que sa coupure d'avec la société, proviennent de l'infrastructure, de la division de la société en classes.

Par ailleurs, au delà des tendances générales, Marx reconnaissait que l'État est une structure qui connaît, même au sein d'un mode de production donné, une grande variété de formes.

« La "société existante", c’est la société capitaliste qui existe dans tous les pays civilisés, plus ou moins libérée des vestiges du moyen âge, plus ou moins modifiée par le développement historique particulier à chaque pays. En revanche, l’État "existant" change avec la frontière de chaque pays. Dans l’empire Prusso-Allemand il est autre qu’en Suisse, en Angleterre ou aux États-Unis. L"État existant" c’est donc une fiction. »[6]

5.3 Capitalisme d'État[modifier | modifier le wikicode]

Boukharine considérait en 1915 que la centralisation du capital tendait vers des trusts nationaux en concurrence entre eux (impérialisme), ce qu'il appelait le capitalisme d'État. Cette thèse a fortement inspiré Lénine. Boukharine avançait également que l'État devenant un patron direct, la fiction d'un État neutre, au dessus des classes, disparaîtrait.[7]

5.4 L'État impérialiste[modifier | modifier le wikicode]

L'État est non seulement le garant de l'exploitation au sein du peuple qu'il organise, mais il est aussi souvent le garant du pillage d'autres peuples. C'est ce que l'on appelle l'impérialisme, au sens large.

6 Perspective marxiste[modifier | modifier le wikicode]

6.1 État ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

Pour Marx, l'épisode du Printemps des Peuples et plus encore celui de la Commune de Paris lui prouvèrent la nécessité de détruire la machinerie d'État bourgeoise et de la remplacer par une véritable démocratie ouvrière.

« La classe ouvrière ne peut pas se conten­ter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonc­tion­ner pour son propre compte. L’instrument poli­tique de son asser­vis­se­ment ne peut ser­vir d’instrument poli­tique de son éman­ci­pa­tion. »[8]

Il était contre cependant les visions anarchistes, qu'il jugeait métaphysiques, et les visions étapistes, qui privilégiaient la collaboration de classes à l'action révolutionnaire. Plus tard, la nécessité de construire un tel État sera réaffirmée par Lénine et les bolchéviks au cours de la Révolution de 1917.

🔍 Voir : État ouvrier.

6.2 Fin de l'État[modifier | modifier le wikicode]

De nombreux militants révolutionnaires inscrivent aujourd'hui leur lutte dans la perspective de la fin de l'État, entrevoyant une société libérée de toute domination et en particulier de la violence étatique. Mais les descriptions des chemins à suivre pour parvenir à cette fin de l'État sont différentes, entre par exemple les anarchistes qui revendiquent l'abolition de l'État, de façon un peu métaphysique, et les marxistes qui parlent plutôt d'extinction de l'État dans la phase supérieure du communisme.

🔍 Voir : Extinction de l'Etat.

7 Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]

8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Lénine, De l'État, conférence faite le 11 juillet 1919 à l'université Sverdlov