Permanent
Les permanents sont des militants qui sont déchargés de tout ou partie de leur travail ordinaire, et financés par une organisation pour laquelle ils effectuent des tâches. On parle de permanent syndical, de permanent d'un parti politique... La fonction s'appelle le permanentat.
1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]
1.1 La nécessité du permanentat[modifier | modifier le wikicode]
Les organisations, même issues de l'auto-organisation, ont une tendance à déléguer des tâches à certains de leurs membres. La question du temps est centrale. Dans une organisation en grande partie spontanée, comme un comité de grève, le temps est récupéré sur le temps de travail par la grève. Mais lorsque les travailleurs forment des syndicats pour renforcer leur unité et la consolider entre deux mouvements de grève, des difficultés émergent pour concilier temps de travail et temps passé à des tâches syndicales (faire des discours dans les entreprises, préparer du matériel militant, diffuser de la presse, recueillir des cotisations...). Beaucoup d'organisations ont alors recours au permanentat. Le même phénomène a lieu dans les partis.
Dans les partis, on distingue souvent les « permanents techniques » (chargés de questions a priori techniques, comme réaliser le maquettage d'un journal, etc) et les « permanents politiques », qui se consacrent à des questions politiques (rencontrer d'autres partis, définir le contenu d'un communiqué à rédiger dans l'urgence...). Cependant la frontière est rarement nette : un permanent chargé du maquettage peut avoir une forte marge de manoeuvre selon la façon dont il peut par exemple composer la Une du journal et mettre ainsi l'accent sur tel message politique au détriment de tel autre.
1.2 Les risques et effets négatif[modifier | modifier le wikicode]
Le permanentat a cependant des effets négatifs dans le mouvement ouvrier. Il tend à creuser l'écart (en termes de capacité technique, capacité à comprendre les enjeux des débats...) entre les permanents et les autres. La direction des grandes organisations est très souvent de fait entre les mains des principaux permanents.
Dans les syndicats ou partis ouvriers, les travailleurs les plus exploités ont tendance à être moins représentés dans les instances de direction, ayant moins de facilités à militer dans la durée, moins de temps ou moins de bagage théorique pour se former et débattre... Si les permanents sont choisis uniquement parmi la couche bourgeoise ou petite-bourgeoise qui en général domine les organisations, cela ne fait qu'accentuer la coupure sociologique.
Cependant le fait même de rendre un ouvrier permanent entraîne à la longue une coupure avec ses collègues et son milieu. Un ouvrier syndicaliste qui passe plus de temps à discuter avec des patrons et l'État (ce qui est favorisé par le développement du « dialogue social ») qu'avec ses collègues a tendance à se modérer, à comprendre les « contraintes » (capitalistes) des puissants, etc. Pour limiter cela, des organisations cherchent parfois à appliquer une rotation des mandats, ou à limiter le permanentat à du temps partiel. Cependant cela se heurte à plusieurs difficultés structurelles : un ouvrier a souvent des difficultés à obtenir un temps partiel auprès de son employeur, un ouvrier permanent connu pour son syndicalisme aura du mal à être réembauché par un patron...
Par ailleurs dans les partis, les permanents sont en général choisis par la direction. Même si parfois leur validation doit être soumise au vote des instances du parti (congrès ou direction élargie...), leur proposition vient souvent d'une direction en place, et donc ils sont dans les faits cooptés. Ce phénomène peut renforcer exagérément le pouvoir de la majorité dans un parti, au détriment des tendances minoritaires. Dans les partis à tradition pluraliste, le temps de permanentat est parfois réparti à la proportionnelle des résultats des différentes plateformes.
2 Exemples[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Première internationale[modifier | modifier le wikicode]
Lors de la création de l'AIT, il n'y a qu'un seul permanent, le secrétaire général, Odger.[1] A la demande de Marx, ce poste est supprimé en 1867.[2] Odger se comporta indignement à l'occasion de la Commune, et dans son exposé contre Odger à la réunion du Conseil général du ler août 1871, Marx dit : « Au cours des cinq dernières années, Mr Odger a complètement ignoré l'Internationale et n'a jamais rempli les devoirs de sa charge. Le poste de président du Conseil général a été supprimé par le Congrès, parce qu'il était inutile et purement fictif. Mr Odger a été le premier et le seul président de l'Internationale. Il n'a jamais rempli ses devoirs et le Conseil général a très bien pu agir sans lui, c'est pourquoi le poste de président a été supprimé. »[3]
2.2 Social-démocratie allemande[modifier | modifier le wikicode]
La social-démocratie allemande (tant les syndicats que le parti) a connu un très fort développement à partir de la fin du 19e siècle, ce qui s'est traduit par une augmentation très rapide du nombre de permanents, réalisant diverses tâches (édition de la presse ouvrière et socialiste, soutien juridique, associations diverses...).
Par exemple en 1912 le SPD avait 4 000 permanents.
2.3 Russie[modifier | modifier le wikicode]
Dans les conditions particulières du tsarisme, qui imposait aux militants la clandestinité, les bolchéviks ont développé une conception du « révolutionnaire professionnel » très organisé et hiérarchisée. Lénine disait par exemple :
« Un véritable agitateur, qui montre quelque talent, ou du moins promet d'en avoir, ne doit pas travailler à l'usine, nous devons considérer qu'il doit vivre du soutien du Parti et passer dans la clandestinité. »[4]
Les conditions étaient difficiles, et il s'agissait clairement d'un travail dévoué et non d'une planque. En 1907, pour les bolchéviks, un « secrétariat de trois personnes était au service d’un parti qui, en 1907, avait 46.143 membres. (...) Les membres du parti qui donnaient tout leur temps au travail du parti avaient de très basses rémunérations, parfois de 3, 5 ou 10 roubles, jamais supérieures à 30 roubles par mois. » (le salaire moyen en 1903-1905 était de 28 roubles).[5]
Les communistes qui ont rompu après 1914 avec l'Internationale socialiste ont beaucoup critiqué l'embourgeoisement et la bureaucratisation des directions socialistes. Ils mettaient en avant la nécessité de former des communistes parmi les ouvriers du rang et d'en faire des dirigeants, y compris des permanents.
Au cours de la révolution russe en 1917, non seulement les partis et les syndicats mais les instances issues plus directement de l'auto-organisation se dotent de permanents. L'historien Marc Ferro nomme ce phénomène la « bureaucratisation par en bas ». Il décrit par exemple au sujet des comités de quartier :
« À l’origine, les membres des comités de quartier n’étaient pas des militants professionnels, hormis quelques syndicalistes. Ce sont des habitants du quartier, qui, en assurant une permanence au local du comité, abandonnent peu à peu leur emploi. Comme ils ne touchent plus leur salaire, l’assemblée du comité de quartier décide de leur allouer une petite indemnité avec l’argent des cotisations du quartier. Le chiffre de 250 roubles est attesté ; il correspond au salaire d’un petit employé. »[6]
Marc Ferro note par ailleurs que le parti communiste russe a instauré la pratique de toujours comptabiliser les permanents selon leur profession et appartenance de classe d'origine, même longtemps après qu'ils soient devenus des fonctionnaires de fait du parti. Il ajoute : « On retrouve ce trait hors de Russie, au moins pour les permanents des partis politiques, qui indiquent toute leur vie leur profession d’origine même s’ils l’ont à peine exercée (cf. en France, J. Duclos, pâtissier ; M. Thorez, mineur, etc.). »
2.4 PCF[modifier | modifier le wikicode]
Pendant longtemps, le PCF avait comme pratique d'offrir des postes de permanentat à des ouvriers communistes licenciés par leur patron. Avec l'effondrement de la base ouvrière du PCF et de ses résultats électoraux, les permanents actuels du parti se recrutent majoritairement parmi les cadres de la fonction publique territoriale.[7]
3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Instructions pour les délégués du Conseil central provisoire de l'AIT sur les différentes questions, 3 septembre 1866
- ↑ Karl Marx, Lettre à Friedrich Engels, 4 octobre 1867
- ↑ Marx-Engels, La Commune de 1871, 10/18, p. 153, 160-162.
- ↑ Lénine, Sochineniya, IV, 441.
- ↑ Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 17 – La rupture finale avec le menchevisme, 1975
- ↑ Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, 1980
- ↑ Jean-Pierre Hardy, La fusion des bureaucraties administratives, associatives et politiques dans le secteur social, Revue française des affaires sociales - N° 2 Avril-juin 2022