Terreur rouge
La terreur rouge est le nom donné à l'ensemble des actions de répression politique exercée par le prolétariat contre les anciennes classes dominantes.
La question de l'utilisation de la Terreur lors de la révolution continue à faire l'objet de profonds débats dans l'extrême gauche. Rosa Luxemburg écrivait par exemple : « La révolution prolétarienne n'a nul besoin de la terreur pour réaliser ses objectifs. Elle hait et abhorre l'assassinat. Elle n'a pas besoin de recourir à ces moyens de lutte parce qu'elle ne combat pas des individus, mais des institutions, parce qu'elle n'entre pas dans l'arène avec des illusions naïves qui, déçues, entraîneraient une vengeance sanglante. Ce n'est pas la tentative désespérée d'une minorité pour modeler par la force le monde selon son idéal, c'est l'action de la grande masse des millions d'hommes qui composent le peuple, appelés à remplir leur mission historique et à faire de la nécessité historique une réalité. »[1] alors que Trotski écrivait : « La révolution exige de la classe révolutionnaire qu'elle mette tous les moyens en œuvre pour atteindre ses fins; par l'insurrection armée, s'il le faut; par le terrorisme, si c'est nécessaire. »[2]
1 Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]
Initialement, la vision de la révolution chez Marx et Engels est celle dont ils héritent de l'exemple de la Révolution française. Sur cette base, ils considèrent que des mesures de terreur, de « dictature », peuvent être nécessaires face aux contre-révolutionnaires qui eux-mêmes ne se priveront pas de prendre les armes ou comploter pour renverser le nouveau pouvoir.
Dans la révolution de 1848 en Allemagne (qu'ils ne voyaient pas, à l'origine, comme une révolution autre que démocratique-bourgeoise), ils ont considéré qu'une grave erreur des petit-bourgeois démocrates est qu'ils n'ont pas su prendre des mesures de terreur.
Dans les écrits de Marx et Engels cependant, la terreur n'apparaît pas comme un principe, comme une politique inévitable qui caractériserait toute révolution.
Vers la fin de sa vie, Engels voyait les progrès croissants du parti social-démocrate allemand, devenu un parti ouvrier de masse et prétendant au pouvoir. Il voyait aussi les risques de guerre en Europe (qui a finalement éclaté en 1914). Il considérait que le choc de la guerre précipiterait le pouvoir dans les mains des socialistes, mais qu'une telle situation était plus risquée, notamment parce que le parti n'étant pas suffisamment prêt, il devrait prendre des mesures de terreur :
« Afin de prendre possession et de mettre en marche les moyens de production, nous avons besoin de personnes ayant une formation technique, et en masse. Nous ne les avons pas et jusqu'à présent, nous avons même été plutôt heureux d'avoir été largement épargnés par les personnes "instruites". Maintenant, les choses sont différentes. Maintenant, nous sommes assez forts pour supporter n'importe quelle quantité de racailles instruites et pour les digérer, et je prévois qu'au cours des huit ou dix prochaines années, nous recruterons suffisamment de jeunes techniciens, médecins, avocats et maîtres d'école pour nous permettre d'administrer les usines et les grands domaines au nom de la nation par des camarades du Parti. Alors, notre arrivée au pouvoir sera tout à fait naturelle et s'installera rapidement - en comparaison, si en revanche, une guerre nous amène au pouvoir prématurément, les techniciens seront nos principaux ennemis; ils nous tromperont et nous trahiront partout où ils le pourront et nous devrons user de terreur contre eux, mais nous serons tout de même trompés. C'est ce qui arrivait toujours, à petite échelle, aux révolutionnaires français; même dans l'administration ordinaire, ils devaient laisser les postes subalternes, où le vrai travail est fait, aux mains de vieux réactionnaires qui obstruaient et paralysaient tout. »[3]
2 Commune de Paris[modifier | modifier le wikicode]
Selon Trotski dans son ouvrage Terrorisme et communisme :
« Poussée par la logique de la lutte, celle-ci entra en matière de principe dans la voie de l'intimidation. La création du Comité de Salut public était dictée pour beaucoup de ses partisans par l'idée de la terreur rouge. Ce comité avait pour objet de "faire tomber les têtes des traîtres" et de "réprimer les trahisons" (séances du 30 avril et du 1er mai). Parmi les décrets d'"intimidation", il convient de signaler l'ordonnance (du 3 avril) sur la séquestration des biens de Thiers et de ses ministres, la démolition de sa maison, le renversement de la colonne Vendôme, et en particulier le décret sur les otages. Pour chaque prisonnier ou partisan de la Commune fusillé par les Versaillais, on devait fusiller trois otages. Les mesures prises par la Préfecture de police, dirigée par Raoul Rigault, étaient d'un caractère purement terroriste, quoiqu'elles ne fussent pas toujours adaptées au but poursuivi. L'efficacité de toutes ces mesures d'intimidation fut paralysée par l'inconsistance et l'état d'esprit conciliateur des éléments dirigeants de la Commune, par leurs efforts pour faire accepter le fait accompli à la bourgeoisie au moyen de phrases pitoyables, par leurs oscillations entre la fiction de la démocratie et la réalité de la dictature [...] Si la Commune de Paris n'était pas tombée, si elle avait pu se maintenir dans une lutte ininterrompue, il ne peut y avoir de doute qu'elle aurait été obligée de recourir à des mesures de plus en plus rigoureuses pour écraser la contre-révolution. Il est vrai que Kautsky n'aurait pas eu alors la possibilité d'opposer les communards humanitaires aux bolcheviks inhumains. En revanche, Thiers n'aurait pu commettre sa monstrueuse saignée du prolétariat de Paris. L'histoire y aurait peut-être trouvé son compte. »
3 Révolution russe[modifier | modifier le wikicode]
Aussitôt après la révolution d'Octobre, pour faire face aux difficultés, le gouvernement bolchévik prend de plus en plus de mesures de centralisation du pouvoir, et de restriction des libertés publiques.
Dès le 30 octobre 1917, Trotski menace dans les Izvestia les contre-révolutionnaires :
« Nous détenons les KD comme prisonniers et otages. Si nos hommes tombent aux mains de l’ennemi, que celui-ci sache bien que pour chaque ouvrier et pour chaque soldat, nous exigerons cinq cadets. Ils pensaient que nous resterions passifs mais nous leur avons montré que nous pouvions être impitoyables lorsqu’il s’agit de défendre les conquêtes de la Révolution. »[4]
Les soviets prennent de nombreuses initiatives, bien au delà de ce qui est encouragé par le pouvoir central encore doté de peu de relais. De nombreuses violences sont commises, que ce soit par des bolchéviks ou non (par exemple par l'adjudant Muraviev qui venait d'adhérer aux SR de gauche). Des bolchéviks comme Larine ou Riazanov protestaient alors « devant ces actes qui déshonoraient la révolution ».
La « Commission extraordinaire panrusse près le Conseil des commissaires du peuple pour combattre la contre-révolution et le sabotage » (Vetcheka) est instaurée le 7 décembre 1917 mais ne dispose que de pouvoir très limités : elle mène des enquêtes et ne peut punir que par la confiscation des biens et des cartes de rationnement. Mais dans l'atmosphère de la guerre civile, Le comité exécutif central décide de répliquer à la « terreur blanche » par la « terreur rouge ». Le décret du 5 septembre appelle à « isoler les ennemis de classe de la République soviétique dans des camps de concentration, et de fusiller sur-le-champ tout individu impliqué dans des organisations de Gardes-Blancs, des insurrections ou des émeutes. »
« La Tchéka, déclare le tchékiste Latsis, ne juge pas, elle frappe ... Nous ne faisons plus la guerre à des individus isolés, nous exterminons la bourgeoisie entant que classe. Ne cherchez pas dans le dossier des accusés des preuves pour savoir s'ils sont ou non opposés au gouvernement soviétique en paroles ou en actes. La question à l'ordre du jour est de savoir à quelle classe sociale ils appartiennent, leur extraction, leur instruction, leur profession. C'est cela qui décide de leur sort »
Selon Pierre Broué, dans son livre Le Parti Bolchévique : « Il est impossible de donner des chiffres précis quant à l'ampleur de la répression. Les chiffres officiels sont certainement bien inférieurs à la réalité, mais reflètent l'importance du tournant de juillet : Peters indique 22 exécutions pour les six premiers mois de 1918 et 6000 pour les six derniers mois. L'historien Chamberlin tient pour vraisemblable un total de 50 000 victimes. Il est incontestablement inférieur à celui des victimes des Blancs. Surtout, comme le souligne Victor Serge, l'ensemble de la Terreur rouge fera moins de victimes que certaines des plus terribles journées de la bataille de Verdun. »
Il ajoute :
« En tout cas, les bolcheviks ont conscience que ce prix doit être payé si l'on veut éviter dans l'avenir des notes plus lourdes encore en vies humaines. Fidèles à leurs principes, leurs dirigeants ne dissimulent ni ne renient leur politique terroriste. Au soviet de Kazan, Trotski déclare : « Maintenant qu’on accuse les ouvriers de faire preuve de cruauté dans la guerre civile, nous disons, instruits par l'expérience : l'indulgence envers les classes ennemies serait la seule faute impardonnable que puisse commettre en ce moment la classe ouvrière russe. Nous nous battons, au nom du plus grand bien de l'humanité, au nom de la régénérescence de l'humanité, pour la tirer des ténèbres et de l'esclavage ». Et s'adressant aux ouvriers américains, instruits de toutes les atrocités de la Terreur rouge, Lénine dit : « Nos fautes ne nous font pas peur. Les hommes ne sont pas devenus des saints du fait que la révolution a commencé. Les classes laborieuses opprimées, abêties, maintenues de force dans l'étau de la misère, de l'ignorance, de la barbarie, pendant des siècles, ne peuvent accomplir la révolution sans commettre d'erreurs. [ ... ] On ne peut enfermer dans un cercueil le cadavre de la société bourgeoise et l'enterrer. Le capitalisme abattu pourrit, se décompose parmi nous, infestant l'air de ses miasmes, empoisonnant notre vie : ce qui est ancien, pourri, mort s'accroche par des milliers de fils et de liens à tout ce qui est nouveau, frais, vivant »
En avril 1918, le Soviet de Petrograd (présidé par Trotski) prend des mesures de surveillance drastiques de la liberté de réunion et d'association :
Décret sur la liberté de réunion et d’association
1. Tous les syndicats, sociétés et associations — économiques, artistiques, religieuses, etc. — formés sur le territoire de la Commune de la Région du Nord, doivent être enregistrés au Soviet ou au Comité des paysans pauvres.
2. Pour former une association ou un syndicat, il faut fournir la liste des fondateurs et des membres du Comité, avec noms et adresses, ainsi que la liste de tous les membres avec noms et adresses qui doivent être enregistrés.
3. Toutes les publications et archives doivent être mises à la disposition des dirigeants du Soviet pour inspection.
4. Les avis de réunion, publique ou privée, doivent être déposés, trois jours à l’avance, au Soviet ou au Comité des pauvres.
5. Toutes les réunions doivent être ouvertes aux représentants des autorités, c’est-à-dire du Soviet local, du Comité des pauvres ou des membres de la police secrète.
6. Syndicats et associations qui n’auraient pas rempli ces obligations seront considérés comme contre-révolutionnaires et traités comme tels[4]
Le pouvoir prive les réactionnaires de droits politiques et suspend leurs journaux. Les mesures d'interdiction s'étendent de plus en plus à d'autres types d'opposants, comme les menchéviks, les SR et les anarchistes. Il s'agissait, comme l'écrivait Lénine, de mesures « essentiellement russes » : des mesures d'exception, de légitime défense. Trotski écrivait également :
« Aux époques difficiles de la vie des peuples et des classes correspondent des mesures sévères. Plus nous avancerons, plus ce sera facile, plus chaque citoyen se sentira libre, et moins se fera sentir la force de coercition de l'État prolétarien. Peut-être autoriserons-nous alors les journaux mencheviks, en admettant qu'à cette époque il y ait encore des mencheviks. »[2]
Lénine écrit le 9 août 1918 au Soviet de Nijni-Novgorod : « Une insurrection de gardes blancs est en cours de préparation à Nijni. Il faut faire le maximum, déclencher une action terroriste de masse, fusiller et déporter des centaines de prostituées qui enivrent les soldats, etc. Ne pas perdre une seule minute. Fusiller les détenteurs d’armes. Déportation massive des mencheviks et des éléments peu sûrs »
En août 1918, Martov publie une brochure à Moscou pour dénoncer l'utilisation de la peine de mort par les bolchéviks, qui l'avaient toujours combattue dans l'opposition. Il affirme qu'au congrès du parti social-démocrate de Coppenhague de l'été 1910, en les nommant l'un après l'autre, les Bolcheviks s'étaient à l'unanimité prononcés à main levée pour l'abolition de la peine de mort[5] Kautsky reproche au pouvoir bolchevique d'être une dictature plus blanquiste que marxiste, dont il estime la politique arbitraire et anti-démocratique. Deux de ses livres anti-bolchéviks conduisent à des contre-attaques notables : en 1918 Lénine écrit La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky et en 1920 Trotski écrit Terrorisme et communisme[2] (sous-titré L'Anti-Kautsky).
Un certain nombre de calomnies circulent sur les bolchéviks, et Kautsky n'hésite pas à les reprendre. Trotski montre par exemple comment une accusation de « socialisation des femmes » par des soldats de l'Armée rouge est de toute évidence un faux.[2]
3.1 Le prétendu massacre des Romanov[modifier | modifier le wikicode]
Très longtemps on accusait les Bolcheviks d'avoir massacré en juillet 1918 à Ekaterinbourg le tsar, sa famille et quatre suivants à Ekaterinbourg. Il n'existe aucune source archivée qui permette de l'affirmer. On a établi officiellement le massacre comme démontré alors même qu'on n'a trouvé aucune preuve dans les archives de l'implication ni de Lénine ni de Sverdlov ; uniquement la répétition contre eux d'une accusation répétée plusieurs décennies durant et l'époque jusqu'en 1922 au moins les dirigeants bolcheviks assuraient par la voix de Tchitcherine, Zinoviev, Litvinov, et à nouveau Tchitcherine quasi-infondées.
Le soviet régional de l'Oural avait certes fait exécuter l'ex-tsar, suite à un complot destiné à le libérer, mais n'en avait pas moins fait transférer hors de la ville sa femme, ses quatre filles, son fils unique. Ainsi en avril 1922, à la Conférence de Gênes, Tchitchérine affirma que "l'ex-tsarine et ses filles vivaient en Amérique". Nombre d'historiens (tels que Marc Ferro et Marina Grey, fille du général Dénikine) depuis les années 1980 (avec une incertitude sur le sort du fils unique) leur ont donné raison. Lénine et les bolcheviks préféraient négocier pacifiquement un échange avec l'Allemagne de Guillaume II dont la famille de Nicolas II était originaire, afin d'obtenir la libération de Karl Liebknecht et de Léo Jogiches. Le 27 septembre 1918 le frère de la tsarine, Ernst de Hesse, écrivait secrètement à sa sœur Victoria de Hesse qu'il tenait de deux sources sûres "qu'Alix et tous les enfants sont en vie." Vers la mi-octobre 1918 Karl Liebknecht était libre. Lénine lui-même se montra le 8 novembre 1918 réservé quant à l'utilité de l'exécution de feu Nicolas II : autrefois les décapitations de Charles Ier et de Louis XVI n'avaient pas empêché après une certain temps des restaurations, du fait du maintien de la classe des Koulaks. Aucune référence à la famille impériale dans cette allusion première du no 1 de la Révolution russe à la nuit ouralienne du 16 au 17 juillet 1918, alors qu'il a été calomnieusement répété qu'il s'en est félicité. Pas davantage de référence à la famille impériale dans une deuxième allusion à la nuit d'Ekaterinbourg formulée à l'approche du quatrième anniversaire de la révolution le 17 octobre 1921. Il y relève comme une victoire très insuffisante le fait que l'amiral Koltchak fusillé en février 1920 a suivi le sort de Nicolas Romanov et que Wrangel et Denikine se sont exilés très loin de la Russie : la lutte contre l'institution et la mentalité capitaliste prime sur le reste.
On accuse par ailleurs Lénine d'avoir dit en 1911 qu'il fallait exterminer tous les Romanov c'est-à-dire une bonne centaine. A bien lire le texte incriminé on peut constater qu'il souhaitait exactement le contraire :
« Les ganaches libérales dissertent sur l'exemple d'une monarchie constitutionnelle de type anglais. Eh bien, si dans un pays aussi cultivé que l'Angleterre, qui n'a jamais connu le joug mongol, l'oppression de la bureaucratie, le déchaînement de la caste militaire, il a néanmoins fallu couper la tête à un bandit couronné pour apprendre aux rois à être des monarques "'constitutionnels", en Russie il faudra couper la tête à Cent Romanov au moins, pour enlever à leurs successeurs l'habitude d'organiser des bandes d'assassins Cent-Noirs et de déchaîner des pogroms. Si la social-démocratie a retenu quelque chose de la première révolution russe de 1905 elle doit maintenant bannir de tous nos discours, de tous nos tracts le mot d'ordre de "à bas l'autocratie", qui s'est révélé inadapté et vague, et défendre exclusivement celui de "A bas la monarchie tsariste, vive la république" » [6]
En 1911 Lénine se livrait à un vibrant plaidoyer républicain, destiné aux libéraux russes favorables à une monarchie constitutionnelle de type anglais. Celle-ci s'était imposée au 17e siècle grâce à la décapitation d'un Stuart, Charles Ier et la nouvelle monarchie constitutionnelle russe devait, le cas échéant, frapper au centuple la Maison Romanov, les "Cent-Noirs", ces monarchistes coupables toujours impunis de crimes politiques et antisémites, qui y avaient chacun au moins un complice. Sa remarque peut peut-être se comprendre par l'engagement d'abolir la peine de mort pris l'année précédente à Copenhague.
Le caractère calomnieux de l'accusation de massacre des Romanov dans cette nuit du 16 au 17 juillet 1918 transparaît clairement dès mai 1919 dans les propos du journaliste britannique ultra-conservateur et antisémite, Robert Wilton, au commandant français, Joseph Lasies, très dubitatif quant aux preuves matérielles : "Commandant Lasies, même si le tsar et la famille impériale sont en vie, il est nécessaire de dire qu'ils sont morts". En 1920 dans un pamphlet intitulé the Last Days of Romanov Wilton placera le prétendu massacre sous le signe du complot juif commandité par Jacob Sverdlov. Pourtant à Perm en septembre 1918, 18 témoins identifièrent la tsarine et ses quatre filles ensemble ou séparées puis déposèrent en ce sens devant le juge Sokolov chargé de l'enquête. Mais en 1924 celui-ci, proche des Blancs et de Wilton, expurgea de son rapport cette information ainsi que tous les autres éléments qui plaidaient contre la théorie du massacre (absence de toute trace des onze corps, impossibilité technique de faire assassiner dans une maison onze personnes par une dizaine de personnes). Il fallut en 1976 la parution de l'enquête d'Anthony Summers et de Tom Mangold, qui retrouvèrent quelques années plus tôt à Harvard un exemplaire intégral du rapport Sokolov pour que soit découverte la forfaiture de ce magistrat.
3.2 Terrorismes révolutionnaire et contre-révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]
L'Église orthodoxe, qui s'est souvent rangée activement du côté de la réaction (des popes délateurs peuvent même çà et là être responsables de nombreuses exécutions sommaires), doit subir des milliers d'arrestations, d'exécutions, de spoliations et de destructions, le but étant à terme l'éradication non seulement de sa puissance antérieure, mais aussi des croyances religieuses.
Le nouveau pouvoir prend des mesures répressives tant par des décisions au niveau central que par des initiatives locales. Les deux se nourrissent : les dirigeants à Petrograd lancent des appels à l'initiative des masses, celles-ci prennent des mesures qui inspirent parfois des décrets nationaux, et d'autre fois les dirigeants nationaux essaient de modérer des excès de la base. Par exemple, Lénine écrit le 26 juin 1918 à Zinoviev, après l'assassinat de Volodarski :
« J’apprends que la Tchéka de Petrograd retient les ouvriers [qui veulent répondre par une terreur de masse]. Je proteste fermement. Nous nous compromettons : alors que nous n’hésitons pas dans nos résolutions à menacer de frapper de terreur de masse les députés des soviets, lorsqu’il s’agit de passer aux actes nous freinons l’initiative révolutionnaire entièrement fondée des masses. Ce n’est pas possible. Les terroristes vont nous considérer comme des chiffes molles. Il faut encourager l’énergie et la nature de masse de la terreur, particulièrement à Petrograd où l’exemple doit être décisif. »[4]
Plus généralement, tous les camps en lutte utiliseront, à des degrés divers, les mêmes méthodes de répression (beaucoup étant issues du tsarisme ou de la Grande guerre) : internement des adversaires militaires et politiques dans des camps, prises d'otages (le premier décret des otages est ainsi promulgué non pas par les bolcheviks en janvier 1919 mais un an auparavant, peu après la révolution d'octobre, par le général Niessel, commandant de la mission militaire française en Russie[7]), exécutions sommaires. Nikolai Melkinov, un des principaux membres du gouvernement Denikine, a souligné dans ses Mémoires que l'administration blanche « appliqua [...] dans ses territoires une politique foncièrement soviétique ».
Même le bref gouvernement SR de Samara, souvent considéré comme l'un des belligérants les plus modérés, utilisa lui aussi ce type de mesure. Il proclama le rétablissement des libertés d'expression, de réunion et de la presse, mais les prisons de Samara furent bientôt pleines de bolcheviks. Les KD appliquent aussi des mesures dictatoriales là où ils dominent. Aucune des armées ne tient à laisser derrière elle des éléments suspects ou dangereux. Même les armées dites anarchistes de Makhno faisaient des exécutions préventives.
3.3 Autocritiques de Trotski[modifier | modifier le wikicode]
En 1936, avec le recul, Trotski admit que « l’interdiction des partis d’opposition entraîna l’interdiction des fractions au sein du parti bolchevique ; l’interdiction des fractions aboutit à l’interdiction de penser autrement que le chef infaillible ». Cette « mesure exceptionnelle, appelée à tomber en désuétude dès la première amélioration sérieuse de la situation », avait fini par s’éterniser à cause du « goût de la bureaucratie [...] à considérer la vie intérieure du parti sous l’angle exclusif de la commodité des gouvernants ».[8]
En 1938, il reconnaît aussi qu'un pluralisme soviétique est nécessaire : « La démocratisation des soviets est inconcevable sans la légalisation des partis soviétiques. »[9]
Dans les décennies qui ont suivi, certains trotskistes ont mis en avant cette évolution pour repousser la terreur rouge, ou mettre en garde contre elle, tandis que d'autres ont nié ou minimisé l'idée d'une autocritique de Trotski.[10]
4 Rosa Luxemburg[modifier | modifier le wikicode]
Rosa Luxemburg est souvent citée comme une communiste révolutionnaire opposée aux méthodes de terreur des bolchéviks. Il est vrai qu'elle a émis des critiques sur des mesures prises après la révolution d'octobre., et qu'elle a fait introduire dans le programme du Parti communiste allemand une clause contre la terreur rouge.
Elle a cependant salué la prise de pouvoir par les bolchéviks. Certains communistes soulignent qu'elle n'avait pas accès à beaucoup d'informations sur ce qui se passait en Russie, et minimisent la divergence. D'autres au contraire s'en revendiquent et en font une figure d'un communisme foncièrement différent du « léninisme » (le luxemburgisme ou le conseillisme). D'autres soulignent également la divergence et considèrent que Rosa Luxemburg était une « gauchiste »[10].
5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Rosa Luxemburg, Que Veut la Ligue Spartakiste ? - Programme du Parti Communiste Allemand, 14 décembre 1918
- ↑ 2,0 2,1 2,2 et 2,3 Léon Trotski, Terrorisme et communisme, 1920
- ↑ Letter to August Bebel, October 24, 1891
- ↑ 4,0 4,1 et 4,2 Cité par Marc Ferro dans Des soviets au communisme bureaucratique (1980)
- ↑ Julius Martov, A bas la peine de mort !, 1918
- ↑ Œuvres de Lénine, Paris, Editions sociales, tome 17, décembre 1910-avril 1912, "À propos des mots d'ordre et de la conception du travail social-démocrate à la Douma et en dehors ", p. 341(8-21 décembre 1911)
- ↑ Jean-Jacques Marie, De l'inventeur du “décret des otages”
- ↑ Léon Trotski, La Révolution trahie - V. Le Thermidor soviétique, 1936
- ↑ Léon Trotski, Programme de Transition, 1938
- ↑ 10,0 et 10,1 Nahuel Moreno, La dictature révolutionnaire du prolétariat, 1978