Opposition militaire

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Kliment Vorochilov, un des leaders de l'Opposition militaire

L'opposition militaire est une sensibilité oppositionnelle qui s'est développé au sein de l'Armée rouge en 1918-1919, contre la direction bolchévique.

Elle fut menée par Smirnov, et soutenue par Vorochilov, Piatakov, Mejlaouk, Zinoviev, Staline[1]...

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Révolution et désorganisation de l'armée[modifier | modifier le wikicode]

Dès la révolution de Février, l'armée russe est dans un processus d'insubordination croissante (comités de soldats remettant en question les ordres de leurs officiers...). Le Prikaze n°1 ("Décret n°1") du Soviet de Petrograd annonce l'entière liberté de réunion parmi les soldats. Au cours de l'année, c'est même une tendance à la désintégration de l'armée qui se fait jour. Les soldats, en très grande majorité des paysans conscrits, étaient de plus en plus nombreux à déserter, désirant notamment retourner chez eux pour s'occuper de leurs terres.

Le gouvernement provisoire dirigé par les bourgeois libéraux (KD) et les socialistes réformistes (menchéviks et SR) maintenait l'effort de guerre, et donc avait de plus en plus tendance à s'opposer à la démocratie dans l'armée. Au cours de l'été, Kérenski rétablit même la peine de mort dans l'armée, qui avait été abolie en Février.

Les bolchéviks reprenaient initialement la revendication démocratique révolutionnaire du « peuple en armes », et attisaient ce processus de démocratisation / délitement. Pour eux cela s'incarnait dans le développement des gardes rouges (des groupes armés principalement liés aux quartiers ouvriers), ayant vocation à remplacer l'armée régulière. Devant une conférence de délégués du front en juin 1917, les bolchéviks défendaient cette perspective. En juin 1917, une conférence militaire bolchévique revendiquait que l'élection des officiers, l'autogestion et l'initiative d'en bas devaient remplacer les nominations, la discipline et l'obéissance.

Après la révolution d'Octobre, les premières décisions du nouveau gouvernement vont dans ce sens. Fin décembre 1917, un décret abolit les saluts militaires aux supérieurs et les marques de grades, et instaure l'élection des officiers. En janvier 1918, une tentative est faite pour organiser l'armée sur une base volontaire.[2]

1.2 Organisation d'une Armée rouge[modifier | modifier le wikicode]

Mais très vite, le nouveau gouvernement révolutionnaire voit comme une nécessité absolue la constitution d'une force armée "efficace". La première des pressions vient des troupes allemandes, qui profitent de la désorganisation de leurs adversaires pour pénétrer en territoire russe. Les bolchéviks sont par ailleurs divisés : en attendant une subversion révolutionnaire des soldats allemands qui ne vient pas, Lénine soutient qu'il faut négocier la paix, tandis que les communistes de gauche prônent la guerre révolutionnaire. Et plus les Allemands avancent et constatent la faiblesse de l'armée russe, plus les conditions qu'ils exigent pour la paix sont élevées. Le traité de Brest-Litovsk signé le 3 mars 1918 sera très dur.

Après le traité, Trotski est nommé Commissaire des Affaires Militaires, et donc dirigeant de l'Armée rouge. Il entame un tournant vers la centralisation et la discipline. Seulement trois mois après avoir été instaurée, l'élection des officiers est annulée. Trotski justifia cela devant le Comité exécutif central des soviets (VTsIK) en disant que l'élection des officiers n'avait jamais été conçue comme « une méthode pour désigner des commandants, mais comme une méthode de lutte des classes »[3]. Trotski réaffirmera plus tard : «  La méthode de l'élection est politiquement sans intérêt et techniquement inopportune, et en plus elle a déjà été condamnée par décret »[4].

Le 22 avril, l'entraînement militaire est rendu obligatoire. Il n'y a pas d'opposition parmi les bolchéviks à ce moment-là lors du débat devant le VTsIK. Le leader des menchéviks, Julius Martov, répondit que toute force armée indépendante du peuple constituait un danger pour la révolution.[5]

Le service militaire est rendu obligatoire de 18 à 40 ans, par le décret du 29 mai 1918 et on crée des commissaires militaires ou voenkomat pour encadrer cette mobilisation. Pour pallier le manque d'expérience des cadres, on leur adjoint des spécialistes militaires ou voenspetsy, sélectionnés par une commission spéciale dirigée par Lev Glezarov. Ces adjoints sont souvent recrutés parmi les anciens officiers de l'armée impériale russe, libérés à cet effet, mais dont on s'assure de la loyauté par une étroite mise sous tutelle et sous contrôle de commissaires politiques. On estime que 30% des anciens officiers ont fini par être recyclés dans l'armée rouge. Un de ceux qui a joué un rôle important dans la défection de plusieurs d'entre eux fut le général Mikhaïl Bontch-Brouïevitch, lorsque son frère Vladimir Bontch-Brouïevitch (un proche de Lénine), lui fit la proposition.

Trotski raconte à quel point, au niveau des formes, la nouvelle armée a en grande partie consisté à rebâtir la discipline détruite dans l'ancienne armée :

« Les comités, dans les vieux régiments, s'étaient formés comme des incarnations de la révolution même, du moins dans la première étape. Dans les nouveaux régiments, le principe même des comités ne pouvait être toléré, en tant que principe de décomposition. Les malédictions envoyées à l'adresse de la vieille discipline retentissaient encore que déjà nous commencions à en établir une nouvelle. Après avoir recouru aux volontaires, il fallut, à bref délai, en revenir à la conscription forcée ; après les détachements de partisans, il fallut avoir une organisation militaire exacte.  »[6]

La peine de mort pour désobéissance pendant le combat est rétablie. Et aussi, plus graduellement, le salut, les titres, les casernements séparés et autres privilèges pour les officiers.

Le traité de Brest-Litovsk avait mit fin à la menace des troupes allemandes, mais très vite (milieu 1918), la guerre civile et les interventions impérialistes imposent une autre pression militaire au nouveau pouvoir. Encore jusqu'en 1919, le gros des combats contre les Blancs sera assuré par des détachements (non centralisés) de partisans de type gardes rouges.

1.3 Le secteur de Tsaritsyne[modifier | modifier le wikicode]

La ville de Tsaritsyne (qui devint Stalingrad, aujourd'hui Volgograd) fut un centre important de l'opposition militaire. Trotski donne les éléments d'analyse suivant :

Dans l'Armée rouge et l'opposition militaire, Tsaritsyne prit une importance particulière: là, les travailleurs de l'armée se groupaient autour de Vorochilov. Les détachements révolutionnaires avaient le plus souvent à leur tête d'anciens sous-officiers, paysans originaires du Caucase septentrional. Le profond antagonisme qui existait entre les Cosaques et les paysans donna, dans les steppes du Midi, un caractère d'exceptionnelle férocité à la guerre civile, laquelle s'étendait à tous les villages et causait l'extermination complète de familles entières. (...) Cette guerre suscita un bon nombre de solides partisans, tout à fait à la hauteur dans les rencontres qui eurent lieu en leurs limites régionales mais, d'ordinaire, fort incapables quand il fallait aborder des tâches militaires d'une plus grande envergure. (...) Dans l'ambiance de Vorochilov, on parlait avec aversion des spécialistes, des académiciens de guerre des grands états-majors de Moscou. Mais comme les chefs des partisans ne possédaient pas par eux-mêmes de connaissances dans l'art militaire, chacun d'eux avait sous la main son «spetz» [spécialiste], qui était seulement d'espèce inférieure et qui s'accrochait tant qu'il pouvait à sa place, écartant de plus capables et de mieux renseignés. Les chefs de partisans de Tsaritsyne traitaient le commandement du front soviétique méridional un peu mieux seulement qu'ils ne traitaient les Blancs. Leurs rapports avec le centre moscovite se bornaient à de continuelles demandes de munitions. Chez nous, tout était mesuré au compte-gouttes. Tout ce qui était fabriqué par les usines était immédiatement expédié aux armées. Aucune d'entre elles n'absorba autant de fusils et de cartouches que l'armée de Tsaritsyne. Au premier refus, Tsaritsyne criait à la trahison des «spetz» de Moscou. (...)

Staline passa plusieurs mois à Tsaritsyne. Il combina sa lutte de coulisses contre moi, ce qui était alors déjà le plus essentiel de son activité, avec l'opposition locale de Vorochilov et de ses émules les plus proches. [6]

2 Opposition militaire[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Mars 1918 : Naissance de l'opposition à Trotski[modifier | modifier le wikicode]

Même au sein des bolchéviks, cette position sur l'armée soulevait de violentes polémiques.

Krylenko, un des commissaires adjoints aux affaires militaires nommé après la Révolution d'Octobre, donna sa démission du Département de la Défense pour protester contre ces mesures.

Un groupe qui sera plus tard nommé "opposition militaire" se constitue. Selon Deutscher[7], il puise sa source dans deux catégories de bolchéviks :

  • des communistes de gauche (V. Smirnov, Piatakov...) qui s'étaient opposés à Brest-Litovsk, opposant l'esprit libertaire de la révolution à la constitution d'une armée centralisée ;
  • des cadres bolchéviks méfiants envers l'utilisation d'anciens officiers tsaristes, dont certains avaient acquis des postes dans l'armée et ne voulaient pas les partager avec les ennemis d'hier.

A propos des premiers, Trotski écrit par exemple :

« Pour combattre les idées à demi anarchistes de Piatakov concernant l'organisation de l'armée, j'employai le procédé suivant: je lui confiai immédiatement un poste responsable, ce qui le forçait de passer de la parole aux actes. Le procédé n'est pas nouveau, mais il est irremplaçable en bien des cas. Le sens de l'administration lui suggéra bientôt d'employer les méthodes contre lesquelles il avait guerroyé en paroles. De telles transformations ne furent pas rares. Tous les meilleurs éléments de l'opposition militaire s'entraînèrent bientôt au travail. En même temps, je proposais aux plus irréductibles de former, d'après leurs principes, plusieurs régiments, promettant de leur assurer toutes les ressources indispensables. Il n'y eut qu'un groupe, de district, sur la Volga, pour accepter le défi et pour former un régiment qui, d'ailleurs, ne se distinguait en rien des autres troupes. »[6]

La branche militaire du parti, dont dépendait tant la coopération avec les officiers, était fermement opposée à la politique de Trotski. Le conflit éclata au grand jour quand Lachevitch, chef de la section militaire du parti, membre du Comité Central et ami intime de Zinoviev, proclama publiquement que le parti ne se servirait des anciens généraux que « pour les presser comme des citrons et les rejeter ensuite ». Zinoviev renchérit. Trotski répondit :

« Ces anciens généraux, qui travaillent consciencieusement dans les difficiles conditions du moment, méritent, même s’ils sont d’esprit conservateur, infiniment plus de respect de la part de la classe ouvrière, que les pseudo-socialistes qui passent leur temps à intriguer… »

Trotski passa lui-même du temps à convaincre des officiers de la grandeur morale de la Révolution.

Trotski se fit beaucoup d'ennemis en forçant les groupes de partisans à s'intégrer dans le cadre centralisé et discipliné de l'Armée rouge. Il fut notamment en conflit permanent avec le groupe indiscipliné de Tsaritsyne, autour de Vorochilov, que défendait Staline. Cette inflexibilité a sans doute à la fois permis la force menant à la victoire de l'Armée rouge, et la consolidation de la future bureaucratie autour de Staline :

Dans la grande lutte que nous menions, l'enjeu était trop considérable pour que je pusse jeter des regards à droite et à gauche. J'ai dû souvent, presque à chaque pas, marcher sur les cors de passions personnelles, d'amitiés ou d'amours-propres. Staline recueillait avec soin les gens qui avaient eu des cors écrasés. Il avait pour cela suffisamment de temps et son intérêt personnel y était. Le commandement de Tsaritsyne devint, dès ce temps, un de ses principaux instruments. Dès que Lénine tomba malade, Staline obtint, par l'intermédiaire de ses alliés, que Tsaritsyne s'appelât Stalingrad.[6]

2.2 Mars 1919 : 8e congrès du PCR[modifier | modifier le wikicode]

Il y avait un an que Trotski occupait le Commissariat à la Guerre et avait pris de nombreuses initiatives, mais sa politique militaire n’avait toujours pas reçu la bénédiction du parti. Ses adversaires se préparaient à mettre sa politique en accusation au prochain congrès du parti, qui devait avoir lieu en mars 1919.

L'opposition à Trotski était d'autant plus forte que Lénine, qui insistait sur le respect des « spécialistes » dans le civil, réserva pendant longtemps son jugement sur l’emploi des officiers. Les trahisons d'officiers étaient fréquentes et l’opposition avait beau jeu de s’en servir. Peu de temps avant le congrès, Lénine suggéra à Trotski de licencier tous les officiers et de nommer Lachevich, ancien sergent de l’armée tsariste, commandant en chef. Il fut extrêmement surpris quand Trotski lui apprit que plus de 30 000 officiers servaient déjà dans l’Armée Rouge. Ce n’est qu’alors que Lénine comprit toute l’ampleur du problème et il reconnut que, par rapport au nombre d’officiers employés, les cas de trahison étaient peu nombreux. Il admit aussi qu’il était impossible de renvoyer les officiers, et il exprima publiquement son admiration pour l’originalité dont faisait preuve Trotski pour « bâtir le communisme en récupérant les briques de l’édifice détruit de l’ancien régime » (Lénine, Sobranie Sochinem’y, vol XVI, p. 73.)

Encore sous l’impression de ce que Trotski venait de lui apprendre, il eut une discussion avec Gorki qu’il cherchait à gagner au bolchevisme : « Montrez-moi un autre homme capable de mettre sur pied, en un an, presque une armée modèle, et conquérir le respect des experts militaires. Nous possédons un pareil homme. » (Maxime Gorki, « Lénine et le paysan russe », p. 95-96)

Deutscher fait l'appréciation suivante de la politique de Trotski :

« Dans l’ensemble, son plan, tout en provoquant des frictions, donna des résultats satisfaisants ; de toute façon, il n’y avait aucune solution de rechange à proposer. Confiée sans contrôle à l’autorité des anciens officiers, l’Armée Rouge se serait effondrée politiquement ; laissée sous le commandement des amateurs bolcheviks, elle aurait sombré sur les champs de bataille. Et personne ne rendit au système de Trotsky un hommage aussi éclatant et involontaire que le général blanc Dénikine, qui en fut la victime : « Le gouvernement des Soviets peut être fier de l’habileté avec laquelle il a embrigadé la volonté et l’intelligence des généraux et des officiers russes, dont il a fait, malgré leur répugnance, ses instruments dociles… » (Dénikine, Ocherki Russkoi, vol III, p. 146). »[7]

Après l’intervention de Lénine, la défaite de l’opposition était prévisible. Staline et Zinoviev cherchèrent tous deux à donner l’impression que leurs vues étaient identiques à celles de Lénine, mais leur soutien de la politique de Trotski manqua de chaleur. Ils firent à l’opposition quelques concessions mineures, juste ce qu’il fallait pour assombrir le triomphe de Trotski.

L’opposition ne recueillit qu’un tiers des voix. Par un vote public, le congrès approuva pleinement l’activité de Trotski et adopta ses thèses. Mais il apporta des réserves à son approbation, dans une instruction transmise secrètement par la section militaire du parti, qui enjoignait à Trotski de faire plus attention à l’opinion des communistes dans l’armée, de tenir des réunions mensuelles avec les commissaires importants, etc. Ainsi, tandis que le grand public apprenait que le parti avait pleinement cautionné la politique de Trotski, ses adversaires à la direction du parti pouvaient être satisfaits, puisqu’il n’avait pas été lavé, sans équivoque, de toutes les accusations portées contre lui.

2.3 Après le congrès[modifier | modifier le wikicode]

Trotski apprit que le congrès avait pleinement approuvé sa politique par un télégramme de Staline qui lui parvint, le 22 ou 23 mars, sur le front. Bientôt après, il reçut du Comité Central un message écrit de Zinoviev, qui l’informait des concessions faites à l’opposition et lui enjoignait de les considérer comme un « avertissement ». Trotski refusa d’accepter l’ « avertissement ». Il répondit qu’il n’était pas possible de rappeler du front, tous les mois, les commissaires, pour tenir des réunions avec eux. « L’avertissement, dit-il, était, de toute façon, dicté par une « déviation plébéienne, grossière, scandaleuse », qui était à la source de toutes les attaques de Vorochilov…

Mais l’opposition dans la hiérarchie du parti, dirigée par Staline et Zinoviev, était toujours aussi forte. Elle changea simplement de terrain et se reporta sur les problèmes de stratégie et de plans opérationnels.

L'Armée rouge, tenant le cœur du pays mais encerclée par les Blancs, tenait son avantage dans la possibilité de déplacer ses troupes (via les voies ferrées notamment) d'un front à l'autre en fonction des nécessités. Mais la fixation des priorités stratégiques donnait lieu à des frictions et des controverses, d’autant plus que chaque décision, ou presque, impliquait un choix politique autant que stratégique.

Le 3 juillet, le Comité Central se rangea à l’opinion de Staline contre Trotski : Vatzetis, commandant en chef de l’armée que soutenait Trotski, fut renvoyé avec tous les honneurs et S. Kamenev, le commandant du front Est de l’Armée Rouge, ancien colonel de l’armée tsariste, que soutenaient Vorochilov, Staline et Zinoviev, fut nommé commandant en chef de l’Armée Rouge à sa place… Le Comité Central décida de réorganiser le Conseil Révolutionnaire de Guerre de la République. Trotski en restait le président, mais ses amis dans ce conseil, Smirnov, Rosenglotz et Raskolnikov, laissaient la place à Smilga et Goussev, les commissaires qui avaient défendu le nouveau commandant en chef contre Trotski et dont les candidatures avaient été soutenues par Staline.

Ces deux coups furent si douloureux pour Trotski qu’il démissionna sur-le-champ du Politburo, du Commissariat à la Guerre et du Conseil de Guerre. Mais le Politburo ne pouvait permettre que le conflit éclatât au grand jour. Quels que fussent les reproches qu’on avait pu faire à Trotski dans les conseils intérieurs du Kremlin, il restait, pour le pays, le dirigeant de l’insurrection d’Octobre, le fondateur de l’Armée Rouge et l’artisan de ses victoires. Sa démission, alors que la situation était alarmante, aurait consterné l’armée et le parti.

Sur la proposition de Lénine, le Politburo refusa la démission de Trotski et adopta à l’unanimité une résolution solennelle, assurant Trotski de son profond respect et son entière confiance, lui demandant de poursuivre « ses tâches extrêmement difficiles, dangereuses et importantes » sur le front Sud. Ce fut aussi à cette occasion que Lénine, manifestement remué par l’incident, tendit à Trotski, en signe de confiance, une approbation en blanc de tout ordre qu’il pourrait donner. Trotski retira sa démission.

Trotski venait juste d’arriver à son quartier général de campagne, à Kozlov, qu’il reçut un message énigmatique, portant les signatures de Dzerjinski, Krestinski, Lénine et Slyanski, l’informant que le commandant en chef (Vatzetis) avait été arrêté pour trahison. Le message ne précisait pas les motifs de l’accusation, il indiquait seulement qu’elle reposait sur les dépositions d’un autre officier arrêté. Le coup fut terrible. Il venait de Staline, qui avait déjà dénoncé Vatzetis comme un traître et il visait manifestement Trotski… Trotski défendit vigoureusement l’accusé… Quelques jours plus tard, Vatzetis fut relâché et réhabilité.

2.4 La défense de Petrograd[modifier | modifier le wikicode]

Ce fut dans la plus sinistre des atmosphères que se réunit le Politburo, le 15 octobre 1919. A Orel, la bataille faisait encore rage, et de son issue dépendait le sort de Moscou. Il n’y avait pas grand espoir pour la défense de Petrograd. La situation apparaissait sous de si funestes auspices que Lénine proposa d’abandonner Petrograd et de rassembler toutes les forces disponibles autour de Moscou. Il envisageait même l’éventualité de la chute de Moscou et d’un repli des Bolcheviks sur l’Oural.

Trotski protesta vigoureusement. Petrograd, le berceau de la Révolution, ne devait pas être abandonné aux Gardes Blancs. La perte de cette ville aurait des effets désastreux dans tout le reste du pays. Il proposa d’aller lui-même assurer la défense de Petrograd. Il soumit au Politburo une série de décrets d’urgence pour mobiliser tout ce qui pouvait l’être : que les multiples et, pour le moment, inutiles ministères et bureaux gouvernementaux de Moscou soient mis en vacances, dit-il, et qu’on appelle tout le monde aux armes. Il fallait faire converger, en toute hâte, sur Petrograd des troupes des points extrêmes du front, des côtes de la Mer Blanche et des Marches de Pologne.

Le Politburo adopta les décrets soumis par Trotski et nomma une commission de quatre membres (Lénine, Trotsky, Kamenev, Krestinski) pour les mettre en application. Il autorisa Trotski à partir pour Petrograd, mais il réserva son jugement sur le plan qu’il suggérait pour défendre la capitale.

A Petrograd, de mauvaises nouvelles l’attendaient. Ioudénitch avait pris Krasnoïé Sélo, aux abords de la ville. Les défenses de la ville se trouvaient affaiblies par suite d’un transfert de troupes sur le front sud ; la trahison d’officiers supérieurs de l’état-major avait jeté la confusion dans l’armée. Zinoviev, chef de la « commune du Nord » était dans la consternation et son irrésolution gagnait ses subordonnés. Mais, de Moscou arriva une note de Lénine annonçant à Trotski que le Politburo avait approuvé son plan et l’autorisait à continuer les combats, si besoin était, à l’intérieur de Petrograd.

De nombreux témoins ont décrit les effets de l’intervention de Trotski, dont Lachevich, qui à cette époque était tout sauf favorable à Trotski :

« Tout comme l’arrivée en renfort de troupes fraîches, la présence de Trotski eut des effets immédiats : une vraie discipline fut rétablie, les bureaux militaires et administratifs se mirent au travail. Les incapables furent congédiés, le personnel de commandement supérieur et subalterne fut remanié. Les ordres de Trotsky, clairs et précis, n’épargnant personne et exigeant de tous les maximum d’efforts et de soins, et une exécution rapide des ordres de combat, montrèrent immédiatement qu’une main ferme dirigeait… le redressement intérieur avait commencé. Les bureaux furent remis en état de fonctionnement. Les liaisons, jusque-là défectueuses, devinrent satisfaisantes. Les services d’approvisionnement commencèrent à fonctionner sans accroc. Les désertions au front diminuèrent de façon radicale. Dans tous les détachements, siégèrent des tribunaux de campagne… Chacun commença à comprendre qu’une seule route restait ouverte, celle de l’avant. Toutes celles de la retraite avaient été coupées. Trotski s’intéressait aux moindres détails, appliquant à chaque point de son travail son énergie bouillonnante, infatigable et son étonnante persévérance. » (Lachevich, Borba za Petrograd, p 52-53)

Une semaine après l’arrivée de Trotski, les défenseurs passèrent à l’offensive. Pour le second anniversaire de la Révolution, qui était en même temps le quarantième anniversaire de Trotski, celui-ci était de retour à Moscou pour annoncer la victoire à l’exécutif central des Soviets.

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Trotski, Bureaucratism and Factional Groups, décembre 1923
  2. Leonard Schapiro, The Origin of the Communist Autocracy - XIII. The Military Opposition, 1977
  3. Protokoly VTSIK IV, pp. 169--93
  4. L. Trotski, « Travail, Discipline, Ordre », Sochineniya, XVII, p. 171-172.
  5. Protokoly VTSIK IV, pp. 180, 192
  6. 6,0 6,1 6,2 et 6,3 Léon Trotski, Ma vie, 36. L'opposition militaire, 1930
  7. 7,0 et 7,1 Isaac Deutscher, Trotsky, le prophète armé, 1954