Collégialité

De Wikirouge
(Redirigé depuis Principe de collégialité)
Aller à la navigation Aller à la recherche
La collégialité était un principe de direction dans le parti bolchévik comme dans la plupart des partis ouvriers

La collégialité est le principe d'une direction assumée par un groupe de personnes (le collège) ayant le même statut et assumant les décisions prises par la majorité de ses membres. C'est un principe démocratique qui a pour but de limiter l'arbitraire du pouvoir.

Dans le fonctionnement théoriquement le plus démocratique, les membres du collège sont élu-e-s sur la base de la proportionnalité. Mais les membres du collège peuvent être aussi être désignés.

1 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Gouvernements et institutions bourgeoises[modifier | modifier le wikicode]

Les premiers régimes républicains mettaient en avant le principe de collégialité. Lors de la Révolution française de 1789, les républicains, qui viennent de renverser un régime dirigé par un monarque absolu, et qui sont nourris de réflexions libérales sur la séparation des pouvoirs, n'envisagent pas de concentrer le pouvoir exécutif dans les mains d'un seul homme. Le pouvoir est donc collégial, bien qu'il se ressère progressivement au fil des tensions politiques : Conseil exécutif de 24 membres (1792-1794), Directoire de 5 membres (1795-1799), jusqu'à un retour du pouvoir d'un seul avec le bonapartisme. Lors de la Révolution de février 1848, le pouvoir exécutif est à nouveau collégial un court instant, avant que la nouvelle constitution n'institue une présidence de la république. Les premières élections présidentielles dans la foulée, au suffrage universel masculin, voient la victoire écrasante de Louis-Napoléon Bonaparte, qui fera peu de temps après un coup d'État pour se proclamer empereur.

Toutes les républiques bourgeoises (hormis la Suisse[1]) adopteront par la suite un régime dans lequel une personne incarne le pouvoir exécutif (soit le président, soit le premier ministre). Au milieu des remous causés par la lutte des classes, cette incarnation du pouvoir permet une hégémonie idéologique bien plus forte pour les gouvernants, notamment par les leviers du populisme et du nationalisme.

Audience du Directoire, le 30 brumaire an IV.

Les parlements sont des institutions collégiales, par opposition à la présidence de la République.

Des traces de collégialité existent encore ça et là dans quelques institutions :

  • le gouvernement collégial de Nouvelle-Calédonie[2]
  • le « Collège des Bourgmestre et Échevins » en Belgique (représentants légaux d'une Commune)

1.2 Institutions religieuses[modifier | modifier le wikicode]

Le principe de collégialité a été introduit dans l'Église au cours du concile Vatican II. Il provient des notions de presbytérium et de collège apostolique tels qu'ils étaient connus dans l'antiquité chrétienne.

Toutefois, l'abus de collégialité a été critiqué par les traditionalistes catholiques comme étant une sorte de « syndicalisme clérical », une façon de se substituer à l'autorité hiérarchique plutôt que d'y participer avec enthousiasme.[3]

Cette réserve face à la collégialité exprimée est parallèle à la critique de l'horizontalisme liturgique.[4]

1.3 Mouvement ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

La plupart des organisations du mouvement ouvrier revendiquent un fonctionnement démocratique, mais le principe de collégialité n'est pas systématique. Dans de nombreux débats, ce principe est mis en balance, ou articlé, à la notion de « dictature » au sens romain.

Un débat important eut lieu dans le parti bolchévik au pouvoir dans la jeune Russie soviétique, au sujet de la collégialité dans les entreprises. La majorité autour de Lénine a instauré/soutenu la direction personnelle, soutenant que ce mode d'organisation était plus efficace, et donc plus à même de développer les forces productives. Des oppositionnels ont alors défendu le principe de collégialité, en lien avec l'autogestion.

La revendication du contrôle ouvrier était très forte en 1917-1918 dans les entreprises, notamment portée par les comités d'usine, et elle signifiait pour beaucoup le remplacement des patrons par le collectif ouvrier. Le premier congrès pan-russe des syndicats (janvier 1918) proclamait «  le contrôle ouvrier doit éliminer l'autocratie dans le domaine économique, comme elle a déjà été éliminée dans le domaine politique ».

Le 28 avril 1918, Lénine publie une brochure intitulée Tâches immédiates du pouvoir des Soviets, dans laquelle il défend le principe de la direction personnelle des entreprises.

« Les représentants conscients (ou, pour la plupart, sans doute inconscients) du laisser- aller petit-bourgeois ont voulu voir dans l'attribution de pouvoirs « illimités » (c'est-à- dire dictatoriaux) à des individus un abandon du principe de la collégialité, de la démocratie et des principes du pouvoir des Soviets. Çà et là, on a vu les socialistes-révolutionnaires de gauche développer contre le décret sur les pouvoirs dictatoriaux une propagande qui était tout bonnement infâme car elle en appelait aux mauvais instincts et à l'esprit petit-propriétaire (...) La soumission sans réserve à une volonté unique est absolument indispensable pour le succès d'un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique. Elle est deux fois et même trois fois plus indispensable dans les chemins de fer »[5]

Lénine ne concevait pas cette direction personnelle comme un rejet de la démocratie :

« Il nous faut apprendre à conjuguer l'esprit démocratique des masses laborieuses, tel qu'il se manifeste dans les meetings, impétueux, débordant, pareil à une crue printanière, avec une discipline de fer pendant le travail, avec la soumission absolue pendant le travail à la volonté d'un seul, du dirigeant soviétique. »

A de nombreuses reprises il défendit que les rapports hiérarchiques dans l'administration des usines ou de l'État était une question technique, d'efficacité, sans rapport avec le pouvoir ouvrier.

« [En ce qui concerne l'administration], je m'en réfère à la bourgeoisie : à quelle école irions-nous, si ce n'est à la sienne ? Elle administrait en tant que classe, du temps où elle avait le pouvoir ; mais ne nommait-elle pas de chefs ? Nous n'avons pas encore atteint leur niveau (...). Les ouvriers n'en sont pas encore là et nous devons, pour vaincre, nous débarrasser des vieux préjugés. La domination de la classe ouvrière est dans la Constitution, dans le régime de propriété et dans le fait que c'est nous qui mettons les choses en train ; mais l'administration, c'est autre chose, c'est une question de savoir-faire, d'habileté. La bourgeoisie le comprenait admirablement, mais nous, nous ne l'avons pas encore compris »[6]

A l'inverse, au sein du parti bolchévik, une opposition de gauche se regroupe (autour de la revue Kommunist) et défend le principe collégial. Pour Kritzman, un de ses théoriciens, la gestion collective est « le signe distinctif du prolétariat (...), qui le distingue de toutes les autres classes sociales (...), le principe d'organisation le plus démocratique ».[7]

Le Conseil des Commissaires du Peuple a pris en 1918 un décret sur « La centralisation de la direction, la protection des chemins de fer et l'élévation de leur capacité de transport », que les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires dénonçaient en l'appelant « décret sur les pouvoirs dictatoriaux ».

Ce débat se poursuite encore quelques années. Les 10-21 janvier 1920 eut lieu le Troisième Congrès pan-russe des Conseils Économiques Régionaux. Dans un discours, Lénine déclara que «  le principe collégial (...) représente quelque chose de rudimentaire, valable seulement dans une première étape, quand il faut construire à partir de zéro (...). Le passage à un travail pratique est lié à l'autorité individuelle.C'est le système qui, plus que tout autre, assure la meilleure utilisation des ressources humaines ». En dépit de cette exhortation, l'opposition aux idées de Lénine et de Trotski gagnait lentement du terrain. Le Congrès vota une résolution en faveur de la gestion collective de la production.

En février, les Conférences régionales du Parti à Moscou et Kharkov se prononcèrent contre «  la direction d'un seul », ainsi que la fraction bolchevik du Conseil Central Panrusse des syndicats lors de ses réunions de janvier et de mars. Le 15 mars 1920, le bolchévik Tomski présente ses thèses pour la séance de la fraction du Conseil central des syndicats de Russie. Le point 7 de ces thèses incluait la collégialité dans la direction :

« Le principe fondamental de la structure des organismes de régulation et de direction de l'industrie, le seul principe capable d'y assurer la participation de larges masses ouvrières sans-parti par l'intermédiaire des syndicats, c'est le principe actuellement en vigueur de la direction collective de l'industrie depuis le Bureau du Conseil Supérieur de l'Economie Nationale jusques et y compris la direction d'usine. La direction personnelle de certaines entreprises ne doit être tolérée que dans des cas particuliers, après accord entre les Bureaux du Conseil Supérieur de l'Economie et du Conseil Central des Syndicats de Russie ou du Comité central des Fédérations syndicales correspondantes, et à la condition expresse du contrôle par les syndicats et leurs organismes des administrateurs investis de pouvoirs personnels.» [8]

Dans un discours au 9e congrès du parti (mars-avril 1920)[9], Lénine est opposé aux défenseurs de la direction collective, et critique sévèrement ce point des thèses de Tomsky. Il leur reproche de rester dans « des discussions de principe assez inopportunes », au lieu de s'appuyer sur des faits en comparant l'efficacité des entreprises à direction personnelles et de celles à direction collective (qui existaient encore). Lénine s'agace de perdre du temps, soulignant que cette question a été tranchée « par le Comité exécutif central, qui a spécifié que la démocratie socialiste soviétique n'est nullement en contradiction avec le pouvoir personnel et la dictature, que la volonté d'une classe est parfois réalisée par un dictateur, qui parfois fait à lui seul davantage et est souvent plus nécessaire ». Il conclut : « Si nous ne rejetons pas cette erreur, nous n'atteindrons pas nos objectifs économiques.  » Trotski dénonce même la gestion collective comme « une idée menchevik ».

Le groupe « Centralisme Démocratique » s'opposa à la majorité, même s'il ne faisait pas de la collégialité une question de principe. Smirnov demanda pourquoi, si la direction individuelle était une si bonne chose, elle n'était pas appliquée au Sovnarkom.

À l'instigation de Lénine, le Congrès demanda aux syndicats «  d'expliquer aux plus larges couches de la classe ouvrière que la reconstruction industrielle ne peut s'accomplir qu'en réduisant à un minimum l'administration collective et en introduisant graduellement la direction individuelle dans toutes les unités directement engagées dans la production ». «  Le principe de l'élection doit être remplacé maintenant par le principe de la sélection ». Cette politique allait être vite mise en œuvre. A la fin de 1920, sur 2051 entreprises importantes (pour lesquelles il existât des informations valables) 1783 étaient déjà « dirigées par un seul ».[7]

Dans Terrorisme et communisme (mai 1920), Trotski soutient :

  • que la direction unipersonnelle n'est pas contradictoire avec la démocratie ouvrière, puisqu'elle venait d'être votée par le 9e congrès du parti bolchévik
  • qu'elle n'est pas contradictoire avec l'esprit d'initiative ouvrière, puisque les ouvriers sont au pouvoir via la représentation des syndicats dans les organes de planification de l'économie, via le contrôle de l'administration par les administrés eux-mêmes...
  • que la direction collégiale est moins efficace car elle dilue les responsabilités des dirigeants
  • que la direction des entreprises ne doit pas être considérée comme une école, mais comme une tâche de spécialiste[10]

Certains secteurs du parti ou des syndicats accusent Trotski de vouloir appliquer la militarisation qu'il a appliqué dans l'Armée rouge au travail, auquel elle ne convient pas.

Dans son Testament, Lénine commente les qualités et défauts des dirigeants du parti, et s'inquiétait du risque de scission pour cause de conflits entre eux. Pour limiter le poids des chefs et pour que les qualités des uns corrigent les défauts des autres, il proposa d’élargir le comité central pour en garantir le caractère collégial.

Dans les journaux du mouvement bordiguiste, les articles n'étaient pas signés par refus de la personnalisation.

2 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F10093.php
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernement_de_la_Nouvelle-Cal%C3%A9donie
  3. http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=1707075_mgr_gaidon
  4. http://www.chretiente.info/spip.php?breve1541
  5. Lénine, Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets, 28 avril 1918
  6. Lénine, Discours prononcé à la séance de la fraction communiste du Conseil central des syndicats de Russie, 15 mars 1920
  7. 7,0 et 7,1 L. Kritzman, Geroicheski period russkoi revolyutsii [La période héroïque de la révolution russe], Moscou et Leningrad, 1926, p. 83.
  8. Tomski, Les tâches des syndicats, mars 1920
  9. Lénine, 9e congrès du PC (b) R - Discours sur l'édification économique, 31 mars 1920
  10. Léon Trotski, Terrorisme et communisme, 1920