Mouvement ouvrier et socialisme au Royaume-Uni

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Mineurs sur un piquet de grève lors de la grève générale de 1926

Le mouvement ouvrier du Royaume-Uni est le premier mouvement ouvrier à se développer dans un cadre industriel moderne, du fait de la Révolution industrielle, partie de ce pays.

De ce fait, il a une grande importance dans le développement des idées socialistes et communistes, même si paradoxalement, la puissance impérialiste du pays a rapidement conduit à « acheter » une certaine paix sociale avec les travailleur·ses.

1 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Précurseurs[modifier | modifier le wikicode]

Caricature réactionnaire de la London Corresponding Society, qui présente ses membres comme des bêtes.

La London Corresponding Society, créée le 25 janvier 1792, est une des premières associations réformistes ouvrières britanniques.

Parmi les précurseurs on peut citer Robert Wedderburn — né en Jamaïque en 1762 d’une femme esclave africaine et d’un médecin et planteur de sucre écossais — qui a cherché à partir des années 1810 à mettre en avant (sans doute au sein des Philanthropes spencéens) l'intérêt commun entre esclaves africain·es dans l'Empire et travailleur·ses pauvres en métropole.[1]

1.2 Révolution industrielle[modifier | modifier le wikicode]

Dès 1831 près de la moitié de la population active travaille soit pour l’industrie, soit pour le commerce. Au même moment, dans les autres pays la population est encore majoritairement paysanne, et les autres travailleurs sont essentiellement des artisans.

Le mouvement anglais nait dans des conditions où les travailleurs vivent en masse au milieu des machines, dans l’atmosphère enfumée des usines, entassés dans les taudis des nouvelles villes industrielles, hantés par les menaces du chômage et des crises. Une classe ouvrière en train de faire concrètement l’expérience du capitalisme.

Le machinisme bouleverse rapports de production et relations de travail entre patrons et salariés ou entre ouvriers eux-mêmes. Il impose un nouveau rythme de vie sociale. C’est ce que Robert Owen avait décrit très 1815 :

« La généralisation des manufactures à travers un pays introduit un nouveau caractère dans la population, et comme ce caractère est fondé sur un principe tout à fait défavorable au bonheur individuel ou collectif, il produira en permanence les maux les plus lamentables, à moins que les tendances n’en soient combattues par l’intervention législative du gouvernement. Le système manufacturier a déjà étendu son empire sur les Iles Britanniques au point de provoquer une altération fondamentale du caractère de la masse des habitants. »[2]

PIB de la Grande-Bretagne

La croissance entre soudain dans une nouvelle ère, où elle restera à environ 2% (sur le temps long, avec des cycles de crise et reprise)[3]. Au cours de la décennie 1800-1810, la production industrielle s’accroît de 23 % ; le chiffre s’élève à 39 % entre 1810 et 1820, à 47 % entre 1820 et 1830 ; par la suite, de 1830 à 1850, il se maintient aux alentours de 40 %. Le revenu national passe de 190 millions de livres en 1801 à 560 millions de livres en 151, à plus de 2 milliards de livres en 1901 (en prix constants), soit une progression de 12 livres à 50 livres par tête.

En 1850, la Grande-Bretagne produit 40% des biens manufacturés de la planète. Londres est le premier port mondial et la City de Londres, la principale place financière. La croissance économique est portée par une croissance démographique forte, pendant tout le siècle (la population anglaise passe de 14 millions d’habitants en 1820 à 23 millions en 1860). Dès 1855, le nombre d’urbains dépasse le nombre de ruraux. Vers 1850, le niveau de vie moyen des britanniques est le plus élevé au monde, en moyenne...

Pourtant, ce revenu était de plus inégalement réparti. L’envers du tableau c’est la violence des crises, l’extension de la misère. Commentant avec compassion et inquiétude la paupérisation des « classes inférieures », l’Edinburgh Review écrit en 1813 :

« Jamais dans toute l’histoire du monde on n’a constaté un phénomène comparable au progrès de l’Angleterre au cours du dernier siècle ; jamais et nulle part il n’y a eu une telle multiplication de richesse et de luxe ; jamais les arts n’ont connu tant d’admirables inventions ; jamais la science et l’habileté n’ont tant produit ; jamais la culture du sol n’a tant progressé ; jamais le commerce ne s’est tant étendu — et pourtant ce même siècle a vu le chiffre des indigents quadrupler en Angleterre pour atteindre aujourd’hui le dixième de la population totale ; en dépit des sommes énormes venues de l’impôt ou des dons privés et consacrées à l’assistance publique, en dépit des ravages des guerres qui ont emporté des multitudes, la tranquillité du pays est perpétuellement menacée par les violences de foules affamées. »

Des changements profonds tels que la révolution industrielle et les nouvelles formes de luttes des classes qu'elle engendre ne pouvaient que provoquer d'importantes luttes idéologiques. Cependant, le dynamisme de la croissance anglaise au 19e siècle était de nature à affaiblir la combativité. Les crises y étaient plutôt brèves, et malgré tous les dégâts humains, les opportunités d'améliorer progressivement sa vie par le travail individuel poussaient des proportions significatives des travailleur·ses à l'individualisme.

1.3 Essor de l'économie bourgeoise[modifier | modifier le wikicode]

David Ricardo, un des fondateurs de l'école classique

Le développement rapide de l'industrie engendre d'abord l'essor des réflexions économiques. Dépassant les anciennes écoles mercantilistes et physiocrates, les économistes anglais sont les pionniers de « l'économie politique » moderne.

Ils sont les premiers à acter que l'économie est bien en train de croître (contrairement aux vision selon lesquelles tout n'est que transfert de richesse par le commerce), que le moteur de cette croissance est l'essor de la productivité du travail humain (en particulier dans l'industrie), et que la valeur a sa source dans le temps de travail incorporé dans les marchandises. Ce premier courant qui constitue « l'école classique » en économie, est bien sûr divers. Il va de penseurs optimistes (Adam Smith, les utilitariens...), à des pessimistes (Malthus, Ricardo...), de purs partisans du laissez-faire à des penseurs plus sociaux-libéraux. Mais globalement, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un courant qui exprime le mode de pensée de la bourgeoise industrielle naissante. L'historien marxiste E. P. Thomson considère même que l'école classique a fait office d'idéologie de la bourgeoisie ascendante au même titre que le républicanisme en France.

1.4 Premiers socialistes[modifier | modifier le wikicode]

1.4.1 L'influence du radicalisme[modifier | modifier le wikicode]

Le socialisme et le mouvement ouvrier anglais sont largement marqués à leur naissance par le radicalisme, mouvement démocratique petit-bourgeois (de façon analogue au républicanisme radical avec le socialisme français). C’est parmi les masses radicales que se recrutent les troupes des grandes agitations populaires, soit que prédominent les objectifs de démocratie politique comme en 1792-1798, en 1816-1819, en 1831-1832, soit que l’emportent des préoccupations coopérativistes ou syndicales (1829-1834), soit enfin au temps du chartisme (1836-1848). La distinction entre réforme politique et réforme sociale, entre l’individualisme radical et l’associationnisme socialiste n’apparaissait ni clair ni évident aux contemporains. Jusqu’à 1848 (et souvent au-delà), l’idée de démocratie politique, basée sur le droit de vote, inclut la notion de démocratie sociale fondée sur l’égalitarisme et la négation des hiérarchies existantes. La lutte pour le suffrage universel est vue comme un combat révolutionnaire au profit des masses, tandis que de son côté le socialisme affirme déboucher sur la liberté individuelle.

En lien avec cette ambiguïté, les premiers socialistes sont travaillés par une hésitation stratégique :

  • Se concentrer sur les campagnes politiques qui peuvent être menées en alliance avec les bourgeois libéraux et radicaux (pour la réforme du Parlement, pour le suffrage universel, pour le libre-échange...). Le radical Francis Place poussait particulièrement dans ce sens.
  • Se concentrer sur la transformation sociale (par l’association ouvrière et le syndicalisme, par la coopérative, par la lutte contre la Poor Law et pour la législation du travail), mais sans droit de vote et sans relais dans la classe dirigeante.

1.4.2 Les dissidences religieuses[modifier | modifier le wikicode]

Dans une chapelle comme celle de New Park Street, les pauvres de Londres venaient en masse écouter les prêches

L’ardeur ouvrière commence par prendre la forme idéologique de sectes religieuses en rupture plus ou moins radicale avec le clergé anglican dominant : méthodisme, évangélisme, baptisme réformé...

Les « dissidents » l’emportent vers 1850 dans toutes les villes et régions industrielles anglaises, face à une Église anglicane à usage des classes moyennes et supérieures. Chaque période de crise économique et sociale amène de nouveaux convertis aux sectes, au moment où, parallèlement, les immigrés irlandais donnent au catholicisme un visage plus dynamique. Plus la population industrielle est récente, plus la piété individuelle peut avoir des chances de l’emporter. En revanche, dans les vieux milieux d’artisans aguerris, le radicalisme et le laïcisme l’emportent. Baptistes, wesleyens, méthodistes primitifs recrutent dans le monde nouveau et déraciné de l’usine : ce lieu infernal suscite des âmes ardentes, toutes tournées vers leur salut personnel, à l’aise dans une religion communautaire et rude d’où les patrons sont exclus. Souvent, des Primitifs donnent les premiers militants du syndicalisme : le salut passe par la justice collective, à grand renfort d’argumentations bibliques. Du non-conformisme religieux au non-conformisme social et politique, le chemin est difficile, mais beaucoup de travailleurs le suivront.[4]

1.4.3 Passéisme ou modernisme[modifier | modifier le wikicode]

Face aux horreurs de la nouvelle société industrielle, des courants socialistes émergent d'abord dans deux directions :

  • certains rejettent en bloc les effets du machinisme et rêvent d’un idyllique retour à la terre ; là les ouvriers, redevenus travailleurs des champs, seraient régénérés par les vertus de la campagne et de la nature dans le cadre communautaire du village et de l’atelier. A ces réactions passéistes participent aussi bien des radicaux comme Cobbett que les théoriciens du socialisme agraire.
  • d’autres adoptent une position moderniste : acceptant résolument l’industrialisation, ils cherchent la solution dans un nouvel équilibre entre le Capital et le Travail et dans l’organisation rationnelle de la production et des échanges.

Les théoriciens socialistes viennent de la classe dirigeante : Owen est un capitaine d’industrie, Hall un médecin, Thompson un propriétaire terrien, Gray un négociant en gros, Hodgskin un officier de marine devenu professeur. Parmi les socialistes chrétiens, on ne trouve guère que des pasteurs et des avocats. Il n’existe qu’une exception : Bray, l’ouvrier imprimeur.

De même que, à la fin du 18e siècle, les démocrates de la London Corresponding Society invoquent l’exemple des Niveleurs ou même des libres Saxons « contre le joug normand », de même les chartistes rééditent les ouvrages des théoriciens du 18e siècle, Godwin, Paine, Babeuf. Les précurseurs du socialisme se cherchent des ancêtres dans le passé national.

1.4.4 Robert Owen[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Robert Owen.
Statue de Robert Owen à Manchester

Robert Owen est un des principaux fondateurs du socialisme en Grande-Bretagne. Entre 1830 et 1840 les termes d’owenisme et de socialisme sont synonymes. C'était à la fois un des premiers industriels à succès, et un homme sincèrement préoccupé de la question sociale. A la tête de la principale filature du pays, moderne et rentable, il réinvestit les profits pour améliorer les conditions de vie et de travail de ses ouvrier·ères. Mais il ne veut pas se limiter à son usine, il voit le système actuel comme « le plus antisocial, le plus malvenu, le plus irrationnel qui se puisse concevoir ». Il cherche alors à promouvoir des communautés idéales, et lui et ses partisans essaieront à plusieurs reprises de passer à la pratique, en Angleterre et aux États-Unis. Cette quête des entreprises idéales faisant tâche d'huile, mais qui en fait connaîtront toutes l'échec, fait d'Owen un des représentants de ce qui sera appelé a posteriori le socialisme utopique.

Cependant Owen ne se limita pas à cette posture paternaliste, il a aussi soutenu le mouvement ouvrier qui naissait à la même époque : coopératives, syndicats, mouvement chartiste... Il s’imposera pendant quelques années, entre 1828 et 1834, comme le guide spirituel du mouvement ouvrier.

1.4.5 Socialistes ricardiens[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Socialisme ricardien.

Les fameux Principes de l’économie politique et de l’impôt parus en 1817 ont fait de David Ricardo le nouveau maître à penser, le théoricien le plus en vue de l’école classique, le prophète du capital considéré comme créateur de civilisation et de progrès. Mais par un effet paradoxal de boomerang, les thèses ricardiennes ont largement contribué au développement de la pensée socialiste. D’abord en posant la définition de la valeur-travail : dans la mesure où Ricardo considère le travail comme la mesure naturelle de la valeur, la valeur d’échange d’un bien étant déterminée par la quantité de travail nécessaire pour produire ce bien, l’idée sera reprise et utilisée par les socialistes, mais au profit des salariés. En second lieu, le système de distribution des revenus chez Ricardo fait du capital et du travail des concurrents directement affrontés : la part de l’un est inversement proportionnelle à la part de l’autre ; le profit varie en raison inverse du salaire. De plus c’est Ricardo qui énonce la loi du salaire minimal d’existence. Si le salaire est calculé sur la base de ce qui est nécessaire à la subsistance de l’ouvrier et à cette subsistance seulement, le surplus, produit par le travail de l’ouvrier, vient enrichir la classe possédante.

Ces auteurs « socialistes ricardiens » expriment leur pensée autour de 1825 : Thompson, Gray, Hodgskin, Ravenstone.

1.5 Littérature romantique[modifier | modifier le wikicode]

La littérature a aussi apporté une contribution indirecte à l'essor du socialisme, en installant certains thèmes dans le paysage. Le romantisme a diffusé une réaction aux brutalités de la révolution industrielle et aux froides justifications des économistes.

Ainsi Coleridge dénonce : « le mécanisme de la richesse nationale est fondé sur la misère, la mauvaise santé et la démoralisation de ceux qui devraient constituer la force de la nation. »[5] Southey développe un romantisme anticapitaliste, admirant les efforts d'Owen autant qu'il idéalise le passé. Shelley écrit en 1819 son poème Song to the Men of England, que Max Beer a qualifiée de « chant du socialisme naissant ». Carlyle fera une critique cinglante du capitalisme, qui lui vaudra un hommage remarqué de Marx.

On peut citer aussi les romans sociaux, Sybil de Disraeli (1845), Mary Barton de Gaskell (1848), Alton Locke de Kingsley (1850), Hard Times de Dickens (1854). Mais leurs auteurs étaient loin d'être toujours des socialistes (Disraeli était tory).

1.6 Mouvement ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

1.6.1 Premières luttes et associations[modifier | modifier le wikicode]

Des associations ouvrières (embryons de syndicats) se constituent épisodiquement tout au long du 18e siècle. Certaines sont des sociétés amicales (appelées tantôt « clubs » tantôt « chapelles » ou « loges ») qui visent surtout à l'entraide mutuelle (ces dernières seront reconnues par une loi de 1793, le Friendly Societies Act).

D'autres sont plus combatives. Elles se forment surtout dans l’artisanat traditionnel (imprimeurs, tailleurs, chapeliers de Londres ; peigneurs de laine de Norwich et de Leicester ; charpentiers des chantiers navals de Liverpool ; couteliers de Sheffield ; bonnetiers de Nottingham), et très peu dans la grande industrie mécanisée. Elles sont défensives et visent surtout à résister à la transformation de l'artisanat par la manufacture, à faire pression sur les patrons, au besoin par la grève, pour garantir le respect des coutumes de la profession. Elles commencent à prendre de l’ampleur à la fin du siècle, stimulées par les mouvements démocratiques liés à la Révolution française. L’essor est brutalement interrompu par les lois interdisant les coalitions sous peine de sanctions très sévères (Combination Acts de 1799 et 1800).

Beaucoup d'ouvriers participent aux émeutes des radicaux, comme celle de 1819 qui débouche sur le massacre de Peterloo.

Contraint à la clandestinité, le mouvement ouvrier tend alors à être plus explosif. C'est une des causes des mouvements « luddites » (1811-1812). De nombreux ouvriers détruisent clandestinement des machines (métiers à tisser mécaniques principalement), dont l'introduction provoque dans leurs rangs une brutale dégradation sociale (chômage, déqualification et baisse des salaires...).

Dans les mouvements populaires de 1816 à 1819, le mouvement ouvrier est globalement réduit au rôle de force d'appoint pour les radicaux et la bourgeoisie libérale.

Certains mouvement purement sociaux ont néanmoins lieu, comme quand en 1817, plusieurs centaines de tisseurs de Manchester organisent une marche sur Londres, en portant sur leur dos les couvertures qu’ils fabriquent (blankets). Leur action est connue sous le nom de « marche des Blanketeers ».

A partir de 1820-1821, lorsque l’agitation sociale retombe sous le double effet de la répression et du retour à la prospérité, les libéraux se penchent sur la liberté d'association. Utilitaristes et tories modérés (Place, McCulloch, Huskisson...) s’accordent pour juger moins dangereuses des organisations ouvrières autorisées et militant au grand jour que des sociétés secrètes. D'où l’abolition des Combination Acts en 1824-1825.

On pense que le drapeau rouge est utilisé pour la première fois au Royaume-Uni comme symbole du mouvement ouvrier lors des émeutes de 1831 à Merthyr (Pays de Galles).

1.6.2 Essor syndical laborieux[modifier | modifier le wikicode]

Un moteur à vapeur de 1817 utilisé dans la métallurgie

En l’espace de quelques mois, on assiste à une éclosion syndicale. C’est ainsi que se créent, parmi beaucoup d’autres, en 1824 Société des Constructeurs de Machines à Vapeur et l’Association des Charpentiers de Navires de Londres, en 1825 l’Union des Mineurs du Northumberland et du Durham, en 1827 Société amicale des Charpentiers et Menuisiers... Des mouvements de grève éclatent dans le textile, les mines. Le premier journal syndical est créé : le Trades’ Newspaper. Une Trade Union est alors définie comme une « ligue des ouvriers contre les maîtres »[6].

Pourtant les obstacles ne manquent pas. D’abord la structure sociale même de la classe ouvrière, composée de catégories multiples, géographiquement dispersées, avec des intérêts corporatistes parfois contradictoires. La fragmentation entre artisans et salariés de l'industrie, entre ouvriers et manœuvres sans qualification, entre ouvriers enracinés, ouvriers vagabonds et immigrés de fraîche date (en particulier les Irlandais victimes de racisme), freine la solidarité. Par ailleurs, malgré la légalisation, les patrons font pression contre l'auto-organisation des ouvriers en syndicats. Nombreux sont les ouvriers qui perdent tout espoir d’embauche dès qu’ils sont repérés comme « meneurs ». Enfin les conditions accablantes d’existence développent plus l’apathie que la combativité. D’autant plus que l’instruction demeure l’apanage d’une petite minorité. La majorité, victime de l’ignorance et de la démoralisation, balance d’une résignation morne aux brusques sursauts de colère aveugle.

Le syndicalisme touche alors surtout une aristocratie ouvrière, et il est très fermé. L’adhésion de nouveaux membres se fait selon des règles strictes, après un apprentissage de 7 ans, et une cérémonie d’initiation. Le syndiqué souscrit à des engagements rappelant ceux des sociétés secrètes et de la franc-maçonnerie. Le mouvement reste pénétré de réminiscences corporatives et de rites religieux plus ou moins laïcisés. Chaque adhérent, soucieux d’aide mutuelle, accepte de payer une cotisation relativement élevée. La caisse syndicale le protège en cas de grève ou de maladie. Le courant syndical ne se préoccupe ni de socialisme, ni de réforme politique.

Malgré tout il s'était constitué une sorte de fond commun idéologique, notamment à travers des luttes populaires de 1792-1798 et de 1816-1819, transmis et vulgarisé par les sociétés de secours mutuel, les chapelles dissidentes, les clubs de lecture, les associations radicales semi-clandestines... On y popularisait l'idée de profit injuste et de juste salaire, l’image du capitaliste parasite et celle du prolétaire victime de l’avidité patronale.

1.6.3 Tentative d'unification syndicale (1829-1831)[modifier | modifier le wikicode]

En 1829, à la faveur d’une pointe de prospérité économique, commence une grande poussée syndicale. Sur le plan géographique, les quatre centres en sont Londres, la région de Birmingham, les districts industriels du Lancashire et du Yorkshire, la zone des « Potteries » dans le Staffordshire. Au lieu des petites sociétés ouvrières existantes fragmentées et localisées, on s’oriente vers un élargissement. La percée numérique se double d’une extension à de nouveaux secteurs professionnels et à de nouvelles strates ouvrières : d’une part, la grande industrie, en particulier le textile et les mines, vient relayer l’artisanat à domicile et les vieux métiers à main comme domaines de recrutement ; d’autre part, des manœuvres et journaliers de l’industrie et de l’agriculture commencent à s’organiser, à côté des ouvriers qualifiés jusque là prédominants dans le mouvement. Ainsi naît l’idée d’un « syndicat général » regroupant au plan national les divers niveaux de la hiérarchie ouvrière.

L’initiative part des districts textiles du Lancashire. Des grèves éclatent parmi les fileurs de Manchester et Stockport, et à la fin de 1829 un Congrès national, où siègent des délégués d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, fonde la Grande Union générale des Ouvriers Fileurs du Royaume-Uni. C’est le premier grand syndicat britannique moderne. A la tête du mouvement se trouve John Doherty, un Irlandais venu travailler tout jeune dans une filature de coton de Manchester, qui s’était déjà fait remarquer comme militant intrépide dans la lutte contre les Combination Laws, puis par son ardeur dans les grèves locales. Âme du mouvement syndical, il voit large et loin. Owenien convaincu, il veut créer des coopératives modèles, ouvrir les trade-unions aux ouvriers sans qualification et unifier l’ensemble des syndiqués, tout en réclamant en même temps une législation du travail. En mars 1830 il lance le United Trades’ Co-operative Journal, pour en faire un organe de liaison entre les métiers, et en juillet 1830 il réussit à constituer, lors d’un congrès à Manchester, le premier « Syndicat général » (General Union) regroupant les divers syndicats organisés sur un plan local : c’est la National Association of United Trades for the Protection of Labour (NAPL). Partout l’agitation se répand. Aux grèves répondent les lock-out. Des villes textiles du Lancashire la fièvre unioniste gagne les Midlands, les « Potteries » du Staffordshire, les mines du Yorkshire, du Pays de Galles, du Derbyshire. Les métallurgistes adhèrent en nombre. En 1831, la NAPL affirme compter 100 000 adhérents.

Les sociétés amicales (moins réprimées) prenaient plutôt la forme de mutuelles et de corporations. Elles reprenaient fréquemment des rites maçonniques, des symboles médiévaux...

Dans les industries lainières du Yorkshire apparaît un syndicalisme militant, dont le centre est Leeds, mais avec des méthodes différentes (le secret y est de règle) et une structure autonome. Londres est également atteint par la vague trade-unioniste : les ouvriers du bâtiment créent une Union nationale des Classes ouvrières et en 1831 John Gast forme la Metropolitan Trades Union, sorte de bourse du travail qui fédère les divers métiers de la capitale. Mais à Londres le mouvement ouvrier s’intéresse davantage à la réforme politique et fournit les troupes de choc du radicalisme. Au contraire dans le Nord prévaut le syndicalisme d’industrie.

Cependant le mouvement se révèle fragile et éphémère. Malgré une intense fermentation et de grands espoirs, alors même que le succès semblait tout proche, les difficultés commencent. Des dissensions internes se font jour sur la tactique et les objectifs. Dans tout le pays la résistance patronale se durcit. Des rivalités séparent les fileurs, eux-mêmes affaiblis par une grève malheureuse, et les membres des autres professions. Dès 1832 la NAPL éclate en morceaux.

1.6.4 Révoltes d'ouvriers agricoles[modifier | modifier le wikicode]

A la fin des guerres napoléoniennes (1815), les prix agricoles chutent brusquement, en même temps que beaucoup d'hommes revenaient du front. Par conséquent les salaires des ouvriers agricoles s'effondrent. Quand en 1829, un afflux sans précédent de travailleurs migrants irlandais arrive et sont prêts à travailler pour moitié moins que ce que gagnaient leurs homologues anglais, des violences éclatent.[7][8] Cobbett raconte par exemple comment à Thanet des ouvriers agricoles tabassent des Irlandais en leur criant de quitter les lieux.[9] Toutefois le mouvement va plutôt par le suite viser les fermes qui embauchent des Irlandais (incendiées...) que les Irlandais eux-mêmes.

En 1830 les comtés agricoles du Sud entrent en effervescence. C’est la grande révolte des campagnes dite Swing Riots. Poussés par l’énergie du désespoir devant la dégradation persistante de leurs salaires, les journaliers agricoles du Norfolk, du Suffolk, du Kent, du Surrey, du Sussex, du Hampshire, du Wiltshire, recourent à la violence. Partout ce sont des machines brisées (surtout les batteuses), des meules et des granges incendiées. Des leaders improvisés prennent la tête de bandes ici et là. Une grande peur secoue les possédants. Les aristocrates whigs qui composent le gouvernement (en particulier Melbourne, ministre de l’Intérieur) décident d’envoyer l’armée pour restaurer l’ordre. La répression s’abat, brutale et sanglante : neuf pendaisons, 457 déportations. Pourtant une agitation sporadique va subsister, entretenant un climat d’incertitude révolutionnaire.

1.6.5 Faible contact avec le socialisme[modifier | modifier le wikicode]

Dans l'ensemble, à part la période 1832-1834 au cours de laquelle l’owenisme est populaire, le socialisme ne touche qu’une fraction infime des travailleurs manuels. Pourtant certains milieux soit dans l’artisanat, soit dans l’industrie, se montrent réceptifs à l’idée d’une refonte totale de l’organisation économique et sociale et aux promesses de régénération morale, contenues dans les différents crédos communautaires ou coopératifs. Des théoriciens comme Hodgskin, Thompson, Mudie sont écoutés attentivement. Bientôt, alors même que ce socialisme pacifique fait appel à la seule persuasion, il apparaît bien plus subversif que la violence des extrémistes radicaux. Derrière la rhétorique radicale en effet se dissimule la croyance aux lois du laisser-faire. Derrière les théories socialistes se profilent la lutte du travail contre le capital, l’expropriation des possédants, le partage équitable des richesses.

Le plus souvent sans idéologie claire, certains travailleurs se dressent spontanément contre ceux qu’ils accusent d’être la cause de leurs malheurs : patrons ou agents de maîtrise, policiers et juges, sans compter toutes les catégories d’intermédiaires, sous-traitants, middlemen, boutiquiers, profiteurs du truck-system. De là un climat pré-révolutionnaire d’agitation incessante entre 1815 et 1848. Mais si l’histoire anglaise est ponctuée de crises sociales autant qu’économiques : 1811-1813, 1815-1817, 1819, 1826, 1829-1835, 1838-1842, 1843-1844, 1848, il n'y a pas eu de jonction entre socialisme et mouvement ouvrier.

1.6.6 Owenisme, syndicats et coopératives[modifier | modifier le wikicode]

La London Co-operative Society est fondée en 1824 par de oweniens. Elle est imitée en 1827 par la Brighton Co-operative Society, créée sous l’impulsion de William King et avec l’appui de l’Institut ouvrier de Brighton. Un peu partout des magasins coopératifs s’ouvrent sur le modèle de celui de Brighton. En 1829 apparaît la British Association for the Promotion of Co-operative Knowledge, avec son journal le British Co-operator. En 1830 on compte environ 300 sociétés coopératives, réparties en majorité à Londres, dans le Nord et les Midlands. En 1832, le chiffre s’élève à 500. Parmi ces sociétés, certaines servent seulement à propager les doctrines owenistes : c’est le cas de l’institution principale, la National Union of the Industrial Classes, que dirige Owen en personne. D’autres fonctionnent comme magasins (co-operative stores) gérés par des oweniens. Enfin il existe un certain nombre de coopératives de production, qui fabriquent des objets vendus ensuite dans les magasins coopératifs. C’est à l’intérieur de cette dernière catégorie que se développe le lien avec les trade-unions. Dans nombre de localités se mêlent activité syndicale et production coopérative, sur l’initiative de petits groupes ouvriers qui, attirés par les idées nouvelles (sans pour autant être toujours des oweniens orthodoxes), décident de traduire en actes leur désir de substituer au mode capitaliste de production un régime coopératif. Lorsque Owen s’aperçoit du parti que sa doctrine peut tirer de cette alliance avec les trade-unions, il se lance à fond dans l’entreprise afin de prendre la tête du mouvement syndical.

De là naît l’idée de Bourses d’échange du travail où les travailleurs pourraient vendre directement leurs produits fabriqués selon le mode coopératif. Ainsi seraient supprimés tout à la fois le patron capitaliste et le marchand capitaliste. Owen lance donc en 1832 à Londres le National Equitable Labour Exchange. Bientôt une institution similaire est créée à Birmingham. Le prix des marchandises est calculé d’après le temps de travail passé à la fabrication, en ajoutant le prix de la matière première. Ce sont des syndicalistes qui sont chargés de faire les évaluations et de fixer des taux d’échange « équitables ». Pour mettre fin au pouvoir de l’argent, une nouvelle monnaie entre en vigueur : les « billets du travail » (Labour Notes).

Au début le système semble réussir. Il bénéficie d’un courant de confiance et de curiosité. Aussi les échanges vont-ils bon train. Durant les quatre derniers mois de 1832 l’ensemble des marchandises mises en dépôt représente 445 000 heures de travail (équivalent de 11 000 livres sterling), dont 376 000 (soit 9 400 livres) sont échangées (c’est-à-dire achetées). Les « billets du travail » sont même acceptés par des commerçants privés. Avec euphorie certains oweniens se demandent si le socialisme ne va pas pour de bon remplacer l’économie de marché. Mais bien vite ils doivent déchanter. La Bourse d’Echange équitable du Travail ne parvient pas à ajuster la demande à l’offre. L’expérience reste limitée à un secteur étroit de l’industrie, celui de la production artisanale en petits ateliers, elle n’englobe ni le textile ni l’alimentation. Aussi beaucoup de produits de consommation manquent, tandis que d’autres, en surnombre, s’accumulent sur les rayons des invendus. De surcroît, la valeur des « billets du travail » garde un lien évident avec les prix du marché au lieu d’être définie par le seul travail. Peu à peu le déficit se creuse et Owen doit le combler de sa poche. En 1833 la Bourse de Londres est reprise par la London United Trades Association : une direction ouvrière remplace les philanthropes oweniens qui avaient jusque-là régi l’entreprise.

Une campagne, menée par Owen et Fielden, vise à limiter la journée de travail (1832-1833). Owen crée, en commun avec Doherty, une nouvelle organisation pour soutenir l’idée de la journée de 8 heures, la Society for Promoting National Regeneration (1833).

1.6.7 Luttes pour le suffrage de 1830-1832[modifier | modifier le wikicode]

A nouveau, c'est la bourgeoisie libérale qui mène l'offensive politique pour l'élargissement du suffrage dans cette période, et avec l'aide des radicaux, l'essentiel des militants ouvriers suit leur ligne.

Mais la réforme électorale de 1832 ne fait qu'élargir le suffrage censitaire. Les bourgeois libéraux s'en contentent, et les milieux populaires sont furieux de cette trahison. L'année 1833 verra donc surtout monter les revendications sociales, et le rejet des riches. O’Brien, le futur leader chartiste, prodigue dans le Poor Man’s Guardian les dénonciations mordantes :

« Tous les vices et toutes les superstitions de la nature humaine ont leur origine dans la guerre cannibale de la richesse contre la pauvreté. Le désir d’un homme de vivre des fruits du travail d’un autre, tel est le péché originel du monde. »

1.6.8 Tentative d'unification syndicale (1834)[modifier | modifier le wikicode]

Owen propose en 1833 à un congrès représentant les syndicalistes et les coopérateurs de lancer une vaste organisation, le Grand National Moral Union of the Productive Classes of Great Britain and Ireland. Toutes les organisations ouvrières devraient s’y affilier, à la fois pour coordonner les luttes, et pour remplacer le régime du marché par une économie fondée sur la coopération. Le projet rencontre un accueil enthousiaste. Owen prophétise dans son journal Crisis l’avènement de la nouvelle société :

« Il n’y aura pas de sang versé, pas de violence, pas d’injustices... Des mesures seront prises au plan national pour faire participer toutes les classes laborieuses au grand mouvement d’ensemble et chaque secteur sera tenu au courant des activités des autres secteurs ; la concurrence individuelle ne jouera plus ; toutes les usines seront gérées par des compagnies nationales... Tous les corps de métier s’associeront en loges qui formeront un ensemble suffisant pour assurer la bonne marche de l’affaire... »

Effectivement en 1834 le syndicat général voit le jour sous le nom de Grand National Consolidated Trades Union (GNCTU). Des militants partent à travers le pays, recueillent les adhésions, initient les nouveaux membres admis dans les « loges »... Partout on s’enrôle, même dans les secteurs professionnels les plus négligés, ouvrières d’usine ou travailleurs des champs. C’est une « rage de trade-unionisme » selon l’expression des Webb. Le GNCTU reçoit l’adhésion massive des journaliers, des manœuvres, des salariés de la grande industrie, alors que l’aristocratie ouvrière des vieux métiers (menuisiers, mécaniciens, etc.) se tient à l’écart. En quelques mois il atteint le chiffre énorme de 500 000 membres. Mais cette force numérique est contrebalancée par une grande fragilité due à l’insuffisance de cohésion, aux disparités géographiques et professionnelles, au manque d’argent (les cotisations sont irrégulièrement payées). Les meetings, les pétitions, les grèves ont beau se succéder, le GNCTU se heurte à une résistance acharnée des patrons. Déterminés à casser le syndicat, ceux-ci multiplient les lock-out et imposent la signature d’un « document » par lequel leurs ouvriers s’engagent à ne pas s’inscrire dans un trade-union, notamment dans le Yorkshire, à Derby et à Londres. Ils reçoivent le soutien du gouvernement whig, qui, au nom de la propriété menacée par les « basses classes », entame une répression légale en utilisant la législation sur les conspirations : c’est l’épisode fameux des six journaliers de Dorchester condamnés à la déportation (« les martyrs de Tolpuddle »). La tactique de l’intimidation s’ajoutant aux dissensions internes entre Owen et ses lieutenants J. Morrison et J.E. Smith, aux découragements de certains grévistes et au manque de fonds, aboutit au reflux, puis à l’échec du mouvement. Le GNCTU est dissous en août 1834, et Owen fonde à la place l’Association pour l’Industrie, l’Humanité et la Science.

L’effort n’a duré que quelques mois, mais il laisse des traces durables. Même si Owen a répudié tout appel à la lutte des classes, voire à la grève, le mouvement a été effectivement semi-révolutionnaire. Pour la première fois la Grande-Bretagne a connu un mouvement ouvrier de masse aux objectifs socialisants. L’idée de la grève générale ou Grand National Holiday, en filigrane chez Owen et lancée par Benbow en 1831, est désormais dans l’air : ne serait-ce pas le meilleur moyen pour les travailleurs de saisir le pouvoir dans l’industrie ?

De nombreux syndicats mettaient en avant « l'unité » tout en précisant « not combined to injure », pour répondre aux accusations (notamment celles de nuire à la liberté).[10]

1.6.9 Poor Laws et Workhouses[modifier | modifier le wikicode]

Un système de charité publique existait depuis le 17e siècle, pour donner du travail aux pauvres (Poor Laws). Mais avec l'essor de la misère, la bourgeoisie trouve intolérable de payer des taxes pour entretenir des « fainéants ». En 1834 est votée une loi qui enferme les bénéficiaires dans des workhouses insoutenables, pour créer un effet dissuasif. Une loi qui montre à beaucoup d'ouvriers le vrai visage des whigs. Dans la classe ouvrière, on voue alors une hostilité viscérale aux deux « bastilles jumelles », l’usine et l’asile (factory and workhouse).

1.6.10 Chartisme[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Chartisme.

A partir de 1836 un fort mouvement à base ouvrière commence à se constituer, fédérant les colères, contre la loi sur les workhouses, pour le suffrage universel masculin... Si les revendications qui sont mises en avant nationalement, de concert avec les radicaux, sont les revendications politiques, les forces vives du mouvement sont des ouvriers et artisans préoccupés tout autant par les questions sociales : baisse du temps de travail, formation de syndicats...

Pamphlet contre les Corn Laws adressé aux ouvriers

Ce mouvement s'unifie autour d'une Charte du peuple, déposée au Parlement en 1838, et d'élections de délégués pour diriger le mouvement. A plusieurs reprises, le mouvement connaîtra des vagues, avec des pétitions toujours repoussées par le Parlement, de nombreuses manifestations et grèves de masse, et d'intenses débats sur la tactique à adopter. Les partisans de la « force physique » (O’Connor, Frost, Harney) et de la « force morale » (Lovett, Hetherington, Attwood) s'opposent. Au milieu de tout cela certains proposent une grève générale d'un mois (« le mois sacré » ou national holiday), d’autres suggèrent un retrait de l’argent des banques. O’Connor, et O'Brien ont clairement en tête qu'ils mènent une lutte de classe. Le mouvement a frôlé les situations révolutionnaires, et il est clairement un des deux points culminants de la lutte des classes au 19e siècle, avec la Commune de Paris.

Le mouvement s'éteint à l'été 1848.

1.6.11 Situation de la classe laborieuse (1844)[modifier | modifier le wikicode]

Commémoration du massacre des mineurs à Featherstone (1893)

Grâce à sa compagne Mary Burns, ouvrière irlandaise, Engels réalise des entretiens dans les quartiers ouvriers de Manchester, qui lui permettront d'écrire La Situation de la classe ouvrière en Angleterre (1844), un des premiers ouvrages de sociologie. Il y décrit notamment la pollution, la promiscuité, comment la ségrégation se lit dans l'urbanisme...

1.6.12 Division ethnique progressive[modifier | modifier le wikicode]

Dès les années 1850, il y a eu une tendance à l’inclusion des franges les plus « respectables » (artisans notamment) de la classe ouvrière dans le bloc dominant et son idéologie, ce qui s'est accompagné d’un renforcement du racisme envers les immigré·es catholiques irlandais.[1]

Vers 1870, Marx considérait la que c'était l'obstacle majeur qui empêchait le mouvement ouvrier de l'emporter en Angleterre :

« Chaque centre industriel et commercial d'Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande. »[11]

Marx ajoute :

«  Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente.  »

1.6.13 Rapport avec la Première internationale[modifier | modifier le wikicode]

En 1862, des ouvriers français sont envoyés à Londres lors de l'Exposition universelle pour étudier l'industrie anglaise. Des échanges entre ouvriers anglais et français, il naît l'idée d'une grande association de travailleurs[12]. D'autres contacts sont noués en 1863 entre syndicalistes français et anglais (dont George Potter et George Odger), à l'occasion d'un meeting organisé à Londres en soutien aux Polonais réprimés. Ces contacts aboutissent à la fondation de l'Association internationale des travailleurs (dite Première internationale) à Londres en 1864.

En plus des contacts entre ouvriers, la fondation à Londres doit aussi au fait que la ville accueillait de nombreux émigréspolitiques du continent, dont beaucoup de démocrates et socialistes à l'esprit internationaliste. Karl Marx, qui prit en charge l'essentiel du travail d'organisation du Conseil général de l'AIT, était l'un d'eux.

Au sein de l'AIT, les représentants des ouvriers anglais étaient parmi les plus modérés. Gérant des organisations légales et massives, ils étaient centrés sur l'amélioration graduelle de la condition ouvrière. L'AIT les intéresse sur un plan corporatif si elle parvient à empêcher l'introduction en Grande-Bretagne d'ouvriers du continent venant briser les grèves ou faire tendre les salaires à la baisse.[13]

BeeHiveNewspaper.JPG

Le journal The Bee-Hive ("la ruche") publié par les syndicats anglais, devint l'organe officiel de l'AIT en Angleterre en novembre 1864. Cependant, le journal évolua rapidement vers de plus en plus de réformisme et de chauvinisme. Il s'est par exemple mis à censurer les prises de position de l'AIT en faveur des Irlandais·es.[14] Finalement, l'AIT rompit avec The Bee-Hive en mai 1870, sous l'impulsion de Marx.

1.6.14 Trades Union Congress[modifier | modifier le wikicode]

En 1868, une organisation syndicale à l'échelle nationale est définitivement actée avec le Trades Union Congress (TUC). Comme son nom l'indique il s'agissait d'abord d'un congrès réunissant, tous les ans, tous les syndicats. La structure confédérale entre deux congrès était à l'origine très informelle. A partir de 1871 le congrès élit un Parliamentary Committee, dont l'occupation principale était de faire du lobbying auprès du parlement pour obtenir des réformes sociales. Cette direction était de fait dirigée par des libéraux affichant un profil de défense des intérêts ouvriers (on parle de travaillisme), mais plutôt hostiles aux socialistes vus comme trop radicaux. Il n'y avait pas de représentation politique de la classe ouvrière dans le pays (dont le paysage politique était dominé par le bipartisme Tories/Libéraux).

Lorsque des partis socialistes commencent à émerger, la direction syndicale déclare sa « neutralité » vis-à-vis d'eux comme vis-à-vis de tous les partis. Une positions critiquée par les marxistes.[15]

Le processus de bureaucratisation des directions syndicales fut très rapide. A peine 20 ans après la fondation du TUC, un socialiste écrivait :

« Il y a des délégués des syndicats qui, par leurs économies ou par d'autres moyens, ont amassé assez d'argent pour devenir propriétaires de plusieurs cottages qu'ils louent ; ou bien ils sont actionnaires de sociétés pas toujours très tendres envers leurs ouvriers. Ces délégués ont des intérêts personnels qui les portent vers le capitalisme. »[16]

2 Belle Époque[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Mouvement des plus exploitées[modifier | modifier le wikicode]

En 1874 est fondée une Women's Trade Union League. Les femmes travailleuses étaient souvent concentrées dans des secteurs peu qualifiés et sous payés.

La grève des ouvrières des manufactures d’allumettes à Londres en 1888 fut la première menée par des ouvrières sans qualification. Ces ouvrières avaient des conditions de travail extrêmement dures même pour l'époque, et subissaient les effets toxiques du phosphore qu'elles manipulaient. De plus les syndicats à l'époque étaient quasi exclusivement masculins et négligeaient voire méprisaient la main d’œuvre non qualifiée et féminine comme ces allumettières. Ces dernières furent soutenues par des militant·es, notamment la socialiste et féministe Annie Besant.

En 1906 est créée la National Federation of Women Workers (NFWW). Contrairement aux nombreux petits syndicats de métiers qui organisaient les ouvrières à la fin du 19e siècle, le NFWW a été ouvert à toutes les femmes, en particulier dans des industries où le travail des femmes prédominait, où les salaires étaient bas et où la syndicalisation avait jusqu'à présent échoué. La suffragiste écossaise Mary Macarthur a joué un rôle clé dans le NFWW.

2.2 New unionism[modifier | modifier le wikicode]

Il y a une tendance dans les années 1880 à la formation de syndicats organisant plus largement les travailleur·ses moins qualifié·es. Ce qui a été appelé le new unionism. Cela représentait une évolution des syndicats de métiers vers des syndicats industriels. Ces syndicats étaient plus enclins à la grève, et plus proches des socialistes.

La grève des allumettières de 1888 et la grève des dockers de 1889 furent des mouvements emblématiques de ce new unionism.

2.3 Formation de partis socialistes[modifier | modifier le wikicode]

Au Royaume-Uni comme ailleurs, des partis socialistes se forment à la fin du 19e siècle, et des pamphlets anti-socialistes apparaissent aussi[17]. La Social Democratic Federation est fondée en 1881. Elle est dirigée de façon autoritaire par Hyndman, qui entendait fonder le premier parti marxiste dans le pays.

Ses membres comprenaient des syndicalistes comme Tom Mann, John Burns, Eleanor Marx et Ben Tillet, ainsi qu'Edward Aveling, William Morris, George Lansbury et H. H. Champion. En 1885, l'organisation comptait plus de 700 membres. L'autoritarisme de Hyndman, ses tactiques aventuristes et ses relations douteuses avec les conservateurs ont affaibli la SDF.

En décembre 1884, un certain nombre de membres scissionnent autour de William Morris et Eleanor Marx pour former la Socialist League. H. H. Champion, Tom Mann et John Burns partent également. La Socialist League devient rapidement dominée par une tendance anarchiste, et s'affaiblit pendant que beaucoup la quittent.

En février 1900, la SDF s'associe au Parti travailliste indépendant de Keir Hardie et Ramsay MacDonald, à la Fabian Society et à plusieurs dirigeants syndicaux pour former le Labour Representation Committee, qui deviendra plus tard le Parti travailliste.

2.4 Rapport avec la Deuxième internationale[modifier | modifier le wikicode]

La distance des syndicalistes britanniques avec le socialisme nuisait à l'unité avec les mouvements ouvriers du continent et donc à l'internationalisme. Selon le socialiste pourtant modéré Adolphe Smith, les directions des syndicats britanniques ont représenté pendant des années le principal obstacle à reconstruction d'une internationale.[18]

En 1883, les syndicats britanniques envoient des délégués au Congrès de Paris organisé par les socialistes possibilistes français, mais leur image des forces du continent à l'issue du congrès est assez mauvaise. En 1886, les syndicats anglais sont à nouveau présents (le Parliamentary Committee subit une certaine pression de l'opinion), et la conférence a un peu plus de tenue.[19] Les dirigeants syndicaux (qui s'abstiennent sur tous les votes politiques majeurs) nouent notamment des liens avec les possibilistes, qui leur paraissent des interlocuteurs raisonnables, pour des socialistes. Il est alors proposé que la prochaine conférence internationale soit organisée à Londres en 1888.[20]

Malgré des réticences de la direction, le congrès syndical (Swansea, 1887) donne un mandat unanime pour organiser une conférence internationale à Londres en 1888. Le Parliamentary Committee utilisa cependant son pouvoir exécutif pour amoindrir la conférence. Premièrement, au lieu d'être organisée en été (plus facile pour les délégués, surtout étrangers, et plus propice à une bonne couverture de presse), elle fut organisée en novembre (en période d'agitation parlementaire, de fêtes de fin d'année...). Surtout, le comité exigea que les délégués soient exclusivement et explicitement mandatés par des organisations syndicales (appliquant les mêmes règles pour les étrangers où la liberté politique est très limitée), comptant par là écarter un maximum de socialistes.

En juillet 1889 à Paris, il y eut deux congrès ouvriers et socialistes internationaux, un « marxiste » et un « possibiliste ». Les syndicats britanniques étaient majoritairement du côté possibiliste. Néanmoins c'est cette date qui est considérée comme la fondation de la Deuxième internationale.

2.5 Fondation du Parti travailliste[modifier | modifier le wikicode]

Le Parti travailliste fut fondé par les syndicats en 1900.

3 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

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Une bannière syndicale de mineurs du Northumberland (entre 1947 et 1951).

4 21e siècle[modifier | modifier le wikicode]

Une bannière syndicale d'une section de Londres du National Railway and Maritime Transport union (RMT). 1er décembre 2021.

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 et 1,1 Satnam Virdee, Racisme et antiracisme dans la formation de la classe ouvrière britannique. Entretien avec la revue Contretemps, Février 2022
  2. Robert Owen, Observations sur les effets du système manufacturier, 1815
  3. Nicholas Crafts, Terence C. Mills, Six centuries of British economic growth: a time-series perspective, European Review of Economic History, Volume 21, Issue 2, May 2017, Pages 141–158
  4. Jean-Pierre Rioux, La révolution industrielle, Points, 1971
  5. Samuel Taylor Coleridge, Constitution of Church and State, 1830
  6. Larousse du 19e siècle
  7. Brandon, Peter (2010). Discovering Sussex. Andover: Phillimore. p. 51. ISBN 978-1-86077-616-8.
  8. Griffin, Carl J (2010). "The Violent Captain Swing?". Past & Present. 209 (209): 149–180
  9. Cobbett, William (1832). "Letter to George Woodward". Cobbett's Weekly Political Register. Vol. 75, no. 13 (24 March 1832 ed.). p. 786.
  10. Batt, J. (1986). “United to Support But Not Combined to Injure”: Public Order, Trade Unions and the Repeal of the Combination Acts of 1799–1800. International Review of Social History, 31(2), 185-203. doi:10.1017/S0020859000008154
  11. Lettre de Marx à Siegfried Mayer et August Vogt, 9 avril 1870.
  12. Martial Delpit, Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars, Paris, 1872.
  13. Annie Kriegel, L'Association internationale des Travailleurs (1864-1876), dans Histoire générale du socialisme, volume 1 (Des origines à 1875), Jacques Droz (dir.), P.U.F., 1972, pp.603-634.
  14. Le Conseil général au conseil fédéral de la Suisse romande, 1er janvier 1870
  15. Karl Kautsky, Politique et Syndicats, 1900
  16. Adolphe Smith, A Critical Essay on the International Trade Union Congress, held in London, November 1888
  17. John Horace Round, The Coming Terror, May 1881
  18. Adolphe Smith, A Critical Essay on the International Trade Union Congress, held in London, November 1888, November 1888
  19. János Jemnitz, The International Workers' Socialist Conference of Paris in 1886 (To the Prehistory of the II International), Acta Historica Academiae Scientiarum Hungaricae, Vol. 32, No. 1/2 (1986), pp. 97-112 (16 pages)
  20. Adolphe Smith, A Critical Essay on the International Trade Union Congress, held in London, November 1888, November 1888