James Bronterre O'Brien

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James Bronterre O'Brien (février 1805 – 23 décembre 1864) était un journaliste, leader et théoricien chartiste irlandais. Il était surnommé par O’Connor « le maître d’école du chartisme ».

1 Biographie[modifier | modifier le wikicode]

Cet avocat d’origine irlandaise, fils d’un négociant en vins, éduqué à l’Université de Dublin, gagné au radicalisme par la fréquentation de Cobbett et de Hunt, a été à la fois théoricien, publiciste et homme d’action. Sa puissance oratoire, sa force communicative et sa capacité remarquable d’adaptation à l’esprit du public lui assurent des auditoires enthousiastes : O‘Brien a été un des orateurs chartistes les plus passionnément écoutés. Mais son action s est exercée par la plume autant que par la parole : après avoir écrit dans le Poor Man’s Guardian, il collabore au National Reformer (le Réformateur national) et au Northern Star. En 1838, il publie une traduction du livre de Buonarotti La Conspiration pour l’Egalité, dite de Babeuf. Plus tard une série de ses articles seront réunis en volume sous le titre Naissance, développement et étapes de l’esclavage de l’humanité. C’est sous le triple patronage de Babeuf, de Robespierre et d’Owen que se constitue la pensée, d’ailleurs souvent confuse et rhétorique, de O’Brien.

A la recherche d’un fondement théorique au chartisme comme mouvement de classe, O‘Brien très tôt dénonce avec véhémence les injustices de l’ordre social :

« Jusqu’ici tous les gouvernements du monde n’ont été que des conspirations des riches contre les pauvres, autrement dit des puissants et des rusés pour voler et maintenir sous leur sujétion les faibles et les ignorants. Le gouvernement anglais actuel est de cette espèce » Poor Man’s Guardian, 7 mars 1835

La Révolution française, dont on reconnaît le langage, a exercé une influence décisive sur la formation de O’Brien. Celui-ci se croit l’âme d’un jacobin de 1793 ou d’un conspirateur babouviste. Si le suffrage universel est la revendication première, c’est parce qu’il est la condition de toute rénovation sociale. De même que la Révolution française a combattu pour faire triompher l’intérêt général, celui de l’humanité, sur les intérêts particuliers (c’est le sens de la lutte de Robespierre contre les Girondins), de même à la suite de Babeuf il s’agit d’assurer le bonheur par l’égalité en arrachant les leviers de commande à une oligarchie installée par la violence.

« Le Droit du plus fort, le seul droit reconnu par le sauvage, paraît être demeuré la charte fondamentale de tous les Etats civilisés. Le sauvage, vagabond, errant, ne réclame pas d’autre titre au produit du travail de son voisin que la supériorité de sa force ou son habileté à s’emparer de cette proie. Le civilisé agit précisément, bien que de façon déguisée, d’après les mêmes principes. Leurs moyens diffèrent, mais leurs objets et leurs fins sont les mêmes. »

En Angleterre, le problème social en 1837 se pose dans les mêmes termes qu’en France au moment de la Révolution. L’aristocratie et la bourgeoisie jouent vis-à-vis de la nation le même « rôle homicide et dévastateur » : la noblesse a accaparé le sol, la classe moyenne l’argent et le crédit. Vis-à-vis de ces usurpateurs, les prolétaires qui ne disposent ni de la terre ni de l’argent sont dans une servitude absolue. Le but est donc « l’égalité sociale pour chacun et pour tous », le moyen « l’égalité politique pour chacun et pour tous ». Pour y arriver il faut organiser de façon efficace les classes laborieuses. O’Brien fait donc appel aux trade-unions pour les enrôler dans le combat pour le suffrage universel. Sans doute l’action économique des syndicats est-elle utile, mais l’action politique est infiniment plus efficace et plus nécessaire. Puisque le pouvoir de faire les lois est entre les mains des classes stériles maîtresses du Parlement et que celles-ci se servent de la loi pour perpétuer l’asservissement des classes productrices, c’est par la conquête du suffrage universel que les travailleurs seront en mesure de mettre un terme à l’exploitation et de renverser une organisation sociale abusive et injuste.

Allant plus loin, O‘Brien s’en prend dès certains textes du Poor Man’s Guardian à la propriété elle-même. « La propriété au sens moderne du mot signifie le droit que possède A de prélever, en vertu de la loi, sa part sur le produit de B, la loi ayant été exclusivement faite par A et cela bien entendu sans le consentement de B et sans lui donner un équivalent. C’est là le sens moderne de la propriété : attaquer la propriété c’est par conséquent attaquer le vol. » Mais pour combattre la propriété, « source de tout le mal », le levier d’action doit être politique, non économique, puisque ce qui importe, c’est de contrôler la loi, donc l’Etat. O’Brien en revient donc toujours au suffrage universel, l’ultima ratio du chartisme. De la même manière il détecte une opposition fondamentale d’intérêts entre les oisifs et les travailleurs. « Les institutions mettent les producteurs dans une situation telle qu’il leur faut ou mourir de faim ou vendre leur produit pour une fraction de sa valeur. Notre travail fait la fortune du riche, nos privations font ses plaisirs, nos pleurs sont nécessaires pour arroser le jardin de sa prospérité. Dans un tel état de choses, il ne peut et il ne doit y avoir aucune identité de sentiments ou d’intérêts entre nous pour des fins sociales », mais la conclusion de cette diatribe en faveur de la lutte des classes, c’est encore l’appel au suffrage universel, remède tout puissant et absolu.

Les penchants socialisants de O‘Brien se teintent de nostalgies agrariennes, ce qui touche une corde sensible chez les chartistes, accablés par les misères de l’existence urbaine. O’Brien croit à la valeur bienfaisante de la vie rurale pour régénérer les âmes et pour façonner une humanité vertueuse, innocente et heureuse. « Environné des beautés de la terre et placé en quelque sorte sous l’œil même du ciel », l’homme s’élève moralement, au lieu de se dégrader « dans l’atmosphère obscure des villes, au milieu du tapage et de l’agitation des ateliers » (National Reformer, 7 janvier 1837). A ces arguments moraux s’ajoutent des arguments économiques : l’agriculture demeure l’occupation la plus profitable pour l’ensemble d’une communauté, et sa prospérité peut seule garantir à l’ensemble de la société le bien-être. Ces considérations passéistes s’accompagnent de lamentations indignées sur les enclosures et les corn-laws, les deux crimes majeurs perpétrés par l’aristocratie anglaise, l’un contre les paysans en les dépouillant de leurs terres et en les forçant à l’exode vers les villes, l’autre contre les travailleurs industriels en les contraignant par la hausse du prix du pain à des salaires de famine.

Pour mettre fin à cet accaparement du sol par les propriétaires fonciers, O‘Brien propose la nationalisation. La terre est en effet propriété nationale, mais cette reprise du sol par la nation débouche sur une redistribution entre les citoyens. La terre devra être louée au plus offrant, la nation déterminant la taille des fermes, la répartition par famille, l’utilisation des terrains pour le labourage, les pâturages, etc. Ainsi la rente ira en augmentant, ce qui bénéficiera à la collectivité, puisqu’elle servira à financer les dépenses publiques. Cette transformation des structures économiques doit être complétée par la réforme de l’échange et celle du système monétaire, thèmes abondamment développés au cours des campagnes chartistes en s’inspirant des idées oweniennes (substitution à la monnaie de bons de travail, échange équitable de valeurs égales et création à cet effet par l’État de magasins publics). Parallèlement O’Brien prône d’autres remèdes plus classiques : la réduction de la dette publique, une Banque nationale propriété de l’Etat, une révision du système des impôts, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté complète de la presse.

Au milieu de ce bouillonnement, non exempt de contradictions, émerge l’idée d’une démocratie sociale. Ni le droit de propriété ni le profit ne sont finalement mis en cause. Plutôt qu’un socialiste, O’Brien s’affirme un « social-radical ». Mais l’attachement à l’intérêt général, le sens de la solidarité, la sympathie pour les coopératives oweniennes l’ont entraîné, parfois à son insu, sur des sentiers socialisants. C’est une leçon que n’oublieront ni ses auditeurs ni ses lecteurs.

« Avec la Charte, la propriété publique de la terre, de la monnaie et du crédit, le peuple découvrirait vite les merveilles de production, de distribution et d’échange que peut réaliser le travail en association, comparé au travail individuel. Ainsi s’édifierait graduellement le véritable État social, la réalité du socialisme qui n’en est actuellement qu’au stade du rêve. Il ne fait aucun doute que les conséquences dernières en seraient l’empire universel d’une société qui ne serait pas essentiellement différente de celle que conçoit Owen. Mais l’idée que nous pouvons sauter d’un coup de notre société actuelle, injuste et corrompue, au paradis d’Owen, sans avoir d’abord reconnu les droits de l’homme, ni établi une seule loi pour sauver le peuple de l’état d’abrutissement où l’ont jeté l’ignorance et l’asservissement, est une chimère » (National Reformer, 30 janvier 1847).

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]