Question nationale en Pologne

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Affiche soviétique : « Voilà comment mettre fin aux idées des maîtres. Longue vie à la Pologne soviétique ! ».

La question nationale en Pologne est intéressante à étudier, car la Pologne a été une puissance médiévale, avant de subir l'oppression de ses voisins (Prusse, Autriche, Russie), au point que la lutte du peuple polonais est devenue au 19e siècle une des causes progressistes suscitant le plus de solidarité des internationalistes. Cependant les classes dominantes polonaises ont progressivement gagné en puissance et donc en capacité de nuisance, ce qui a rendu les positionnements politiques complexes, entre lutte de classe et lutte anti-impérialiste.

Cela a notamment conduit à un débat vif entre Luxemburg et Lénine, ou encore à de vifs débats dans la direction bolchévique, pendant la guerre russo-polonaise (1919-1921), au milieu de la guerre civile qui suite la révolution dans l'Empire russe.

Par ailleurs, la Pologne est elle-même composée de minorités (Baltes, Juifs...), et le nationalisme polonais a été très vite à la fois dirigé contre des oppresseurs extérieurs, et contre des boucs émissaires intérieurs. L'antisémitisme a notamment été très violent en Pologne.

1 Éléments historiques[modifier | modifier le wikicode]

1.1 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

Pour Marx et Engels, et plus largement pour la plupart des militant·es démocrates et socialistes du milieu du 19e siècle, le soutien au peuple polonais allait de soi.[1][2] Le 22 juillet 1863 eut lieu un meeting organisé à Londres en soutien aux Polonais réprimés, et ce fut un lieu des lieux de rencontre qui joua un rôle majeur dans la constitution de l'Association internationale des travailleurs.[3]

Il faisaient cependant déjà intervenir la question de la lutte des classes, puisqu'une condition de succès était pour eux que les masses paysannes soient mobilisées, et donc que le mouvement soit dirigé par des forces capables de dépasser le féodalisme. Ainsi dans le Manifeste communiste (1847), il est écrit :

« En Pologne, les communistes soutiennent le parti qui voit, dans une révolution agraire, la condition de l'affranchissement national, c'est-à-dire le parti qui fit, en 1846, l'insurrection de Cracovie. »

Pour Marx, la position d'un socialiste envers une nation opprimée par son propre pays était un révélateur politique. Par exemple, après avoir fait la connaissance de Lopatine, Marx écrit à Engels le 5 juillet 1870 une appréciation flatteuse au plus haut point pour le jeune socialiste russe, mais il ajoute : « Un point faible : la Pologne. Sur ce point, Lopatine parle absolument comme un Anglais — disons un chartiste anglais de la vieille école — à propos de l’Irlande. »

1.2 Deuxième internationale[modifier | modifier le wikicode]

La Deuxième internationale, fondée en 1889, reprenait globalement les positions classiques.

En 1892, Engels soutenait encore l'indépendance de la Pologne, misant sur le prolétariat :

« En 1863, [la Pologne] succombait sous la poussée des forces russes, dix fois supérieures aux siennes propres, elle fut abandonnée à elle-même. La noblesse a été impuissante à défendre et à reconquérir l'indépendance de la Pologne ; la bourgeoisie se désintéresse actuellement, pour ne pas dire plus, de cette indépendance. Néanmoins, pour la coopération harmonieuse des nations européennes, elle s'impose impérieusement. Seul peut conquérir cette indépendance le jeune prolétariat polonais, qui en est même le garant le plus sûr. Car pour les ouvriers du reste de l'Europe cette indépendance est aussi nécessaire que pour les ouvriers polonais eux-mêmes. »[4]

Au congrès de Londres (1896), les deux sections polonaises s’affrontent sur la question de l’indépendance de la Pologne. Le Parti socialiste polonais (fondé en 1892 et dont le dirigeant le plus connu est Piłsudski) est pour, la SDKPiL (Luxemburg[5]) est contre. Kautsky ajoute dans la résolution politique adoptée « le plein droit de libre détermination de toute les nations », ainsi qu'une condamnation du colonialisme, qui fait office de compromis mais a été peu discuté.

1.3 Mouvement socialiste russe[modifier | modifier le wikicode]

Le Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) devait nécessairement se pencher sur le sort des nombreuses minorités nationales de l'Empire russe. Il affirmait dès son premier congrès (1898) le droit à l'autodétermination des peuples, dirigé contre le chauvinisme grand-russe. A la veille du 2e Congrès du POSDR (1903), Lénine défend dans l'Iskra le droit à l’autodétermination des nations y compris jusqu'au séparatisme.[6] Mais il distingue deux choses : les marxistes doivent défendre la liberté des peuples (contre toute pression d'un peuple extérieur), mais cela ne les « oblige pas du tout à soutenir n’importe quelle revendication d’auto-détermination nationale ».

Concernant la Pologne, Lénine considère que la lutte nationaliste n'est plus progressiste comme elle l'était du temps de Marx, mais il maintient que le droit des Polonais à se séparer doit être affirmé haut et fort par les socialistes russes.

Vers 1908-1909, Rosa Luxemburg argumente contre les thèses de Lénine dans La Question nationale et l’autonomie. Elle raillait le droit à l’autodétermination comme « un lieu commun » et une formule creuse. Elle insistait sur la tendance historique, progressiste, à l'unification de l'humanité, et discréditait donc la volonté de fragmentation en petits États "médiévaux". Et elle dénonçait le caractère bourgeois du nationalisme polonais.

Lénine lui répond qu'elle ne prend pas assez en compte les différences entre pays et entre époques[7]. Il considère que la question nationale est résolue en Europe occidentale, et donc qu'il est normal que les socialistes de ces pays ne l'abordent pas dans leur programme, mais que ce n'est pas le cas dans le reste du monde.

De plus Lénine insistait sur la dissymétrie entre le côté de l’oppresseur le côté de l’opprimé. Les socialistes d'un pays oppresseur (par exemple la Russie) doivent surtout défendre le droit au séparatisme des peuples opprimés. Mais il considérait aussi que les socialistes d'un pays opprimé (comme la Pologne) devaient développer la conscience de classe et l'internationalisme au sein de leur mouvement de libération nationale. Enfin il considère que « dans tout nationalisme bourgeois d’une nation opprimée, il existe un contenu démocratique général dirigé contre l’oppression. »

Lénine et les bolchéviks réaffirmeront souvent leurs positions, en juillet 1913[8][9], dans une résolution d'octobre 1913, en 1914[10][7], en 1916[11]... Lénine avertissait d'ailleurs que l’accomplissement de la révolution « ne suffira pas à faire [du prolétariat] un saint », à l’immuniser immédiatement contre tout chauvinisme, et d’autre part, que « la haine – d’ailleurs parfaitement légitime – de la nation opprimée envers celle qui l’opprime subsistera quelques temps ».[12] Lénine conserve l'objectif de centralisation socialiste, mettant fin au « morcellement de l’humanité en petits États et à tout particularisme des nations », mais il faut une « centralisation non impérialiste ».[11]

Les socialistes, héritant en partie des tendances révolutionnaires bourgeoises, étaient traditionnellement plutôt en faveur de conceptions centralistes de l'État. C'était également le cas des marxistes russes : le programme du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) de 1903 prévoyait un État centralisé, mais il aménageait cela, prônant « l’autonomie administrative régionale pour les périphéries qui, par leurs conditions de vie et la composition de leur population, se distinguent des régions russes proprement dites. » Martov précisa dans sa présentation de ce point qu'ils avaient en vue notamment la Finlande, la Pologne, la Lituanie et le Caucase.

1.4 Révolution russe et guerre soviéto-polonaise[modifier | modifier le wikicode]

Rosa Luxemburg critiquera comme petite-bourgeoises les mesures prises par les bolchéviks en 1917 pour l'autonomie des minorités. Dzerjinski (d'origine polonaise) polémiqua en 1917 contre Lénine, défendant le point de vue de Luxemburg. Trotski note : « Ce dialogue, au point de vue politique, ne manque point de piquant : le grand-russien Lénine accuse le polonais Dzerjinski de chauvinisme grand-russien dirigé contre les Polonais, et est accusé par ce dernier de chauvinisme polonais. »[13]

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Karl Radek, La question polonaise et l'Internationale, 1920
  2. Friedrich Engels, En quoi la Pologne concerne-t-elle la classe ouvrière ?, 1866
  3. Annie Kriegel, L'Association internationale des Travailleurs (1864-1876), dans Histoire générale du socialisme, volume 1 (Des origines à 1875), Jacques Droz (dir.), P.U.F., 1972, pp.603-634.
  4. Friedrich Engels, Préface à l’édition polonaise de 1892 du Manifeste communiste
  5. Rosa Luxemburg, The Polish Question at the International Congress in London, July 1896
  6. Lénine, La question nationale dans notre programme, Iskra, juillet 1903
  7. 7,0 et 7,1 Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, février-mai 1914
  8. Lénine, Notes critiques sur la question nationale, 1913
  9. Lénine, Thèses sur la question nationale, 9 juillet 1913
  10. Lénine, De la fierté nationale des Grands-Russes, 1914
  11. 11,0 et 11,1 Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, 1916
  12. Lénine, Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, 1916
  13. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe - 16. Le réarmement du parti, 1930