Machinisme

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T1- d457 - Fig. 232. — Machine électrique de l’abbé Nollet.png

La mécanisation, ou machinisme, est l'emploi de machines pour remplacer du travail humain, en augmentant la productivité du travail. Démarrée au 18e siècle en Europe, elle conduit à augmentater la part d'automatisation du travail, et son application à grande échelle a débouché sur l'industrialisation.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

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L'usage de machines dans l'activité humaine est très ancien comme nous le montre l'exemple du moulin. Mais la mécanisation à l'origine de l'industrialisation commence dans les entreprises avec le désir des patrons d'augmenter la productivité de leurs employés mais aussi de se libérer de certaines contraintes techniques.

Les machines forment ce que les marxistes appellent le capital constant, qui transmet sa valeur aux marchandises, sans en créer contrairement à la force de travail (qui constitue le capital variable). La part du capital constant a une tendance à augmenter (accroissement de la composition organique du capital) au cours de l'histoire du capitalisme, en conséquence de la recherche du profit, mais ce processus cause lui-même une des contradictions principales du capitalisme (la baisse tendancielle du taux de profit) :

  • Une nouvelle machine bien conçue permet aux premiers capitalistes qui la mettent en place de bénéficier d'une hausse de productivité et donc d'un sur-profit : grâce à elle l'usine produira plus de marchandises avec le même temps de travail, mais le prix des marchandises étant encore déterminé par l'ancienne moyenne (temps de travail socialement nécessaire), il pourra les vendre à ce prix de marché alors que son coût de production est devenu nettement inférieur.
  • Poussés par la concurrence et le risque de se voir évincés, les autres capitalistes mettent en place des machines similaires, voire plus productives encore. Mais en conséquence, le temps de travail socialement nécessaire chute, et le sur-profit retombe.L'effet positif sur le niveau de profit est donc temporaire, alors que ce processus a un effet durablement à la baisse sur le taux de profit.

Adam Smith est considéré par Marx comme le penseur typique de l'époque manufacturière, plus que du machinisme :

« Comme on pourra le voir dans le quatrième livre de cet ouvrage[1], Adam Smith n'a pas établi une seule proposition nouvelle concernant la division du travail. Mais à cause de l'importance qu'il lui donna, il mérite d'être considéré comme l'économiste qui caractérise le mieux la période manufacturière. Le rôle subordonné qu'il assigne aux machines souleva dès les commencements de la grande industrie la polémique de Lauderdale, et plus tard celle de Ure. Adam Smith confond aussi la différenciation des instruments, due en grande partie aux ouvriers manufacturiers, avec l'invention des machines. Ceux qui jouent un rôle ici, ce ne sont pas les ouvriers de manufacture, mais des savants, des artisans, même des paysans (Brindley), etc. »[2]

Les capitalistes ont tendance à utiliser de nouvelles machines, mais cette tendance est loin d'être aussi rapide et systématique qu'elle pourrait l'être. En effet, les machines ont un coût, et si des patrons parviennent à obtenir des bas salaires, il arrive que leur profit soit supérieur à celui de leurs concurrents équipés de machines.

« Aussi voit-on aujourd'hui des machines inventées en Angleterre qui ne trouvent leur emploi que dans l'Amérique du Nord. Pour la même raison, l'Allemagne aux XVI° et XVII° siècles, inventait des machines dont la Hollande seule se servait; et mainte invention française du XVIII° siècle n'était exploitée que par l'Angleterre. (...) Les Yankees ont inventé des machines pour casser et broyer les pierres. Les Anglais ne les emploient pas parce que le misérable qui exécute ce travail reçoit une si faible partie de ce qui lui est dû, que l'emploi de la machine enchérirait le produit pour le capitaliste. En Angleterre, on se sert encore, le long des canaux, de femmes au lieu de chevaux pour le halage, parce que les frais des chevaux et des machines sont des quantités données mathématiquement, tandis que ceux des femmes rejetées dans la lie de la population, échappent à tout calcul. Aussi c'est en Angleterre, le pays des machines, que la force humaine est prodiguée pour des bagatelles avec le plus de cynisme.»[3]

2 Machinisme et mouvement ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

La généralisation des machines a des effets contradictoires sur le mouvement ouvrier.

2.1 Mécanisation et travail des femmes et enfants[modifier | modifier le wikicode]

Selon beaucoup d'observateurs de la révolution industrielle, dont Marx, le développement du machinisme a rendu le besoin de force physique secondaire, et aurait donc facilité l'emploi de femmes et d'enfants par les capitalistes.[4]

2.2 Mécanisation et emplois[modifier | modifier le wikicode]

Une des premières déductions que les premiers contemporains du machinisme ont tirée, c'est que l'automatisation allait détruire les emplois. Cette idée a été avancée par des économistes comme Ricardo[5] ou Sismondi[6], dans des rapports d'inspection du travail au 19e siècle...[7] Mais la plupart des économistes classiques, qui se sont vite transformés en zélés défenseurs de l'ordre existant, ont avancé une fumeuse «théorie de la compensation», selon laquelle tout travailleur « libéré » par un progrès mécanique libèrerait dans le même temps un capital équivalent qui créerait donc un emploi ailleurs. Marx a démonté cette théorie.[8]

Cependant, la croissance économique créé des emplois, ce qui rend a priori l'équation indéterminée. Par exemple entre 1945 et 1970, l'impact de l’automation et de la robotisation sur l’emploi total a été pratiquement nul.

Par ailleurs, la mécanisation change qualitativement l'emploi. Elle a conduit d'une part à la chute de l'emploi agricole (exode rural et prolétarisation de la paysannerie), de la plupart de l'artisanat, à la transformation du type d'emploi dans le secondaire, et à l'essor du tertiaire.

2.3 Mécanisation et conditions de travail[modifier | modifier le wikicode]

Le machinisme utilisé par les capitalistes conduit au 19e siècle à l'essor de grandes usines où de nombreux ouvriers sont sous la domination de patrons qui organisent le travail dans le but du profit maximal. Par conséquent, les ouvriers/ouvrières sont forcé-e-s à s'adapter au rythme maximal, qui est celui de la machine. La classe ouvrière subit alors des cadences infernales, des conditions de travail pénibles du fait du bruit, des odeurs ou des vibrations. On peut en voir un aperçu dans le tableau que peint Engels en 1845 dans La condition de la classe laborieuse en Angleterre.[9] Marx analyse dans le Capital les facteurs qui font que le machinisme, utilisé par le capitalisme, pousse à l'allongement de la journée de travail et de l'intensité du travail. En particulier, une nouvelle machine donne un sur-profit au capitaliste, qui ne dure que le temps que cette technologie se généralise à la branche d'industrie : le capitaliste a donc intérêt à profiter au maximum de cette période.

À la fin du 19e siècle, la fatigue au travail devient plus largement un objet de recherche.

En plus de la quantité et du rythme de travail, la nature du travail est affectée. Si les premières manufactures ont simplement consisté à regrouper des artisans en un même lieu, la mécanisation a bouleversé les procès de production. L'ouvrier d'industrie a la plupart du temps été réduit à un rôle secondaire, devant apporter des pièces à la machine ou à préparer son travail. Par exemple une employée de Paris Chèque témoignait en 1977 :

« Maintenant, il y a l'automatisation et on a des tâches très partielles où on fait toujours la même chose. On a un superbe ordinateur, à qui on prépare un picotin très élaboré en pointant toutes sortes de trucs : il faut que ça soit fait d’une certaine façon, il faut qu’il y ait toutes les virgules, tous les petits zéros, tous les petits machins, c’est complètement crétin comme travail. Pour les filles, c’est à en perdre la tête. L’ordinateur digère ça et il ressort des choses qu’il faut pointer pendant des heures. On ne peut pas dire que ce soit très enrichissant. »[10]

Le taylorisme et le travail à la chaîne ont encore accentué ces phénomènes. Par conséquent la part de savoir-faire dans le travail a énormément diminué, avec dans beaucoup d'industrie du travail très parcellisé (chaque ouvrier exécutant une tâche routinière simple) et dépersonnalisé.

Cependant, certains observateurs soutiennent que des contre-tendances existent. Pierre Naville a relevé que le machinisme a aussi tendance à augmenter la technicité requise et donc la formation intellectuelle des travailleur·ses, ce qui peut avoir des effets émancipateurs.

Les machines sont la plupart du temps utilisées collectivement. Pour schématiser on pourrait dire que l'outil est le prolongement d'un humain, alors que les machines relèvent du travail humain collectif. Par conséquent cela introduit la nécessité de la coopération, et d'une discipline collective, un nouveau rapport au temps pour être synchrone...

2.4 Luddisme et acquis sociaux[modifier | modifier le wikicode]

Dès la fin du 18e siècle, 2 000 ouvriers normands détruisent une machine à filer le coton précocement introduite en France[11]. Cette destruction qui n'est pas un cas isolé traduit l'inquiétude des ouvriers face aux machines qui remplacent le travail de beaucoup d'entre eux. D'une manière générale, le progrès technique est d'abord très mal vécu par la population et par la classe ouvrière, ce qui a conduit à ce qu'on appelé le mouvement luddite.

Les luttes ouvrières n'ont pas infléchi la mécanisation, mais elles ont forcé les patrons à faire des concessions sur les conditions de travail, le temps de travail et les salaires.

Ainsi la mécanisation peut aussi rendre de nombreux travaux pénibles beaucoup plus faciles. Un docker témoigne par exemple :

« Moi, la mécanisation je suis pour, je t’assure que je préfère qu’il y ait une machine pour faire mon travail parce qu’autrement, le soir, tu sais, il n’y a pas besoin de me bercer, je suis mort de fatigue. Je suis sûr qu’il y a encore beaucoup de choses qui pourraient être mécanisées, ça permettrait d’alléger notre peine »[12]

3 Mécanisation dans les campagnes[modifier | modifier le wikicode]

La mécanisation des campagnes fut plus lente que celle des villes. Une hostilité aux machines y est bien plus ancrée. On peut trouver une critique dès 1789 du machinisme : « Peut-on douter que ces inventions n’aient d’abord les premières avili dans les campagnes les salaires de l’homme de peine ? »[13]

Un aperçu se trouve par exemple dans La Terre de Zola publié en 1887. Si les machines tractées par des chevaux sont communes au 19e siècle, ce n'est qu'à la fin de la Grande Guerre que les tracteurs deviennent un véritable marché.[14]

Ce frein s'explique par la contradiction entre le mode de vie paysan traditionnel et le travail agricole basé sur des machines. La ferme vivrière, familiale et de taille réduite est incompatible avec la mécanisation agricole, les coûts des tracteurs sont très élevés ainsi que leur entretien qui nécessite en plus un savoir-faire mécanique pour leur maintenance. Seules les très grandes exploitations peuvent se permettre le risque d'un tel investissement.

Seul l'exode rural et la disparition progressive des fermes paysannes au 19e et au 20e, en parallèle des rachats par les gros propriétaires qui conduisent à de grandes parcelles, va rendre rentable les tracteurs et faire progresser la mécanisation.

4 Point de vue marxiste[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Précurseurs[modifier | modifier le wikicode]

Au début du 19e siècle, on se penche de plus en plus sur la question du machinisme et de l'industrie moderne, et cela commence à impacter les réflexions « socialistes », jusqu'alors dominées par des formes de socialisme agraire. Marx et Engels se sont par exemple appuyés sur :

4.2 Chez Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Pour Karl Marx, la technique est un facteur de pénibilité et de concurrence quand elle est au service du capitalisme, mais elle serait un facteur décisif de transformation sociale et de progrès si elle était mise au service de la classe ouvrière.

« la machine, triomphe de l'homme sur les forces naturelles, devient entre les mains capitalistes l'instrument de l'asservissement de l'homme à ces mêmes forces; (...) moyen infaillible pour raccourcir le travail quotidien, elle le prolonge entre les mains capitalistes; (...) baguette magique pour augmenter la richesse du producteur, elle l'appauvrit entre les mains capitalistes »[8]

Dans certains de ses premiers écrits, Marx estime que la tendance au développement de l’automatisation par le capitalisme fait de plus en plus apparaître comme périmé les rapports d’exploitation capitalistes, en particulier dans le Fragment sur les machines, passage des Grundrisse. Le Fragment sur les machines a inspiré toute une littérature, notamment dans l'opéraïsme italien.

4.3 Évolutions[modifier | modifier le wikicode]

Parmi les marxistes, on trouve des discours différents sur la technique et la mécanisation. Certains vont insister sur une neutralité de la technique, d'autres sur un rôle plutôt positif ou plutôt négatif.[15]

La féministe radicale (influencée par le marxisme) Shulamith Firestone donnait une grande importance au développement technique (tout en pensant qu'il fallait une révolution pour en révéler les potentialités progressistes) :

« L’homme ne sera plus « celui qui gagne le pain quotidien » — personne n’aura besoin de le gagner puisque personne ne travaillera. La discrimination professionnelle perdra sa raison d’être dans une société où les machines feront le travail mieux que ne pourraient le faire les plus brillants êtres humains. Les machines joueront donc un rôle égalisateur, en faisant disparaître la société de classes fondée sur l’exploitation de la main-d’œuvre. »[16]

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Karl Marx, Théories sur la plus-value, publié à titre posthume par Kautsky en tant que livre 4 du Capital.
  2. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre XIV : Division du travail et manufacture, 1867
  3. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre XV : Machinisme et grande industrie, 1867
  4. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre XV - III -A : Appropriation des forces de travail supplémentaires. Travail des femmes et des enfants, 1867
  5. David Ricardo, Traité d’économie politique et de l’impôt, 1817
  6. J.S. Sismondi , Nouveaux principes d’économie politique, 1819
  7. Rapport sur la question de chômage, présenté au nom de la commission permanente du conseil supérieur du travail, Paris, Imprimerie nationale, 1896, pp. VIII et 323.
  8. 8,0 et 8,1 Karl Marx, Le Capital, Livre I, Quatrième section, XV - VI. Théorie de la compensation, 1867
  9. Friedrich Engels, La condition de la classe laborieuse en Angleterre, 1845
  10. Collectif Adret, Travailler 2h par jour - Paris-Chèques, 1977
  11. François Jarrige, Face au monstre mécanique. Une histoire des résistances à la technique, éditions Imho, collection « Radicaux libres », 2010
  12. Collectif Adret, Travailler 2h par jour - Docker à Saint-Nazaire, 1977
  13. Jean-François Lambert, Cahier des pauvres, 1789
  14. http://www.deere.com/en_US/compinfo/student/timeline_1900.html
  15. Maxime Durand, L'avenir radieux de la technique, Critique communiste, n° 32, juillet 1984
  16. Shulamith Firestone, La dialectique du sexe, 1970