Christianisme primitif

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Expansion du christianisme en 325 (bleu foncé) et 600.

Le christianisme primitif désigne le christianisme des premiers siècles, pendant son développement initial, à partir du Proche-Orient, de l'Europe méridionale et du pourtour méditerranéen.

A l'origine, les partisans de Jésus Christ sont seulement un courant messianique populaire juif comme il y en avait alors en grand nombre. Mais leur message (malgré sa diversité) a su attirer en nombre les couches sociales les plus populaires, qui avaient alors tendance à se radicaliser contre toutes formes d'élites, que ce soit les élites juives en Palestine ou l'occupant romain. Malgré (ou à cause) de sa persécution, le christianisme a connu une diffusion spectaculaire, notamment, au travers de l'Empire romain, jusqu'à finir par en devenir la religion officielle (4e siècle).

1 Origines[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Un messianisme juif[modifier | modifier le wikicode]

Une des plus anciennes représentations de Jésus de Nazareth (3e siècle)

Les origines du christianisme sont étudiées et débattues par diverses écoles d'historiens[1],[2]. Le mouvement créé par les disciples de Jésus de Nazareth naît au sein du judaïsme pluriel du 1er siècle, dans la mouvance de Jean le Baptiste en Galilée et plus généralement en Palestine[3],[4]. Avant de devenir la figure fondatrice du christianisme, Jesus fut un prophète juif réaffirmant l'importance du jubilé (Cf. Lc. 4, 16-21).

Il est difficile de dater précisément la séparation entre judaïsme et christianisme. Ni l'un ni l'autre ne sont réellement unifiés à cette époque.

À la fin du 1er siècle, le mouvement de Jésus est déjà divisé en au moins six courants différents : les jacobiens, les pétriniens, les hellénistes d'Étienne, les hellénistes de Barnabé, les pauliniens et les johanniens. Ces communautés divergent selon leur doctrine particulière, mais aussi selon leur emplacement géographique (Palestine ou diaspora) et leur langue (grecque ou araméenne).

Plusieurs courants du judaïsme du 1er siècle (sadducéens, esséniens) disparaissent en Judée après la destruction du Temple de Jérusalem, à partir de l'an 70. D'autres, comme les pharisiens, fusionnent petit à petit avec ceux de la Diaspora, notamment autour de l'école de Yavné (vers l'an 90), et cette évolution donne naissance au judaïsme rabbinique[5], qui condamne les hérésies des premiers chrétiens. De leur côté également les apologistes chrétiens (Irénée de Lyon, Tertullien...) désigneront les pratiques judaïsantes comme des hérésies.

Malgré cela, dans beaucoup d'endroits on observe des pratiques communes, longtemps après la formalisation officielle du christianisme, et malgré les condamnations mutuelles. La séparation effective, bien plus tard, peut être marquée : en Occident par le concile de Tolède de 589 qui interdit les processions communes avec les juifs ; en Orient, par la disparition des quartodécimans, au 9e siècle[6].

1.2 L'influence hellénique[modifier | modifier le wikicode]

Le poisson (ichthus), symbole des premiers chrétiens. En grec IΧΘΥΣ, est un acronyme pour « Ἰησοῦς Χριστὸς Θεοῦ Υἱὸς Σωτήρ » / « Iêsoûs Khristòs Theoû Huiòs Sôtếr » soit « Jésus-Christ, Fils de Dieu, [notre] Sauveur ».

La Palestine du 1er siècle était très hellénisée, notamment suite à la conquête d'Alexandre le Grand qui laissa en Judée-Samarie des rois grecs (Séleucides). L'influence des luttes de classes et des mythes utopistes grecs doit donc être prise en compte. La présence grecque divisait cependant les populations juives, comme le montre la révolte des Maccabées (entre -175 et -140). Il s'agit à la fois d'une révolte des Juifs pieux contre les Séleucides[7], et d'un conflit interne au peuple juif entre des traditionalistes et des Juifs hellénisants plus favorables au métissage culturel (qui lisaient la Bible en grec, ne pratiquaient plus la circoncision...).

L’idée du Roi « sauveur » (« Sôtếr », un qualificatif que plusieurs rois de l'Antiquité ont porté) était aussi répandue parmi les misérables de Palestine que dans les autres provinces orientales de l’Empire romain. Et c’est comme « roi des juifs » que Jésus fut crucifié.

1.3 Formalisation du Nouveau Testament[modifier | modifier le wikicode]

Les dates de rédaction du Nouveau Testament sont connues : entre les années 50 pour les premières Épîtres de Paul et les années 95-110 pour l'Évangile selon Jean. Dans l'intervalle, les Évangiles synoptiques (Marc, Matthieu et Luc), écrits vers 65-85, ont utilisé des traditions orales ainsi que des documents qui ont déjà circulé.

Le mot khristianoï est attesté dès les années 40 à Antioche, où vit l'une des premières communautés chrétiennes et d'où vient probablement l'Évangile selon Matthieu, une quarantaine d'années plus tard.

1.4 Diffusion rapide[modifier | modifier le wikicode]

Il s'y développe dès les années 40, mais aussi chez les Juifs de langue grecque (les « hellénistes »), notamment dans la Diaspora. Peu après, il en va de même dans différents groupes de la société gréco-romaine qui ne sont pas juifs (appelés les païens). Alors que le judaïsme n’apparaît pas comme prosélyte, ce développement rapide résulte probablement de missions confiées à des apôtres, dont les disciples directs de Jésus. Bien que l'on dispose de moins de sources, les mêmes missions semblent se développer dans la totalité de l'espace araméophone, en particulier à l'est du Jourdain.

Il a souvent été souligné que le prosélytisme chrétien a été facilité par le fait que son message se voulait plus universel, celui-ci ne mettant plus en avant la notion défensive de « peuple élu ».

2 Caractéristiques des premiers chrétiens[modifier | modifier le wikicode]

Une « Église » est initialement une communauté de chrétiens (du grec ancien ekklesia, assemblée du peuple). Au début du christianisme, les fidèles suivent un maître, un peu selon le modèle des écoles pharisiennes[8]. Mais « l'Église primitive » n'existe pas encore de façon unifiée. Elle naîtra d'un long processus, de reconnaissance réciproque entre chrétiens face au rejet des autorités juives, aux persécutions romaines, puis à l'imposition plus ou moins forcée d'un dogme par le clergé devenu dominant.

2.1 Égalitarisme[modifier | modifier le wikicode]

Le christianisme des origines comportait un fort message social, qui lui a valu un grand succès prosélyte. Il attirait d’abord les pauvres, les femmes, les jeunes, les esclaves.

La plupart des sectes chrétiennes aux 3e, 4e et 5e siècle prônaient le retour à la communauté des biens. Cyprien de Carthage a prononcé de nombreux prêches en faveur du partage égalitaire des biens.

Jean Chrysostome fut le premier à dire « La propriété, c'est le vol. »

Saint Augustin (354-430) symbolise assez bien l'assagissement des intellectuels chrétiens à mesure que l’Église s'institutionnalisait. Il a d'abord pensé que l'origine de toute violence était la propriété privée, avant de revenir sur cette idée.

Basile de Césarée écrit dans une homélie sur l'avarice au 4e siècle : « Comment s’enrichissent les possédants, sinon en accaparant les choses qui appartiennent à tous ? Si chacun ne prenait que selon ses besoins, laissant le reste aux autres, il n’y aurait ni riches ni pauvres ».

Même dans les Évangiles canoniques (qui ont été sélectionnés au 4e siècle par le clergé, donc bien après la ferveur initiale) contiennent des passages qui ont servi d'appui aux courants égalitaristes, comme le sermon sur la montagne.

« Tous les croyants sont unis et ils mettent en commun tout ce qu’ils ont. Ils vendent leurs propriétés et leurs objets de valeur, ils partagent l’argent entre tous, et chacun reçoit ce qui lui est nécessaire. Chaque jour, d’un seul cœur, ils se réunissent fidèlement dans le temple. Ils partagent le pain dans leurs maisons, ils mangent leur nourriture avec joie et avec un cœur simple »

(Actes des Apôtres 2, 43-46)

« Personne ne dit : « Cela, c’est à moi ! », mais ils mettent tout en commun. […] Parmi eux, personne ne manque de rien. En effet, tous ceux qui ont des champs ou des maisons les vendent, ils apportent l’argent de ce qu’ils ont vendu et ils le donnent aux apôtres. Ensuite, on distribue l’argent, et chacun reçoit ce qui lui est nécessaire. Il y a ainsi un certain Joseph, un lévite né à Chypre. Les apôtres l’appellent Barnabas, ce qui veut dire « l’homme qui encourage ». Il a un champ, il le vend, il apporte l’argent et le donne aux apôtres »

(Actes des Apôtres 4, 32-37)

Barnabé disait :

« Tu ne parleras jamais de ta propriété, car si tu jouis en commun de tes biens spirituels, d'autant plus faut-il jouir en commun de tes biens matériels. »

Ou encore dans l'Épître aux Galates, Paul dit:

« Quant à ceux qui étaient considérés comme des gens importants – ce qu'ils étaient autrefois m'est bien égal : Dieu n'est pas partial ! – ces gens considérés ne m'ont rien imposé. »[9]

Le morceau « Dieu n'est pas partial ! » a eu beaucoup de popularité, sous diverses traductions : « Dieu ne fait pas de favoritisme ! »[10], « Dieu ne fait point acception des personnes »[11], « Dieu ne juge pas sur les apparences »[12].

Si tous ces éléments de critique sociale ont pu soutenir l'idée de réformer la société tout entière, c'est finalement la vision d'une doctrine à appliquer « entre chrétiens » (beaucoup des premiers chrétiens essayaient de reproduire des micro-communautés idéales, comme le feront plus tard beaucoup de socialistes utopiques), et qui se réduira, plus tard, à l'idéal entretenu dans les communautés monastiques.

2.2 Entre rébellion et soumission[modifier | modifier le wikicode]

Des épisodes célèbres du Nouveau Testament sont de nature à inciter à la désobéissance civile, voire à l'action militante (Jésus chassant les marchands du temple...).

Cependant, ce qui a vite dominé dans les écrits chrétiens retenus comme canoniques, c'est le prêche de la soumission. Les rédacteurs du Nouveau Testament ont pris soin d’atténuer le caractère révolutionnaire du premier christianisme. Plus que l’opprobre jeté sur les riches, c’est la soumission volontaire des pauvres et des esclaves à leur destin qui était prêchée par les Pères de l’Eglise. Point n’était besoin de se révolter, puisque le royaume du Christ n’était pas de ce monde :

« Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attirent la condamnation sur eux-mêmes... C’est encore la raison pour laquelle vous payez des impôts : ceux qui les perçoivent sont chargés par Dieu de s’appliquer à cet office. Rendez à chacun ce qui lui est dû : l’impôt, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez» (Epître aux Romains, XIII, 1-7).

« Pour nous notre cité se trouve dans les cieux, d’où nous attendons ardemment comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transfigurera notre corps de misère pour le rendre semblable à son corps de gloire, avec cette force qu’il a de pouvoir se soumettre tout l’univers » (Epître aux Philippiens, III, 20-21).

Néanmoins, même s'ils étaient retenus par leur position de faiblesse, et consolés par l'idée que le bonheur serait dans l'au-delà, les premiers chrétiens se sentaient poussés par une force irrésistible à toujours diffuser le message, la bonne nouvelle (évangile).

Le prosélytisme entre humbles gens, qui se répandait comme un murmure, transparaît dans la critique du Discours vrai contre les chrétiens (env. 178) de Celse :

« On y voit des cardeurs de laine, des cordonniers, des foulons, des gens de la dernière ignorance et dénués de toute éducation qui, en présence de leurs maîtres, hommes d’expérience et de jugement, ont bien garde d’ouvrir la bouche; mais surprennent-ils en particulier les enfants de la maison ou des femmes qui n’ont pas plus de raison qu’eux-mêmes, ils se mettent à leur débiter des merveilles. C’est eux seuls qu’il faut croire : le père, les précepteurs, sont des gens qui ignorent le vrai bien et sont incapables de l'enseigner. Eux seuls savent comment il faut vivre... » (trad. L. Rougier, J.-J. Pauvert édit., 1964).

3 Rapport à l'Empire romain[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Persécution[modifier | modifier le wikicode]

Le sénatus-consulte de l'an 35, à Rome[13],[14] établissait le christianisme comme superstitio illicita (« religion interdite »).

Tant que le christianisme fut persécuté dans l’Empire romain, il conserva, dans certaines limites, un caractère populaire.

Et malgré, ou à cause, des persécutions, le christianisme se répandait comme un traînée de poudre dans l'Empire romain et au-delà.

Puis, dans un retournement historique, l'empereur Constantin se convertit (vers 337) et le christianisme devient rapidement la religion de l’aristocratie romaine, puis la religion officielle de l'Empire.

3.2 Institutionnalisation[modifier | modifier le wikicode]

L'empereur Constantin (au centre), avec les évêques du concile de Nicée (325).

L'élaboration de la doctrine chrétienne correspond à une institutionnalisation sous la férule des empereurs, de Constantin à Justinien.[15]

Pour Saint Augustin, comme pour beaucoup de théologiens catholiques après lui, chercher à établir avec des moyens humains un nouvel Eden, un nouveau paradis terrestre sur Terre relève d"un orgueil prométhéen, inspiré du Diable. Et même au paradis, il y aura une hiérarchie :

"II y aura des degrés, [...] cela n'est pas douteux [....] Ceux d'un rang inférieur ne porteront aucune envie aux autres, de même que maintenant les autres anges ne sont pas jaloux des archanges [...] Ainsi, chacun possédera son propre don, l'un plus grand, l'autre plus petit, et aussi le don de ne rien vouloir de plus"  (Augustin d'Hippone, La Cité de Dieu, XXII, 30).

C’est désormais dans les hérésies que devait se réfugier le caractère révolutionnaire du christianisme. Celles qui devaient attirer les misérables avaient en commun le caractère de dénoncer la collusion de l’Eglise avec le pouvoir politique, de souhaiter un retour au christianisme primitif, religion des pauvres et des saints.

3.3 Donatisme[modifier | modifier le wikicode]

Le donatisme africain des derniers siècles de l’Empire romain semble avoir été la dernière hérésie à caractère social avant la stabilisation du christianisme comme religion dominante.[16]

Le donatisme a pendant plus d’un siècle coupé l’Eglise africaine en deux Eglises rivales. Il est né du refus de certains évêques numides de reconnaître la validité de l’élection en 312 du nouvel évêque de Carthage, Cécilien, qui avait été ordonné par un traditor, c’est-à-dire un de ces prélats qui au temps de la persécution de Dioclétien avait accepté de remettre les Livres saints entre les mains des autorités romaines. Très vite le mouvement s’étendit et une Eglise donatiste (du nom de Donat, contre-évêque de Carthage) se développa à côté de l’Eglise officielle. Mais ce qui ici nous importe, ce n’est pas tant le caractère rigoriste du donatisme, mais plutôt l’écho qu’il rencontra dans les couches les plus misérables de la population de l’Afrique du Nord romaine, en particulier parmi ces circoncellions, ouvriers agricoles misérables qui à plusieurs reprises n’hésitèrent pas à prendre les armes, non seulement contre les représentants du pouvoir impérial, mais aussi contre les grands propriétaires romains. C’est autour de 340 que le mouvement atteignit sa plus grande ampleur :

« Lorsque ces individus, écrit l’évêque Optat de Milev, ... vagabondaient de lieux en lieux et qu’Axido et Fasir se faisaient donner par ces misérables le nom de chefs des saints, personne ne pouvait être tranquille au sujet de ses propriétés. Les reconnaissances de dettes n’avaient plus aucune valeur, aucun créancier ne pouvait alors exiger le paiement de ce qui lui était dû. Tout le monde était frappé de terreur par les lettres de ceux qui se vantaient d’être les chefs des saints; et si l’on tardait à obéir à leurs injonctions, une bande en délire s’abattait soudain et, précédée par la terreur qu’elle inspirait, environnait de dangers les créanciers. Aussi ceux qu’on aurait dû prier en raison de leurs prêts étaient contraints, par la crainte de la mort, à s’humilier au rôle de suppliants. Chacun se hâtait de renoncer aux dettes, même les plus importantes, et l’on comptait comme un gain d’avoir échappé à leurs coups. Les routes non plus n’étaient pas sûres : des maîtres, jetés à bas de leur voiture, coururent comme des esclaves devant leurs propres valets assis à la place des maîtres. Sur leur décision et leur ordre, la situation était renversée entre les maîtres et les esclaves. »

Cette dernière phrase est importante car elle montre bien les limites du mouvement des circoncellions. Il s’agissait d’une vaste Saturnale plus que d’une idéologie anti-esclavagiste. Et si l’on peut admettre qu’une complète égalité régnait entre les circoncellions révoltés, on ne voit pas qu’elle ait débouché sur un quelconque désir d’une organisation nouvelle de la société. Brimades immédiates et rigorisme religieux dans l’espoir d’une béatitude future allaient de pair, mais le royaume de Dieu n’était pas de ce monde. Ajoutons que la plupart des évêques donatistes ne voyaient pas toujours d’un très bon œil les alliés redoutables sur lesquels il leur fallait parfois s’appuyer, et ne songeaient pas à mettre la doctrine chrétienne au service d’une révolution.

3.4 Chute de l'Empire[modifier | modifier le wikicode]

Au sein de l’Eglise officielle, il en était qui attendaient l’avènement du royaume de Dieu d’une destruction de l’ordre existant. Ceux-là saluèrent la ruée des Barbares sur le monde romain comme un signe avant-coureur du salut : ainsi le moine Salvien (5e siècle) qui du fond de son monastère de Lérins lançait l’anathème contre le monde corrompu et appelait de ses vœux les Barbares destructeurs.

4 Christianisme primitif et socialisme[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Christianisme social.

Comme le notait Friedrich Engels, l'élan émancipateur du christianisme primitif (même s'il est né dans un contexte très différent du 19e siècle[17]) a longtemps inspiré les mouvements ultérieurs, jusqu'au mouvement ouvrier :

« L’histoire du christianisme primitif offre de curieux points de contacts avec le mouvement ouvrier moderne.

Comme celui-ci, le christianisme était à l’origine le mouvement des opprimés. Il apparut tout d’abord comme la religion des esclaves et des affranchis, des pauvres et des hommes privés de droits, des peuples subjugués ou dispersés par Rome. Tous deux, le christianisme aussi bien que le socialisme ouvrier, prêchent une délivrance prochaine de la servitude et de la misère (…).

Déjà au moyen-âge le parallélisme des deux phénomènes s’impose lors des premiers soulèvements de paysans opprimés, et notamment, des plébéiens des villes. Ces soulèvements, ainsi, que tous les mouvements des masses au moyen-âge portèrent nécessairement un masque religieux, apparaissaient comme des restaurations du christianisme primitif à la suite d’une corruption envahissante, mais derrière l’exaltation religieuse se cachaient régulièrement de très positifs intérêts mondains.

Cela ressortait d’une manière grandiose dans l’organisation des Taborites de Bohème sous Jean Zizka, de glorieuse mémoire ; mais ce trait persiste à travers tout le moyen-âge, jusqu’à ce qu’il disparaît petit à petit, après la guerre des paysans en Allemagne, pour reparaître chez les ouvriers communistes après 1830.

Les communistes révolutionnaires français, de même que Weitling et ses adhérents, se réclamèrent du christianisme primitif, bien longtemps avant que Renan ait dit : "Si vous voulez vous faire une idée des premières communautés chrétiennes, regardez une section locale de l’Association internationale des travailleurs". »[18]

Avant cela, Engels avait écrit, en 1882, un texte intitulé Bruno Bauer et le christianisme primitif, où il suggérait que la religion chrétienne naissante avait recruté ses premiers adeptes parmi les esclaves romains. En remplaçant les différentes religions païennes locales détruites par l'Empire, et en réformant le judaïsme (abandon de l'idée de peuple élu, des interdits alimentaires...), le christianisme s'est présenté comme une religion universelle.

Dans Contributions à l'Histoire du Christianisme primitif, Engels formule une analyse sociologique plus nuancée des premiers chrétiens : Engels y  écrit que le christianisme primitif recrute non seulement parmi les esclaves, mais aussi parmi les hommes libres déchus des villes, les affranchis et les petits paysans criblés de dettes. Comme il n'existait pas de voie d'émancipation commune pour des gens si divers, seule la religion a pu leur offrir un rêve commun, un espoir commun.

L'intérêt d'Engels pour le christianisme primitif vient aussi de deux facteurs politiques contemporains :

1. La mémoire du christianisme primitif reste présente dans les mouvements révolutionnaires, des hérésies médiévales aux premiers mouvements communistes allemands (Wilhelm Weitling), en passant par la guerre des paysans du 17e s.

2. Engels constate un parallélisme structurel entre christianisme primitif et mouvements socialistes contemporains : dans les deux cas il s'agit de mouvements de masses opprimées, qui proposent une libération imminente de l'esclavage et de la détresse. La différence essentielle tient à ce que les socialistes se battent pour une libération immanente, dans le monde et dans la vie, alors que les premiers chrétiens envisagent la délivrance dans l'au-delà. Mais même cette différence n'est pas toujours aussi tranchée qu'il y paraît : Thomas Münzer, le grand dirigeant de la guerre des paysans allemands du 16e s., voulait faire advenir le royaume de Dieu sur terre.

D'autres auteurs ont souligné les liens possibles de parenté entre socialisme et courants radicaux du christianisme, comme Henri de Lubac, Henri Desroche...

5 Chronologie du christianisme ancien[modifier | modifier le wikicode]

6 Notes et source[modifier | modifier le wikicode]

  1. Ohlig, Karl-Heinz (dir), Christologie (2 tomes). Tome 1 : Des origines à l'Antiquité tardive, textes en main, Cerf, 1996.
  2. Ohlig, Karl-Heinz (dir), Christologie, I, Des origines à l'antiquité tardive, Cerf, 1996.
  3. Geza Vermes, Christian Beginnings: From Nazareth to Nicaea, Yale University Press, États-Unis, 2013, p. 134
  4. Everett Ferguson, Encyclopedia of Early Christianity, Routledge, États-Unis, 2013, p. 254
  5. Dan Jaffé, Le Judaïsme à l'aube de l'ère chrétienne, Cerf.
  6. Jean Anderfuhren, Pour relancer l'œcuménisme: réflexions actuelles sur les schismes d'avant Luther, Labor et Fides, 1999.
  7. Voir plus de détails dans la domination grecque, 332 à 142 avant l'ère commune.
  8. Marie-Émile Boismard, À l'aube du christianisme, avant la naissance des dogmes, Cerf, 1998.
  9. Bible.com, Galates 2.6 (Nouvelle Bible Segond)
  10. Bible.com, Galates 2.6 (Bible du Semeur 2015)
  11. Bible.com, Galates 2.6 (Bible catholique Crampon 1923)
  12. Bible.com, Galates 2.6 (La bible expliquée 2004)
  13. (it) Marta Sordi et Ilaria Ramelli, « IL SENATOCONSULTO DEL 35 CONTRO I CRISTIANI IN UN FRAMMENTO PORFIRIANO », Aevum, vol. 78,‎ , p. 59-67 (lire en ligne).
  14. « « Supertitio illicita »: le christianisme condamné dès l’an 35 », sur eecho.fr (consulté le 28 septembre 2015).
  15. Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Paris, Albin Michel, 2007, recension.
  16. Jacques Droz, Histoire générale du socialisme. Tome 1 : des origines à 1875, Première publication en 1972
  17. Michael Löwy, Opium du peuple ? Marxisme critique et religion, Contretemps.eu, 7 février 2010
  18. Engels, Contributions à l’Histoire du Christianisme primitif, 1894