Étienne-Gabriel Morelly
Étienne-Gabriel Morelly (né vers 1717 à Vitry-le-François et mort à une date inconnue, probablement en 1778 ou en 1782[réf. nécessaire]) est un philosophe français de l'époque des Lumières. Il est un précurseur oublié du communisme utopique, mais qui eut une influence sur son époque, notamment sur Babeuf.
1 Biographie[modifier | modifier le wikicode]
Morelly est le « philosophe oublié » des Lumières. Par le peu d’écrits qu’il a laissés (hormis le Code de la Nature, publié en 1755[1] et l’incertitude concernant sa véritable identité (on a souvent dit que Denis Diderot et Morelly seraient une même personne, et le Code de la Nature fut attribué à Diderot jusqu’au début du 20e siècle), son existence et sa pensée sont mal connues.
Pourtant, il semble bien que Morelly soit un philosophe à part entière au sens où il serait le premier à avoir développé une philosophie du socialisme, voire du communisme.
Selon la préface du Code de la Nature qui s'y réfère comme à son livre précurseur, c'est à Morelly qu'on doit un autre ouvrage anonyme célèbre : la Basiliade, épopée utopique parue deux ans plus tôt et dans laquelle Lichtenberger voit « la plus importante utopie socialiste du 18e siècle ».
2 Influence[modifier | modifier le wikicode]
Les œuvres de Morelly eurent une grande influence, bien que le nom de l'auteur soit resté dans l'oubli. De par ses idées radicales, il choqua ses contemporains. Raynal juge le Code de la nature sans suite, « ni méthodes, ni vues », plein de sophismes et de déclamations. La Harpe qualifiait son idée communiste de « folle hypothèse d’un cerveau malade ».
Mais ironiquement le fait que ce livre ait été attribué à Diderot a probablement contribué à ce qu'il soit lu. Gracchus Babeuf, citant de longs passages du Code de la nature, vantait son auteur : « le plus déterminé, le plus intrépide, j’ai presque dit le plus fougueux athlète du système ». Mais Babeuf pensait qu'il s'agissait de Diderot.
3 Œuvres[modifier | modifier le wikicode]
3.1 La Basiliade[modifier | modifier le wikicode]
L’ouvrage Naufrage des îles flottantes ou Basiliade du célèbre Pilpai, parut en 1753.
« Poème héroïque, traduit de l’indien », allégorie froide et laborieuse, la Basiliade constitue l’une des plus importantes utopies du siècle des Lumières. Entreprenant de défendre son poème au début du Code de la nature, Morelly déclarait avoir voulu, pour mieux les faire admettre, parer la vérité « de toutes les grâces de l’épopée ». Car, « tel est le déplorable état de la raison qu’il faut faire mille efforts, user de mille stratagèmes pour déchirer le bandeau qui l’aveugle et lui faire tourner les yeux vers les vrais intérêts de l’humanité ». Le titre du poème a pu être suggéré à Morelly par un roman allégorique de l’anglais Richard Head, The floating island (1673), plus vraisemblablement par un passage des Voyages de Gulliver (1726), où l’on voit le roi de Laputa habiter dans une île volante ou flottante, flying or floating island. Quant aux sources véritables, Morelly s’est peut-être inspiré de la description du système de gouvernement des Incas par l’« Inca » Garcilasso de la Vega dans ses Commentaires royaux parus à Madrid en 1608 et 1617, traduits en français dès 1633, traduction dont une troisième édition avait été procurée en 1727. Plus certainement, Morelly a connu l’Histoire des Sévarambes et l’Utopie de Thomas More.
86Au centre d’une vaste mer, un continent si fertile et riche, où la nature prodigue ses bienfaits, à des hommes innocents et heureux. « La propriété, mère de tous les crimes qui inondent le reste du monde, leur était inconnue : ils regardaient la terre comme une nourrice commune qui présente indistinctement le sein à celui de ses enfants qui se sent pressé par la faim ; tous se croyaient obligés de contribuer à la rendre fertile ; mais personne ne disait : voici mon champ, mon bœuf, ma demeure. » Morelly dénonce « le principe ou faux ou mal entendu de la plupart des moralistes qui ont fourré leur cuique suum partout où il ne devrait y avoir ni tien ni mien ».
Dans une note étendue, Morelly expliquait le plan de la communauté qu’il préconisait, précurseur du phalanstère de Fourier.
« Mille hommes ou tel nombre que l’on voudra, de tous métiers et de toutes professions, se trouvent habitants d’une terre suffisante pour les nourrir. Ils conviennent entre eux que tout sera commun... Tous ensemble cultivent les terres, ramassent, serrent les moissons et les fruits dans un même magasin. Dans l’intervalle de ces opérations, chacun travaille de sa profession particulière. Il y a un nombre suffisant d’ouvriers, soit pour façonner et préparer les productions de la terre, soit pour fabriquer tous meubles et ustensiles de différente espèce. Le corps d’ouvriers pourvus par le public d’outils et de matière comme de subsistance, ne s’embarrasse que de la quantité de ce qu’ils doivent fournir pour que personne ne manque de rien ; et cette quantité est également distribuée entre les membres de ce corps. Les ouvrages de l’art, comme toute autre provision, sont mis en magasin commun. »
En conséquence, « il y a une réciprocité de service qui n’est jamais interrompue », un travail modéré de chacun suffit à tout produire ; « quoique tout soit commun, rien ne se prodigue, parce que personne n’a intérêt à prendre plus que le nécessaire, quand il est assuré de le trouver toujours ; car que ferait-il du superflu, où rien n’est vénal ? »... « Ajoutons qu’un tel arrangement couperait racine à une infinité de vices. » Après cette esquisse d’une société idéale, Morelly en venait à la critique de la civilisation.
3.2 Le Code de la nature[modifier | modifier le wikicode]
Le « Code de la nature ou le véritable esprit de ses lois, de tout temps négligé ou méconnu, partout chez le vrai sage » est publié sans nom d’auteur en 1755.
Son point de vue est essentiellement moral. Il s’agit de montrer l’origine des maux et des crimes, de souligner les contradictions de la morale et de la politique vulgaires avec les leçons de « la nature ». Morelly s'appuie sur le mythe de l'âge d'or, et comme Rousseau, sur l'idée que les vices humains sont non pas dans la nature de l'homme, mais dans de mauvaises lois.
La base et le véhicule de tous les vices, de même que la plupart de nos vertus sophistiquées, c’est « ce subtil et pernicieux élément, le désir d’avoir ». Or, « cette peste universelle, l’intérêt particulier, cette fièvre lente, cette éthisie de toute société aurait-elle pu prendre où elle n’eût jamais trouvé non seulement d’aliment, mais le moindre ferment dangereux ? Je crois qu’on ne contestera pas l’évidence de cette proposition : que là où il n’existerait aucune propriété, il ne peut exister aucune de ses pernicieuses conséquences ». La probité naturelle aurait subsisté ; exempt de la crainte de la pauvreté, l’homme n’eût eu en vue que le bien commun dont le sien découlait. « Aucune crainte de manquer de secours, ni des choses nécessaires ou utiles, n’eût excité des désirs démesurés. Toute idée de propriété sagement écartée, toute rivalité prévenue ou bannie de l’usage des biens communs, aurait-il été possible que l’homme eût pensé à ravir, ou par force ou par ruse, ce qui ne lui eût jamais été disputé ? »
« Ces lois... en établissant un partage monstrueux des productions de la terre et des éléments mêmes, en divisant ce qui devait rester dans son entier ou y être remis, si quelque accident l’avait divisé, ont aidé et favorisé la ruine de toute sociabilité... J’ose ici conclure qu’il est presque mathématiquement démontré que tout partage égal ou inégal des biens, toute propriété particulière de ces portions sont dans toute société ce que Horace appelle summi materiam mali. » Et de conclure : « Vous n’avez point coupé racine à la propriété, vous n’avez rien fait. » Au contraire, mettez les biens en commun, « vous aurez pour toujours fixé le sort heureux d’une nation », et dès lors, peu importe la forme de son gouvernement.
Par conséquent, il propose une refonte totale de l'organisation sociale, ce en quoi il est le plus radical de son temps. Les « trois lois fondamentales et sacrées qui couperaient racine aux vices et à tous les maux d’une société » :
- abolition de la propriété privée
- système étatique organisant l’éducation, l’assistance et la solidarité
- système de magasins publics gratuits dans lesquels chacun apporte ce qu'il peut et repart avec ce qu'il veut
Cependant, on retrouve dans le plan d'organisation l'aspect très régenté et trop précis typique des utopies :
A dix ans, tout citoyen commencera d’étudier la profession qui lui plaira ; il sera marié à 15 ou 18 ans ; de 20 à 25 ans, il sera agriculteur ; à 26 ans, il sera maître dans sa profession s’il la reprend. Le célibat sera autorisé à 40 ans seulement. Les enfants dès l’âge de 5 ans seront élevés dans une maison commune sous la surveillance des pères et mères de famille. A 10 ans, ils quitteront cette maison pour les ateliers, sous la direction des maîtres des métiers. A l’époque de leur mariage, vers 15 ou 16 ans, ils retourneront dans la maison paternelle et exerceront leur profession jusqu’à ce qu’ayant atteint l’âge d’être agriculteurs, ils aillent demeurer dans les maisons réservées à cette profession.
Parmi les points novateurs à souligner :
- la centralité de l'abolition de la propriété privée, condition première du bonheur social ;
- la division de la société en « classes de travail » ;
- l’idée d’un « travail libre » à partir de 40 ans (sorte de retraite) ;
- la direction collégiale du pouvoir ;
- l'optimisme dans une société d'abondance auto-régulée, permettant le principe du travail en commun et de la prise au tas. Ainsi, même s'il ne la formule pas exactement avec ces mots, Morelly est vraiment le précurseur de la maxime « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses œuvres ».
3.3 Liste[modifier | modifier le wikicode]
D'après le catalogue général de la BNF.
- Essai sur l'esprit humain, ou Principes naturels de l'éducation in-12 de XXVI et 370 pages, Paris, Delespine, 1743.
- Essai sur le cœur humain ou Principes naturels de l'éducation, in-12, de XLVIII et 312 pages, Paris, Delespine, 1745 ;
- Physique de la beauté ou Pouvoir naturel de ses charmes, 1748 (rééd. : 2017, éditions Laborintus, Lille-Parîs, préface de Simone Mazauric, (ISBN 979-10-94464-16-8).
- Le Prince, les délices des cœurs ou Traité des qualités d'un grand roi, et système général d'un sage gouvernement, 2 vol. in-8°, Amsterdam, 1751
- Naufrage des isles flottantes, ou Basiliade du célèbre Pilpai, 1753.
- Code de la nature, ou Le véritable esprit de ses lois de tout temps négligé ou méconnu, 1755 ; édition critique de Stéphanie Roza, éditions la ville brûle, 2011 (ISBN 978-2-36012-014-7).
- Lettres de Louis XIV aux princes de l'Europe, à ses généraux, recueillies par M. Rose secrétaire du Cabinet avec des remarques historiques de M. Morelly, Edimbourg, 1755
- L'Hymen vengé en cinq chants, suivi de la traduction libre en vers françois, de Médée, tragédie de Sénèque, et de quelques pièces fugitives, in-8° de 240 pages, Londres/Paris, 1778.
4 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes : Encyclopædia Britannica, Encyclopædia Universalis.
- Version en ligne du Code de la Nature sur taieb.net
- Notice établie par Paulette Taieb sur l’« énigme Morelly »
- Catalogue en ligne Catalogue des éditions Coda, consulté le , p. 3.
- Jean Touchard, Histoire des idées politiques, tome 2, PUF, 1958.
- Guy Antonetti, « Étienne-Gabriel Morelly : l’homme et sa famille », Revue d’histoire littéraire de la France, n° 3, mai-, p. 390-402.
- Guy Antonetti, « Étienne-Gabriel Morelly : l’homme et ses protecteurs », Revue d’histoire littéraire de la France, n° 1, janvier-, p. 19-52.
- Charles Rihs, Les philosophes utopistes. Le mythe de la cité communautaire en France au XVIIIe siècle, Paris, Marcel Rivière, 1970, 414 p.
- Nicolas Wagner, Morelly, le méconnu des Lumières, Paris, Klincksieck, 1978, 408 p., (ISBN 978-2-25202-078-4).
- André Lichtenberger, Le socialisme utopique, étude sur quelques précurseurs inconnus du socialisme, Paris 1898
- Claude Mazauric, « Étienne-Gabriel Morelly, Code de la nature, édition critique par Stéphanie Roza », Annales historiques de la Révolution française, juillet-septembre 2012 (lire en ligne)
- Stéphanie Roza, « Comment l’utopie est devenue un programme politique : Morelly, Mably, Babeuf, un débat avec Rousseau », Annales historiques de la Révolution française, no 378, , p. 111–118 (ISSN 0003-4436, lire en ligne)
5 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Etienne-Gabriel Morelly (préf. François Villegardelle), Code de la Nature, Paul Masgana, (lire en ligne)