Utopia

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Carte de l'île d'Utopie gravée pour la première édition (1516)

L'Utopie est un livre de Thomas More, écrit en 1516. Ce grand humaniste y expose sa vision d'une société harmonieuse, qui contient en creux de vives critiques de la société moderne. Il est un des penseurs qui ont contribué à l'émergence, ultérieure, du socialisme moderne.

More a par là même créé le terme d'utopie.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Thomas More était un homme important : juriste, magistrat, homme de loi et homme d'affaires, fortement établi dans la haute société anglaise, membre du Conseil privé du Roi, trésorier de la Couronne, archevêque de Canterbury, enfin chancelier d'Angleterre.

More était sensible au problème de la pauvreté qui s'accroissait. Pour lui elle était due à la fois au fait qu'il y avait trop de nobles et de religieux oisifs d'un côté, et de l'autre au développement des manufactures et de la grande propriété agricole et des enclosures. Pour autant More ne souhaite en aucun cas une révolution, et ne compte pas sur l'action des pauvres.

En 1516, il écrit L'Utopie, « une bagatelle littéraire échappée presque à l'insu de ma plume », il cherche à exposer ses vues sur la meilleure société possible.

Mais il était attaché au catholicisme au point de refuser la rupture du roi Henri VIII avec le pape (qui fonde alors l'église anglicane). En 1535, il fut jugé pour haute trahison et décapité. Il fut élevé au grade de Saint dans les années 1930.

2 L'Utopie[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Prétexte narratif[modifier | modifier le wikicode]

Dans ce livre, More se propose de relater le "discours du très excellent homme Raphaël Hithloday sur la meilleure constitution d'une république" sur l'île d'Utopie. C'est un pays de nulle part : une île fortifiée née du naufrage d’un navire romain trois siècles avant J.-C. Utopie est ainsi (étymologiquement aussi) une île grâce à laquelle More peut exposer librement sa vision d'une société communautaire harmonieuse.

2.2 Aspects progressistes[modifier | modifier le wikicode]

2.2.1 Critique de l'Angleterre[modifier | modifier le wikicode]

En apparence, tous les noms de lieux données par More surjouent la fantaisie de par leur signification étymologique : utopie signifiant « nulle part », Amaurote étant une « ville fantôme », Anydris le « fleuve sans eau », Ademus « le prince sans peuple », les Alaopites les « citoyens sans cité », etc. Mais il n’est pas difficile de savoir que c’était bien l’Angleterre qui était visée : l’île est en effet divisée en 54 cités, comme l’Angleterre en 54 comtés, la capitale est située sur un fleuve traversé par un pont fameux, les maisons sont allongées régulièrement et toutes de la même forme...

2.2.2 Égalitarisme[modifier | modifier le wikicode]

Thomas More imagine une organisation sociale en opposition franche avec celle qu'il connaît, et proche des idées socialistes sur bien des points : l'argent est aboli, le travail réparti et limité au nécessaire, les richesses partagées, les citoyens disposent d'une relative abondance et de temps libre, d'une éducation libre et gratuite à tout âge... La société y est régie par un système politique démocratique avec des sénateurs élus et la propriété privée n’y existe pas.

« En Utopie, l'on ne se sert jamais d'espèces monnayées dans les transactions mutuelles. [...] L'or et l'argent n'ont pas, en ce pays, plus de valeur que celle que la nature leur a donnée." "Il ne faut pas croire que les utopiens s'attellent au travail comme des bêtes de somme depuis le grand matin jusque bien avant dans la nuit. Cette vie abrutissante pour l'esprit et pour le corps serait pire que l'esclavage. Tel est cependant partout ailleurs le triste sort de l'ouvrier!" "Six heures sont employées aux travaux matériels".[1] "On me dira peut-être : six heures de travail par jour ne suffisent pas aux besoin de la consommation publique [...] réfléchissez au nombre de gens oisifs [...] les femmes [...] cette foule immense de prêtres et de religieux fainéants. Ajoutez-y tous ces riches propriétaires qu'on appelle vulgairement nobles et seigneurs [...] Considérez aussi combien peu de ceux qui travaillent sont employés en choses vraiment nécessaires. Car, dans ce siècle d'argent, où l'argent est le dieu et la mesure universelle, une foule d'arts vains et frivoles s'exercent »

More pense que dans un État où il n’existe plus de privilèges politiques, où il est impossible de transmettre l’argent et les dignités, où le prince partage la vie commune, le sens de la propriété disparaîtra de lui-même; et la communauté des biens s’établira sans heurt. On retrouve une idée fondamentalement partagée par la plupart des socialistes : le communisme serait possible si les racines des conflits d'intérêts étaient supprimées (la divergence se faisant surtout sur les moyens de parvenir à cet état lointain).

2.2.3 Aspects moralement novateurs[modifier | modifier le wikicode]

More est aussi très pragmatique dans de nombreux domaines : liberté de religion, légalisation de l'euthanasie...

2.3 Limites[modifier | modifier le wikicode]

L'utopie de More présente cependant un certain nombre de caractéristiques qui la rendent indésirables à nos yeux de contemporains.

2.3.1 Une vie régentée[modifier | modifier le wikicode]

La conception de l'égalité de More se fait largement au détriment des libertés individuelles (même s'il suppose que l'ensemble fonctionne démocratiquement, donc fait l'hypothèse que tout ce qui est avancé est désirable et acceptable). C'est un trait typique des utopies, surtout de la Renaissance, que d'imaginer une société fonctionnant harmonieusement au prix d'une réduction des individus à de simples rouages, pour leur propre bien. La vision de ce qui est « bien » est alors fortement marquée par la subjectivité de l'auteur. Par exemple, les villes et les habits sont uniformes, les Utopiens changent de maison tous les dix ans et tirent au sort celle qui doit leur tomber en partage, la libre circulation des citoyens est interdite au nom du devoir d'avoir une vie transparente......

Il faut cependant rappeler que la possibilité de faire épanouir son individualité est apportée par le développement économique et social, et qu'à l'époque de More l'immense majorité de la popularité n'avait que très peu de latitude dans ce domaine. Ce qui nous apparaît comme un immense recul et piétinement des libertés individuelles ne l'était sans doute pas tant à l'époque, ou seulement pour une extrême minorité.

Et il faut souligner que More, contrairement à d'autres utopistes, prône l'extension maximale du temps libre, considérant que telle est la voie du vrai bonheur et de la vraie liberté :

« Le but des institutions d’Utopie est de fournir d’abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s’affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles pour l’étude des sciences et des lettres. C’est dans ce développement complet qu’ils font consister le vrai bonheur. »

C’est précisément pour permettre cette libre culture de l’esprit que More envisage, pour faire les travaux laids et sales, l’existence d’ « esclaves » en Utopie, étant entendu que ceux-ci se recruteront parmi les prisonniers de guerre et les citoyens coupables de grands crimes — l’esclavage n’étant d’ailleurs qu’une forme de châtiment transitoire.

2.3.2 Rigueur morale[modifier | modifier le wikicode]

More reste un individu élevé dans l'ordre et la morale de son temps, notamment religieuse.

"L'adultère est puni du plus dur esclavage. [...] La récidive en adultère est punie de mort." "Quand les condamnés esclaves se révoltent, on les tue comme autant de bêtes féroces et indomptables que la chaîne et la prison ne peuvent contenir."

Le suicide est un déshonneur, le divorce est possible mais soumis à l'accord des sénateurs...

2.3.3 Mission civilisatrice[modifier | modifier le wikicode]

Pour More, les Utopiens doivent étendre leur modèle au reste du monde, y compris par la force.

2.3.4 Aspect chimérique[modifier | modifier le wikicode]

More lui-même était conscient que son plan de cité idéale était « utopique » au sens contemporain du terme. Même s'il semblait convaincu que sa société imaginaire serait juste et viable, il était très pessimiste sur la possibilité de la voir arriver un jour. Son livre se conclut par « Je le souhaite plus que je ne l'espère. »

3 Influence[modifier | modifier le wikicode]

L’influence de cet ouvrage fut considérable à travers de longues décennies.

Au Mexique, certains administrateurs et prélats espagnols autour de Vasco de Quiroga tentèrent de s’en inspirer dans leur organisation : il fut établi à Santa Fé la communauté des biens, des relais entre la population rurale et urbaine, le travail des femmes, la journée de six heures, la distribution libérale des fruits de la terre selon les besoins des habitants, l’abandon du luxe et des offices inutiles, la magistrature familiale élective.

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

L'Utopie en ligne.

  1. Rappelons qu'à son époque, ouvriers et cultivateurs se tuaient à la tâche en moyenne de 5 heures du matin à 7 heures du soir.