Technologie

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Machine électrique de l’abbé Nollet (1747)

La technologie est l'étude des outils et des techniques. Le terme désigne tout ce qui peut être dit aux diverses périodes historiques sur l'état de l'art en matière d'outils et de savoir-faire. Il inclut l'art, l'artisanat, les métiers, les sciences appliquées et éventuellement les connaissances.

La technologie a une importance fondamentale pour les moyens de production (et donc indirection pour le capital et la production de richesses), mais a aussi de profonds impacts sur la société.

1 De savoir-faire d'initiés à une science[modifier | modifier le wikicode]

L'accumulation de savoir-faire permettant une productivité croissante semble avoir commencé dès la préhistoire, même si cette accumulation était extrêmement lente en comparaison des standards modernes. Des spécialistes ont estimé que si les hommes d’il y a 2,5 millions d’année obtenaient 10 cm de tranchant à partir d’un kilo de pierre brute, deux millions d’années plus tard, il y a 500 000 ans, ils en tiraient 40 cm. Il y a 40 000 ans, c’était deux mètres, et plus de six mètres une dizaine de milliers d’années plus tard.[1]

Dans le Capital, Marx souligne à quel point le capitalisme a balayé l'ancien mode de transmission des savoir-faire, qui s'opérait au sein des corporations et était jalousement gardé.

« les différentes branches d'industrie, issues spontanément de la division du travail social, formaient les unes vis-à-vis des autres autant d'enclos qu'il était défendu au profane de franchir. Elles gardaient avec une jalousie inquiète les secrets de leur routine professionnelle dont la théorie restait une énigme même pour les initiés. (...) Un fait des plus caractéristiques, c'est que jusqu'au 18e siècle les métiers portèrent le nom de mystères. Dans le célèbre Livre des métiers d'Étienne Boileau, on trouve entre autres prescriptions celle-ci :

« Tout compagnon lorsqu'il est reçu dans l'ordre des maîtres, doit prêter serment d'aimer fraternellement ses frères, de les soutenir, chacun dans l'ordre de son métier, c'est-à-dire de ne point divulguer volontairement les secrets du métier. (...) Ce voile, qui dérobait aux regards des hommes le fondement matériel de leur vie, la production sociale, commença à être soulevé durant l'époque manufacturière et fut entièrement déchiré à l'avènement de la grande industrie. Son principe qui est de considérer chaque procédé en lui-même et de l'analyser dans ses mouvements constituants, indépendamment de leur exécution par la force musculaire ou l'aptitude manuelle de l'homme, créa la science toute moderne de la technologie. »[2]

La puissance obtenue par l'application de cette nouvelle science est telle qu'elle s'étant partout, même là où la façon de travailler est la plus séculaire et cyclique, l'agriculture :

« Dans la sphère de l'agriculture, la grande industrie agit plus révolutionnairement que partout ailleurs en ce sens qu'elle fait disparaître le paysan, le rempart de l'ancienne société, et lui substitue le salarié. (...) L'exploitation la plus routinière et la plus irrationnelle est remplacée par l'application technologique de la science. »[3]

2 L'histoire de la technologie[modifier | modifier le wikicode]

En faisant véritablement naître le questionnement permanent sur l'amélioration technologique, le capitalisme a stimulé indirectement l'étude de l'histoire de la technologie. Dans le Capital, Marx regrettait qu'il n'existe pas alors de véritable ouvrage à ce sujet.

« Une histoire critique de la technologie ferait voir combien il s'en faut généralement qu'une invention quelconque du XVIII° siècle appartienne à un seul individu. Il n'existe aucun ouvrage de ce genre. Darwin a attiré l'attention sur l'histoire de la technologie naturelle, c'est-à-dire sur la formation des organes des plantes et des animaux considérés comme moyens de production pour leur vie. L'histoire des organes productifs de l'homme social, base matérielle de toute organisation sociale, ne serait-elle pas digne de semblables recherches ? Et ne serait-il pas plus facile de mener cette entreprise à bonne fin, puisque, comme dit Vico, l'histoire de l'homme se distingue de l'histoire de la nature en ce que nous avons fait celle-là et non celle-ci ? La technologie met à nu le mode d'action de l'homme vis-à-vis de la nature, le procès de production de sa vie matérielle, et, par conséquent, l'origine des rapports sociaux et des idées ou conceptions intellectuelles qui en découlent. »[4]

Il considérait que la majorité des historiens passaient à côté des causes essentielles de l'évolution historique en négligeant totalement cette étude. De ce point de vue, l'étude de la préhistoire, qui débutait, lui semblait meilleure par contraste :

« Bien que les histoires écrites jusqu’ici témoignent d'une profonde ignorance de tout ce qui regarde la production matérielle, base de toute vie sociale, et par conséquent de toute histoire réelle, on a néanmoins par suite des recherches scientifiques des naturalistes qui n’ont rien de commun avec les recherches soi-disant historiques, caractérisé les temps préhistoriques d'après leur matériel d'armes et d'outils, sous les noms d’âge de pierre, d'âge de bronze et d'âge de fer. »[5]

3 Aspects politiques[modifier | modifier le wikicode]

3.1 La technologie au cœur de l'enseignement[modifier | modifier le wikicode]

« La bourgeoisie, qui en créant pour ses fils les écoles polytechniques, agronomiques, etc., ne faisait pourtant qu'obéir aux tendances intimes de la production moderne, n'a donné aux prolétaires que l'ombre de l'Enseignement professionnel. Mais si la législation de fabrique, première concession arrachée de haute lutte au capital, s'est vue contrainte de combiner l'instruction élémentaire, si misérable qu'elle soit, avec le travail industriel, la conquête inévitable du pouvoir politique par la classe ouvrière va introduire l'enseignement de la technologie, pratique et théorique, dans les écoles du peuple.

Il est hors de doute que de tels ferments de transformation, dont le terme final est la suppression de l'ancienne division du travail, se trouvent en contradiction flagrante avec le mode capitaliste de l'industrie et le milieu économique où il place l'ouvrier. Mais la seule voie réelle, par laquelle un mode de production et l'organisation sociale qui lui correspond, marchent à leur dissolution et à leur métamorphose, est le développement historique de leurs antagonismes immanents. C'est là le secret du mouvement historique que les doctrinaires, optimistes ou socialistes, ne veulent pas comprendre. »[2]

3.2 Technologie et matérialisme historique[modifier | modifier le wikicode]

En tant que composante déterminante des forces productives et de leur croissance / stagnation, la technologie joue de fait un rôle important dans la conception matérialiste de l'histoire de Marx.

Certaines formules de Marx peuvent même donner l'impression d'un déterminisme technique, par exemple lorsqu'il écrit : « Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel »[6] On retrouve par exemple cette idée générale chez Boukharine : « les rapports entre les hommes dans le processus du travail sont déterminés par le niveau du développement technique ».[7]

Cependant il s'agit là d'un déterminisme qui conditionne toute une période à l'échelle globale, mais qui ne peut suffire à expliquer les transformations d'un mode de production à un autre. Pour cela, les marxistes étudient les rapports entre les forces productives et les rapports de production, ces derniers pouvant freiner et même complètement empêcher certains développements techniques.

Selon Walter Benjamin : « Rien n’a plus corrompu le mouvement ouvrier allemand que la conviction de nager dans le sens du courant. À ce courant qu’il croyait suivre, la pente était, selon lui donnée par le développement de la technique. »[8] Si l'on est convaincu que la victoire du socialisme est inéluctable (et les directions social-démocrates diffusaient ce genre de discours), il n'y a pas d'importance particulière à faire vivre une stratégie révolutionnaire.

3.3 Progrès technique et progrès social[modifier | modifier le wikicode]

Une caricature montrant que l'on ne peut pas nier les aspects progressistes de la technologie, même dans une société de classes.

Les relations entre progrès technique et progrès social sont complexes, particulièrement du fait que nous vivons dans des sociétés divisées en classes.

3.4 Progrès technique et emplois[modifier | modifier le wikicode]

Le rapport entre progrès technologique et destruction d'emploi (« chômage technologique »), ou à l'inverse création d'emploi, est l'objet de vastes débats, y compris entre marxistes.

3.5 Paniques morales et technophobie[modifier | modifier le wikicode]

Les nouvelles technologies bouleversent des habitudes, et le sophisme de l'appel à la tradition a beaucoup d'effet sur les esprits. C'est pourquoi il est très fréquent que la diffusion d'innovations dans la société provoque des paniques morales[9]. Certains parlent de technophobie. Par exemple :[10]

  • Des les années 1770, on trouvait des paniques au sujet de la jeunesse lisant trop de romans qui pourraient leur donner des idées farfelues (une panique similaire à celle autour des jeux vidéos 200 ans plus tard).
  • Dans les années 1850, certains journaux proclamaient que le télégraphe apportait plus d'inconvénients que d'avantages par rapport au courrier traditionnel, même si celui-ci mettait beaucoup plus de temps à arriver.
  • Dans les années 1870, des commentateurs dénigraient le téléphone, et ceux qui se mettaient à l'utiliser couramment, notamment pour nourrir des romances (au lieu de le faire par courrier). Le téléphone était aussi accusé de ruiner la vie privée...
  • Il y avait des émeutes contre la vaccination obligatoire, par exemple en 1881 contre la variole.[11]
  • A la fin du 19e siècle, des critiques dénigraient la photographie par rapport à la peinture. D'autres accusaient les vélos d'effrayer les chevaux, de rendre les femmes immorales...
  • Dans les années 1900, certains prétendaient que l'ours en peluche, qui gagnait du terrain sur les poupées, allait détraquer « l'instinct maternel » des petites filles.
  • On s'inquiétait de toutes sortes de risques sanitaires de l'électricité (un lien avec le choléra ? la population va-t-elle être massivement électrocutée ?...). Certains redoutaient que l'introduction des appareils ménagers électriques allaient rendre « la ménagère fainéante et grosse »[12]...
  • En 1918, alors que la pandémie de grippe espagnole avait fait des ravages, des discours anti-masques circulaient (cela empêcherait de respirer, etc.)
  • La radio était soupçonnée de causer des tempêtes, les ascenseurs de causer des fièvres...
  • Dans les années 1980, on accusait les walkman de rendre les gens fous ou asociaux[13]. Des lois ont même été passées pour les interdire dans les rues.
  • A l'âge de l'informatique, beaucoup de paniques exagérées ont lieu au sujet des virus[14], du « bug de l'an 2000 », etc.
Illustration d'un comportement social similaire que ce soit avec un support papier ou numérique.

Souvent, des phénomènes sociaux sont imputés de façon simpliste à une technologie alors qu'ils ont une autre origine, sociale (même si cette cause sociale est elle-même déterminée en partie par un ensemble de technologies). Par exemple la tendance à préférer lire son journal ou regarder son smartphone, plutôt qu'à communiquer avec les nombreux inconnus autour de soi, est plutôt le fruit d'un mode de vie urbain que l'effet d'une technologie précise.

La menace des nouvelles technologies sur les emplois existants est une des sources de l'hostilité. Dans le même temps, celles-ci ont souvent pour effet de créer d'autres emplois, et de démocratiser certains services. Par exemple :

  • De nombreux artistes peintres gagnaient leur vie avec des commandes de portraits (surtout des classes supérieures), et ont vu d'un très mauvais œil la diffusion de la photographie. Mais pour les masses, se faire tirer un portrait est devenu beaucoup plus accessible avec la photographie.
  • De même, les premiers enregistrements de disques musicaux ont été accusés de menacer le revenu des musiciens.

Ce sont uniquement les capitalistes qui décident d'implémenter ou non de nouvelles technologies, et dans ce contexte capitaliste anti-démocratique, celles-ci peuvent évidemment avoir des effets sociaux négatifs (le chômage technologique mais pas seulement). C'est pourquoi les marxistes doivent actualiser leurs revendications, et montrer que la socialisation de l'économie serait la sortie par le haut de nombreux dilemmes modernes. Les appels à nationaliser l'IA[15] vont dans ce sens.

4 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Lutte ouvrière, Développement des sciences et fondements des idées communistes, 2015
  2. 2,0 et 2,1 Karl Marx, Le Capital, Livre I, Quatrième section, XV - IX. - Législation de fabrique, 1867
  3. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Quatrième section, XV - X. - Grande industrie et agriculture, 1867
  4. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Quatrième section, Chapitre XV : Machinisme et grande industrie, 1867
  5. Karl Marx, Le Capital, Livre I - Chapitre VII : Production de valeurs d’usage et production de la plus-value, 1867
  6. Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847
  7. Nikolaï Boukharine, La théorie du matérialisme historique, 1921
  8. Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » in Œuvres III, Folio Gallimard, 2000, p. 438.
  9. Technology is making us uncivil, Asbury Park Press, New Jersey, Oct 7, 1990
  10. Le site pessimistsarchive.org recense ce type d'anecdotes.
  11. The Graphic: An Illustrated Weekly Newspaper, London, Feb 26, 1881
  12. Electricity and the housewife, The Protection Post, Kansas, June 3, 1926
  13. Walkman Earphones : Mind Altering Devices, The Daily Times, Aug 30, 1981
  14. Computer virus a time bomb, The Charlotte Observer, North Carolina, Feb 27, 1992 Page 35
  15. Tim Christiaens, Nationalize AI!, 28 March 2024