Esclavage
L'esclavage, travail forcé généralisé, est un rapport de production très fréquemment utilisé dans l'histoire humaine. Il a parfois joué un rôle secondaire dans l'économie (esclavage d'autres clans dans les sociétés patriarcales primitives...), et a été au cœur de la société antique (Rome, Grèce...) et sous une forme proche (servage) de la société féodale.
1 Esclavage à travers les âges[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Esclavage antique[modifier | modifier le wikicode]
Les sociétés du monde antique étaient esclavagistes, principalement parce qu'avec la faible productivité du travail qui existait alors, le seul moyen pour une classe de dégager des richesses était l'asservissement d'une autre classe afin de dégager un surproduit.
C'était notamment le cas en Grèce et à Rome, où les esclaves n'était pas là principalement pour servir de domestiques aux riches patriciens, comme l'histoire des vainqueurs tend à le faire croire, mais avant tout pour effectuer les travaux les plus pénibles, dans l'agriculture. Le sud de la péninsule italienne notamment, regroupaient de grandes concentration d'esclaves agricoles, qui furent le foyer des grandes révoltes (Spartacus...).
1.2 Esclavage médiéval[modifier | modifier le wikicode]
Dans l'Europe médiévale, l'esclavagisme va progressivement disparaître au profit du servage. Globalement, il était déjà en déclin à la fin de l'Empire Romain. Mais le recours à l'esclavage est plus ou moins intensif selon l'organisation économique de telle ou telle région. Vers le Nord (Îles britanniques, France, Germanie...) l'esclavage est virtuellement aboli vers les 8e et 9e siècles. Il est à la fois remplacé par le servage et quelques avancées techniques (chaque meule d'un moulin à eau peut moudre 150 kg de blé à l'heure ce qui correspond au travail de 40 esclaves[1]).
Mais le nombre d'esclaves augmente en tant que marchandises après le renouveau commercial, et particulièrement en Catalogne et en Italie entre les 13e et 15e siècles. Les grandes républiques maritimes de Gênes et de Venise sont les plus grands marchands d'esclaves à cette époque. Les marchands vénitiens, bien que de religion chrétienne, ne voient pas d'objection à vendre des païens slaves aux musulmans. Venise conserve le souvenir de ce fructueux commerce dans le nom d'un quai célèbre à l'extrémité du Grand Canal : le quai des Esclavons (nom sous lequel étaient désignés à l'époque les Slaves). C'est l'époque où, dans les langues occidentales, le mot « esclave » ou « slave » se substitue au latin « servus » pour désigner les travailleurs privés de liberté.[2]
1.3 "Esclavage industriel"[modifier | modifier le wikicode]
Dans la société bourgeoise, l'esclavage a laissé place à la forme plus complexe du salariat. Mais dans ce domaine, cela n'a rien eu d'une révolution soudaine. Au contraire, l'esclavage a été une base de l'accumulation primitive du capital. Quand l'industrialisation était encore au début de son développement, une division internationale a pu perdurer entre des États esclavagistes fournissant les matières (quasi-)brutes, et les "États libres" orientés vers la production de biens manufacturés.
En 1847, Marx écrivait dans Misère de la philosophie à propos de "l'esclavage des noirs dans le Surinam, dans le Brésil, dans les contrées méridionales de l'Amérique du Nord" :
« L'esclavage direct est le pivot de l'industrie bourgeoise aussi bien que les machines, le crédit, etc. Sans esclavage, vous n'avez pas de coton ; sans le coton, vous n'avez pas d'industrie moderne. C'est l'esclavage qui a donné leur valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce de l'univers, c'est le commerce de l'univers qui est la condition de la grande industrie. Ainsi l'esclavage est une catégorie économique de la plus haute importance. Sans l'esclavage, l'Amérique du Nord, le pays le plus progressif, se transformerait en pays patriarcal. Effacez l'Amérique du Nord de la carte du monde, et vous aurez l'anarchie, la décadence complète du commerce et de la civilisation modernes. Faites disparaître l'esclavage, et vous aurez effacé l'Amérique de la carte des peuples. Aussi l'esclavage, parce qu'il est une catégorie économique, a toujours été dans les institutions des peuples. Les peuples modernes n'ont su que déguiser l'esclavage dans leur propre pays, ils l'ont imposé sans déguisement au nouveau monde. »[3]
Ou encore, dix ans plus tard :
« L'esclavage des Noirs, esclavage purement industriel, est supposé par la société bourgeoise, bien qu'au cours de son développement, il devienne insupportable à celle-ci et disparaisse ; en effet, sans les États libres pratiquant le salariat, les pays esclavagistes isolés verraient bientôt leurs structures sociales retourner aux formes précivilisées. »[4]
Ou encore, dix ans plus tard :
« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore. »[5]
Marx, comme la majorité des démocrates et des socialistes, était abolitionniste. Rédacteur à la New York Tribune, l’organe de l’aile gauche du parti républicain, Marx suivait de près la situation politique américaine, la lutte contre l’esclavage et le développement de la guerre civile. Il prenait clairement parti pour le Nord, appelait le mouvement ouvrier anglais à faire de même, et s’informait de l’évolution de la situation militaire par ses anciens camarades de la Ligue des communistes, dont certains s’étaient engagés comme officiers dans l’armée de l’Union. Pour exprimer ce soutien, Marx rédigea, au nom du conseil général de l’Association internationale des travailleurs, une lettre de félicitations à Lincoln pour sa réélection (30 décembre 1864). La lutte contre l’esclavage et contre les grands propriétaires terriens du sud justifiait ce soutien :
« Depuis le début de la lutte titanesque que mène l’Amérique, les ouvriers d’Europe sentent instinctivement que le sort de leur classe dépend de la bannière étoilée »[6]
1.4 Abolitionnisme[modifier | modifier le wikicode]
Une frange du mouvement libéral et démocrate bourgeois a commencé à lutter contre l'esclavage à la fin du 18e siècle (certains quakers américains et britanniques furent précurseurs dans cette lutte dès les années 1740). Bien évidemment, les révoltes d'esclaves eux et elles-mêmes ont aussi contribué à l'abolitionnisme, en marquant de plus en plus les esprits.
La plupart des abolitionnistes étaient « gradualistes », ils voulaient aboutir progressivement à l'abolition, soucieux du rôle économique important de l'esclavage dans l'essor du capitalisme marchand puis industriel... Ils avançaient aussi que les Noirs avaient d'être « éduqués » progressivement à la liberté.
Les premières abolitions eurent lieu aux États-Unis, dans le nord-est du pays dès les années 1770-1780. Puis suit le Danemark (1792).

En France la Société des amis des Noirs est fondée en 1788, par des libéraux, qui se retrouvent globalement, après que la Révolution française ait éclaté, proches des Girondins. Ceux-ci sont au pouvoir et doivent se confronter à la pratique. Mais lorsque la Révolution haïtienne éclate (1791), ils se situent du côté de la répression. Finalement, après le passage du pouvoir aux Montagnards (qui ne s'étaient pas beaucoup préoccupés d'esclavage à l'origine), ce sont eux qui en février 1794, votent l'abolition de l'esclavage colonial. Suite à cela, trois nouveaux députés de Saint-Domingue sont élus et rejoignent les bancs de la Montagne : le Blanc Louis-Pierre Dufay, le Métis Jean-Baptiste Mills et le Noir Jean-Baptiste Belley, chaleureusement accueillis à la Convention par Camboulas, Maribon-Montaut, Danton, Delacroix, Levasseur, et l'abbé Grégoire les 3, 4 et 5 février 1794. Momoro les fait inscrire le soir du 4 février au club des Jacobins. Chaumette organise avec les trois nouveau députés une fête au temple de la Raison le 18 février. Hébert publie un article très enthousiaste pour cette fête et l'arrivée des "trois rois mages" le surlendemain (20 février).
Mais l'esclavage est vite rétabli par Napoléon, et ne sera définitivement aboli qu'en 1848.
En Bolivie, Bolivar abolit l'esclavage en 1816. Au Royaume-Uni, l'esclavage est aboli en 1833. Suite à la guerre de Sécession, qui voit la défaite du Sud esclavagiste, l'esclavage est aboli partout aux États-Unis (1865).
Le Portugal abolit l'esclavage en 1869. L'Espagne, progressivement selon les colonies, jusqu'en 1880 pour Cuba. Le Brésil est le dernier grand pays à abolir l'esclavage en 1888. Mais l'esclavage persiste encore dans certains pays. Le Niger abolit l'esclavage en 1999.
1.5 Le reste d'esclavage aujourd'hui[modifier | modifier le wikicode]
Selon l’OIT et l’ONU, l’esclavage touche en 2019 plus de 40 millions de personnes à travers le monde.[7]
2 Esclavage et productivité[modifier | modifier le wikicode]
Le travail effectué sous la contrainte de l'esclavage est généralement d'une productivité assez faible. La raison structurelle est que l'esclave n'est pas motivé à faire des tâches pour son maître. Ceci est généralement mitigé dans les cas de domesticité (où un rapport ambigu d'attachement peut s'installer), mais très vrai dans les cas de travaux agricoles (qui représentent en réalité la plus grande masse de l'esclavage ayant existé).
Là, d'après l'expression frappante des anciens, le travailleur est censé se distinguer seulement comme instrumentum vocale de l'instrumentum semi-vocale, l’animal, et de l'instrumentum mutum, les instruments inanimés. Mais l’esclave lui-même fait bien sentir aux animaux et aux instruments de travail qu’ils sont loin d'être ses égaux, qu'il est homme. Pour se donner cette jouissance, il les maltraite con amore. Aussi est ce un principe économique, accepté dans ce mode de production, qu'il faut employer les instruments de travail les plus rudes et les plus lourds, parce que leur grossièreté et leur poids les rendent plus difficiles à détériorer. Jusqu'à l'explosion de la guerre civile, on trouvait dans les Etats à esclaves situés sur le golfe du Mexique des charrues de construction chinoise qui fouillaient le sol comme le porc et la taupe, sans le fendre ni le retourner. V. J. C. Cairns : The Slave Power. London, 1862, p.46 et suiv.
Voici en outre ce que raconte Olmsted dans son ouvrage intitulé Slave states : « On m'a montré ici des instruments que chez nous nul homme sensé ne voudrait mettre entre les mains d'un ouvrier; car leur grossièreté rendraient le travail de dix pour cent au moins plus difficile qu'il ne l'est avec ceux que nous employons. Et je suis persuadé qu'il faut aux esclaves des instruments de ce genre parce que ce ne serait point une économie de leur en fournir de plus légers et de moins grossiers. Les instruments que nous donnons à nos ouvriers et avec lesquels nous trouvons du profit, ne dureraient pas un seul jour dans les champs de blé de la Virginie, bien que la terre y soit plus légère et moins pierreuse que chez nous. De même, lorsque je demande pourquoi les mules sont universellement substituées aux chevaux dans la ferme, la première raison qu'on me donne, et la meilleure assurément, c'est que les chevaux ne peuvent supporter les traitements auxquels ils sont en butte de la part des nègres. Ils sont toujours excédés de fatigue ou estropiés, tandis que les mules reçoivent des volées de coups et se passent de manger de temps à autre sans être trop incommodées. Elles ne prennent pas froid et ne deviennent pas malades quand on les néglige ou qu’on les accable de besogne. Je n’ai pas besoin d'aller plus loin que la fenêtre de la chambre où j'écris pour être témoin à chaque instant des mauvais traitements exercés sur les bêtes de somme, tels qu'aucun fermier du Nord ne pourrait les voir, sans chasser immédiatement valet de ferme. »[8]
3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Jean Gimpel, La révolution industrielle du Moyen Age, Paris, Seuil, 1975, p. 149-150.
- ↑ Herodote.net, 610 à 1492 - L'esclavage dans le Moyen-Age
- ↑ Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847
- ↑ Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 (Grundrisse)
- ↑ Karl Marx, Le Capital - Livre premier, 1867
- ↑ Lettre à Abraham Lincoln, président des États-Unis d'Amérique, décembre 1864
- ↑ Le Monde, 40 millions d’esclaves dans le monde, 2019
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre VII : Production de valeurs d’usage et production de la plus-value, 1867