Prolétarisation de la paysannerie
La prolétarisation de la paysannerie a été un fait marquant de l'avènement du capitalisme.
On peut l'associer à l'exode rural, bien que ce dernier terme soit beaucoup plus "inoffensif". Par ailleurs l'exode rural est un peu plus large, puisqu'il y a aussi d'autres couches sociales non paysannes qui quittent le monde rural lorsqu'il perd son dynamisme.
1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]
La prolétarisation de la paysannerie est d'abord intervenue en Angleterre avec le mouvement des enclosures, comme facteur principal dans l'accumulation primitive du capital, et donc comme condition nécessaire à la Révolution industrielle. Par la suite, cette même révolution a entraîné la répétition du même phénomène dans tous les pays capitalistes. En conséquence, depuis le 19e siècle, la population rurale est en diminution dans les pays industrialisés.
Partout, des paysans ou enfants de paysans se sont retrouvés entraînés vers les villes pour chercher du travail ou des meilleures conditions de vie, venant grossir les rangs de la classe ouvrière, que ce soit en tant qu'actifs ou dans l'armée industrielle de réserve. À la campagne, le besoin de main d’œuvre se fait toujours plus réduit en raison de l'industrialisation de l'agriculture et de la concentration des terres (exploitations de superficies plus élevées employant de moins en moins de travailleurs).
« Dès que le régime capitaliste s'est emparé de l'agriculture, la demande de travail y diminue absolument à mesure que le capital s'y accumule. La répulsion de la force ouvrière n'est pas dans l'agriculture, comme en d'autres industries, compensée par une attraction supérieure. Une partie de la population des campagnes se trouve donc toujours sur le point de se convertir en population urbaine ou manufacturière (...) L'ouvrier agricole se trouve par conséquent réduit au minimum du salaire et a un pied déjà dans la fange du paupérisme. »[1]
Les nouveaux arrivants en ville en revanche ne s'en sortent pas de la même façon selon leur origine sociale. Un paysan riche ou un petit-bourgeois a de plus grandes chances de pouvoir s'établir à son compte, tandis que ceux qui proviennent de la paysannerie pauvre vont grossir les rang des travailleurs urbains.
La diminution de la population rurale (jusqu'à la disparition de certains villages) a ensuite ruiné des commerçants ou artisans, accentuant ainsi cette autre tendance que constitue la prolétarisation de la petite-bourgeoisie.
La prolétarisation de la paysannerie se poursuit aujourd'hui dans les pays pauvres. Il serait abusif de dire que cela va de pair avec le "développement", car même si c'est partie le cas (notamment dans les "pays émergents"), les paysans vont parfois grossir la population des bidonvilles (sous-prolétariat) sans que se développe vraiment un prolétariat. Quant aux pays ex-communistes, la crise profonde qui a suivi l’effondrement du bloc soviétique y a provoqué un recul de la population urbaine, avec, dans presque tous les cas, un retour à la terre.
Dans l'Afrique d'aujourd'hui, l'exode rural est environ deux fois plus rapide que celui qu'a connu l'Europe au 19e siècle.
2 Exemples[modifier | modifier le wikicode]
2.1 France[modifier | modifier le wikicode]
La France a conservé plus longtemps un caractère agricole, mais la population des campagnes est néanmoins en baisse continue depuis 1860. On estime que 85 000 à 100 000 ruraux quittaient chaque année la campagne entre 1881 et 1890, et de 100 000 à 130 000 entre 1891 et 1900.[2]
2.2 Grèce[modifier | modifier le wikicode]
La Grèce est un pays périphérique par rapport à l'impérialisme européen, et son industrialisation est moins profonde et beaucoup plus tardive.
Dans les dernières décennies, le pays a connu une croissance assez forte, même si celle-ci était surtout basée sur des capitaux étrangers, sur les services et sur le tourisme. Cela a accentué la baisse des emplois agricoles, qui ont chuté jusqu'à 11,3% en 2008. Avec la profonde crise du pays depuis 2008, le mouvement s'est un peu inversé : des citadins (et surtout des Athéniens) retournent dans leur village natal, avec lequel ils ont souvent encore des liens. L'emploi agricole a crû de 7% depuis 2008.[3]
2.3 Italie[modifier | modifier le wikicode]
Entre 1871 et 1951, le taux d'activité agricole est descendu de 58 % à 42 %.
En 1880, 44% de la population allemande travaillait dans le monde agricole, 47% en France et 66% en Italie.
La population rurale était estimée à 70% en 1911.[4]
De 1951 à 1964, l'exode rural s'est encore accéléré. En 1961 la population active agricole ne représente plus que 29 % de la population active totale.[5]
2.4 Angleterre[modifier | modifier le wikicode]
En 1920, la population agricole représente encore 46% de la population active de l'Angleterre.
2.5 Canada[modifier | modifier le wikicode]
2.6 Amérique du Sud[modifier | modifier le wikicode]
Au moment de la révolution cubaine (1959), la population urbaine atteignait 41,5%. En 1970, la population urbaine atteignait 64,8% en Argentine, 70,1% en Uruguay, et 54,6% au Chili.[6]
3 Analyses et commentaires[modifier | modifier le wikicode]
Marx faisait l'analyse suivante de la petite propriété parcellaire paysanne :
« La propriété parcellaire exclut de par sa nature même le développement des forces productives sociales du travail, l'établissement de formes sociales de travail, la concentration sociale des capitaux, l'élevage à grande échelle, l'application progressive de la science à la culture. L'usure et les impôts la ruinent partout fatalement. Le débours de capital pour l'achat de la terre fait qu'il ne peut être investi dans la culture. Les moyens de production sont éparpillés à l'infini, le producteur lui-même se trouve isolé. Le gaspillage de force humaine est immense. La détérioration progressive des conditions de production et le renchérissement des moyens de production sont une loi inéluctable de la propriété parcellaire. »[7]
A propos de cette tendance à la ruine des petits paysans parcellaires, Lénine ajoutait la remarque suivante :
« Les coopératives, c'est-à dire les associations de petits paysans, qui jouent un rôle progressif bourgeois des plus considérables, ne peuvent qu'affaiblir cette tendance, mais non la supprimer ; il ne faut pas oublier non plus que ces coopératives donnent beaucoup aux paysans aisés, et très peu ou presque rien à la masse des paysans pauvres, et qu'ensuite ces associations finissent par exploiter elles mêmes le travail salarié. »[8]
Le biologiste J.B.S. Haldane, qui deviendra marxiste par la suite, disait dans une conférence tenue en 1923 :
« Personnellement, je ne regrette pas la probable disparition du travailleur agricole au profit de l’ouvrier d’usine, qui me semble un type de personne supérieur à presque tous les points de vue. Le progrès humain a toujours été le progrès des villes entraînant avec elles une campagne réticente. La nourriture synthétique mettra le jardin d’ornement et l’usine à la place du tas de fumier et de l’abattoir, et rendra enfin la ville autosuffisante. »[9]
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre I - Ch. 25 : Loi générale de l’accumulation capitaliste, 1867
- ↑ Jean-Pierre Rioux, Chronique d'une fin de siècle
- ↑ http://letelegramme.com/ig/generales/france-monde/monde/grece-la-campagne-remede-pour-faire-face-a-la-crise-23-11-2011-1508318.php
- ↑ https://books.google.fr/books?id=GeVOJB6pYuEC&pg=PA10&lpg=PA10&hl=fr&sa=X#v=onepage&q&f=false
- ↑ http://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1966_num_21_1_1266
- ↑ Fernando Gatica, La urbanizacion en Américan Latina: aspectos espaciales y demograficos del crecimiento urbano y de la concentracion de la poblacion, 1975
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre III - Ch. 47 : La genèse de la rente foncière capitaliste, 1867
- ↑ Lénine, Karl Marx - La doctrine économique de Marx, 1914
- ↑ J.B.S. Haldane, Dédale ou la science de l’avenir, 1923