Mencheviks

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Dirigeants mencheviks à Norra Bantorget à Stockholm en mai 1917 : Pavel Axelrod, Julius Martov et Alexandre Martynov.

Les mencheviks étaient le principal courant du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) opposé aux bolchéviks.

La division eut lieu au 2e congrès à Londres en 1903 où les menchéviks sont minoritaires. Le mot menchevik (en russe меньшевик) vient de menchinstvo (меньшинство en russe) qui signifie « minorité », par opposition aux bolcheviks (большевик ; de bolchinstvo, большинство, « majorité »). Les deux courants resteront nommés ainsi malgré le fait que les menchéviks aient par la suite été souvent majoritaires.

Ceux que l'on a appelé les menchéviks-internationalistes étaient un groupe de gauche autour de Martov qui s'opposa clairement à l'union sacrée de 1914, mais qui regagna le reste du parti dans l'opposition aux bolchéviks après la révolution d'Octobre 1917.

1 Formation du POSDR[modifier | modifier le wikicode]

Les marxistes russes se forment à la fin du 19e siècle dans la polémique contre les « populistes ». En 1883, la première cellule marxiste de Russie, Libération du Travail, est formée par d'anciens populistes : Gueorgui Plekhanov, Pavel Axelrod, Vera Zassoulitch, etc. Une grande partie de l'intelligentsia sera gagnée au marxisme au tournant du 20e siècle, mais le populisme restera un courant influent, le Parti socialiste-révolutionnaire (SR) restant jusqu'en 1917 plus influent dans les campagnes.

Dans ces années de formation, les « social-démocrates » (marxistes) se regroupent autour de publications comme Nos différends (1885)[1] de Plékhanov ou Le développement du capitalisme en Russie (1899)[2] de Lénine.

En mars 1898, un congrès (clandestin) est organisé à Minsk pour tenter d'unifier en un parti diverses organisations marxistes ou ouvrières. C'est le début officiel du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), mais il ne réunit que très peu de délégués, et parvient difficilement à s'organiser du fait de la répression.

A ce moment-là, les « marxistes légaux » sont associés au POSDR et constituent l'aile droite, face aux révolutionnaires comme Martov (futur menchévik) et Lénine (futur bolchévik). Ils abandonnent le marxisme et la POSDR en 1901.

En 1901, Lénine et Martov commencent la publication clandestine de l'Iskra (L'Étincelle) à partir de l'étranger où ils étaient venus rejoindre les anciens immigrés du groupe Libération du Travail. Leur objectif était de regrouper autour de cette publication des cadres pour bâtir le parti, dans un effort volontariste pour unifier les différents groupes socialistes et cercles ouvriers existant en Russie.

Le principal combat de l'Iskra à cette époque est la polémique contre les « économistes », des social-démocrates pour qui il fallait laisser la bourgeoisie s'occuper des questions politiques (lutte pour la démocratie). Les « iskristes » défendaient la nécessité de construire le parti pour donner une expression indépendante au prolétariat.

2 La fraction menchévique[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Le 2e congrès (1903), origine de la fraction[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : 2e congrès du POSDR.
2e-congrès-POSDR.jpg

C'est dans ce contexte que Lénine publie en février 1902 la brochure Que faire ?, qui expose les positions communes de l'Iskra sur les économistes, mais aussi sur les questions organisationnelles qui se posent pour le parti naissant. Les partisans de l'Iskra sont en position de force à la veille du 2e congrès qui a lieu en août 1903 à Londres.

Mais au cours des débats, un clivage autour de la condition d'adhésion d'un membre au parti cristallise une opposition en deux camps :

  • La formule défendue par Martov dit : « Un membre du POSDR est quelqu'un qui accepte le programme du parti, le soutient financièrement, et lui apporte une aide personnelle régulière sous la direction d'une de ses organisations. »
  • Le formule défendue par Lénine dit : « Un membre du POSDR est quelqu'un qui accepte son programme et soutient le parti à la fois financièrement et en participant à une de ses organisations. »[3]

Les formules sont très proches, mais le débat se focalise sur les conceptions de l'organisation qui sont sous-entendues ou prêtées à ceux d'en face. Le débat a souvent été simplifié en « parti centralisé de révolutionnaires professionnels » (Lénine) contre « parti souple » (Martov). Dans un article de Trotski publié autour de 1907, celui-ci explique que dans ce genre de polémique, il s’agissait d’adopter la position de l’adversaire, d’en pousser la logique jusqu’à son dernier terme, et de tenter par là d’en révéler l’absurdité (argument de la pente glissante).[4]

Martov remporte ce premier vote, mais après après le départ des 7 délégués du Bund et des 2 économistes, les partisans de Lénine se retrouvent en majorité.

Puis le conflit se tend surtout lors du vote sur le comité de rédaction de l'Iskra (devenu l'organe central du parti) : Lénine propose de le limiter à Plékhanov, Martov et lui-même, au nom de l'efficacité (les autres participant peu au travail). Le fait que des vétérans comme Axelrod et Zassoulitch se retrouvent écartés accentue la dramatisation. Lénine considérait les divergences comme un conflit entre ceux qui acceptaient l’esprit d’un parti salariant des permanents, d’une part, et ceux qui étaient habitués aux attitudes de cercle et du « réseau de vieux copains ».[5] Lorsque Martov, refusant de se plier à la décision du congrès concernant le comité de rédaction, proclama : « nous ne sommes pas des serfs ! », Lénine argumenta contre cet « anarchisme aristocratique » et dit que « les devoirs d’un membre du parti doivent être remplis non seulement par la base, mais par les « gens du sommet » aussi. ».

C'est sur la base de cette majorité que les partisans de Lénine se désigneront les bolcheviks (de bolchinstvo, « majorité »), par opposition aux mencheviks (de menchinstvo, « minorité »). Mais sur le moment, on parle d'un clivage « martovistes / léninistes », ou « doux / durs ». Les termes de bolchéviks / menchéviks ne seront employés par les martovistes que vers fin 1905.[6] Trotski témoigne ainsi :

« Les collaborateurs de l'Iskra se divisèrent en "durs" et "doux". Ces appellations, comme on sait, eurent cours dans les premiers temps, prouvant que s'il n'existait pas encore de ligne de partage, il y avait pourtant une différence dans la façon d'aborder les questions, dans la décision, dans la persévérance vers le but. Pour ce qui est de Lénine et de Martov, on peut dire que même avant la scission et avant le congrès Lénine était déjà un "dur", tandis que Martov était un "doux". »[7]

Sur son propre positionnement, Trotski ajoute :

« Pourquoi me suis-je trouvé au congrès parmi les "doux"? De tous les membres de la rédaction, j'étais le plus lié avec Martov, Zassoulitch, et Axelrod. Leur influence sur moi fut indiscutable. (...) Lénine me traitait fort bien. Mais c'était justement lui, alors, qui, sous mes yeux, attaquait une rédaction formant à mon avis un ensemble unique et portant le nom prestigieux de l'Iskra. L'idée d'une scission dans le groupe me paraissait sacrilège. (...) Ainsi, ma rupture avec Lénine eut lieu en quelque sorte sur un terrain "moral", et même sur un terrain individuel. Mais ce n'était qu'en apparence. Pour le fond, nos divergences avaient un caractère politique qui ne se manifesta que dans le domaine de l'organisation. Je me considérais comme centraliste. Mais il est hors de doute qu'en cette période je ne voyais pas tout à fait à quel point un centralisme serré et impérieux serait nécessaire au parti révolutionnaire pour mener au combat contre la vieille société des millions d'hommes. »

Schématiquement, les bolcheviks rassemblent autour de Lénine un courant homogène, alors que les mencheviks regroupent différentes tendances : sociaux-démocrates traditionnels, tendance plus à gauche de Martov et tendance « gauchiste » de Trotski.

Le congrès élut aussi un Comité central avec trois proches de Lénine (Lengnik, Noskov et Krjijanovski).

2.2 Le revirement de Plékhanov[modifier | modifier le wikicode]

Georgi Plekhanov.jpg

Se retrouvant en minorité, les menchevik menacent de scissionner. Sous pression, Plekhanov fait volte-face et exige, au nom du maintien de « l’unité », que la majorité au comité de rédaction de l’Iskra soit rendue aux mencheviks. Lénine refuse. Il fait valoir que s'il avait été minoritaire il serait resté à la rédaction en tant que minorité, sans faire de chantage à l'unité. Lénine tente pourtant activement d'éviter la scission, assurant des pleins droits démocratiques aux menchéviks. Mais ceux-ci refusent tout compromis.

Scandalisé, Lénine refuse, et quitte la rédaction le 1er novembre. Il se fixe alors un objectif : convoquer un 3e congrès pour trancher.

Les deux camps s'engagent alors dans une intense lutte fractionnelle, par de nombreux textes polémiques,[8][9][10] et par une lutte pour l'influence sur les comités social-démocrates.

2.3 Intenses luttes fractionnelles[modifier | modifier le wikicode]

En 1904, Lénine développe son point de vue dans une brochure, Un pas en avant, deux pas en arrière.[11] Rosa Luxemburg publie une critique de Lénine, Questions d'organisation de la social-démocratie russe.[12] En guise de compte-rendu du congrès, Trotski publie le Rapport de la délégation sibérienne dans lequel il s'attaque à Lénine, le comparant à Robespierre, l'accusant de mettre le parti « dans un état de siège », de lui « imposer sa poigne de fer », et de transformer « son modeste comité central en comité de salut public ».[13] Il continue à collaborer à l'Iskra, contrôlée par les mencheviks, pour une courte période, avant que les désaccords ne soient trop forts. Une comparaison que Trotski n'était pas seul à faire. En assistant à la détermination de Lénine pendant le congrès, Plékhanov dit à Axelrod : « C'est de cette pâte que l'on fait les Robespierre ».[14]

Formellement, les bolchéviks étaient bien sortis majoritaires du congrès de 1903. Mais dans la période qui suit, la lutte fractionnelle provoqua un déclin des effectifs et de l'activité (très peu de tracts).[15] Les menchéviks deviennent plus nombreux que les bolchéviks, mais sont eux aussi en difficulté. « Toutes les forces du parti étaient absorbées dans cette [lutte interne] et à l’hiver 1903-1904 l’activité de l’organisation tomba au point mort. »[16] Dans un district de Saint-Pétersbourg, le nombre des cercles mencheviks passa de 15 ou 20 au début de 1904 à seulement quatre ou cinq en décembre.[15] En 1905, il y a 8000 bolcheviks dans les organisations clandestines et 12000 mencheviks.

Lénine était aussi très contesté par de nombreux bolchéviks qui lui demandaient de laisser tomber sa lutte pour un nouveau congrès. Le comité central élu au 2e congrès lui échappa, et reconnut l'Iskra menchévique comme organe central. Lénine sortit nettement des statuts et recréa un réseau parallèle de comités, à partir desquels il organisa l'appel à un congrès.

Fin décembre 1904, les bolchéviks lancent leur propre journal, Vperiod. Dans le premier numéro, Lénine accuse les minoritaires menchéviks d'avoir un rôle désorganisateur et secrètement fractionniste.[17]

2.4 Le POSDR pendant la Révolution russe de 1905[modifier | modifier le wikicode]

Début janvier 1905, le mouvement révolutionnaire qui éclate surprend toutes les composantes du POSDR. Un vaste mouvement de grève naît sous l'influence du pope Gapone, les social-démocrates se méfiant de ce courant confus. Les menchéviks sont les premiers à sortir de leur torpeur et s'investir dans le mouvement.

Lénine poussait les bolchéviks à se montrer moins sectaires, d'autant plus qu'il sentait qu'ils manquaient des occasions de se construire. Il disait en mars : « Les mencheviks sont en ce moment plus forts que nous, il faut une lutte à outrance, une lutte de longue durée. »[18] Régulièrement, il se plaignait de ce que les menchéviks étaient plus efficaces pour tirer parti de leur investissement dans le mouvement.

Après la révolution, pendant un bref instant, il était possible de mener une activité politique au grand jour, et donc d'organiser plus démocratiquement le parti qu'en période clandestine. Par ailleurs dans les deux courants, il y a un phénomène similaire : les cadres militants intellectuels qui dirigeaient les comités (les comitards) avaient des réticences à s'ouvrir soudainement à de nombreux ouvriers peu formés.

Malgré tout, les social-démocrates recrutent largement cette année-là, et dans la pratique, l'écart entre les deux fractions tend à se réduire, en particulier parce que l'aile droite des menchéviks se fait plus silencieuse. Même Dan écrivait à Kautsky : « On vit ici comme ivre, l’air révolutionnaire a l’effet du vin ».[19]

En 1905 apparaissent également les soviets, et en particulier le Soviet de Saint-Pétersbourg en octobre. Les cadres bolchéviks étaient au départ très sectaires envers ces organes, qu'ils sommaient d'accepter le programme social-démocrate.

Le groupe Natchalo dirigé par Trotski (qui était alors plus un électron-libre qu'un menchévik) gagne rapidement une influence dominante sur le Soviet, et Trotski devient président du Soviet. La plupart des menchéviks soutenaient les soviets, parce qu'ils y voyaient un embryon de mouvement syndical large, voué à donner naissance à un mouvement ouvrier davantage calqué sur celui d'Europe de l'Ouest. Trotski en revanche, poussait le plus en avant possible la radicalité des masses, et voyait dans les soviets des embryons de pouvoir révolutionnaire.

Mais rapidement, la révolution montre que la bourgeoisie préfère se jeter dans les bras de la réaction plutôt que de risquer de tout perdre dans une lutte de classe trop intense. Le POSDR se divise en deux attitudes radicalement différentes :

  • les menchéviks prônent le ralliement du prolétariat à la bourgeoisie, et donc l'autolimitation des revendications ouvrières pour ne pas dissuader les libéraux bourgeois,
  • les bolchéviks soutiennent que la révolution bourgeoise peut être accomplie même sans les libéraux bourgeois, par la « dictature démocratique des ouvriers et des paysans ».[20]

C'est à ce moment que Trotski développe une idée différente et originale : la théorie de la révolution permanente.

2.5 3e congrès (1905) bolchévik et conférence menchévik[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : 3e congrès du POSDR.

Le Comité central avait voté contre l'appel au congrès le 7 février 1905, et voté l'exclusion de Lénine. Mais deux jours plus tard, 9 des 11 membres de ce comité étaient arrêtés. Des membres du Comité central, Krassine et Lioubimov, prennent contact avec les léninistes et signent un accord avec Goussev et Roumiantsev pour la préparation du 3e congrès. Celui-ci se tient à Londres du 25 avril au 10 mai 1905, mais n'est pas reconnu par les menchéviks, à part une poignée d'entre eux qui se rendent au congrès. Le congrès nomme Krassine et Bogdanov au Bureau russe du Comité central, chargé de réunifier les 2 fractions.

Les menchéviks organisent de leur côté une conférence à Genève, en avril-mai 1905. La conférence adopte une résolution intitulée Sur la conquête du pouvoir et la participation au gouvernement provisoire, qui déclarait que la révolution étant de nature bourgeoise, son résultat serait un gouvernement provisoire qui serait obligé

… non seulement de poursuivre le développement de la révolution mais aussi de combattre ceux de ses facteurs qui menacent les fondations du système capitaliste.

Cela étant, la social-démocratie doit entreprendre de préserver tout au long de la révolution une position qui lui permettra de poursuivre au mieux la révolution, qui ne l’entravera pas dans son combat contre la politique inconsistante et égoïste des partis bourgeois, et qui l’empêchera de se dissoudre dans la démocratie bourgeoise. Par conséquent la social-démocratie ne doit pas se donner comme but de partager le pouvoir au sein du gouvernement provisoire mais doit rester le parti de la position révolutionnaire extrême.

Dans la ligne de cette conclusion, une conférence des mencheviks du Caucase déclarait :

La conférence est persuadée que la formation d’un gouvernement provisoire par les social-démocrates, ou leur entrée dans un tel gouvernement, mènerait, d’une part, à ce que les masses prolétariennes, déçues par le parti social-démocrate, ne l’abandonnent, parce que les social-démocrates, malgré la prise du pouvoir, ne pourraient pas satisfaire les besoins pressants de la classe ouvrière, y compris la construction du socialisme… et, d’autre part, amènerait les classes bourgeoises à se détourner de la révolution, diminuant ainsi son envergure.[21]

La conférence menchévique appelait aussi formellement à la réunification du parti, largement réclamée par la base militante.

2.6 Participation à la Douma[modifier | modifier le wikicode]

Sous l'effet de la révolution de 1905, le tsar Nicolas II promet de convoquer une Douma (Assemblée législative). Les dirigeants menchéviks sont alors pour la plupart pour la participation, et les bolchéviks fermement contre. Mais en 1905 l'élan révolutionnaire semble pouvoir aller plus loin, et dans ce contexte la majorité du parti est poussée vers la gauche.

En septembre 1905, une conférence du parti adopte la position des bolchéviks, que seuls les délégués mencheviks refusent. Les élections, prévues fin 1905, doivent être reportées du fait de la grève générale d'octobre 1905. Finalement, les social-démocrates (menchéviks compris) décident de boycotter.

La première Douma fut finalement convoquée en avril 1906 par le tsar. Les libéraux bourgeois (cadets) obtiennent un gros succès, et dans une moindre mesure des populistes et des social-démocrates individuels qui s'étaient présentés quand même. Les menchéviks, en particulier ceux du Caucase, estiment aussitôt qu'il aurait fallu participer.

2.7 4e congrès (1906) : réunification des fractions[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : 4e congrès du POSDR.

La nécessité du rapprochement était réclamée par la base depuis longtemps. A l’été 1905, toute une série de comités bolcheviks et mencheviks fusionnèrent de leur propre initiative.[22]

Les dirigeants s'accordent (Lénine obtient de Martov le retour à sa version de l'article 1er des statuts, qui avait causé la rupture en 1903), et les deux fractions élisent des délégués sur la base de deux plates-formes, avec représentation proportionnelle au nombre des voix. Le 4e congrès se tient à Stockholm (Suède) en avril 1906. Les bolchéviks et les menchéviks se rapprochent, et fusionnent formellement.[23]

A ce moment-là les menchéviks sont devenus nettement plus nombreux : environ 34 000 militants contre 14 000 pour les bolchéviks. Ils ont recruté beaucoup d'enthousiastes pendant la vague révolutionnaire, mais ce sera de façon peu solide.

Les principaux sujets abordés furent la situation politique et les tâches du prolétariat, la question agraire, l'attitude envers la Douma, et les questions d'organisation. Chaque point soulève une forte polémique entre fractions, mais les menchéviks font globalement passer leurs positions.

Les délégués menchéviks de Transcaucasie proposèrent que le parti renonce à son boycott et désigne des candidats aux élections encore en cours. La fraction bolchevique accusa les mencheviks de trahison. Mais, à leur grande consternation, Lénine se désolidarisa des bolcheviks et vota avec les mencheviks sur ce point.

2.8 Alliance électorale avec les libéraux[modifier | modifier le wikicode]

Lors de la 2e conférence du parti (décembre 1906), les menchéviks font passer une résolution prônant une politique de bloc avec les Cadets à la Douma. Pour Lénine, « en tolérant des blocs avec les cadets, les mencheviks nous ont définitivement montré leur vrai visage : ils sont l’aile opportuniste du parti ouvrier. »[24]

2.9 5e congrès (1907)[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : 5e congrès du POSDR.

Le 5e congrès se tient à Londres entre le 13 mai et le 1er juin 1907. Il réunit 338 délégués, dont 105 bolchéviks et 97 menchéviks. Les délégués polonais (SDKPiL) et lettons faisaient bloc avec les bolchéviks, tandis que les bundistes étaient alliés aux menchéviks. Trotski est alors non aligné et fait le médiateur entre les deux blocs.[25][26][27] Les bolchéviks sont désormais plus nombreux que les mencheviks, car leur meilleure expérience de la clandestinité les aide à mieux résister à la répression qui s'accentue, dans la période contre-révolutionnaire qui suit 1905-1906.

Les débats sont tendus. Les bolchéviks estiment encore que la situation est révolutionnaire, et qu'il faut se préparer à une insurrection, ce que Martov dénonce comme une déviation « putschiste », et Plékhanov une dérive anarchiste.

Les bolchéviks sont toujours pour le boycott des élections, et refusent catégoriquement des alliances avec les Cadets, et défendent des alliances avec les Troudoviks ou les socialistes populaires.

La question syndicale soulève aussi des débats. Les menchéviks soutiennent l'idée d'organiser un grand « congrès ouvrier », comme première étape vers un mouvement ouvrier organisé davantage sur le modèle d'Europe de l'Ouest.

Enfin, les menchéviks condamnent les « expropriations » (braquages menés pour financer les activités du parti) menées par certains bolchéviks (mais aussi par des SR et des anarchistes). Ils considéraient qu'il s'agissait de rechute dans l'illusion du terrorisme narodnik, ou plus directement attaquait cela comme du banditisme sous-politique. Leur résolution est votée à 65% (y compris certains bolchéviks). Ironiquement, une des « expropriations » les plus connues eut lieu quelques semaines après le congrès à Tiflis.

Le Comité central issu de ce congrès est profondément divisé et ne parvient pas à fonctionner. Les bolchéviks élisent à l'issue du congrès leur propre direction, menée par Lénine.

2.10 Début de la période réactionnaire (1907-1911)[modifier | modifier le wikicode]

Les années qui suivent la défaite de la révolution de 1905 sont une période réactionnaire, pendant laquelle la conscience de classe recule, les grèves diminuent, et les idées réformistes se renforcent.

En juin 1907, la 2e Douma est dissoute sous prétexte de la découverte d'un complot social-démocrate pour subvertir l'armée. Sous de nouvelles lois électorales encore plus anti-démocratiques, la présence des sociaux-démocrates à la 3e Douma (février-juin 1907) est réduite à 19. Leur chef de file est le menchévik Tchkhéidzé, brillant orateur.

A partir de 1908, les effectifs des deux fractions s’effondrent, sous l’effet conjugué de la démoralisation et de la répression, mais les bolchéviks semblent encore plus affaiblis. Ils sont les plus visés par la police secrète tsariste, notamment parce ce que sont les plus investis dans les activités clandestines. C'était renforcé par le fait qu'un courant gauchiste (otzovisme) y devint un temps majoritaire, refusant de s'appuyer sur l'activité légale pour traverser la période. A l'inverse, les menchéviks sont davantage centrés sur les activités tolérées, que ce soit leurs intellectuels (à la Douma, dans les journaux modérés...) ou leurs ouvriers. Trotski fit plus tard l'observation suivante :

« Pour comprendre les deux principaux courants dans la classe ouvrière de Russie, il est important de considérer que le menchévisme s'est définitivement formé pendant les années de réaction et de régression, s'appuyant principalement sur une mince couche d'ouvriers qui avaient rompu avec la révolution ; tandis que le bolchévisme, terriblement écrasé durant la période de réaction, monta rapidement, au cours des années qui précédèrent la guerre, à la crête du nouveau flux révolutionnaire.  »[28]

2.11 Le courant liquidateur (1908-1914)[modifier | modifier le wikicode]

Parmi les menchéviks, tout un courant s'adapte de façon opportuniste, limitant leurs revendications à ce qui est toléré par le régime (ils abandonnent par exemple la revendication de République, ils veulent se limiter à un parti légal...). Les bolchéviks (mais pas seulement) les appellent à partir de 1908 les « liquidationnistes », car ils tournent le dos à l'activité de propagande clandestine du POSDR.

Les liquidateurs étaient notamment regroupés autour de la revue Nacha Zaria (Potressov, Tchérévanine...) qui était encensée par la bourgeoisie libérale.

Au sein des menchéviks, un groupe autour de Plékhanov (dit « mencheviks du parti ») n'a pas abandonné l’idée de construire des organisations clandestines. En décembre 1908, Plékhanov quitte la rédaction du Goloss Sotsial-Demokrata, organe menchévik virant au liquidationnisme. En même temps, il démissionnait du comité éditorial de l’œuvre en cinq volumes intitulée Le mouvement social en Russie, désormais éditée par Martov, Maslov et Potressov. Il attaqua avec colère ce symposium dans le Dnevnik (N°9, 1909), adressant ses critiques les plus vives à Potressov :

Il ne fait cependant aucun doute qu’un homme pour lequel notre parti n’existe pas ne saurait lui-même exister pour notre parti. Maintenant, tous les membres du parti devront dire que M. Potressov n’est pas de leurs camarades, et certains d’entre eux vont, peut-être, cesser de m’accuser d’avoir depuis longtemps cessé de le considérer comme tel.[29]

Ou encore :

« Potressov a perdu la capacité de regarder la vie sociale à travers les yeux d’un révolutionnaire. » [Le courant liquidateur mène au] « bourbier du plus infect opportunisme. » « [il] facilite la pénétration des tendances petites-bourgeoises dans l’environnement prolétarien ». « J’ai tenté de façon répétée de prouver à des camarades mencheviks influents qu’ils font une grave erreur en faisant montre parfois de leur disposition à marcher la main dans la main avec des messieurs qui, à un degré plus ou moins grand, empestent l’opportunisme. »[30]

A la suite de cette déclaration, Lénine proposa une réconciliation avec Plékhanov. En novembre 1909, il appela à un

rapprochement des éléments pro-parti de toutes les fractions et de tous les groupes du parti, et avant tout celui des bolcheviks et des mencheviks pro-parti, les mencheviks du type de ceux du quartier Vyborgski à Saint-Pétersbourg, ou de celui des plékhanovistes à l’étranger… et nous y invitons tous les mencheviks capables de combattre ouvertement le courant liquidateur, de soutenir ouvertement Plékhanov, d’abord et avant tout, naturellement, les ouvriers mencheviques.[31]

Dans la pratique, l’effort de Lénine pour coopérer avec Plékhanov donna très peu de résultats. Le fait qu’en 1905 Plékhanov s’était trouvé à l’extrême aile droite des mencheviks, qu’il s’était opposé à l’insurrection de décembre parce qu’elle risquait d’effrayer les libéraux, et qu’il avait exigé qu’on se comporte avec tact envers les cadets, limitait sérieusement les perspectives de cette tentative de coopération.

2.12 La réunification ratée de 1910[modifier | modifier le wikicode]

En réaction au délitement, un courant pour l'unité du parti se développe fin 1908, appelé notamment par Plékhanov et Trotski. Lénine est méfiant mais une majorité unitaire de bolchéviks se dégage.

En janvier 1910, une séance plénière du comité central, qui s'étale sur trois semaines, semble consacrer le succès de cette réunification. Officiellement, les deux déviations sont condamnées, les bolchéviks s'engageaient à rompre avec les otzovistes (ce qui était déjà fait) et les mencheviks à rompre avec les liquidateurs. Les journaux bolchevique et menchevique, le Proletarii et la Goloss Sotsial-Demokrata, vont disparaître pour laisser la place au Sotsial-demokrat, que dirigeront Lénine et Zinoviev avec Dan et Martov, ainsi qu'un membre du SDKPiL (Varsky). Le bolchevik Kamenev est coopté au comité de la Pravda de Trotski, qui devient journal officiel du parti. Lénine a accepté toutes ces décisions. Trotski alla jusqu’à saluer les résultats du plénum de Paris comme « le plus grand événement de l’histoire de la social-démocratie russe ».[32]

En août, la conférence social-démocrate de Copenhague voit se préciser un nouvel alignement des forces : bolcheviks et « mencheviks du parti » viennent de décider la publication en commun de deux journaux en Russie, la Rabotchaïa Gazeta, illégale, et la Zvezda, légale.

Beaucoup espéraient encore la réunification du POSDR, comme Luxembourg, qui écrivait pendant l'été 1911 : « Malgré tout, l'unité du parti peut être sauvegardée si l'on contraint les deux fractions à convoquer une conférence commune. » En août 1911, elle répétait : « Le seul moyen de sauver l'unité est de réaliser une conférence générale, composée d'hommes envoyés de Russie, car ceux qui vivent là-bas veulent la paix entre eux et l'unité, et ils sont la seule force qui puisse mettre à la raison nos coqs de l'étranger. »

Cependant la convergence n'est toujours pas effective. Alors que Lénine s'est séparé des gauchistes, les principaux dirigeants menchéviks comme Martov continuent de cautionner les liquidateurs (Martov admit plus tard qu’il n’avait jamais eu l’intention de tenir cet engagement et qu’il n’avait consenti à cette déclaration que parce que son groupe était trop faible pour risquer une rupture immédiate[33]). Alors que Martov place à égalité d'importance l'activité légale et illégale, Lénine continue de placer le centre de gravité dans l'appareil clandestin. Dans la pratique, le comité central ne se réunit plus, la Goloss Sotsial-Demokrata continue de paraître...

Ce rapprochement reçut le coup de grâce lorsque les trois liquidateurs invités à se joindre au comité central refusèrent d’avoir le moindre rapport avec l’organisation clandestine. Lorsque les « conciliateurs » bolcheviks proposèrent de poursuivre la négociation avec d’autres dirigeants du courant liquidateur, Lénine les ignora. Lorsque Martov et Dan tentèrent de publier article conciliateur dans le Sotsial-Demokrat, Lénine, Zinoviev et Varsky votèrent contre. De plus l’okhrana se concentrait sur l’arrestation des conciliateurs, afin de favoriser la désunion.[34]

2.13 La rupture de 1912 et le bloc d'août[modifier | modifier le wikicode]

Les luttes connaissent un essor à partir de 1910-1911. Cette remontée convainc Lénine de l'urgence de rebâtir un appareil prêt. N'ayant aucune confiance dans les menchéviks, il organise des préparatifs unilatéralement. Il forme des cadres et les envoie en Russie pour y reprendre les contacts et préparer une conférence nationale. Il ne lance les invitations aux autres tendances que lorsqu'elle est sur les rails. Dan et Martov protestent contre ces préparatifs et quittent le comité de rédaction du Sotsial-demokrat.

Cette « conférence du POSDR » est organisée en janvier 1912 avec l'essentiel des forces social-démocrates en Russie, et elle déclare l'exclusion des liquidateurs. Les menchéviks et plusieurs petits groupes surtout de l'émigration, ne la reconnaissent pas, voulant maintenir l'unité avec le groupe de Nacha Zaria. Ils forment un « Comité d'organisation », qui s'opposera au Comité central issu de la conférence de 1912.

Les deux organisations sont en conflit ouvert. Leurs deux quotidiens légaux s'affrontent à Saint-Pétersbourg, la Pravda bolchévique et le Loutch menchévique. De même à la Douma (Lénine insista pour que les groupes parlementaires soient bien distincts) : d'un côté la « Fraction ouvrière social-démocrate de Russie » (bolchéviks), de l'autre la « Fraction social démocrate » dirigée par Tchkhéidzé.

Mais pendant les années 1912-1914, ce sont les bolchéviks qui obtiennent une influence de masse dans la classe ouvrière. En 1914, ils groupaient 4/5e des ouvriers social-démocrates et dirigeaient les plus grands syndicats de Moscou et de Saint Saint-Pétersbourg. Martov minimisait en disant que :

« Les victoires de la Pravda sur le mouvement ouvrier organisé [sont celles] d'une poignée de gens littéralement sans nom ou aux noms à la résonance peu ragoutante, un groupe appartenant plutôt au lumpenproletariat intellectuel qu’à l’intelligentsia. Ayant pris le bâton entre leurs mains, ils sont devenus des caporaux, portant le nom d’un unique intellectuel – Lénine – comme drapeau idéologique. »[35]

Mais en privé, Martov se plaignait de la faiblesse organisationnelle des mencheviks. Ainsi, en septembre 1913, en recevant la nouvelle d’une victoire des bolcheviks aux élections du Syndicat des Ouvriers Métallurgistes, Martov écrivait à Potressov :

Je suis dégoûté par l’histoire du Syndicat des Ouvriers Métallurgistes qui expose nos faiblesses encore plus qu’à l’accoutumée. Il est tout-à-fait probable qu’au cours de cette saison, notre position à Pétersbourg va se réduire encore. Mais ce n’est pas cela le plus terrible. Le pire, c’est que du point de vue de l’organisation, le menchevisme… reste un petit cercle faible.[36]

2.14 Pendant la guerre (1914-1917)[modifier | modifier le wikicode]

En 1914, contrairement à la plupart des sections de l'Internationale ouvrière, la ligne de la défense de la patrie est loin de faire l'unanimité en Russie. Les clivages politiques au sein du POSDR sont radicalement redessinés sur la question du soutien ou non à la guerre. Ceux qui ont soutenu la guerre ont été appelés « défensistes » et ceux qui étaient opposés étaient appelés « internationalistes » ou « défaitistes » :

  • Presque tous les bolchéviks sont internationalistes (même si en Russie peu suivront vraiment la ligne du « défaitisme révolutionnaire » que prone Lénine de l'étranger).
  • Les menchéviks sont très divisés. Une forte minorité est défensiste (autour de Nacha Zaria) voire ouvertement social-chauvine comme Plekhanov qui réclame des annexions. Une majorité est contre la guerre (refuse de voter les crédits) mais refuse toute action concrète. La minorité « internationaliste » autour de Martov est plus claire.

A la Douma en 1914, les députés menchéviks et bolchéviks se retrouvent sur une motion où ils s'engagent à « défendre les biens culturels du peuple contre toutes atteintes, d'où qu'elles vinssent ». La Douma souligna par des applaudissements cette reddition. Les bolchéviks reprendront cependant vite l'activité révolutionnaire, et leurs députés à la Douma seront arrêtés.

Tandis qu'une vague de répression se déchaîne contre les bolchéviks, certains industriels libéraux (Goutchkov notamment), épouvantés par les grèves, tentent de se rapprocher des menchéviks. Ils tentent d'imposer aux ouvriers une discipline patriotique en admettant leurs élus menchéviks dans les Comités des Industries de guerre. Cela choquait beaucoup dans les milieux les plus réactionnaires et dans le gouvernement tsariste, mais le ministre de l'Intérieur se plaignait de ne pouvoir s'opposer que très difficilement à cette initiative : « Toute cette affaire est présentée sous l'enseigne du patriotisme et au nom des intérêts de la défense. »

A l'origine, les ouvriers de Petrograd, influencés par les bolchéviks, sont sur une position de boycott. Mais les forces réunies des menchéviks, des libéraux et des tsaristes parviennent à l'emporter finalement. Les menchéviks sont toujours serviles envers la bourgeoisie, au nom de l'étape bourgeoise... Un de leurs représentants dit devant les industriels, au sein du Comité : « Vous devez exiger que le pouvoir bureaucratique qui existe actuellement quitte la scène, cédant la place à vous autres, héritiers du régime présent. »

Martov, Trotski et Lénine se retrouvent à Zimmerwald mais Lénine dénonce le pacifisme « centriste » des autres courants internationalistes.

2.15 Révolution de 1917[modifier | modifier le wikicode]

Nicolas Tchkhéidzé

A nouveau, la révolution de février 1917 surprend tous les militants organisés du POSDR. Beaucoup de dirigeants social-démocrates, bolchéviks comme menchéviks, sont en exil : Lénine et Martov sont à Zurich, Trotski est à New York, Tsereteli, Dan et Staline en exil en Sibérie.

Les menchéviks, alors dirigés par Tsereteli, sont sur une ligne de soutien à peine critique au gouvernement provisoire des KD. Ils demandent que soit fixé l'objectif d'une « paix juste sans annexion », mais soutiennent l'effort de guerre. Dans les soviets (où ne sont présents que les partis socialistes), les mencheviks sont majoritaires, avec l'appui des S-R.

Ce n'est pas que les bolchéviks aient reculé, mais que les nouvelles couches sociales qui se politisent subitement votent majoritairement pour les menchéviks et les S-R, pour plusieurs raisons : ceux-ci ont plus d'intellectuels et donc davantage d'agitateurs disponibles pour gagner des voix ; ces ouvriers et soldats ayant peu de repères, ne font quasiment pas de différence entre les courants socialistes ; ils votent donc pour ceux qui leur paraissent avoir les messages les plus simples (notamment les menchéviks mettaient en avant l'unité avec les soldats S-R et cela répondait à l'aspiration principale des ouvriers).

Les menchéviks font élire Tchkhéidzé[37] à la tête du Comité exécutif du Soviet de Petrograd. Le 5 mars, ils font voter au Soviet (par 1170 voix contre 30) une résolution appelant tous les ouvriers à reprendre le travail. Comme les grèves continuaient, le 8 mars, la Rabotchaïa Gazeta publia un appel aux grévistes, proclamant qu'ils discréditaient le soviet en ne lui obéissant pas. Le 10 mars, le journal menchevik rappelait les leçons de 1905 : ne pas précipiter les choses.

Sous la direction de Kamenev et Staline, les bolchéviks glissent vers une ligne de soutien au gouvernement provisoire et envisagent même de fusionner avec les menchéviks. Le retour d'exil de Lénine et ses Thèses d'avril radicales vont réaffirmer un clivage net avec les menchéviks.

Les menchéviks restent au début sur leur position depuis 1905, celle de ne pas participer au gouvernement, puisque c'est une révolution bourgeoise. Tchkhéidzé en particulier refuse la proposition qui lui est faite. Mais le gouvernement est affaibli après les premières contestations populaires sérieuses, et Tsérétéli[38] fait passer une ligne de participation au nom de la « sauvegarde de la révolution ». Le 18 avril il devient ministre des Postes et Télégraphes, et Skobelev devient ministre du travail. Dans les comités d'usines, les menchéviks défendent le contrôle par l'État contre le contrôle ouvrier, mais ils sont minoritaires par rapport aux bolchéviks.

A son retour d'exil début mai, Martov organise la gauche menchévique contre la politique de Tsereteli, mais il est battu à la conférence du parti menchévik du 9 mai (44 voix contre 11).

De nombreux social-démocrates rentrant d'exil au printemps ou à l'été 1917 doivent choisir leur camp devant l'ampleur des choix stratégiques à faire. Certain·es ex-menchéviks comme Kollontaï rejoignent les bolchéviks. Etant donné que le gouvernement refuse de répondre aux revendications populaires, la participation dessert les menchéviks. Ils perdent de leur influence aux élections municipales de Moscou en septembre 1917.

Début septembre, les bolchéviks remportent le soviet de Petrograd, et Trotski remplace Tchkhéidzé. Cela va précipiter l'affrontement, car ni les bourgeois ni les conciliateurs ne pouvaient tolérer longtemps cette menace. Lénine parvient à convaincre les indécis dans son parti que c'est le moment de l'insurrection. A une séance du Comité exécutif central, Tsereteli, alors ministre, disait en privé à Joffé : « Vous aurez la victoire ; maintenant, cela ne saurait faire aucun doute. Mais cela n'empêche pas que, bien ou mal, nous avons tenu tout de même six mois. Si vous tenez seulement six semaines, je reconnaîtrai que vous avez raison. »[39] Tsereteli ne reconnut jamais rien.

Les leaders menchéviks Tchkhéidzé et Tsereteli s'éloignèrent d'ailleurs prudemment de Petrograd un peu avant l'insurrection, regagnant leur Géorgie natale. C'est alors principalement Dan qui parle au nom des menchéviks au Comité exécutif central et au 2e congrès des soviets.

La révolution d'Octobre a lieu dans la nuit du 24-25 octobre (n.s : 6-7 novembre), les bolcheviks prennent le pouvoir au nom du Soviet de Petrograd, et soumettent la question du pouvoir au Congrès des soviets qui s'ouvre le lendemain, 25-26 octobre. A ce congrès, les menchéviks et les SR de droite se retrouvent en minorité, et quittent le congrès en dénonçant le soulèvement. Le petit groupe des menchéviks de gauche (Martov, Soukhanov...) tergiverse, se divise, et finit par quitter le congrès aussi. Le congrès prend alors les premières mesures révolutionnaires.

D'après l'expérience de la révolution russe, Trotski disait : « Les menche­viks russes représentaient les spécimens les plus caractéris­tiques de ce type de chefs [pour qui] le marxisme devient une méthode servant à motiver l'impossibilité de l'action révolutionnaire. »[40]

2.16 Après Octobre[modifier | modifier le wikicode]

Les 673 délégués du Congrès des soviets du 25 octobre (à majorité bolchévik et SR de gauche) entérinent le renversement du gouvernement Kerensky. La majorité des menchéviks (110 délégués) quittent la salle et dénoncent un « coup d'État bolchevique ». La minorité des « menchéviks internationalistes » reste, et Martov fait passer avec une large majorité un appel à élargir le gouvernement à tous les socialistes. Mais il n'a pas vraiment de soutien et Lénine et Trotski soulignent le discrédit de ceux qui sont partis et se sont opposés à l'insurrection. Le congrès valide le nouveau gouvernement, composé uniquement de bolchéviks, et conçu comme provisoire. Des négociations sont annoncées avec les autres partis socialistes pour éventuellement les intégrer plus tard.

Dans les mois qui suivent, les internationalistes de Martov se rapprochent du reste du parti. La conclusion de la paix va de plus retirer l'objet qui avait causé la divergence. En mai 1918, le groupe de Martov décida, à l’unanimité moins une voix, de rejoindre le gros des militants. Les menchéviks sont alors dirigés par Dan et Martov.

Les menchéviks s'allient aux SR de droite pendant l'Assemblée constituante (réunie en janvier 1918 mais élue en novembre 1917) pour voter le retrait de toutes les mesures révolutionnaires du pouvoir soviétique. L'Assemblée est dissoute et le congrès des soviets de janvier 1918 confirme un effondrement de la popularité des menchéviks et des SR de droite.

Le 14 juin 1918, les mencheviks sont finalement exclus des soviets la veille des élections au 5e congrès des soviets où ils espéraient obtenir la majorité.

Durant la guerre civile, des éléments de droite du parti s'allient aux « blancs » pour combattre les bolcheviks. Le Comité central menchevique condamne formellement ces initiatives, particulièrement dans la région de la Volga où elles sont nombreuses. Mais comme Martov refuse de rompre avec la droite, les publications menchéviques sont parfois autorisées, parfois interdites, dans le cadre de la répression des contre-révolutionnaires. Des menchéviks (notamment Raphael Abramovitch) critiquent le communisme de guerre et défendent un programme alternatif[41], critiqué par Trotski dans Terrorisme et communisme.

Les menchéviks soutiennent la révolte de Kronstadt en 1921 et seront interdits définitivement à ce moment-là.

3 Postérité[modifier | modifier le wikicode]

Lors des grands procès staliniens, les ex-menchéviks qui s'étaient ralliés aux bolchéviks furent exécutés en même temps que toute la génération des Vieux bolchéviks.

Ceux qui peuvent s'exiler installent leur direction à Berlin, où ils publient Le Messager socialiste (Sotsialistitcheski Vestnik). En 1933, l’arrivée au pouvoir de Hitler les oblige à quitter Berlin pour Paris. Le Messager sera ensuite publié à New York de 1939 à 1965.

Sur le plan international, les Mencheviks furent membres de l'Union des partis socialistes pour l'action internationale (structure très critique de la Deuxième Internationale), puis de l'Internationale ouvrière socialiste.

4 Le menchévisme en Géorgie[modifier | modifier le wikicode]

Le Caucase et en particulier la Géorgie était un bastion des menchéviks (Tchkhéidzé, Jordania, Ramichvili, Guéguétchkori, Tchenkéli). Dans les élections de novembre 1917 pour l'Assemblée constituante, les menchéviks obtiennent 3,3% des voix au niveau national (suite à l'effondrement causé par leur impopularité) mais encore 30,2% en Transcaucasie et 75% en Géorgie. Au total, 41,7% de leurs voix viennent de Transcaucasie.

Les menchéviks qui dirigent la Géorgie ne sont au départ pas en faveur de l'indépendance, et s'alignent sur le gouvernement provisoire issu de la révolution de février. Mais après la prise de pouvoir par les bolchéviks (7 novembre), ils s'autonomisent de plus en plus.

L'indépendance de la République démocratique fédérative de Transcaucasie est déclarée le 22 avril 1918 (notamment par Tchkhéidzé), mais elle éclate bien vite sous le poids des divisions nationales internes et des manoeuvres impérialistes. Le 26 mai 1918 le Conseil national géorgien, dirigé par Noé Jordania, déclare l'indépendance de la Géorgie.

La nouvelle République démocratique de Géorgie organise des élections parlementaires le 14 février 1919, où les menchéviks obtiennent 81,5% des suffrages.

En 1921, les bolchéviks occupent la Géorgie et beaucoup de menchéviks fuient en France (Leuville-sur-Orge) où ils organisent le gouvernement en exil.

5 Caractérisation du menchévisme[modifier | modifier le wikicode]

Certains militants simplifient les évolutions politiques, au prix d'une vision falsifiée de l'histoire, en faisant comme si la rupture de 1903 était déjà nettement celle entre réformistes et révolutionnaires. En réalité, les désaccords sont alors exclusivement sur des questions d'organisation. Sur ces questions, Luxemburg et Trotski étaient opposés à Lénine. Certes, on peut noter que la fermeté, le sérieux et la détermination de Lénine, en particulier dans la Russie tsariste, étaient des conditions nécessaires pour mener à bien une politique révolutionnaire. Et c'est sans aucun doute pour cette raison qu'à terme, c'est autour de sa fraction que se sont regroupés les militants socialistes réellement déterminés à aller jusqu'au bout. Mais cela a impliqué un décantation qui s'est produite sur plusieurs années, où de nombreux militants sont passés d'une fraction à l'autre, celles-ci étant profondément renouvelées.

Selon le dirigeant trotskiste Tony Cliff, on peut dire du courant de Martov en 1903 qu'il était centriste.[42]

6 Journaux mencheviks[modifier | modifier le wikicode]

Journaux avec les bolchéviks Journaux mencheviks Autres journaux

7 Congrès et conférences du POSDR[modifier | modifier le wikicode]

Congrès du POSDR Conférences du POSDR

8 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

L’opposition légale des mencheviks en Russie (1918-1922), 1957

  1. Plekhanov, Our Differences, 1885
  2. Lénine, Le développement du capitalisme en Russie, 1899
  3. Organisational Rules of the Russian Social-Democratic Labour Party adopted at the Party’s 2nd Congress
  4. Lire Lénine. Entretien avec Lars Lih, 2013
  5. Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 5, 1975
  6. Claudie Weill, A propos du terme bolchévisme, 1975
  7. Léon Trotski, Ma vie, 12. Le congrès du parti et la scission, 1930
  8. Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, 1904
  9. Trotski, Report of the Siberian Delegation, 1903
  10. Rosa Luxemburg, Questions d'organisation de la social-démocratie russe, 1904
  11. Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, 1904
  12. Rosa Luxemburg, Questions d'organisation de la social-démocratie russe, 1904
  13. Trotski, Report of the Siberian Delegation, 1903
  14. Léon Trotski, Ma vie, 12. Le congrès du parti et la scission, 1930
  15. 15,0 et 15,1 D. Lane, The Roots of Russian Communism, Assen 1969
  16. J. Martov, Geschichte der russischen Sozialdemokratie, Berlin 1926
  17. Lénine, Il est temps d'en finir, Vpériod, n° 1 du 4 janvier 1905
  18. Lénine, Lettre à Goussev, 11 mars 1905
  19. I. Getzler, Martov, London 1967, p. 75.
  20. Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, 1905
  21. F. Dan, The Origins of Bolshevism, New York 1964.
  22. Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – Chapitre 15 – Semi-unité avec les mencheviks, 1975
  23. Lénine, The Unity Congress of the RSDLP, avril 1906
  24. Lenin, Party Discipline and the Fight Against the Pro-Cadet Social-Democrats, Proletary, No. 8, November 23, 1906
  25. Lénine, The Fifth Congress of the RSDLP, 1907
  26. Staline, The London Congress of the RSDLP (notes of a delegate), 1907
  27. Trotski, Staline, 1940
  28. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe, 1930
  29. Lenin, Against Unity—With the Liquidators, Prosveshcheniye, No. 3–4, February-March 1912
  30. Lenin, The Liquidators Exposed, Proletary No. 47–48. September 5 (18), 1909
  31. Lenin, Methods of the Liquidators and Party Tasks of the Bolsheviks, Proletary No. 50, November 25 (December 11), 1909
  32. Pravda, Vienne, 12 février, 1910
  33. Martov, Спасители или упразднители?, Paris 1911, p. 16
  34. M.A. Tsiavlovsky, ed., Большевики : документы по истории большевизма с 1903 по 1916 год бывшего Московского Охранного Отделения, Moscou 1918, pp. 48ff, in O.H. Gankin and H.H. Fisher, The Bolsheviks and the World War, Stamford University Press 1940, p. 106.
  35. Julius Martov, Réponse à Bulkine, Nacha Zaria, n°3, Mars 1914
  36. Cité in L. Harrison, « The Problem of Social Stability in Urban Russia, 1905-1917 », Slavic Review, décembre 1964.
  37. Biographie de Nicolas Tchkhéidzé, consultée le 11 mars 2014.
  38. Biographie d'Irakli Tsérétéli, consultée le 11 mars 2014.
  39. Adolf Joffé, Le premier gouvernement prolétarien, 1919
  40. Trotski, Les leçons d'Octobre, 1924
  41. What is to be done: The Menshevik Programme July 1919, Spirit of Contradiction
  42. Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 5, 1975

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