Cinquième congrès du POSDR
Jusqu'en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui avait à l'époque 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Le 23 février « ancien style » correspond donc au 8 mars « nouveau style » (n.s.). |
Le 5e congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie se tient à Londres du 13 mai au 1er juin 1907 (nouveau style), dans une église tenue par une communauté chrétienne radicale.[1]
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
Au 4e congrès dit « d'unification » (1906), les deux fractions bolchévique et menchévique s'étaient formellement réunifiées. Sous la poussée révolutionnaire de 1905-1906, le POSDR avait largement recruté, et les menchéviks s'étaient radicalisés. Ils étaient alors plus nombreux que les bolchéviks.
Le reflux et la période de contre-révolution qui commence en 1907 frappe d'abord plus durement les menchéviks, dont l'organisation clandestine était moins solide. Par ailleurs les militants bolchéviks étaient plus longs à former, mais leur engagement était plus durable. Ils se retrouvent donc majoritaires au 5e congrès.[2] Également, les bolchéviks bénéficiait d'un certain rejet de la politique suiviste des Cadets que défendaient les menchéviks. C'est ce qui leur fit remporter la majorité lors de la Conférence de la ville et du district de Saint-Pétersbourg en janvier 1907.[3]
Cependant les menchéviks contrôlaient le comité central issu du 4e congrès, et dirigeaient le groupe de députés social-démocrates de la Douma.
2 Délégation[modifier | modifier le wikicode]
338 délégués sont réunis :
- 105 bolchéviks, représentant 33 000 membres ;
- 97 menchéviks, représentant 43 000 membres ;
- 59 délégués du Bund, représentant 33 000 membres ;[4]
- 44 délégués de la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie (SDKPiL), représentant 28 000 membres
- 29 délégués du Parti ouvrier social-démocrate de Lettonie, représentant 13 000 membres ;
- 4 délégués 'hors-fraction'.
300 d'entre eux avaient le droit de vote.
C'était le congrès du POSDR qui réunit le plus de monde.[5]
Parmi les délégués bolchéviks se trouvent Lénine (délégué de la haute Kama)[6], et Staline.[7] C'est la deuxième et dernière fois que Staline se rend hors de Russie.
Rosa Luxemburg était présente au congrès en tant que déléguée du SDKPiL, et avec également un mandat pour représenter le SPD.
Trotski, qui venait de s'évader, se trouvait parmi les délégués sans droit de vote et 'hors-fraction'.
3 Déroulement[modifier | modifier le wikicode]
Le congrès se déroule en 35 sessions, toutes très tendues.[8]
3.1 Situation politique[modifier | modifier le wikicode]
Bien que la vague révolutionnaire de 1905 commence à refluer, les bolchéviks soutiennent encore qu'il faut se préparer à un soulèvement armé contre le tsarisme, ce que Martov dénonce comme une déviation « putschiste » et Plékhanov comme une dérive anarchiste.
Martov développait une vision passive :
« Le parti social-démocrate peut prendre part à un soulèvement, appeler les masses à l’insurrection… mais il ne peut pas préparer une insurrection s’il reste sur le terrain de son programme, s’il ne se transforme pas en parti de conspirateurs »
La question du soulèvement armé était liée à l’objectif des révolutionnaires : les menchéviks ne visaient pas le pouvoir, que devait revenir selon eux aux bourgeois libéraux (à l'inverse de la vision bolchévique). Comme le disait Lénine : « Il est impossible de combattre si l’on ne compte pas s’emparer de la position disputée. »
Mais au delà du désaccord stratégique, il est clair que les bolchéviks surestimaient les possibilités de la situation. Lénine avait commencé à admettre le changement de période en décembre 1906[9], mais il espérait désormais une remontée. Dans un projet de résolution, il écrivait :
« … un grand nombre de faits témoignent de l’extrême aggravation de la misère du prolétariat et de sa lutte économique… il est indispensable de considérer ce mouvement économique comme la source première et la base la plus importante de toute la crise révolutionnaire qui se développe en Russie. »
Il y eut effectivement une crise internationale en 1907, mais une crise ne conduit pas automatiquement à une situation révolutionnaire. Trotski était un des seuls à le réaliser clairement :
« La crise industrielle mondiale qui éclata en 1907 fit durer en Russie la longue dépression trois ans de plus et, loin de pousser les ouvriers à la lutte, dispersa encore plus leurs rangs et les affaiblit. Sous les coups des lock-out, du chômage et de la misère, les masses épuisées perdirent tout courage. Telle était la base matérielle des « succès » de la réaction de Stolypine. Le prolétariat avait besoin de la fontaine de jouvence d’une nouvelle montée industrielle pour refaire ses forces, resserrer ses rangs, se sentir de nouveau un facteur indispensable de la production et plonger dans une nouvelle lutte. »[10]
« Après une période de grandes batailles et de grandes défaites, une crise agit sur la classe ouvrière non pour l’exalter, mais pour l’accabler : elle lui enlève toute confiance en ses propres forces et décompose en elle les forces politiques. Il faut qu’une nouvelle animation dans la vie industrielle vienne alors resserrer le prolétariat, le régénérer, lui redonner de l’assurance, le rendre capable de poursuivre la lutte. »[11]
Les délégués du Bund votent avec les menchéviks, mais les délégués lettons et ceux du SDKPiL (dont Rosa Luxemburg) votent avec les bolchéviks, qui obtiennent alors la majorité. Trotski avait alors une position de médiateur qui essayait de faire s'entendre les deux fractions.
En passant, certains menchéviks attaquaient les bolchéviks sur le fait que beaucoup de leurs intellectuels, comme Bogdanov, étaient influencés par les thèses de Mach et Avenarius. Martynov disait : « Presque tous les leaders théoriques des bolcheviks sont, comme on le sait, des critiques du matérialisme, des empiriomonistes ».
3.2 Question syndicale[modifier | modifier le wikicode]
La question syndicale soulève aussi des débats.
Les menchéviks soutiennent l'idée d'organiser un grand « congrès ouvrier », comme première étape vers un mouvement ouvrier organisé davantage sur le modèle d'Europe de l'Ouest.
Les bolchéviks remportent le vote contre, avec 165 voix contre 94, et 21 abstentions.
3.3 Politique à la Douma[modifier | modifier le wikicode]
Les bolchéviks étaient jusqu'alors contre la participation aux élections à la Douma (Assemblée législative), même si Lénine n'en faisait pas une question de principe, et allait le mois suivant défendre la fin du boycott lors de la 3e conférence du POSDR.
Mais lors du congrès, la question débattue était celle de la politique que devaient mener les députés social-démocrates (en majorité menchéviks) à la Douma.
Les menchéviks, par la voix de Tseretelli (élu à la Douma), défendaient principalement des alliances avec les Cadets.
Les bolchéviks, par la voix d'Alexinski (élu à la Douma au nom des ouvriers de Saint-Pétersbourg), refusaient catégoriquement des alliances avec les Cadets, et défendaient plutôt la recherche d'alliances avec les Troudoviks ou les socialistes populaires, des groupes issus du populisme russe, représentant plutôt les paysans. Lénine insistait par ailleurs sur le fait que l'action à la Douma devait avant tout servir à faire de la propagande et de l'agitation, plus qu'à obtenir des réformes. Les bolchéviks obtiennent un vote majoritaire.
3.4 Les « expropriations »[modifier | modifier le wikicode]
En cette période de répression et de reflux du nombre de militants, le financement des activités devient plus difficile. Une partie des bolchéviks se sont lancés dans des braquages de banques ou d'attaques de convois (ce que faisaient aussi certains SR et anarchistes).[12] Staline était un des organisateurs de ces braquages.
Les menchéviks condamnent fermement ces « expropriations » (le nom qui est donné à ces braquages). Ils considéraient qu'il s'agissait de rechute dans l'illusion du terrorisme narodnik, ou plus directement attaquait cela comme du banditisme sous-politique. Leur résolution condamne des actions « qui désorganisent et démoralisent », et appelle à la dissolution de toutes les milices liées au parti. Une bonne partie des bolchéviks la vote. Elle passe avec 65%. Il y eut seulement 6% de votes contre, les autres s’abstenant ou ne prenant pas part au vote.
Lorsque des délégués crièrent de la salle : « Et Lénine ? Et Lénine ? », il profita de sa place à la tribune pour éviter d’enregistrer son vote. « Enigmatique, il se contentait de rire ».[13] Sur ce point, Staline fit par la suite un compte rendu peu convainquant :
Sur les résolutions mencheviques, seulement celle concernant les actions de partisans a été adoptée, et ce de façon tout à fait accidentelle : sur ce point les bolcheviks n’ont pas accepté la confrontation, ou plutôt, ils n’ont pas souhaité la mener jusqu’au bout, essentiellement par désir de « donner aux camarades mencheviks au moins une occasion de se réjouir ».[7]
Ironiquement, une des « expropriations » les plus connues eut lieu quelques semaines après le congrès à Tiflis.[14]
3.5 La dette auprès d'un riche libéral[modifier | modifier le wikicode]
A propos de la question financière, Trotski raconte dans son autobiographie :
« Les fonds manquèrent non seulement pour les voyages de retour, mais aussi pour mener à bonne fin le congrès. (...) Un des libéraux anglais consentit à la révolution russe un emprunt, qui, je m'en souviens, fut de trois mille livres sterling. Mais il exigea que la reconnaissance fût signée par tous les délégués au congrès. L'Anglais reçut un document sur lequel figuraient plusieurs centaines de signatures, tracées avec les caractères qui appartiennent à toutes les populations de la Russie. Il eut cependant à attendre longtemps le versement de la somme marquée sur cet effet. Pendant la réaction et la guerre, le parti ne pouvait penser à payer de pareilles sommes. C'est seulement le gouvernement soviétique qui racheta la traite signée par le congrès de Londres. La révolution fait honneur à ses engagements, bien que d'ordinaire avec un certain retard. »[13]
3.6 Conflit sur le numéro du congrès[modifier | modifier le wikicode]
Etant donné que les menchéviks n'avaient pas reconnu le 3e congrès (1905), il y eut un conflit sur la dénomination du congrès. Quand les bolchéviks parlèrent du présent congrès comme du 5e congrès, Fiodor Dan s'y opposa.
Finalement le délégué du Bund L. G. Shapiro (M. Chanine) proposa de dire simplement "Congrès de Londres du POSDR", ce qui fut adopté.
3.7 « Centralisme démocratique »[modifier | modifier le wikicode]
Sous l'impulsion des bolchéviks, le congrès introduit dans ses statuts le principe du « centralisme démocratique » : les décisions doivent être prises après une large discussion démocratique, et ensuite, doivent être appliquées par l'ensemble des militant·es, y compris les minoritaires.
Comme garantie de la liberté des décisions et du contrôle démocratique du centre, on décide la tenue d'un congrès annuel et de conférences trimestrielles rassemblant chaque fois des délégués élus pour la circonstance.
Vu l'état de division et de méfiance entre les fractions, cela resta un vœu pieux (même au sein de chacune des fractions, cela ne fonctionna jamais réellement de cette façon théorique).
3.8 Élection de la direction[modifier | modifier le wikicode]
Malgré la majorité obtenue par les bolchéviks sur plusieurs résolutions, les délégués lettons et du SDKPiL furent plus hésitant au moment de l'élection de la direction.
Fraction | Membres | Membres alternatifs |
---|---|---|
Bolcheviks | 5 | 10 |
Mencheviks | 4 | 7 |
SDKPiL | 2 | 3 |
Social-démocratie lettone | 1 | 2 |
Parmi les bolcheviks élus au comité central figurent Bogdanov, Rykov et Zinoviev.
Deux bundistes furent inclus plus tard au comité central, Raphael Abramovitch et Michaïl Liber.
On peut noter qu'apparaissent à cette époque les diminutifs « beki » et « meki » pour désigner les deux fractions.[15]
4 Suites[modifier | modifier le wikicode]
Le Comité central issu de ce congrès est profondément divisé et ne parvient pas à fonctionner. Les bolchéviks élisent à l'issue du congrès leur propre Centre bolchévik de 15 membres, menée par Lénine.
Celui-ci est destiné à diriger la fraction, que Lénine voit comme « un bloc pour faire appliquer, dans le parti ouvrier, une tactique déterminée »[16].
Trotski fit un compte rendu public du congrès dans le Vorwärts, dans lequel il prônait la réunification du parti en dénonçant les deux extrêmes, l'aile droite des menchéviks, et l'aile gauchiste, en particulier les bolchéviks faisant des expropriations. Lénine en fut extrêmement irrité.[13]
La divergence d'attitude qui apparaît par rapport au durcissement de la répression se renforce après le congrès. Certains menchéviks abandonnent le POSDR et rejoignent des partis légaux, théorisant même qu'il fallait cesser les activités clandestines. Les bolchéviks les appelleront à partir de 1908 les « liquidationnistes ».
5 Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]
Congrès du POSDR | Conférences du POSDR |
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6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
Protocoles du congrès (en russe)
- ↑ https://en.wikipedia.org/wiki/Brotherhood_Church
- ↑ Pierre Broué, Le parti bolchévique, 1963
- ↑ Grigori Zinoviev, Histoire du Parti Bolchevik, 31 mars 1924
- ↑ Henri Minczeles, Histoire générale du Bund: un mouvement révolutionnaire juif, Paris: Editions Austral, 1995
- ↑ Ian D. Thatcher, Trotsky. Routledge Historical Biographies. London: Routledge, 2003. p. 49
- ↑ Lenin. The Fifth Congress of the R.S.D.L.P.
- ↑ 7,0 et 7,1 Staline, The London Congress of the Russian Social-Democratic Labour Party – (Notes of a Delegate), June 20 and July 10, 1907
- ↑ Boris Souvarine, Stalin: a Critical Survey of Bolshevism, Gardners Books, 2007. p. 107
- ↑ Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 13 – Victoire de la réaction noire, 1975
- ↑ Trotski, Staline - V. Nouvelle montée, 1940
- ↑ Trotski, Ma vie - 17. La préparation d'une autre révolution,1930
- ↑ Anna Geifman, Thou Shalt Kill: Revolutionary Terrorism in Russia, 1894–1917, Princeton, New Jersey: Princeton University Press, 1993. ISBN 0-691-08778-4.
- ↑ 13,0 13,1 et 13,2 Trotski, Ma vie - 16. Deuxième émigration - le socialisme allemand, 1930
- ↑ Boris Nicolaevsky, On the history of the Bolshevist Center, in: Secret pages of history, Ed. Yu. G. Felshtinsky (in Russian). Moscow: Humanities Publishing, 1995. ISBN 5-87121-007-4.
- ↑ Claudie Weill, A propos du terme bolchévisme, 1975
- ↑ Lénine, Lettres à Gorki,26 février 1908, Clarté. N° 71, p. 10.