Semi-colonie

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Illustration tirée du supplément au Petit Journal, 16 janvier 1898

Un pays semi-colonisé est un pays qui a formellement une indépendance politique (contrairement aux colonies), mais qui est dominé économiquement par un ou plusieurs pays impérialistes.

1 Caractéristiques[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Conception classique[modifier | modifier le wikicode]

Dans la conception classique, les semi-colonies ont une structure de classe avec :

Les impérialistes bloquent ou freinent le développement du capitalisme dans le pays en exploitant ses ressources et en rapatriant les profits vers la métropole. La classe dirigeante locale sert d'intermédiaire commercial (bourgeoisie compradore) et assure l'ordre établi. Les seules secteurs qui sont développés par les investisseurs impérialistes sont les industries extractives et l'agriculture d'exportation.

Le développement des forces productives étant freiné, les rapports de production féodaux perdurent.

Les semi-colonies peuvent être d'anciennes colonies (Françafrique...), mais pas nécessairement (Chine...).

1.2 Controverses[modifier | modifier le wikicode]

De fait, l'évolution du monde depuis que la théorie classique a été élaborée oblige à intégrer des faits nouveaux :

  • il n'y a pas de stagnation absolue des forces productives dans les semi-colonies, le capitalisme a continué à se développer partout, même si les inégalités entre pays ont continué à se creuser
  • les classes dirigeantes des semi-colonies sont quasi toutes devenues des bourgeoisies avec très peu de traits féodaux restants
  • si les plupart des semi-colonies sont restées nettement dominées, certaines se sont renforcées ; certaines sont-elles devenues des pays impérialistes ? Cela fait l'objet de débats.

2 Stratégie communiste révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Contrairement à la vieille social-démocratie, les communistes engagent une lutte réelle contre l’impérialisme. A l’heure où des PC émergent dans de nombreux pays dominés, d’importants débats agitent l’Internationale. En 1920, elle adopte des thèses[1] qui cherche à combiner au mieux la lutte des classes et la lutte des peuples opprimés, par « des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux ». De plus il faut « consentir à certaines concessions » envers le « sentiment national » des peuples opprimés, qui ont logiquement « un sentiment de défiance à l'égard du prolétariat des pays oppresseurs ».

Le 4e congrès de l’Internationale va élaborer la tactique du « front unique anti-impérialiste » qui poursuit dans ce sens. Mais il constate aussi que l’impérialisme « transforme dans tous les pays arriérés la couche supérieure féodale (et en partie semi-féodale, semi-bourgeoise) de la société indigène en instrument de sa domination. […] Ainsi les classes dirigeantes des pays coloniaux et semi-coloniaux n'ont-elles ni la capacité ni le désir de diriger la lutte contre l'impérialisme, à mesure que cette lutte se transforme en un mouvement révolutionnaire de masses. » D’où la démarche de front unique, qui doit servir à « démasquer les hésitations ».[2]

3 Historique[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Colonisation, semi-colonisation, pays dépendants[modifier | modifier le wikicode]

Au 19e siècle, les puissances européennes capitalistes se sont accaparées l'Asie et l'Afrique, au mépris des peuples autochtones. Cela s'est traduit en particulier par la colonisation, qui imposait l'administration directe par les métropoles, et souvent un quasi-esclavage des habitants. Celle-ci avait commencé avant, mais elle n'était pas encore généralisée (Amérique Latine et quelques îles essentiellement) et n'avait pas encore l'importance clé qu'elle allait avoir pour les économies capitalistes.

Mais certains pays n'ont pas été directement colonisés. Par exemple la Chine a longtemps été dominée par différentes puissances (Royaume-Uni, France, États-Unis, Japon, Allemagne, Portugal...) qui se découpaient des concessions dans les grandes villes, imposaient des "traités inégaux", voire réprimaient directement sur place les révoltes populaires.

Dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine parle de colonies et de formes variées de « pays dépendants », parmi lesquels il y a :

  • les semi-colonies : il cite la Chine, la Perse et la Turquie, et dit qu'elle sont en voie de devenir des colonies.
  • d'autres pays : il cite le Portugal et l'Argentine

La spécificité de la notion de semi-colonie parmi les pays dépendants n’est pas définie précisément.

3.2 Années 1930 : industrialisations partielles[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1930, l'Amérique latine a connu une industrialisation partielle. Trotski faisait la remarque suivante  :

« Dans de nombreux pays latino-américains, la bourgeoisie nationale montante, cherchant à obtenir une meilleure part du butin et s'efforçant même d'augmenter la mesure de son indépendance - c'est-à-dire à conquérir la position dominante dans l'exploitation de son propre pays - tente certainement d'utiliser à cette fin les rivalités et les conflits entre les impérialismes étrangers. Mais sa faiblesse générale et le retard de son apparition l'empêchent d'atteindre un plus haut niveau de développement que celui de valet d'un maître impérialiste ou d'un autre. Elle ne peut pas lancer une lutte sérieuse contre toute domination impérialiste et pour une authentique indépendance nationale, par peur de déchaîner un mouvement de masse des travailleurs du pays qui, à son tour, menacerait sa propre existence sociale. »[3]

3.3 Après la décolonisation, le dépeçage impérialiste continue[modifier | modifier le wikicode]

Par ailleurs, dans la plupart des cas, les pays qui ont obtenu leur indépendance politique sont souvent restés sous domination de leur ex-métropole. Si les États-Unis ont réussi à développer leur propre capitalisme - qui allait devenir le premier des impérialismes - les pays d'Amérique Latine qui se sont libérés au début du 19ème siècle sont restés très dépendants de l'Espagne ou du Portugal. De manière encore plus marquée, l'indépendance politique des pays africains est purement formelle, les occidentaux étant ouvertement maîtres économiquement et militairement. On parle de néo-colonialisme dans ce cas précis.

🔍 Voir : Françafrique.

Mais l'indépendance politique a une importance pour la concurrence impérialiste : elle desserre les liens entre l'ex-métropole coloniale et le pays dominé, les autres puissances ayant plus de facilités à y faire pénétrer leurs capitaux. Par exemple l'Amérique Latine est rapidement passée sous la domination privilégiée des États-Unis, et dans une moindre mesure, la France et le Royaume-Uni ont perdu du terrain (dans les marchés publics et autres concessions habituellement "réservées") face aux multinationales états-uniennes.

3.4 Années 1970 : Pays semi-industrialisés ?[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1970, on commence à parler de "nouveaux pays industrialisés" comme le Mexique, l’Argentine, le Brésil, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour.

Cela conduit les marxistes à débattre du statut de ces pays, et des impacts éventuels sur la théorie classique de l'impérialisme.[4]

4 Amérique latine[modifier | modifier le wikicode]

L'Amérique latine, même si elle est indépendante depuis longtemps (à l'exception de la Guyane française) n'est pas sortie d'une situation de semi-colonisation. Mais les rapports de force entre puissances impérialistes et bourgeoisies locales sont différents selon les pays et évoluent suivant les gouvernements.

Dans les années 1980-1990, globalement, la tendance a été à un renforcement de la domination via les politiques néolibérales. Celles-ci, dictées par les organismes internationaux (Banque mondiale, FMI...) dirigés par les pays impérialistes, États-Unis en tête. La domination par la dette s'est accrue depuis.

Dans les années 2000, une vague de résistance a commencé à se faire jour, portant des revendications ambigües intermédiaires entre celles du mouvement ouvrier et celles de l'anti-impérialisme bourgeois.

Respectivement en 2000 et en 2003, la Bolivie est secouée par des luttes populaires que l'on a appelé Guerre de l'eau puis Guerre du gaz. Il s'agissait de luttes contre la privatisation (et la hausse de prix qu'elle engendrait) et le bradage des ressources du pays aux multinationales étrangères, souvent avec un cynisme total. Par exemple suite à la privatisation de l'eau à Cochabamba, il fut interdit aux habitants de récupérer... l'eau de pluie. Ces luttes ont permis de faire reculer la bourgeoisie comprador et ont mené un gouvernement moins docile au pouvoir, celui d'Evo Morales.

Symbole assez révélateur, certains intellectuels bourgeois progressistes se sont démarqués de la domination sans scrupule. Par exemple en 2000, Joseph Stiglitz, vice-président de la Banque Mondiale, démissionne en dénonçant l'impact du néolibéralisme sur les pays pauvres.

En 2001, l'Argentine, élève modèle du FMI, atteint un endettement insupportable et mène une politique en contradiction partielle avec les intérêts du capital financier impérialiste. Le pays suspend momentanément le paiement de sa dette, rompt la parité fixe avec le dollar, dévalue son peso. Cela lui permet de regagner en compétitivité en rognant les salaires réels (par l'inflation). Mais au milieu de cette politique bourgeoise nationaliste, des luttes importantes de travailleurs ont eu lieu, notamment des expériences de contrôle ouvrier (Zanon, Bruckman...).

En 2003, Rafael Correa, ministre de l'économie de l'Equateur, est poussé à la démission par Washington pour avoir voulu privilégier les dépenses sociales au remboursement de la dette.

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

The Dynamics of World Revolution Today, résolution adoptée au Congrès de réunification de la Quatrième internationale en 1963

  • Stanley L. Engerman & Kenneth L. Sokoloff, Colonialism, inequality, and long-run paths of development. Cambridge, MA : National Bureau of Economic Research, 2005.
  • Donald Denoon, Settler Capitalism: The Dynamics of Dependent Development in the Southern Hemisphere. Oxford University Press, 1983.
  • Jack Woddis, An introduction to neo-colonialism. London: Lawrence & Wishart, 1967.
  • Ronald H. Chilcote, Imperialism: Theoretical Directions.
  • Ronald H. Chilcote, The Political Economy of Imperialism.
  • Ronald H. Chilcote, Dependency and Marxism: Toward a Resolution of the Debate.
  1. Lénine, II° congrès de l'IC, Rapport de la commission nationale et coloniale, 1920
  2. Internationale communiste, 4ème congrès, Thèses générales sur la question d’Orient, 1922
  3. Trotski, Le rôle mondial de l'impérialisme américain, 1938
  4. Ernest Mandel, « Pays semi-coloniaux et pays dominés semi-industrialisés », Quatrième internationale n°13, 1er avril 1984