Racisme, mouvement ouvrier et socialisme

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Communistes manifestant contre le racisme anti-Noirs au Brésil

En tant que mouvement pour l'égalité, le socialisme a eu tendance à lutter contre le racisme. Mais les divisions raciales dans la société ainsi que les théories racistes traversent toute la société, dont les militant·es ouvriers et socialistes.

On trouve des attitudes ou réflexions racistes chez quasiment tous les auteurs socialistes du 19e siècle (Owen, Proudhon, Bakounine, Blanqui, Marx...). Cependant, elles occupent plus ou moins de place dans leur pensée. Surtout, on ne peut mettre sur le même plan des réflexions racistes dans des lettres privées, et des prises de position qui renforcent l'oppression objective des minorités.

Le racisme a été et reste plus que jamais un obstacle majeur à la constitution d'une conscience de classe véritable. Comprendre les manifestations du racisme dans le socialisme et le mouvement ouvrier est donc d'une importance capitale pour les communistes.

On a appelé « social-impérialisme » la tendance à justifier l'impérialisme dans le socialisme. Ce sera ici considéré comme un cas particulier de racisme, car défendre la domination d'autres peuples revient à les considérer comme inférieurs.

1 Historique par pays[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Angleterre[modifier | modifier le wikicode]

Dans ses origines, le mouvement ouvrier anglais avait une tendance à former un front multiethnique contre les élites anglaises. La figure de Robert Wedderburn est un symbole de cela. Dès les années 1850, il y a eu une tendance à l’inclusion des franges les plus « respectables » (artisans notamment) de la classe ouvrière dans le bloc dominant et son idéologie, ce qui s'est accompagné d’un renforcement du racisme envers les catholiques irlandais.[1]

La révolution industrielle, partie d'Angleterre, engendre une forte croissance qui a de profonds effets dans le pays, mais aussi dans l'Irlande dominée par le Royaume-Uni. L'industrialisation a pour effet de prolétariser les paysans, y compris en Irlande, et pousse de nombreux Irlandais à venir chercher du travail dans les usines anglaises. Étant dans une situation plus précaire et désespérée que les prolétaires anglais, les Irlandais sont souvent obligés d'accepter des salaires et des conditions de travail encore plus dégradées.

Les ouvriers anglais voient donc les Irlandais comme des concurrents qui tirent vers le bas les salaires. Certains militants vont tenter de combattre cette situation par l'unité de classe, en essayant d'intégrer les Irlandais au mouvement ouvrier. Mais cette situation rend aussi les ouvriers anglais réceptifs aux discours racistes anti-Irlandais, abondamment véhiculés par les médias dominants.

Malheureusement, c'était la désunion qui l'emportait. Marx considérait que c'était l'obstacle majeur qui empêchait le mouvement ouvrier de l'emporter en Angleterre :

« Chaque centre industriel et commercial d'Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande. »[2]

Marx ajoute :

«  Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente.  »

Malgré toutes ses généreuses proclamations humanistes, Robert Owen - fondateur du socialisme utopique en Angleterre - n'a pas eu de préoccupation pour les Noirs. Or, une grande partie de sa fortune reposait en réalité sur l'esclavage des Noirs au Sud des États-Unis, pour produire le coton utilisé dans sa filature de New Lanark. Il n'a aucunement pris part aux campagnes abolitionnistes.[3] Lorsqu'il lance sa colonie de New Harmony, il ne veut pas de Noirs...

Hyndman (Social Democratic Federation) a accusé les Allemands vivant au Royaume-Uni et aux États-Unis d'être communautaristes et de publier en allemand plutôt qu'en anglais.[4] Cela visait notamment Heinrich Rackow et la Communistischer Arbeiter-Bildungsverein de Londres. Rackow soutient à l'inverse que les Allemands sont largement assimilationnistes, qu'ils subissent aussi du rejet de la part des anglais, et que ces accusations sont sans fondement.

« Nous souffrons tous plus ou moins d’une éducation chauvine et patriotique, et l’éducation anglaise est, à ma connaissance, la première à cet égard, et le résultat se manifeste dans ces remarques unilatérales de Justice [le journal de Hyndman]. »[5]

Bernstein, alors à Londres, diffuse un pamphlet (co-écrit avec Engels) répondant également.[6] Plus généralement, Hyndman était notoirement raciste et antisémite.

Après la guerre de 1914-1918, l'afflux d'un grand nombre de soldats rapatriés cause une pénurie d'emplois et de logements, qui provoque des tensions dans la classe ouvrière. De nombreux ouvriers blancs s'en prennent à des minorités, en particulier dans les ports de Londres, Glasgow, Liverpool, Cardiff où il y eut des émeutes racistes, faisant 5 victimes (par exemple le jeune Noir Charles Wootten[7])[8].

1.2 France[modifier | modifier le wikicode]

En France un fort racisme touchait les travailleurs d'origine européenne, avant qu'il se concentre dans les dernières décennies sur les immigrés extra-européens (maghrébins, noirs africains, asiatiques...). Ce racisme a conduit à des divisions dans le mouvement ouvrier, des ouvriers français se livrant parfois à des violences.

L'antisémitisme était par ailleurs très marqué chez les premiers penseurs du socialisme, les français Proudhon, Saint-Simon et Fourier.[9]

1.3 Russie[modifier | modifier le wikicode]

De nombreuses minorités ethniques étaient opprimées au sein de l'ancien Empire tsariste (l'expression « prison des peuples » était souvent employée au début du 20e siècle). Les russes n'était en fait que 50% au total en 1914. « Les antagonismes nationaux se conjuguaient et s'intercalaient, sur divers plans, avec les antagonismes de classes. »[10]

Dès la formation du parti social-démocrate russe, la question des minorités nationales fait débat. En 1903, une majorité se dégage pour revendiquer à la fois le droit à l'autodétermination des peuples (contre l'État tsariste), et, en interne du parti, le principe d'une organisation unique. Cette majorité s'opposait à des conceptions minoritaires :

Les luttes des minorités nationales en 1917 ont joué un rôle dans la révolution d'Octobre. Elle était selon Lénine la deuxième source de déstabilisation du régime après les luttes paysannes.[11]

Dans les régions avec de fortes minorités nationales, les institutions de classe comme les soviets manquaient souvent de légitimité et avaient une tendance à être dominées par les russes, qui tendaient à être excluants vis-à-vis des militants portant des revendications nationales, les traitant de réactionnaires.

Beaucoup de fonctionnaires locaux font preuve de mépris envers les minorités. A plusieurs reprise Lénine intervient pour combattre ces tendances (autorisation de la langue ukrainienne, souplesse vis-à-vis des croyants, libération de Sultan Galiev...). Même si l'antisémitisme était surtout l'arme des Blancs, les cadres bolchéviks devaient aussi le combattre en interne.

Au fur et à mesure que le pouvoir se bureaucratise et se stalinise il se russifie. Malgré son origine géorgienne, Staline se comportera comme un Russie avec des relents de racisme sur beaucoup de questions.

1.4 Allemagne[modifier | modifier le wikicode]

En 1910, le social-démocrate Gerhard Hildebrand, appartenant à l'aile droite du parti, publie un livre dans lequel il appelle notamment à s'emparer de colonies.[12] Il est exclu du SPD au congrès de Chemnitz le 16 septembre 1912.[13]

1.5 Autriche-Hongrie[modifier | modifier le wikicode]

L'Empire d'Autriche-Hongrie était un État policier particulièrement réactionnaire, qui comprenait plusieurs peuples : Autrichiens, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Polonais, Ukrainiens, Slovènes, Croates, Serbes, Roumains, Italiens... En pratique les Autrichiens formaient la nation dominante, et leur sentiment de supériorité imprégnait y compris les internationalistes de la social-démocratie. Trotski témoigne par exemple qu'il avait dénoncé en 1909 les écrits chauvins et anti-Serbes que l'on pouvait lire dans l'Arbeiter Zeitung, journal du parti.[14]

1.6 États-Unis[modifier | modifier le wikicode]

Hubert Harrison, socialiste et syndicaliste actif à New York

Les États-Unis ont une longue histoire de racisme et de lutte contre le racisme, de par leur histoire (massacre des peuples natifs, esclavage des Noir·es puis ségrégation légale jusqu'en 1964...). Dans ce pays construit sur une immigration massive, les racismes étaient imbriqués de façon complexe avec les rapports de classe.

Rédacteur à la New York Tribune, l’organe de l’aile gauche du parti républicain, Marx suivait de près la situation politique américaine, la lutte contre l’esclavage et le développement de la guerre civile. Mais même après la fin de l'esclavage, et même au delà de la ségrégation des Noir·es (qui a été pratiquée y compris dans les syndicats), les oppositions entre nationalités ont été un obstacle majeur à l'unité de classe aux États-Unis, avec plus qu'ailleurs une histoire de violences inscrites dans la durée - particulièrement entre les années 1870 et 1920.

Les violences racistes de la police, de groupes d'extrême droite, ou de la population ordinaire sont encore un problème politique majeur aux États-Unis.

1.7 Australie[modifier | modifier le wikicode]

Il a existé une « politique de l'Australie blanche » de 1901 jusqu'en 1973, qui privilégiait ouvertement l'immigration de populations européennes blanches aux autres immigrants, notamment d'Asie de l'Est. Cette politique faisait l'objet d'un large consensus interclassiste, jusque dans les rangs du Parti travailliste australien.

En 1905, le Parti socialiste du Victoria était une des rares forces politiques à s'opposer explicitement au racisme. Cependant, après le départ de Tom Mann, l'opposition au racisme faiblit. En 1921, après la scission des membres les plus à gauche vers le nouveau Parti communiste, le secrétaire du parti, Robert Ross, défend l'eugénisme pour « garder la race pure ».[15]

2 Tendances dans le marxisme[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Chez Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

On peut trouver plusieurs remarques hostiles à certaines nationalités dans des lettres de Marx et Engels. Il s'agissait essentiellement d'hostilités provenant du rôle réactionnaire qu'avaient selon eux les leaders de ces nationalités. Par exemple, ils étaient évidemment hostiles à l'Empire russe, qui était la principale force au service de la réaction antidémocratique en Europe, mais ils tendaient parfois à glisser vers des discours russophobes. Étant donné que la Russie s'appuyait beaucoup sur les populations slaves des Balkans, ils avaient beaucoup de suspicion envers elles, apportant peu de soutien à leurs revendications.

Même s'ils étaient bien conscients du caractère culturel, donc construit, du sentiment national, ils avaient parfois un discours normatif sur ceux qui méritaient d'être considérés comme nations à part entière, et ceux qui n'auraient aucune réalité (comme la nation ukrainienne[16]). Tout ceci est à replacer dans le contexte d'alors, où les idéologies des États-nations étaient en train de se constituer, sous l'effet de l'industrialisation et de l'essor bourgeois.

Dans leurs premiers écrits, Marx et Engels affichent un enthousiasme sans limite sur le « progrès » de la mondialisation capitaliste par rapport au féodalisme, ce qui les conduit parfois à trouver positives certaines dominations (colonisation de l'Inde par les Anglais, invasion du Mexique par les États-Unis en 1847...).[17]

Marx et Engels ont accordé du crédit à des pseudo-sciences alors en vogue comme la théorie des races et la phrénologie (prétendant lire les caractères dans la forme des crânes), même si bien évidemment, cela ne pouvait tenir pour lui qu'une part d'explication mineure par rapport aux explications socio-économiques de l'histoire.[18] Engels supposait que « l'hérédité des qualités acquises » expliquait une part des différences entre ethnies.[19][20] On peut également trouver chez Marx et Engels des réflexions antisémites, dans le sens de clichés essentialisants sur la culture « mercantile » qu'auraient les juifs.

Marx et Engels ont clairement pris le parti de la nation irlandaise contre l'oppression britannique et son racisme

Ceci étant dit, dans leurs prises de positions concrètes, Marx et Engels ont globalement toujours soutenu les efforts d'unification des mouvements populaires démocrates et des mouvements ouvriers, face aux forces de division. Cela les a conduit notamment aux prises de positions suivantes :

  • combattre le mépris des Irlandais par les Britanniques, y compris dans le mouvement ouvrier,
  • combattre pour l'abolition de l'esclavage des Noir·es aux États-Unis, et à dénoncer y compris le mépris par des travailleurs blancs,
  • prendre parti pour la lutte de libération nationale des Polonais face à la Russie et à la Prusse,
  • prendre parti pour les révoltes dans les colonies et semi-colonies (Révolte des Cipayes en Inde, des Chinois lors de la Seconde Guerre de l’opium...)

Marx faisait une analogie avec l'Antiquité romaine, pendant laquelle il y eut un refus de la part des plébéiens révoltés de se solidariser avec les révoltes d'esclaves dans l’Asie mineure.

Globalement, Marx et Engels pensaient initialement que les pays les plus industrialisés allaient apporter le développement économique et humain aux autres, puis ont beaucoup nuancé cette idée. Ils en sont par exemple venus à penser que la révolte de l'Irlande était une condition nécessaire pour amorcer la révolution socialiste en Angleterre.

« Pendant longtemps, j’ai cru qu’il était possible de renverser le régime irlandais par le gain d’influence de la classe ouvrière anglaise. J’ai toujours défendu ce point de vue dans le New York Tribune. Des investigations plus approfondies m’ont maintenant convaincus de l’inverse. La classe ouvrière anglaise ne va jamais rien accomplir avant qu’elle ne se soit débarrassée de l’Irlande. Le levier doit être actionné en Irlande. C’est pourquoi la question irlandaise est si importante pour le mouvement social en général »[21]

La position d'un socialiste envers une nation opprimée par son propre pays devenait pour eux un révélateur politique. Par exemple, après avoir fait la connaissance de Lopatine, Marx écrit à Engels le 5 juillet 1870 une appréciation flatteuse au plus haut point pour le jeune socialiste russe, mais il ajoute : « Un point faible : la Pologne. Sur ce point, Lopatine parle absolument comme un Anglais — disons un chartiste anglais de la vieille école — à propos de l’Irlande. »

2.2 Deuxième internationale[modifier | modifier le wikicode]

La social-démocratie s'était historiquement affirmée pour le droit à l'auto-détermination des peuples. Elle avait surtout abordé le problème des minorités nationales au sein ou vis-à-vis des vieux empires oppresseurs (les Hongrois ou les Serbes vis-à-vis des Autrichiens, les Polonais vis-à-vis de tous les voisins, les nombreuses minorités dans l'Empire russe, les Irlandais vis-à-vis de l'Angleterre...).

Kautsky écrivait en 1892 que l'immigration et la concurrence entre travailleur·ses « peut envenimer les antagonismes nationaux, éveiller la haine nationale des travailleurs contre les prolétaires étrangers » mais affirmait son optimisme sur l'internationalisme croissant des prolétaires.[22]

Le théoricien révisionniste Bernstein était aussi prêt à faire des compromis avec le colonialisme...

La social-démocratie condamnait également le colonialisme. Mais il y avait une aile droite, comme Eduard Bernstein qui disait en 1896 : « Nous condamnons certaines méthodes pour soumettre les sauvages. Mais nous ne condamnons pas l’idée que les sauvages doivent être soumis ». Il était régulièrement mis en minorité (mais jamais exclu), et combattu par les théoriciens « centristes » (Karl Kautsky, Rudolf Hilferding, Otto Bauer...).

Au Congrès de Stuttgart de 1907, la Deuxième internationale rejeta massivement une tentative opportuniste proposant de soutenir la restriction par les gouvernements bourgeois de l'immigration chinoise et japonaise. L'opposition fut si grande que les opportunistes furent en fait contraints de retirer leur résolution. A la place, le Congrès adopta une position anti-exclusion pour le mouvement ouvrier dans tous les pays. Dans le Rapport qu'il fait de ce Congrès, Lénine écrivit :

« Sur cette question [de l'immigration] également se fit jour en commission une tentative de soutenir d'étroites conceptions de corporation, d'interdire l'immigration d'ouvriers en provenance des pays arriérés (celle des coolies venus de Chine, etc.). C'est là le reflet de l'esprit "aristocratique" que l'on trouve chez les prolétaires de certains pays "civilisés" qui tirent certains avantages de leur situation privilégiée et qui sont pour cela enclins à oublier les impératifs de la solidarité de classe internationale. Mais au Congrès proprement dit, il ne se trouva pas d'apologistes de cette étroitesse petite-bourgeoise de corporation, et la résolution répond pleinement aux exigences de la social-démocratie révolutionnaire. »[23]

Mais l’opportunisme allait croissant dans l’appareil social-démocrate. Une fièvre nationaliste déferle sur l’Allemagne en 1907 après un massacre colonial en Namibie, et le SPD perd soudain la moitié de ses votes.

Bien que la majorité du congrès international de Stuttgart réaffirme sa condamnation du colonialisme, la droite et même des membres du centre prônent une adaptation. Le néerlandais Henri van Kol (qui avait des parts dans une plantation de café en Indonésie) soutenait que « la possession des colonies [était] nécessaire, même dans un système futur de gouvernement socialiste ».[24] Face à Kautsky, qui prône une coopération volontaire pour le développement au lieu de la colonisation, van Kol répond :

« Maintenant, si nous apportons une machine aux sauvages d’Afrique centrale, qu’en feront-ils ? Peut-être feront-ils une danse en rond autour d'elle [grande hilarité] ou l'ajouteront-ils à leur grand nombre d'idoles [hilarité]. Peut-être devrions-nous aussi y envoyer des Européens pour faire fonctionner les machines. Je ne sais pas ce que les indigènes en feraient. Mais peut-être que Kautsky et moi essaierons de le faire, peut-être que la théorie et la pratique iront bras dessus bras dessous dans le désert. Peut-être que les indigènes briseront nos machines, peut-être qu'ils nous battront à mort ou même nous mangeront, et puis [se frottant le ventre] j'ai peur d'y passer avant Kautsky [hilarité]. »[25]

Ces prises de positions furent désavouées par l'Internationale. Mais le fait qu'elles aient pu être tenues sans problème, sans conséquences (aucune exclusion ne fut envisagée), montre l'ampleur du problème.

L'aile gauche était généralement plus claire sur le soutien aux peuples opprimés. Cependant il y avait des exceptions. Rosa Luxemburg et certains bolchéviks pensaient qu'il ne fallait pas mettre en avant le droit des peuples à la séparation, parce que le socialisme ne devait pas contribuer à créer de nouvelles frontières, le sens de l'histoire étant d'aller vers l'unification mondiale.

2.3 Troisième internationale[modifier | modifier le wikicode]

Lénine était particulièrement attentif à lutter contre le chauvinisme grand-russe (l'Empire russe comprenait une grosse minorité de russes qui opprimait durement et colonisait les minorités nationales). Il avertissait d'ailleurs que l’accomplissement de la révolution « ne suffira pas à faire [du prolétariat] un saint », à l’immuniser immédiatement contre tout chauvinisme, et d’autre part, que « la haine – d’ailleurs parfaitement légitime – de la nation opprimée envers celle qui l’opprime subsistera quelques temps ».[26]

Pendant la Première guerre mondiale, les leaders des partis social-démocrates cautionnent la vague chauvine, et donc des formes de racisme (anti-boche, anti-français...).

Rompant avec la social-démocratie qui cautionnait de plus en plus la politique coloniale, les communistes mènent une lutte anti-impérialiste réelle. Il s'affirment clairement pour les mouvements anti-colonialistes, et pour la défaite des troupes coloniales de "leur" impérialisme. Par exemple :

Dans les années 1920, l'engagement du PCF auprès des travailleur·ses immigré·es lui valait des attaques racistes de la droite (Affiche de 1928)

Les communistes dénoncent le social-chauvinisme et le social-impérialisme[27][28] dans les rangs socialistes.

Alors que les partis social-démocrates n'étaient présents quasiment qu'en Europe, des partis communistes émergent dans de nombreux pays dominés à la suite de la révolution russe. D’importants débats agitent alors l’Internationale communiste, sur la stratégie et la tactique qu'il convient d'adopter pour combiner au mieux la lutte des classes et la lutte des peuples opprimés. Quelle attitude devaient avoir les communistes vis-à-vis des partis bourgeois anti-impérialistes ? Quels compromis pouvaient-ils voire devaient-ils faire, et ne pas faire ? Cela conduit l'Internationale à adopter le front unique anti-impérialiste en 1922.

Malgré cette prise à bras le corps de la question impérialiste par les communistes, tout n'allait pas de soi. Au Maghreb, ou en Afrique du Sud, on trouvait des communistes pour dire qu’ « un véritable mouvement de libération nationale de la part des races de couleur n’est guère une politique praticable »[29].

Avec la stalinisation, les principes anti-impérialistes et anti-racistes du communisme international s'affaiblissent considérablement. Les staliniens (à commencer par Staline) véhiculeront largement l'antisémitisme et le complotisme (complot des Blouses blanches).

Par exemple en 1937, le gouvernement du Front Populaire, soutenu par le PCF, prit la décision de dissoudre l’Étoile Nord-Africaine, mouvement anti-impérialiste au Maghreb. Le PCF refusait également les revendications indépendantistes en Indochine.

Le régime maoïste est entré en conflit avec l'URSS dans les années 1960. Mao accuse l'URSS d'être devenue impérialiste[30], et en 1972 parle de « social-impérialisme ». Le régime albanais reprendra la même critique à l'encontre de la Chine.[31]

2.4 Quatrième internationale[modifier | modifier le wikicode]

Le courant trotskiste (Quatrième internationale) tentera de faire vivre l'héritage anti-impérialiste des communistes.

Les trotskistes vietnamiens (très implantés tant au Vietnam qu'en France) furent par exemple de farouches défenseurs de l'indépendance, alors que les staliniens d'Ho Chi Minh freinaient le mouvement.

Le Programme de transition de la Quatrième internationale, écrit par Trotski, disait en 1938 :

« La dénonciation intransigeante des préjugés de race et de toutes les formes et nuances de l'arrogance et du chauvinisme nationaux, en particulier de l'antisémitisme, doit entrer dans le travail quotidien de toutes les sections de la IV° Internationale comme le principal travail d'éducation dans la lutte contre l'impérialisme et la guerre. Notre mot d'ordre fondamental reste : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »[32]

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Satnam Virdee, Racisme et antiracisme dans la formation de la classe ouvrière britannique. Entretien avec la revue Contretemps, Février 2022
  2. Lettre de Marx à Siegfried Mayer et August Vogt, 9 avril 1870.
  3. Owen Museum, Robert Owen and Slavery, 2021
  4. The 'Official' German Social Democrats and the Paris Congress, Justice, March 16, 1889
  5. Heinrich Rackow, Reply to Justice, Commonweal, 16 March 1889
  6. Eduard Bernstein, The International Working Men’s Congress of 1889. A Reply to Justice, Pamphlet published in London, March 1889
  7. BBC, Charles Wotten: Liverpool race riot victim to get headstone, 6 juin 2023
  8. Wikipedia, United Kingdom race riots of 1919
  9. Michel Dreyfus, L'antisémitisme à gauche. Histoire d'un paradoxe, de 1830 à nos jours, 2009 (Interview sur Youtube par Martin Eden)
  10. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe - 19. L'offensive, 1930
  11. Lénine, La crise est mûre, 29 septembre 1917
  12. Gerhard Hildebrand, Die Erschütterung der Industrieherrschaft und des Industriesozialismus. Jena, Fischer 1910
  13. Roger Fletcher, Revisionism and Empire George Allen and Unwin (1984) p62
  14. Léon Trotski, Ma vie, 1930
  15. Osborne, Graeme (1978). "A Socialist Dilemma". Labour History. p. 112. doi:10.2307/27508339. JSTOR 27508339 via Wikipedia
  16. Roman Rosdolsky, Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire » - Les Ukrainiens (Ruthènes), 1948
  17. Cité dans la brochure Les rouages du capitalisme, 1994
  18. Marx’s Phrenology and Racial Views
  19. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, 1883
  20. Friedrich Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, mars 1884
  21. Karl Marx, Lettre à Friedrich Engels, 10 décembre 1869
  22. Karl Kautsky, Le programme socialiste. V. La Lutte de classe, 1892
  23. Lénine, Le congrès socialiste international de Stuttgart (Prolétari), septembre 1907
  24. Cité dans Hélène Carrère d'Encausse et Stuart Schram, Marxism and Asia, Londres 1969, p. 94.
  25. Internationaler Sozialisten-Kongress 1907: Protokoll S. 36 f., zitiert nach: Ralf Hoffrogge: Sozialismus und Arbeiterbewegung in Deutschland. Stuttgart 2011, S. 168 f.
  26. Lénine, Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, 1916
  27. Rosa Luxemburg, Rebuilding the International, 1915
  28. Lenin, The Draft Resolution of the Left Wing at Zimmerwald (September 1915)
  29. Cité par Hakim Adi, Pan-Africanism and Communism, Trenton, 2013
  30. Mao Zedung, On Khrushchev’s Phoney Communism and Its Historical Lessons for the World, 1964
  31. Enver Hoxha, Imperialism and the Revolution: The Theory of 'Three Worlds': A Counterrevolutionary Chauvinist Theory, 1979
  32. Trotski, Programme de Transition, La lutte contre l'impérialisme et contre la guerre, 1938