Parlementarisme

De Wikirouge
(Redirigé depuis Parlement)
Aller à la navigation Aller à la recherche
Assemblée nationale (France)

Le parlementarisme désigne souvent le régime parlementaire, dans lequel les parlements ont un certain poids sur le gouvernement.

Historiquement, le terme a aussi été employé par le mouvement socialiste pour désigner la politique de participation aux élections aux parlements.

1 Essor des parlements bourgeois[modifier | modifier le wikicode]

Les parlements sont globalement nés de la pression de la bourgeoisie pour se faire admettre à la gestion des affaires de l'Etat féodal. Dans le Moyen-Âge européen par exemple, les premiers parlements sont les Etats généraux, que les rois devaient souvent convoquer lorsqu'ils voulaient lever des impôts, afin de négocier et les faire accepter aux différents représentants de la noblesse, du clergé, et de la bourgeoisie. Le clergé et la noblesse, le plus souvent alliés, étaient clairement surreprésentés par rapport à la bourgeoisie, qui pourtant avait une richesse croissante et était donc de plus en plus concernée par l'impôt. Par ailleurs, la convocation des parlements n'était pas systématique et le respect de ses décisions encore moins.

L'époque des révolutions bourgeoises a débouché sur un nouveau rapport de force, et a consacré le parlement comme un élément central du régime politique (démocratie bourgeoise), ce qu'il est resté aujourd'hui dans la plupart des pays capitalistes. Cela a donné une place centrale aux élections, même si cela s'est parfois sous des formes de compromis avec les formes d'Ancien régime : ainsi en Angleterre, la chambre haute est restée la chambre des lords, réservée aux nobles, bien que son pouvoir réel ait été réduit au fur et à mesure. Mais les élections ne garantissent pas que les parlements se mettent à représenter la population. D'une part, les élections ont longtemps été ouvertement censitaires (nécessité d'être suffisamment riche pour voter ou être élu). D'autre part, de très nombreux mécanismes conduisent à une forte reproduction sociale des élites : nécessité d'avoir du temps libre ou des réseaux pour faire une campagne victorieuse, pression de l'idéologie dominante pour faire élire des candidats pro-capitalistes... Pendant très longtemps, la plupart des parlementaires anglais étaient issus de véritables « dynasties », occupant carrément un même siège du parlement de génération en génération. Mais même lorsque le renouvellement est plus important, la domination idéologique de la bourgeoisie reste prépondérante.

Les patrons du Sénat. Caricature de 1889 aux États-Unis

La montée en puissance du prolétariat et du mouvement ouvrier a donné une certaine ambigüité a ces institutions. Ils représentaient un acquis démocratique réel et le mythe véhiculé par la frange progressiste de la bourgeoisie d'une démocratie permettant la réalisation de l'intérêt général laissait espérer une irruption des masses dans la politique et une évolution "sociale et démocratique" de la société moderne. Cette illusion se reflète d'ailleurs de façon très tangible dans la peur qu'avaient les classes dominantes de voir les parlements envahis par des ouvriers et leur arrachant leur pouvoir.

C'est donc la pression de la lutte qui a permis à certains leaders socialistes, y compris quelques ouvriers, de devenir députés. Mais parallèlement cela a permis aussi d'apporter la preuve historique que l’État moderne est indissolublement lié au capitalisme et que l'accès au parlement sera toujours insuffisant pour avancer vers le socialisme.

Marx résumait ainsi le parlementarisme bourgeois : il consiste à « décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement. »[1] Une phrase que Lénine commentait ainsi en 1917 :

« Cette remarquable critique du parlementarisme, formulée en 1871, est elle aussi aujourd'hui, du fait de la domination du social-chauvinisme et de l'opportunisme, au nombre des « paroles oubliées » du marxisme. (...) [T]elle est l'essence véritable du parlementarisme bourgeois non seulement dans les monarchies constitutionnelles parlementaires, mais encore dans les républiques les plus démocratiques. »[2]

L'Internationale communiste votera en 1920 : « Les parlements bourgeois qui constituent un des principaux rouages de la machine d'État de la bourgeoisie ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l'État bourgeois en général »[3]

C'est un acquis pour le socialisme scientifique que le parlement est une institution bourgeoise, dans laquelle le rapport de force (par l'idéologie, le lobbying, la corruption...) sera toujours en défaveur du prolétariat. C'est un acquis aussi qu'avant qu'une situation de crise n'ait permis à des partis ouvriers de conquérir l'hégémonie politique, la bourgeoisie aura toujours préféré la déstabilisation, le bonapartisme ou le fascisme.

2 Les socialistes et le parlement[modifier | modifier le wikicode]

La participation aux parlements possède à la fois un intérêt politique (pour la propagande essentiellement, plus rarement pour obtenir des réformes sociales) et des dangers (favoriser l'opportunisme et entretenir l'illusion réformiste dans la classe travailleuse).

2.1 Une forme historiquement à dépasser[modifier | modifier le wikicode]

Les soviets en Russie (à l'origine) furent un des moments où un nombre sans précédant dans l'histoire de simples travailleur·ses participaient régulièrement à la vie politique.

Le parlementarisme bourgeois est l'élément central de la démocratie bourgeoise, c'est-à-dire une démocratie représentative dans laquelle les représentants sont en réalité, sociologiquement et idéologiquement, acquis aux intérêts de la classe dominante.

C'est pourquoi les communistes révolutionnaires considèrent que le parlementarisme doit, soit être remplacé soit être complété par une forme de représentation plus organiquement liées aux travailleur·ses, comme les conseils ouvriers (soviets), les comités d'usine... Mais ce n'est pas avant tout le changement de forme des institutions qui peut instaurer une démocratie réelle, mais surtout un processus révolutionnaire dans lequel l'auto-organisation des travailleur·ses et leur prise du pouvoir -politique et économique- entame une socialisation de l'économie, une abolition de l'exploitation et l'extinction des classes sociales.

2.2 Une tribune pour l'agitation et pour des réformes[modifier | modifier le wikicode]

Les premiers socialistes luttaient généralement pour la démocratie (en particulier le suffrage universel) aux côtés de la gauche bourgeoise, croyant qu'il suffirait d'obtenir progressivement une majorité en faveur de mesures sociales pour régler la « question sociale ».

Dès 1852, Marx fait l'analyse que l'appareil d'État bureaucratique ne pourra pas simplement être repris tel quel pour le mettre au service du prolétariat, mais qu'il faudra le briser[4]. Néanmoins, Marx et Engels n'en déduisaient pas qu'il faut se tenir à l'écart des parlements, comme le prônaient certains courants (Proudhon, Bakounine...). Ils insistaient dans l'Association Internationale des Travailleurs (Première internationale), sur l'importance d'avoir des travailleurs dans les parlements, essentiellement pour l'impact que peut avoir leur opposition ouverte et médiatisée aux intérêts dominants.

Liebknecht et Bebel eurent un grand rôle pour diffuser le socialisme dans la classe ouvrière allemande, notamment via leur utilisation exemplaire du parlement. Ici lors de leur procès pour haute trahison de Leipzig[5]

En 1867, August Bebel est élu au Reichstag de la Confédération de l'Allemagne du Nord en Saxe. C'est alors le premier député ouvrier dans un parlement bourgeois.

Engels écrivait en 1871 à la section espagnole :

« Ce serait sacrifier l'un des moyens d'action les plus puissants ‑ notamment en ce qui concerne l'organisation et la propagande ‑ si nous renoncions à combattre nos ennemis sur le terrain politique. (...) En Allemagne, où les ouvriers sont fortement organisés en parti politique, ils ont réussi à envoyer six députés dans la prétendue représentation nationale. L'opposition que nos camarades Bebel et Liebknecht ont pu y organiser contre la guerre de conquête a servi beaucoup plus efficacement les intérêts de notre mouvement international que des années de propagande par voie de presse et de réunion. »[6]

Ils percevaient déjà des dérives possibles. Par exemple l'ouvrier Henri Tolain, une fois élu député, a trahi l'Internationale en s'opposant à la Commune. Mais ils insistaient encore :

« Il ne faut pas croire que ce soit d'une mince importance d'avoir des ouvriers dans les parlements. Si l'on étouffe leur voix comme à De Potter et Castiau, si on les expulse comme Manuel - l'effet de ces rigueurs et de cette intolérance est profond sur le peuple. Si au contraire comme Bebel et Liebknecht ils peuvent parler, de cette tribune, c'est le monde entier qui les entend - d'une manière comme d'une autre, c'est une grande publicité pour nos principes. (...) Les gouvernements nous sont hostiles, il faut leur répondre par tous les moyens possibles que nous avons à notre disposition, mettre des ouvriers dans les parlements, c'est autant de gagné sur eux, mais il faut choisir des hommes et ne pas prendre des Tolain. »[7]

La présence de députés socialistes au parlement à la fin du 19e siècle a permis d'arracher des réformes favorables au prolétariat, souvent en minorité et en votant avec des libéraux. Comme l'expliquait Karl Radek,

« la démocratie bourgeoise et le parlementarisme furent un moyen d'éveiller, de rassembler et d'organiser les masses, d'obtenir des réformes qui améliorent la situation des masses et leur permettent de ne pas penser seulement à leur petit morceau de pain. » Certes, les socialistes savaient « très bien que le parlementarisme corrompait les parlementaires et éveillait dans les masses l'espérance que les « élus » lutteraient pour elles. » mais ils combattaient  ces résultats du parlementarisme par une propagande et une agitation claires et révolutionnaires »[8]

Notons que Karl Kautsky, principal théoricien de la social-démocratie allemande et donc de l'Internationale socialiste, théorisait déjà en 1892 une centralité du parlementarisme :

« Les luttes parle­mentaires, dans les élections et dans l’assemblée elle-même (...) forment le moyen le plus puissant de fondre les différentes catégories de prolétaires en une classe unique ; elles sont enfin le moyen le plus puissant dont dispose le prolétariat pour agir sur le gouvernement et lui arracher les concessions qui peuvent l’être dans l’état des circonstances. »[9]

Après la trahison à grande échelle des socialistes (ayant de nombreux députés embourgeoisés) en 1914, les communistes sont plus conscients que jamais des dangers du parlementarisme bourgeois. Une grande partie des communistes étaient maintenant réticents à participer aux élections bourgeoises. Néanmoins, même si l'idée de la révolution a progressé, une majorité des masses prolétaires croit encore aux parlements. Lénine et les bolchéviks ont alors bataillé pour convaincre de la nécessité de continuer à utiliser la tribune que représentent les parlements, dénonçant ceux qu'ils voyaient comme gauchistes.

« Le parlementarisme a fait son temps historiquement. Cela est vrai au point de vue de la propagande. Mais nul n'ignore que de là à la réalisation pratique, il y a encore loin.  » [10]

2.3 Composition sociale des députés[modifier | modifier le wikicode]

Alors qu'ils sont nettement plus nombreux qu'eux, les ouvriers et employés sont en nette sous-représentation par rapport aux bourgeois dans les parlements. En fait, il n'y a que lorsqu'il y a des partis ouvriers massifs et ayant la volonté de mettre en avant des prolétaires qu'un petit pourcentage apparaît. Ce choix ne va pas de soi, et est étroitement lié à l'orientation politique, réformiste ou révolutionnaire, des partis ouvriers.

Un parti réformiste est souvent dans l'optique de discuter sereinement avec des "partenaires" bourgeois, recherchant au maximum des alliances, entretenant des illusions dans les secteurs dits "progressistes" de la bourgeoisie, etc. La dynamique du réformisme tend même à faire abandonner à ces partis leur nature de partis ouvriers.

Par exemple, Bernstein soutenait dès 1879 que le parti social-démocrate allemand devait éviter de faire peur aux bourgeois, chercher à s'afficher simplement comme parti humaniste, et que pour cela il fallait notamment envoyer des gens "éduqués" comme députés dans les parlements. Marx et Engels répondirent sèchement que l'émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, et que ceux qui veulent faire perdre son caractère prolétarien au parti devraient le quitter, tout en se demandant si certains n'auraient pas « été infectés par la maladie parlementaire ».[11]

En 1912, sur les 110 députés social-démocrates, 83 étaient d'origine ouvrière.[12]

A l'inverse, parmi les éléments de base du "parlementarisme révolutionnaire" défini par l'Internationale communiste, il y avait :

« Les partis communistes doivent renoncer à la vieille habitude social-démocrate de faire exclusivement élire des parlementaires « expérimentés », et surtout des avocats. De règle, les candidats seront pris parmi les ouvriers »

Ouvriers-Employés-Assemblée.png

En 2021, le Congrès des États-Unis est plus riche que jamais : le revenu médian est 500 fois supérieur à la moyenne nationale ; la moitié des congressistes sont des millionnaires ; seulement 2% viennent d'un milieu ouvrier. Cela n'empêche pas les Démocrates et les Républicains de se vanter de « diversifier » le congrès : 24% des congressistes sont des femmes et 22% sont issus de minorités raciales. [13]

2.4 Parlements réactionnaires et parlementarisme révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Après la Révolution russe, l'Internationale Communiste dresse un bilan de la dérive opportuniste de la social-démocratie, qui est venue s'intégrer au jeu parlementaire stabilisé et routinisé, rejetant aux calendes grecques le "programme maximum". Elle fait le constat que la conception traditionnelle de la lutte pour des réformes n'est plus valable dans la période impérialiste.

« L'attitude de la III° Internationale envers le parlementarisme n'est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. A l'époque précédente, le Parlement, instrument du capitalisme en voie de développement, a, dans un certain sens, travaillé pour le progrès historique. Dans les conditions actuelles, caractérisées par le déchaînement de l'impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, d'actes de brigandage, œuvres de l'impérialisme ; les réformes parlementaires, dépourvues d'esprit de suite et de stabilité et conçues sans plan d'ensemble, ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses. »[14]

L'I.C. s'oriente alors vers une stratégie de parlementarisme révolutionnaire. La priorité des éventuels députés communistes doit donc être l'utilisation de cette position "d'éclaireur" pour l'élévation de la conscience de classe, par la révélation de la corruption et des intentions réactionnaires des politiciens bourgeois ou opportunistes.

Boukharine avait déjà développé cette thèse pendant la guerre, en 1915 :

« A l'époque précédente, le Parlement a servi d'arène pour la lutte entre différentes fractions des groupes dirigeants (bourgeoisie et propriétaires fonciers, différentes couches de la bourgeoisie, etc.). Le capital financier a consolidé la quasi-totalité de leurs variétés dans une "masse réactionnaire solide" unie dans de nombreuses organisations centralisées. Dans l'impérialisme moderne, les sentiments "démocratiques" et  "libéraux" sont remplacés par les tendances monarchistes ouvertes, qui ont toujours besoin d'une dictature de l'Etat. Le Parlement à l'heure actuelle sert davantage d'institution décorative; il prend les décisions préparées à l'avance dans les organisations patronales et ne donne qu'une sanction formelle de la volonté collective de la bourgeoisie. »[15]

2.5 Une corruption fatale, une allégeance ?[modifier | modifier le wikicode]

L'ensemble des institutions de l'État bourgeois engendrent un risque de corruption du mouvement ouvrier et d'émergence d'opportunisme en son sein, qui a été critiquée à de multiples reprises dans le mouvement socialiste.[16]

La plupart des anarchistes considèrent que c'est la participation en soi au parlement qui conduit fatalement à cette corruption. Pour la plupart des communistes, il s'agit d'une mauvaise analyse. Ainsi le bolchévik Karl Radek expliquait en 1919 :

« Les anarchistes [...] considèrent la faillite de la 2e Internationale comme une conséquence de la corruption parlementaire. Ce n'est pas exact, les faits le prouvent déjà ; les syndicalistes et anarchistes comme Jouhaux, Cornelissen, Kropotkine ont trahi aussi bien que Scheidemann et Legien. L'Internationale ne s'est pas divisée parce que le crétinisme parlementaire domina en elle ; il ne domina en elle que pour les raisons qui provoquèrent sa faillite : parce que, dans l'époque paisible qui suivit 1890, la masse ouvrière n'était pas révolutionnaire »

Enfin certains, dans un raisonnement idéaliste, s'offusquent que la participation aux élections, ce serait "reconnaître l'Assemblée nationale". Radek ironisait :

« Grand Dieu, je reconnais tout ce qui existe, parce que j'ai des yeux. Ce qui importe, c'est de savoir comment je le reconnais et comment je l'emploie. »

Le courant de ceux qui allaient devenir la gauche communiste a aussi insisté sur le risque de corruption des parlementaires pour s'en tenir à l'écart. Bordiga notamment a débattu avec Lénine lors du deuxième congrès de l'Internationale communiste (1920). Lénine soulignait qu'il fallait savoir utiliser de façon révolutionnaire les parlements, et Bordiga répondait que soutenait que toute parlementarisme conduirait au crétinisme parlementaire des partis socialistes d'avant-guerre, quelle que soit la volonté initiale. Lénine répondait que si les communistes n'étaient pas capables de forger un parti capable de tenir le cap dans un parlement bourgeois, ils n'auraient aucune crédibilité pour prétendre diriger une dictature du prolétariat.

2.6 Une importance secondaire[modifier | modifier le wikicode]

Dans le mouvement communiste, qui s'est séparé de l'opportunisme "socialiste" au début du 20e siècle, la question du parlementarisme était un facteur de grande division, notamment entre les bolchéviks et le tendance gauchiste. Malgré le combat mené contre "l'antiparlementarisme par principe", le deuxième congrès de l'Internationale Communiste déclare :

« Il est indispensable d'avoir constamment en vue le caractère relativement secondaire de cette question. Le centre de gravité étant dans la lutte extraparlementaire pour le pouvoir politique, il va de soi que la question générale de la dictature du prolétariat et de la lutte des masses pour cette dictature ne peut se comparer à la question particulière de l'utilisation du parlementarisme. »[14]

2.7 Boycott[modifier | modifier le wikicode]

Pour toutes les raisons développées ici, les marxistes révolutionnaires considèrent qu'il est important de participer aux élections parlementaires en situation ordinaire. Trotski écrivait : « Un parti révolutionnaire n'a le droit de tourner le dos au parlement que s'il se donne pour but immédiat de renverser le régime existant ».[17]

En Russie, au lendemain du mouvement révolutionnaire de 1905, le tsar organise pour la première fois des élections parlementaires (Douma). L'ensemble des social-démocrates russes décident de les boycotter. En revanche dans les années qui suivent, le mouvement étant retombé, ils décident d'y participer. Plus tard, en 1917, lorsque les bolchéviks obtiennent la majorité dans les soviets, ils tendent (avec des désaccords internes) à se détourner des vieilles institutions. Lors de la Conférence démocratique (14-22 septembre), Lénine est pour que des bolchéviks y aillent, mais sans y concentrer leurs orateurs inutilement, et insiste sur la priorité à donner à l'utilisation, vers l'extérieur, des leçons à tirer de cette comédie :

« Utiliser le parlementarisme - surtout en période révolutionnaire - ne consiste pas du tout à perdre un temps précieux avec les représentants de la pourriture, mais à instruire les masses en leur montrant un exemple de pourriture.  »[18]

A l'issue de la Conférence est créé un nouveau pré-parlement. Les bolchéviks décident de boycotter, et ils mènent à bien l'insurrection d'Octobre.

3 Séparation des pouvoirs[modifier | modifier le wikicode]

Dans la pensée libérale traditionnelle, il doit y avoir une séparation des pouvoirs ou plus exactement un équilibre des pouvoirs, pour éviter que l'un des organes ne concentre tout le pouvoir dans ses mains. Le parlement est le lieu du pouvoir législatif, tandis que le gouvernement est le lieu du pouvoir exécutif.

Le poids plus ou moins fort du parlement par rapport au gouvernement détermine le type de régime : parlementaire, semi-présidentiel, présidentiel.

A noter que Marx trouvait positif que la Commune de Paris ait de fait mis en place un système sans séparation des pouvoirs :

« La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. »[1]

4 Mouvement extra-parlementaire[modifier | modifier le wikicode]

On parle souvent de « mouvement extra-parlementaire » pour décrire tout ce qui sort du cadre de l'action via les institutions de la démocratie bourgeoisie, par exemple des grèves ou manifestations pour faire pression sur la bourgeoisie.

Le mouvement ouvrier a historiquement obtenu l'essentiel de ses avancées sociales par des mouvements extra-parlementaires, et continue, à travers le mouvement syndical, à accorder une importance forte au rapport de force « dans la rue ». Toutefois c'est une nécessité qui doit être défendue face à la tendance de certaines directions réformistes (syndicalisme de salon...) à abandonner ce terrain, surtout celui de la grève dure.

Pour les socialistes révolutionnaires, l'État bourgeois ne peut être mis au service d'une véritable transformation socialiste, c'est pourquoi il est nécessaire de ne pas se laisser enfermer dans l'horizon des institutions bourgeoises, même s'il peut être utile de les utiliser. Les socialistes réformistes au contraire ont tendance à seulement tolérer voire à condamner les actions extra-parlementaires.

Si la droite, fondamentalement légaliste, a tendance à ne pas sortir du cadre institutionnel, certains courants d'extrême droite, en particulier les fascistes, s'appuient sur les coups de force extra-parlementaires. D'où également la nécessité pour les communistes de mettre en avant, en réponse, l'autodéfense (extra-parlementaire) dans le mouvement ouvrier.

5 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Royaume-Uni[modifier | modifier le wikicode]

A partir de 1870, certains ouvriers se font élire députés sous l'étiquette du Parti libéral (le Parti travailliste ne sera fondé qu'en 1900). On appelait ce mouvement Liberal-Labour (Lib-Lab). Le premier à se présenter fut George Odger (secrétaire de l'AIT, qui sera très vite renié). Les premiers à être élus furent Alexander MacDonald et Thomas Burt. Ceci furent nombreux à mener ensuite des politiques contraires aux intérêts du mouvement ouvrier (notamment Henry Broadhurst).

Pour Marx et Engels, ces hommes n'étaient pas d'authentiques représentants de classe ouvrière, mais de couches corporatistes. Comme le dira Kautsky en 1892 :

« Mais ces messieurs ne doivent pas leur élection à l’influence de la généralité de la classe ouvrière, mais à celle d’une aristocratie du travail, corporative, arrogante, qui veut s’élever au-dessus du prolétariat. »[19]

5.2 Le Parti ouvrier français[modifier | modifier le wikicode]

En 1892, Engels reproche à Guesde d’avoir formé un groupe parlementaire avec ceux des blanquistes qui se sont acoquinés avec le général Boulanger après avoir coupé les ponts avec les blanquistes de « la vieille école ».

« La rupture avec les blanquistes de la vieille école a peut-être été inévitable et il faut s’en accommoder ; mais je ne vois pas le moindre avantage réel à retirer pour nous d’une alliance avec les radicaux ex-boulangistes de la Chambre. N’avons-nous pas, pour le plaisir de faire étalage d’un groupe de quelque vingt-cinq députés au Parlement, sacrifié de très sérieuses chances pour l’avenir »[20]

Dans ce même courrier, Engels souligne la nécessité de s’inscrire dans la préparation des manifestations du 1er mai 1892 que Guesde dédaigne, du fait de l’approche des municipales.

5.3 Le SPD[modifier | modifier le wikicode]

En Allemagne, la social-démocratie (SPD) s'est globalement maintenue dans l'indépendance de classe avant sa trahison ouverte de 1914. Néanmoins la tentation d'alliances avec la gauche bourgeoise (les libéraux) était déjà forte. Lors de la campagne électorale de 1912, le SPD fait campagne avant tout contre la « droite » (le bloc « bleu et noir » des conservateurs et des catholiques du Zentrum), puis, la configuration des sièges au parlement fait qu'une alliance avec les libéraux rend possible une majorité « progressiste ». Kautsky s'éloigne alors de sa position historique de refus d'alliances avec la bourgeoisie.[21]

5.4 Le POSDR[modifier | modifier le wikicode]

En Russie, la participation à la Douma puis le type d'activité parlementaire à mener a été l'objet de profonds désaccords entre bolchéviks et menchéviks.

5.5 Le PCF[modifier | modifier le wikicode]

Pendant longtemps, les députés du PCF reversaient au parti leurs indemnités parlementaires, se limitant à un revenu du niveau de celui d'un ouvrier qualifié.

5.6 Les Verts[modifier | modifier le wikicode]

A ses origines, le mouvement des Verts comportait une forte composante idéaliste, voulant faire de la politique autrement. Leurs élus au parlement européen et aux parlements régionaux s'étaient engagés sur le principe du « tourniquet » : ils démissionnaient à mi-mandat, pour que les suivants sur la liste prennent leur poste. L'idée étant de favoriser la rotation des mandats et de limiter la bureaucratisation des politiciens.[22][23] Cette pratique a fini par être abandonnée. Même si la cumul des mandats reste proscrit, le profil sociologique des députés verts ressemble désormais à celui des députés embourgeoisés du PS.[24]

6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Voir sur Wikipédia : Parlement, Parlementarisme, Régime parlementaire

  1. 1,0 et 1,1 Karl Marx, La guerre civile en France, mai 1871
  2. Lénine, L'État et la révolution, août 1917
  3. Troisième internationale, Le Parti Communiste et le parlementarisme, juillet 1920
  4. Karl Marx, Le 18 brumaire de L. Bonaparte, 1851
  5. (de) Walter Ulbricht, Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung, t. 1 : Von den Anfängen der deutschen Arbeiterbewegung bis zum Ausgang des 19. Jahrhunderts, Berlin, Karl Dietz Verlag, , p. 352
  6. Friedrich Engels, Au conseil fédéral espagnol de l'Association internationale des travailleurs, 13 février 1871
  7. Karl Marx, Discours à la conférence de l'AIT, 20 septembre 1871
  8. Karl Radek, Parlementarisme et révolution, 1919
  9. Karl Kautsky, Le programme socialiste. V. La Lutte de classe, 1892
  10. Lénine, Faut-il participer aux parlements bourgeois ? in La maladie infantile du communisme, 1920
  11. K. Marx, F. Engels, Circular Letter to August Bebel, Wilhelm Liebknecht, Wilhelm Bracke and Others, September 1879
  12. Jacques Droz, Histoire générale du socialisme, Tome 2, Chapitre premier - La social-démocratie allemande (1875-1914), 1983
  13. Dustin Guastella, Everyone Hates the Democrats, Jacobin Magazine n°40, Winter 2021
  14. 14,0 et 14,1 II° congrès de l'I.C., 1920
  15. Boukharine, Imperialism and World Economy, 1915
  16. Madeleine Pelletier, Les dangers du parlementarisme, La Guerre Sociale, 16 septembre 1908
  17. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe - 38. La dernière coalition, 1930
  18. Lénine, Les champions de la fraude et les erreurs des bolchéviks, 1917
  19. Karl Kautsky, Le programme socialiste. V. La Lutte de classe, 1892
  20. Friedrich Engels, Lettre à Laura Lafargue, 14 mars 1892
  21. Karl Kautsky, Le nouveau libéralisme et la nouvelle classe moyenne, Vorwärts, 25 février 1912
  22. Le Monde, Élus en 1989 Les Verts respectent le principe du " tourniquet " au Parlement européen, 14 décembre 1991
  23. Vanessa Jérome, Militer chez les verts, 2021
  24. Jean-Pierre Hardy, La fusion des bureaucraties administratives, associatives et politiques  dans le secteur social, Revue française des affaires sociales - N° 2 Avril-juin 2022