Deuxième internationale

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AfficheCongresStuttgart1907.jpg

L'Internationale ouvrière, ou Internationale socialiste, appelée rétrospectivement Deuxième internationale, est la grande organisation internationale du mouvement socialiste de 1889 à 1914. Elle fut marquée par un conflit interne entre son aile gauche marxiste et internationaliste et son aile opportuniste. La victoire  pratique de cette aile droite (malgré le rejet officiel de ses théories) mena à la trahison de l'Union sacrée en 1914, et à la dégénérescence de la social-démocratie.

L'histoire et les débats de l'Internationale ouvrière sont largement déterminés par ceux de son plus gros parti, le SPD allemand.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

L'écrasement de la Commune de Paris de 1871, puis la Grande dépression de 1873-1896, ouvrit une période de contre-révolution et de désorganisation du mouvement ouvrier. Nombre de militants de la Première internationale y sont physiquement éliminés, et l'organisation, déjà déchirée par le conflit entre "anarchistes" et "marxistes", disparaît totalement quelques années après.

Parallèlement dans le dernier quart du 19e siècle, le capitalisme continue à transformer les moyens de production et la société. A côté des industries classiques (textile, charbon, sidérurgie) apparaissent de nouveaux secteurs (chimie, automobile, électricité), la grande industrie devient dominante. Le système gagne aussi du terrain géographique en Europe et en Amérique. De nouvelles couches de salariés (chemin de fer, gaziers, municipaux) apparaissent, tandis que le nombre de travailleurs industriels augmente (en Allemagne, entre 1882 et 1895 leur nombre augmente de 40%, passant de 7,3 millions à 10,2 millions). Le syndicalisme connaît un essor, au point de vue quantitatif : les effectifs ne cessent d’augmenter ; et qualitatif car les fédérations d’industries tendent à supplanter les fédérations de métiers.

Premier numéro du Sozialdemokrat en 1879. Le journal est alors diffusé clandestinement en Allemagne.

L'Internationale ouvrière allait naître d'un rassemblement des partis socialistes, d'abord européens, fortement influencés par les idées marxistes. Dans le contexte d'alors, de tels partis étaient souvent (surtout en Europe centrale et du Nord) dits social-démocrates, ce qui était quasiment synonyme de révolutionnaire (même si pour Marx et Engels ce terme était trop flou, ils considéraient que le regroupement des ouvriers était prioritaire sur la délimitation la plus précise).

En 1881, Marx écrivait que « le moment critique pour une nouvelle Association internationale des travailleurs n'est pas encore arrivé et c'est pourquoi je considère tous les congrès ouvriers, en particulier les congrès socialistes, dans la mesure où ils ne sont pas liés aux conditions immédiates données dans telle ou telle nation particulière, comme non seulement inutiles mais nuisibles. »[1]

Mort en 1883, Marx n'assista pas à la naissance de cette grande organisation. En revanche, son ami et collaborateur de toujours, Friedrich Engels, fut un des acteurs de sa fondation, en tant que figure « paternelle ».

2 Historique[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Vers la fondation[modifier | modifier le wikicode]

En 1880, des socialistes belges lancent un appel à fonder une nouvelle internationale, et les social-démocrates allemands répondent favorablement à l'initiative. Cela débouche en octobre 1881 sur une conférence à Coire (Suisse), où sont réunis des délégués belges, allemands, français, des suisses francophones et germanophones, des polonais, un russe (Axelrod) et un hongrois. La conférence décide de rédiger un nouveau manifeste socialiste devant être approuvé lors d'une réunion ultérieure. Mais la conférence représentant encore peu de monde et étant très mal organisée, les participants n'avaient alors pas réellement confiance dans l'avenir de ce processus.[2]

Le parti français (la FTSF) était en fait très divisé, principalement entre « possibilistes » (plus ou moins réformistes) et « marxistes » (qui formeront le Parti ouvrier en 1882). Les marxistes avaient des liens étroits avec les Allemands, et les possibilistes avec les Anglais de la SDF.

Le parti possibiliste avait convoqué plusieurs conférences internationales à Paris, en 1883, 1884 et 1886[3], mais les divisions avec les marxistes et les faibles forces en présence ne soulèvent pas d'enthousiasme. Lors de la conférence de 1886, il fut décidé qu'une autre aurait lieu en 1889, mais les socialistes allemands ne faisaient pas confiance aux organisateurs pour une tenue démocratique du congrès, surtout après l'expérience de la conférence internationale de Londres de 1888. Lors de celle-ci, les dirigeants syndicaux britanniques avaient exigé des mandats officiels de syndicats, ce qui excluait de fait les Allemands, qui étaient sous le coup de lois antisocialistes.

2.2 Congrès de Paris (1889)[modifier | modifier le wikicode]

Ces divisions ont conduit à deux convocations pour deux congrès différents à Paris, en juillet 1889 (date choisie pour le centenaire de la prise de la Bastille). Les délégations des différents pays se répartirent entre les deux congrès en grande partie suivant les fractures idéologiques et les liens pré-existants, même si une partie non négligeable faisait la navette entre les deux et appelait à l'unité.

On les appelait le « congrès possibiliste » et le « congrès marxiste ». C'est ce dernier qui sera considéré a posteriori comme fondateur de l'Internationale, même si à ce moment-là le congrès regroupe une grande diversité de tendances. Il y avait également des blanquistes, des anarchistes...

Le congrès décide d’organiser le 1er mai 1890 une manifestation internationale en faveur de la journée de 8 heures (reprenant à son compte la campagne lancée aux États-Unis par le syndicat de la Fédération du Travail).

2.3 Un puissant essor[modifier | modifier le wikicode]

A la fin du 19e et au début du 20e siècle, le mouvement ouvrier est de plus en plus massif et organisé. Pour la première fois dans l’histoire, des partis et des syndicats de masse apparaissent, et dont le principal (le SPD) se réclame de la révolution. La croissance des organisations entraîne une croissance des appareils. Ainsi, en Allemagne, le parti se dote de structures stables après l’abrogation des lois qui le contraignaient à la clandestinité. Les militants des années 1870-80, qui ont connu la clandestinité en Allemagne, ont résisté aux procès et à l’emprisonnement, voient leurs luttes couronnées de succès.

Pour une bonne part, ils accèdent aux postes de responsabilité, ils deviennent des permanents. Tous croient alors que la révolution est imminente, cette conviction est renforcée par les crises successives jusqu’en 1895, et par les progrès constants du mouvement ouvrier. Les raisons de se révolter contre le capital ne manquent pas : sauf exception, pas d’assurances sociales, de retraites, de congés payés...

L'essor du SPD va lui permettre d'obtenir la légitimité pour être la colonne vertébrale de l'Internationale.

2.4 Congrès de Bruxelles (1891)[modifier | modifier le wikicode]

Le comité d'organisation marxiste décida finalement de rejoindre l'appel des possibilistes à Bruxelles pour le congrès de 1891.

Le congrès se réunit les 16-22 août 1891 à la Maison du peuple siège du Parti ouvrier belge. C'est ce deuxième congrès qui fonde en pratique la nouvelle internationale.[4] Il y avait des délégués de 16 pays, notamment du Royaume-Uni (Social Democratic Federation, Legal Eight Hours League et certains syndicats représentés par Eleanor Marx[5]).

Les conditions d’adhésion à l’Internationale furent clarifiées. Le congrès adopte la lutte des classes comme principe fondamental, signe de la force de rayonnement du marxisme.

Il y eut des discussions sur la législation internationale du travail et son avenir. L'Internationale décide de pérenniser le 1er mai comme Journée internationale des travailleurs, et réaffirme la nécessité d'une journée de travail réduite à huit heures.

La question des droits des femmes fut également discutée, ainsi que la position de l’Internationale à l’égard du militarisme et des grèves.

Un débat eut lieu sur la « question juive », comme on l'appelait alors. Le socialiste juif new-yorkais Abraham Cahan propose une motion condamnant l'antisémitisme. Victor Adler et Paul Singer, les dirigeants des partis socialistes en Allemagne et en Autriche - et tous deux juifs - se sont battus contre la motion de Cahan, craignant que la condamnation de l'antisémitisme ne donne des armes aux réactionnaires qui taxaient les social-démocrates de « philosémites », voire la social-démocratie de « mouvement juif ».

Les délégués blanquistes Regnard et Argyriadès réagissent en étalant leurs préjugés antisémites, déclarant que de nombreux juifs étaient de « grands oppresseurs du travail » qui possédaient des banques, des journaux et de nombreuses industries. Ils sont largement applaudis, et seules quelques voix minoritaires s'expriment contre eux[6]. Le journal socialiste Justice écrivit « il semble y avoir un fort sentiment contre les Juifs au Congrès »[7]. Finalement, une motion est adoptée à l'unanimité, qui dénonce en même temps l'antisémitisme et la « tyrannie philo-sémite ».

Il y avait d'autres antisémites notoires dans l'Internationale, comme Henry Hyndman.

2.5 Congrès de Zurich (1893)[modifier | modifier le wikicode]

Engels avec Bebel et Zetkin en 1893 pendant le congrès.

Le 3e congrès a lieu à Zurich du 6 au 13 août. 411 délégués de 20 pays y participent. Des délégués du Brésil, de Bohême (Tchéquie) et d'Australie furent invités. Les Brésiliens ne purent pas venir et furent représentés par Liebknecht et Seidel.

Le congrès développe notamment sur l'identité de l'Internationale et les conditions d’admission :

« Le Congrès reconnaît comme membres du Parti socialiste démocratique révolutionnaire international toutes les organisations et sociétés qui admettent la lutte des classes et la nécessité de socialiser les moyens de production et qui acceptent les bases des congrès internationaux socialistes. »

Mais globalement, les déclarations votées en congrès n'ont qu'une valeur morale, et chaque section possède une autonomie totale.

Friedrich Engels était présent au congrès (le seul congrès de la Deuxième internationale auquel il assista). Le 12 août, il est désigné président d'honneur pour la journée et fait le discours de clôture.[8][9]

C'est lors de ce congrès qu'il est décidé d'exclure les anarchistes (ce que l'on retiendra sous le nom de résolution de Zurich). Ceux-ci étaient notamment représentés par Gustav Landauer, qui défendait un « socialisme anarchiste » et la non participation aux élections. Le congrès décide au contraire de voter une motion pour la participation au parlementarisme.

Le congrès discuta également de la construction des syndicats et de la condition de la paysannerie dans les différents pays. A ce congrès est fondée la Fédération internationale des travailleurs de la métallurgie. Il y avait également une délégation de syndicalistes britanniques dirigés par John Hodge. Eleanor Marx représenta à nouveau la Legal Eight Hours League et quelques autres groupes ouvriers.[10]

La question de comment les travailleur·ses devaient être organisés internationalement ainsi que celle de la grève générale furent évoquées, mais le temps manqua pour les traiter. Des motions furent adoptées pour affirmer le combat pour le droit de vote des femmes, le combat du Siam contre le colonialisme et la monarchie absolue, et le soutien aux mineurs britanniques en grève.

Il y eut aussi un Congrès international des étudiants socialistes en décembre 1893 à Genève.[11]

2.6 Congrès de Londres (1896)[modifier | modifier le wikicode]

Le 4e congrès eut lieu à Londres, du 21 juillet au 1er août 1896. Il y eut un grand nombre de délégués (782), mais la moitié étaient des britanniques (dont une forte représentation de la Fabian Society). Un seul pays non européen fut représenté (les États-Unis). La Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne étaient de loin les plus représentées, mais certains petits pays comme la Suisse et la Belgique avaient une délégation notable, avec respectivement 12 et 19 délégués.

Au congrès de Londres en 1896, beaucoup d'anarchistes sont présents (dont Malatesta et Cornelissen), mais se font exclure par la majorité autour des marxistes allemands. Un certain nombre de socialistes (Keir Hardie, Tom Mann, William Morris...), bien que non anarchistes, protestent contre ce qu'ils voient comme l'intolérance de la majorité autour des marxistes allemands.[12] Parmi ces derniers, Karl Kautsky est considéré comme le principal théoricien depuis la mort d'Engels en 1895.

Le congrès proclame que les partis et les syndicats doivent tendre à l'unité la plus complète. Mais suite à ce congrès, une grande partie des syndicats refuse l'adhésion directe à l'Internationale, à commencer par ceux qui sont le plus en désaccord idéologique, comme la CGT française (alors anarcho-syndicaliste) et le TUC anglais. Mais plus largement, la tendance est à une organisation séparée entre syndicats et partis.

A ce congrès, les deux sections polonaises s’affrontent sur la question de l’indépendance de la Pologne. Le Parti socialiste polonais (fondé en 1892 et dont le dirigeant le plus connu est Pilsudski) est pour, la SDKPiL (Luxemburg[13]) est contre. Kautsky ajoute dans la résolution politique adoptée « le plein droit de libre détermination de toute les nations », ainsi qu'une condamnation du colonialisme, qui fait office de compromis mais a été peu discuté.

Des motions ont également été adoptées pour soutenir l’indépendance de Cuba, de la Macédoine et de l’Arménie. Elles affichent un certain optimisme sur l’imminence des révolutions socialistes dans ces pays, même si le monarchisme commençait seulement à être remis en question en tant que système politique.

D'autres questions discutées concernaient la position de la classe ouvrière à l'égard du militarisme, la poursuite des efforts d'organisation et d'élévation de la conscience de classe, ou encore la nécessité d'un programme pour l'industrie mais aussi pour l'agriculture.

Ce congrès a été qualifié de « le plus agité, le plus tumultueux et le plus chaotique de tous les congrès de la IIe Internationale », alors que les divisions qui allaient se creuser dans les années à venir commençaient à apparaître, principalement entre ceux qui désiraient poursuivre du socialisme par des moyens démocratiques et ceux qui souhaitent la révolution. De nombreuses factions ont commencé à se former au sein de l’Internationale, souvent basées sur des lignes nationales.

2.7 Progrès de l'opportunisme et du révisionnisme[modifier | modifier le wikicode]

Mais l'Internationale n'est pas aussi révolutionnaire que ses déclarations le laissent paraître. La croissance capitaliste de la Belle Époque (1896-1914) fait aussi émerger des couches de travailleurs mieux lotis que la majorité prolétarienne. Ce sont ce que Lénine appellera l'aristocratie ouvrière. Parmi ces couches, un certain conservatisme se développe, puisqu'il leur semble qu'une simple collaboration avec les capitalistes, avec parfois un peu de pression, peut suffire à améliorer leur sort. Les masses de l'Internationale ouvrière sont organisées dans les entreprises, les coopératives, les municipalités, autour de dirigeants qui sont en voie de “domestication”, et mènent une politique de plus en plus opportuniste et réformiste.

Cette domestication passe aussi plus largement par le renforcement progressif des États bourgeois, et la puissance de l'idéologie dominante s'insinue au cœur de l'idéologie ouvrière qui tente de se constituer. Ainsi, l’ouvrier va être instruit par l’école laïque et obligatoire ; va être dressé par le non moins obligatoire service militaire pour défendre, le cas échéant, la Patrie, l’Empire, bref l’État dont il va avoir l'illusion de devenir un citoyen à part entière par le bulletin de vote.

La pratique réelle, c'est que les campagnes électorales devenaient de plus en plus un but en soi et servaient de moins en moins à défendre une propagande révolutionnaire. C'est également que les syndicats étaient de moins en moins offensifs et de plus en plus enclins à collaborer avec le patronat. Dans ce contexte, plusieurs voix ont tenté de réviser la théorie marxiste pour abandonner l'idée révolutionnaire qui n'était plus vivante. Les congrès, dominés par la direction du SPD (plus tard caractérisée par les révolutionnaires comme "centriste") condamnait toujours officiellement ces écarts, mais souvent mollement et sans tirer aucune conséquence.

2.8 Congrès de Paris (1900)[modifier | modifier le wikicode]

Le 5e congrès se tient les 23-27 septembre 1900 à Paris. Il était initialement prévu qu'il ait lieu en Allemagne en 1899, mais des difficultés avec les autorités allemandes l'ont empêché. Une vingtaine de pays sont représentés, et on remarque un nombre accru de délégués d'Europe de l'Est (20 de Pologne, 24 de Russie), fortement divisés entre eux. Lénine y vote avec Plekhanov contre un représentant de l'économisme, Kritchevski.

C'est lors de ce congrès qu'est créé le Bureau Socialiste International, pour raffermir les liens entre les divers partis sociaux-démocrates constituant la Seconde Internationale qui restait une fédération très souple.

Lors de ce congrès, le révisionnisme de droite est rejeté. Les délégués sont amenés à se prononcer sur le "ministérialisme" (le socialiste français Millerand est devenu ministre d'un gouvernement bourgeois). C’est Kautsky qui trouve la formule de compromis, la participation au gouvernement de socialistes ne peut être qu’un expédient, car « la lutte des classes interdit toute espèce d’alliance avec une fraction quelconque de la classe capitaliste ». Il est « admis que des circonstances exceptionnelles peuvent rendre nécessaires par endroits des coalitions (bien entendu sans confusion de programme ou de tactique) ».

Le congrès adopte aussi des résolutions pour « l'expropriation des expropriateurs » (bourgeoisie), contre le militarisme... Il discute également de la question des trusts et de la centralisation du capital.

C'est à partir de ce congrès que l'on commence à chanter l'Internationale, qui cohabitera cependant encore longtemps avec la Marseillaise.

Affiche pour le 1er mai 1901

2.9 Les premières scissions[modifier | modifier le wikicode]

L’opposition entre réformistes et révolutionnaires se manifeste dès 1903 en Russie, où le parti se divise entre mencheviks et bolcheviks, et en Bulgarie entre “Larges” et “Etroits”. En 1909, la scission se produit en Hollande. Ce sont des scissions qui paraissent alors mineures à l'échelle de l'Internationale, mais ce sont des symptômes du fossé qui se creuse. Cependant que ce soit pour Luxemburg ou Lénine (membre de l'Internationale depuis 1895), il ne saurait être question de quitter l’Internationale. Pour eux, le révisionnisme est un courant qui doit être combattu. Ils ne perçoivent pas que derrière les pratiques se dresse une couche sociale particulière. Selon l'expression du bolchévik Alexandre Bogdanov, les révolutionnaires dans la IIe Internationale se voyaient eux-mêmes comme « l’avant-garde de l’avant-garde ».

2.10 Congrès d'Amsterdam (1904)[modifier | modifier le wikicode]

Le 6e congrès a lieu du 14 au 20 août 1904 à Amsterdam. Il réunit des représentants de 25 pays et de 4 continents, ce qui est alors un progrès vers un caractère plus international. Le succès du SPD en Allemagne, qui avait obtenu 3 millions de votes et 81 sièges de députés, en fait incontestablement l'élément moteur de l'Internationale.[14][15][16]

Il adopte un appel à manifester énergiquement le premier mai partout dans le monde, pour les 8 heures, les revendications du prolétariat et la paix universelle. G. Plekhanov serre la main d'un des leaders socialistes japonais, Katayama Sen, ce qui symbolise l'internationalisme au moment où les empires russe et japonais sont en guerre.

Il adopte également une motion sceptique sur la grève générale qui est alors principalement vue comme un mot d'ordre anarcho-syndicaliste :

« Le Congrès socialiste international, considérant :

Qu'il est désirable que la démocratie sociale se prononce sur la «grève générale» ;

Que les conditions nécessaires pour la réussite d'une grève de grande étendue sont une forte organisation et une discipline volontaire du prolétariat ;

Congrès-Inter-soc-Amsterdam-1904-3.jpg

Déclare la «grève générale», si l'on entend par là la cessation complète de tout travail à un moment donné, inexécutable parce qu'une telle grève rendrait chaque existence, celle du prolétariat comme tout autre, impossible ;

Considérant : Que l'émancipation de la classe ouvrière ne saurait être le résultat d'un tel effort subit ;

Qu'il est au contraire possible qu'une grève qui s'étendrait, soit sur un grand nombre de métiers, soit sur les plus importants d'entre eux.. au fonctionnement de la vie économique, se trouverait être un moyen suprême d'effectuer des changements sociaux de grande importance ou de se défendre contre des attentats réactionnaires sur les droits des ouvriers ;

Avertit ceux-ci de ne point se laisser influencer par la propagande pour la «grève générale», dont se servent les anarchistes pour détourner les ouvriers de la lutte véritable et incessante, c'est-à-dire de l'action politique, syndicale et coopérative ;

Et invite les ouvriers à augmenter leur puissance et à raffermir leur unité en développant leurs organisations de classe puisque de ces conditions dépendra le succès de la grève politique si celle-ci un jour, se trouvait être nécessaire et utile ».[17]

Des réformistes comme Jaurès plaident pour que le socialisme s'ouvre davantage à la petite-bourgeoisie et adopte une politique d'évolution plutôt que de révolution. Les marxistes allemands combattent cette ligne et sont majoritaires. Le congrès « condamne de la manière la plus énergique les tentatives révisionnistes tendant à changer notre tactique éprouvée et victorieuse basée sur la lutte des classes. »[18]

Une prise de position générale contre le colonialisme est adoptée, mais des voix se font entendre pour une « politique coloniale socialiste » (Bernstein).

2.11 Congrès de Stuttgart (1907)[modifier | modifier le wikicode]

Le 7e Congrès a lieu entre le 18 et le 24 août 1907 dans la plus grande salle de Stuttgart, et une foule de cinquante mille personnes participa à la manifestation qui marqua son ouver­ture. Avec 886 délégués venant de 25 pays (dont l'Argentine, l'Inde, l'Australie, le Japon, l'Afrique du Sud...) et 5 continents, le congrès est encore plus international que le précédent.

Parmi les membres notables figuraient Clara Zetkin, Rosa Luxemburg, August Bebel, Jaurès, Karl Liebknecht, Gustave Hervé, Ramsey Macdonald, Eduard Bernstein et Lénine.

Juste avant l'ouverture du congrès proprement dit, le 17 août, se tient la Première Conférence internationale des femmes socialistes. A cette occasion est formé un Bureau international à la tête duquel on retrouve Clara Zetkin.

Le Congrès ouvre ses débats sur la question de la guerre et sur les moyens de s’y opposer. Face à la proposition de Gustave Hervé et des délégués français (sauf Guesde), qui prévoit la grève générale en cas de guerre, les Allemands, conduits par Bebel et Vollmar la rejettent. Bebel se refuse à envisager tout plan d’action précis. Il estime que la grève générale en Allemagne détruirait toutes les organisations. Finalement sur proposition de Rosa Luxemburg et de Lénine, entre autre, l’amendement suivant est adopté, avec les voix du centre :

« Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, ils ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

Au cours des discussions, le délégué anglais Harry Quelch, parlant des diplomates qui délibéraient à La Haye sur les moyens d’arrêter la guerre, qualifia la réunion d’« assemblée de voleurs ». Son discours parut dans les journaux locaux, et une heure après il recevait l’ordre de quitter immédiatement l’Allema­gne (par décret du gouvernement de Wurtemberg, sous la pression de Berlin).

« Bebel se sentit aussitôt mal à son aise. Le parti n'osa pas entreprendre quoi que ce fût contre l'expulsion. Il n'y eut même pas de manifestation pour protester. Le congrès international se conduisit comme une bande d'écoliers: le maître chasse de classe un élève insolent, et tous se taisent. »[19]

Quelch fut donc expulsé sans réelle réaction, après un dîner impromptu donné en son honneur. Les séances reprirent, avec son fauteuil couvert de fleurs.

Le congrès aborda la question des rapports syndicats-parti. Certains comme le bolchévik Lounatcharski soutenaient le maintien de la position d'unité syndicats-partis, tandis que Plekhanov plaidait pour une « neutralité ». La résolution votée est une résolution de compromis. Lénine considéra qu'elle donnait raison aux partisans de la politisation des syndicats[20], mais elle peut aussi être vue comme une concession à la tendance à l'autonomisation des syndicats.

«  Pour affranchir entièrement le prolétariat du servage intellectuel, politique et économique, la lutte politique et la lutte économique sont également nécessaires. Si l’activité du Parti socialiste s’exerce surtout dans le domaine de la lutte politique du prolétariat, celle des syndicats s’exerce principalement dans le domaine de la lutte économique de la classe ouvrière. Le Parti et les syndicats ont une besogne également importante à accomplir.

Chacune des deux organisations a son domaine distinct déterminé par sa nature et dans lequel elle doit régler son action d’une façon absolument indépendante. Mais il y a aussi un domaine toujours grandissant de la lutte des classes prolétarienne, dans lequel on ne peut obtenir davantage que par l’accord et la coopération du Parti et des syndicats.  Par conséquent, la lutte prolétarienne sera d’autant mieux engagée et d’autant plus fructueuse, que les relations entre les syndicats et le Parti seront plus étroites, sans compromettre la nécessaire unité du mouvement syndical »[21]

Bhikaiji Cama, une indépendantiste militant à la Société indienne de paris et invitée au congrès, déroula ce drapeau dans la salle.

A ce congrès eurent lieu également d'importants débats sur le colonialisme, qui montrent l'ampleur du racisme y compris chez beaucoup de socialistes (qui étaient alors essentiellement européens). Le néerlandais Henri van Kol (qui avait des parts dans une plantation de café en Indonésie) soutenait que « la possession des colonies [était] nécessaire, même dans un système futur de gouvernement socialiste ».[22] Ces prises de positions furent désavouées par l'Internationale. Mais le fait qu'elles aient pu être tenues sans problème, sans conséquences (aucune exclusion ne fut envisagée), montre l'ampleur du problème. Il y eut également des tentatives de soutenir l'interdiction de l'immigration au nom de la protection des salaires des travailleur·ses des pays riches.[23]

Dans une commission sur les questions concernant spécifiquement les travailleuses, l’un des débats les plus mouve­mentés opposa les socialistes autrichiens à ceux des autres pays sur la question du vote des femmes. Comme dans l’Autriche cléricale, les travailleurs masculins en étaient encore à réclamer le vote direct et secret, ils hésitaient à compromettre leur revendication en s’enga­geant dans une lutte pour le suffrage universel. Ils proposaient de différer cette lutte jusqu’à l’obtention du droit de vote pour les hommes. Ce point de vue, approuvé par les déléguées autrichiennes, fut vivement critiqué par Clara Zetkin et la majorité des délégués.

A ce congrès, des votes additionnels consultatifs furent attribués à des organisations socialistes juives, le SERP et le POSS. Les organisations juives (particulièrement d'Europe de l'Est) étaient auparavant très invisibilisées, et le BSI travailla sur la question.[24][25]

La même année se constitue la Fédération internationale de la Jeunesse socialiste, à l’initiative de Karl Liebknecht. Cependant, l’Internationale ne la reconnaît pas, et en Allemagne, les Jeunes socialistes sont considérés comme trop radicaux.

2.12 Congrès de Copenhague (1910)[modifier | modifier le wikicode]

Au premier plan, Alexandra Kollontaï et Clara Zetkin se tiennent la main

Le 9e congrès se tient entre le 28 août et le 3 septembre 1910, à Copenhague, qui est alors aux mains d'une municipalité social-démocrate. La cérémonie d'ouverture est grandiose avec une cantate écrite spécialement pour le congrès par le délégué A.C. Meyer. 33 pays sont représentés avec 896 délégué·es, de nombreux Allemands et Russes (dont Lénine, Plékhanov et Lounatcharski).

Cinq commissions furent mises en place pour discuter et rédiger des résolutions sur les tâches de la classe ouvrière, la lutte contre la guerre, la législation du travail et la peine de mort. De nombreuses discussions ont également eu lieu sur les luttes socialistes en Finlande, en Argentine et en Perse. L'Argentine était sur le point de mettre en place le suffrage universel masculin (les radicaux remporteraient les premières élections en 1912), tandis que la Finlande était un sujet de débat animé en raison des revendications croissantes de nombreux libéraux et socialistes pour leur indépendance vis-à-vis de la Russie. La Perse méritait l'attention en raison de l'activité politique créée par la nouvelle assemblée constitutionnelle et de la relégation du rôle du monarque à un rôle constitutionnel.

Les décisions de 1907 sont réaffirmées. Le congrès réaffirme que « les guerres ne sont actuellement causées que par le capitalisme et particulièrement par la concurrence économique internationale des États capitalistes sur le marché du monde… », la solution passe donc par la révolution socialiste, car « la chute du capitalisme signifie la paix universelle  ». Le congrès appelait également les travailleurs à faire pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu'ils réduisent les armements et règlent les conflits par l'arbitrage.

2.13 La menace de la guerre[modifier | modifier le wikicode]

En 1911, alors que la France et l’Allemagne s’affrontent diplomatiquement, à Berlin comme à Paris des foules ouvrières acclament les orateurs socialistes. Comme August Bebel, fondateur du parti socialiste allemand, député au Reichstag, qui menace ainsi les classes dirigeantes : « Je suis convaincu que cette grande guerre mondiale (à venir) sera suivie d’une révolution mondiale. Vous récolterez ce que vous avez semé. Le crépuscule des Dieux approche pour le régime bourgeois ».

L’année suivante, en 1912 la guerre éclate dans les Balkans, région où l’Autriche et la Russie sont en concurrence. La première est la « protectrice » de la Bulgarie, et la seconde soutient la Serbie. Le Bureau de l’Internationale appelle ses sections à organiser le dimanche 17 novembre 1912 une démonstration de force des travailleurs contre l’extension de la guerre balkanique. De grandes manifestations se déroulent alors à Londres, Berlin, Milan, Rome et Strasbourg (territoire allemand).

Mais ce conflit local se déroule sur fond de montée de l'hostilité nationale entre la Grande-Bretagne et l’Empire allemand, ce qui était étroitement lié à l'essor rapide du capitalisme allemand, qui faisait de l'ombre à l'hégémonie britannique. Les deux puissances étaient engagées dans une véritable course aux armements.

2.14 Congrès de Bâle (1912)[modifier | modifier le wikicode]

En raison du risque de guerre, un Congrès extraordinaire est convoqué les 24 et 25 novembre 1912. Il est organisé par le parti socialiste suisse et a lieu dans la cathédrale de Bâle (Suisse). 500 délégués (dont 123 français) de 23 nations différentes y ont directement participé et plus de 10 000 personnes y ont assisté. Parmi les délégués notables figuraient Jaurès, Luxemburg, Lénine, Kautsky et Karl Liebknecht (récemment élu au Reichstag allemand).

Une manifestation parcourt au matin du 24 les rues de la ville avant de converger vers la cathédrale. Douze mille personnes ne parviennent pas à entrer. Quatre tribunes sont alors installées autour de l’édifice où s’expriment vingt-six orateurs des différentes nations.

Le congrès exhortait les États des Balkans à s’unir pour résister à l’impérialisme austro-hongrois, mais ajoutait également que « le plus grand danger pour la paix de l’Europe est l’hostilité artificiellement cultivée entre la Grande-Bretagne et l’Empire allemand ». Le congrès appelait également les socialistes d'Autriche-Hongrie et d'Italie à s'opposer à toute tentative de ces deux pays d'annexer ou d'envahir les États des Balkans.

Affiche Congrès de Bâle 1912.jpg

Les délégués et le public sont suspendus aux lèvres d’un des plus grands orateurs : Jaurès, le leader du parti socialiste français. Il prononce alors un de ses plus célèbres discours :

« J’appelle les vivants pour qu’ils se défendent contre le monstre qui apparaît à l’horizon ; je pleure sur les morts innombrables couchés là-bas vers l’Orient et dont la puanteur arrive jusqu’à nous comme un remords ; je briserai les foudres de guerre qui menacent dans les nuées. Oui, j’ai entendu cette parole d’espérance. Mais cela ne suffit pas pour empêcher la guerre. Il faudra toute l’action concordante du prolétariat mondial. »

Le congrès réaffirma les positions prises à Stuttgart puis Copenhague. Les socialistes avaient pour devoir de « déployer tous les efforts possibles pour empêcher le déclenchement de la guerre par les moyens qu'ils considèrent les plus efficaces ». Dans l'éventualité où la guerre éclaterait, ils devaient continuer à lutter et s'efforcer d'utiliser la crise engendrée pour précipiter la chute du capitalisme.

Le 25 novembre, les délégués approuvent à l’unanimité le Manifeste, rédigé par Adler, Bebel, Jaurès, Keir-Hardie et Plékhanov.[26] Celui-ci s’adresse tant aux travailleurs qu’aux dirigeants :

« Le Congrès […] demande aux travailleurs de tous les pays d’opposer à l’impérialisme capitaliste la force de la solidarité internationale du prolétariat ; il avertit les classes dirigeantes de tous les pays de ne pas accroître encore, par des actions de guerre, la misère infligée aux masses par le mode de production capitaliste (…). Que les Gouvernements sachent bien que dans l’état actuel de l’Europe et dans la disposition d’esprit de la classe ouvrière, ils ne pourraient, sans péril pour eux-mêmes, déchaîner la guerre.»

Le rapporteur clôt alors le Congrès extraordinaire en lançant le fameux « Guerre à la guerre », puis la salle entonne les chants révolutionnaires dont L’Internationale. L'écrivain Louis Aragon a décrit ce moment dans son roman Les Cloches de Bâle.

Lénine rappellera souvent le Manifeste de Bâle pour souligner la trahison de Kautsky[27]. Après Bâle, certains socialistes apparaissent moins fermes dans leur opposition à la guerre, comme Kautsky qui dira « l'attitude de l'Internationale à l'égard de la guerre n'a pas encore été définie ».

3 Explosion de l'Internationale[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Marche à la guerre[modifier | modifier le wikicode]

Encore le 29 juillet 1914, le Bureau socialiste international se réunit et adopte la résolution suivante :

« Le Bureau Socialiste International, lors de sa réunion tenue aujourd'hui 29 juillet, après avoir écouté les rapports des représentants de tous les pays susceptibles d'être impliqués dans une guerre mondiale sur la situation politique de ces pays, a décidé à l'unanimité qu'il serait du devoir des travailleurs de toutes les nations concernées non seulement de continuer mais d'intensifier encore leurs manifestations contre la guerre, pour la paix et pour le règlement du conflit austro-serbe par un arbitrage international. Les ouvriers allemands et français exerceront la pression la plus énergique sur les gouvernements de leurs pays respectifs, afin que l'Allemagne retienne l'ardeur guerrière de l'Autriche et que la France obtienne de la Russie la non-ingérence dans le conflit. Les travailleurs britanniques et italiens soutiendront, de leur côté, ces efforts de toute leur énergie. Le congrès extraordinaire qui est convoqué à Paris sera une expression vigoureuse de cette volonté de paix du prolétariat international. »

Un 10e congrès était prévu à Vienne du 23 au 29 août 1914, mais en juillet, le Parti social-démocrate autrichien annonce qu'il devra avoir lieu dans un autre pays à cause du risque de guerre.

Mais le congrès n’a jamais eu lieu en raison du déclenchement de la guerre le 4 août 1914.

3.2 La guerre de 1914 et l'Union sacrée[modifier | modifier le wikicode]

Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les leaders socialistes (à l'exception des Russes, des Serbes et des Bulgares), votèrent les crédits militaires demandés par les gouvernements, et prônèrent la trêve sociale au nom du nationalisme (« Union sacrée »). Ils appelaient donc les prolétaires de chaque pays à faire bloc avec leur bourgeoisie contre les prolétaires des autres pays. Des pans entiers des partis socialistes répandaient même ouvertement des discours chauvins.

Les militants fidèles à l'internationalisme et au pacifisme dénoncent ce reniement de la majorité, et militent contre la guerre - ce qui leur vaut souvent d'être exclus de la Deuxième Internationale (c'est le cas par exemple de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht en Allemagne).

L'Internationale cesse de fait d'exister pendant la guerre. Cependant beaucoup de dirigeants évoquent l'idée de relancer l'Internationale comme avant et comme si de rien n'était, quand cela sera possible.

Durant le conflit, deux conférences, celle de Zimmerwald et surtout celle de Kienthal, ont réuni les militants de la gauche de l'Internationale, parfois exclus, pour s'opposer à la guerre et aux dirigeants socialistes la soutenant. Mais parmi ces « zimmerwaldiens », les positions allaient de la gauche révolutionnaire (en faveur d'une nouvelle Internationale et appelant immédiatement à transformer le chaos de la guerre en révolution sociale) au centrisme pacifiste (plus modérés et croyant généralement plus à la possibilité de convaincre la majorité de la Deuxième internationale).

Vers 1916-1917, dans la plupart des partis de l'Internationale, c'est l'aile centriste opposée à la poursuite de la guerre, qui reprend le dessus contre les réformistes les plus chauvins.[28] Mais cela ne suffira pas à maintenir l'unité.

3.3 La révolution russe et la scission[modifier | modifier le wikicode]

La Révolution russe de 1917 va ajouter un clivage de plus dans le mouvement ouvrier international : tandis que la révolution enthousiasmait de larges masses ouvrières, elle était globalement condamnée par les vieilles directions réformistes. La plupart du mouvement zimmerwaldien soutint la révolution russe, mais un certain nombre de dirigeants qui furent dans l'Union sacrée pendant la guerre finit aussi par s'y rallier.

Début 1917, un comité de socialistes danois et scandinaves lança un appel à un congrès international à Stockholm, dans l'idée de refonder la Deuxième internationale. L'appel se voulait pacifiste et internationaliste, mais s'inscrivait en réalité dans le camp des Alliés. C'était essentiellement une tentative des dirigeants socialistes pour canaliser le militantisme anti-guerre croissant, ainsi que la radicalisation engendrée par la révolution russe. Cela souleva beaucoup de débats parmi les socialistes, et notamment en Russie. Finalement, les dirigeant·es de Zimmerwald appelèrent à une conférence du mouvement qui devait se tenir avant ce congrès.

Ces rassemblements à Stockholm furent sans cesse reportés, notamment parce que les gouvernements des pays Alliés refusaient que les délégués s'y rendent. Il y eut un débat parmi les bolchéviks sur le fait d'y participer ou non. Lénine était parmi les plus opposés.[29] Il fut décidé d'y aller et que les délégués feraient du mot d'ordre de paix sans annexion une condition sine qua non. Mais le congrès n'arriva même pas à se réunir.

En février 1919, les dirigeants de la Deuxième internationale se réunissent à la Conférence de Berne. Les délégués de l’aile droite et du centre s’étaient violemment affrontés, principalement sur la question de la Russie et des Bolcheviks et sur la reconstitution de la Seconde Internationale. Plusieurs partis socialistes — ceux d’Italie, de Suisse, de Serbie, de Roumanie et d’Amérique — s’étaient abstenus d’envoyer des délégués. Mais l’aile droite l’avait emporté, et l’on avait sévèrement condamné les méthodes de « dictature » employées en Russie.

Ils tiennent encore un congrès à Genève, du 31 juillet au 6 août 1920.[30]

3.4 Troisième internationale[modifier | modifier le wikicode]

Répondant directement à cette conférence, le congrès de fondation de la Troisième internationale a lieu à Moscou en mars 1919. Partout, de nombreux socialistes (majoritaires ou minoritaires selon les pays) quittent la Deuxième Internationale pour rallier l'Internationale communiste. A partir de cette rupture historique causée par la guerre et la révolution, on distinguera les « communistes » de leurs ex-camarades « socialistes ».

Selon beaucoup de léninistes, dont les trotskistes, la rupture entre la Deuxième internationale et l'Internationale communiste a été profonde, et le marxisme a été complètement repensé. Certains ont employé l’expression « marxisme de la IIe Internationale » (Karl Korsch et Georg Lukàcs notamment) par opposition au marxisme vivant de la IIIe Internationale. D'autres soulignent qu'en grande partie, la IIIe Internationale a plutôt maintenu les meilleures traditions militantes de la IIe Internationale, que celle-ci abandonnait :

« Nos techniques et nos pratiques, tout notre rapport au monde, sont plus proches de la IIe Internationale que nous le croyons. (...) [L]e terme même de « manifestation », pour désigner un rassemblement de masse ou quelque chose de similaire, provient de cette période et qu’il a été plus ou moins inventé par la gauche socialiste. Ainsi, la presse officielle de parti, les pétitions, les protestations, les placardages, les banderoles, à peu près tout ce que la gauche fait au quotidien, ont été élaborés et déterminés par la logique fondamentale selon laquelle la IIe Internationale se comprenait elle-même, à savoir : nous avons un but, l’enjeu est alors d’articuler la condition présente à ce but plus large. »[31]

3.5 Les « socialistes » après la scission[modifier | modifier le wikicode]

Mais un certain nombre de courants socialistes rompent avec les social-chauvins tout en voulant garder leurs distance avec les bolchéviks. Ils vont notamment former l'Union des partis socialistes pour l'action internationale, connu sous le nom « d'Union de Vienne », et raillée par les communistes comme « Internationale deux et demie ».

En 1923, les derniers partis membres de l'Internationale ouvrière se rassembleront avec ceux de l'Union de Vienne pour former l'Internationale ouvrière socialiste. Laquelle en 1951, après une nouvelle perte de contact pendant la guerre, se reformera en Internationale socialiste.

Une conférence eut lieu à Berlin en avril 1922 entre les exécutifs des trois internationales.[32]

4 Les congrès[modifier | modifier le wikicode]

Lieu Dates Notes
Premier congrès Paris 14-19 juillet 1889 Division dans la section française entre les "possibilistes" et les "marxistes"
Deuxième congrès Bruxelles 3-7 août 1891 Affirmation de la lutte des classes comme principe fondamental
Troisième congrès Zurich 9-13 août 1893 Création de la Fédération internationale des travailleurs de la métallurgie
Quatrième congrès Londres 26-31 juillet 1896 Affirme l'opposition à la colonisation et le droit des nations à l'auto-détermination
Cinquième congrès Paris 23-27 septembre 1900 Etablit un Bureau socialiste international
Sixième congrès Amsterdam 14-20 août 1904
Septième congrès Stuttgart 18-24 août 1907
Huitième congrès Copenhague 28 août-3 sept. 1910 Création de l'Internationale socialiste des femmes qui fixe le 8 mars comme Journée internationale des femmes.
Neuvième congrès Bâle 24-25 novembre 1912 Congrès extraordinaire contre le danger de guerre

5 Implantation[modifier | modifier le wikicode]

L’Internationale ouvrière a des sections nationales dans plus de vingt pays. En 1912, elle enregistrait 3 372 000 adhérents ; en outre son influence s’exerçait sur 7 315 000 coopérateurs, 10 830 000 syndiqués, 11 à 12 millions d’électeurs et les lecteurs de 200 grands quotidiens.[33]

5.1 Europe[modifier | modifier le wikicode]

Le SPD est le premier parti de l'Internationale, mais aussi le plus grand parti de masse au monde. Autour du parti et des syndicats, des myriades d’associations et de coopératives se sont créées, l’ensemble forme une véritable contre-société.

Pays Parti Fondation
Allemagne Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) 1863
Danemark Parti social-démocrate danois 1871
Portugal Parti socialiste portugais 1875
Espagne Parti socialiste ouvrier espagnol 1879
Belgique

Parti ouvrier belge

1885
Norvège

Parti travailliste norvégien

1887
Suisse Parti socialiste suisse 1888
Autriche

Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche

1889
Suède

Parti social-démocrate suédois des travailleurs

1889
Hongrie Parti social-démocrate de Hongrie 1890
Italie

Parti socialiste italien

1892
Pologne Social-démocratie du Royaume de Pologne 1892
Pays-Bas Parti social-démocrate des ouvriers 1893
Roumanie Parti social-démocrate des travailleurs de Roumanie 1893
Bulgarie Parti social-démocrate ouvrier bulgare 1894
Lituanie Parti social-démocrate lituanien 1896
Russie

Parti ouvrier social-démocrate de Russie

Parti socialiste-révolutionnaire (à partir de 1902)

1898
Finlande

Parti social-démocrate de Finlande

1899
Royaume-Uni

Parti travailliste
Le parti rejette d'emblée le marxisme.

1900
Luxemburg

Parti ouvrier socialiste luxembourgeois

1902
Lettonie Parti social-démocrate du travail letton 1904
France Parti ouvrier français

Puis Section française de l'internationale ouvrière (1905)

1882
Irlande

Parti travailliste d'Irlande

1912

5.2 Amérique du Nord[modifier | modifier le wikicode]

Parti socialiste d'Amérique, fondé en 1901

5.3 Amérique Latine[modifier | modifier le wikicode]

Parti socialiste d'Argentine, fondé en 1896

Parti socialiste d'Uruguay, fondé en 1910

5.4 Océanie[modifier | modifier le wikicode]

Parti socialiste du Victoria, fondé en 1905

6 Caractéristiques[modifier | modifier le wikicode]

6.1 Fédéralisme[modifier | modifier le wikicode]

Les congrès se réunissaient tous les 2 ou 4 ans. Ils étaient utiles comme lieux de rencontre, d’échanges d’idées ; chaque parti national pouvait y rendre compte de sa situation. Mais l'Internationale était très fédéraliste (nettement plus que la première internationale). Les résolutions du Congrès étaient des déclarations parfois ronflantes ou théoriques qui n’étaient pas contraignantes.

6.2 Bureau socialiste international[modifier | modifier le wikicode]

Ce n'est que 11 ans après sa fondation que l'Internationale se dote d'un organe permanent (le Bureau socialiste international), qui n'a cependant aucun pouvoir sur les partis membres. Le Bureau se réunissait à Bruxelles, et était composé de deux délégués par pays.

Il ne tiendra sa première réunion que le 30 décembre 1901, et se réunira en plénier 16 fois jusqu'en 1914. Le secrétariat du Bureau fut confié à Victor Serwy puis à Camille Huysmans à partir de 1906. Les journalistes comme les parlementaires des partis avaient aussi leurs commissions internationales.

Lorsque la Guerre de 1914 éclate, le Bureau socialiste international est à l'image de l'Internationale, paralysé. Il s'active uniquement pour dénigrer les regroupements de Zimmerwald et Kienthal, et pour organiser une conférence de socialistes des pays neutres.

6.3 Place des syndicats[modifier | modifier le wikicode]

L’Internationale entend à l'origine regrouper les syndicats avec les partis, comme la Première internationale. Cependant, dès 1893, certaines organisations syndicales, dont les trade-unions anglais, se réunissent séparément.

En 1901, à la suite d'une proposition faite par la CGT lors de l'Exposition universelle de Paris l'année précédente, des syndicalistes Allemands, Belges, Anglais et Scandinaves créent le Secrétariat syndical international (la future Internationale d'Amsterdam).

La division du travail entre parti (action politique) et syndicat (action économique) aura pour conséquence de favoriser l’orientation réformiste des dirigeants syndicaux, et de favoriser un électoralisme du parti qui conçoit de moins en moins son action comme fondée sur un rapport de force extra-parlementaire.

7 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  • La deuxième internationale, sur Marxists.org : français | anglais
  • Georges Haupt, La Deuxième Internationale 1889-1914, 1964
  • Georges Haupt, Bureau Socialiste International, 1969
  • Socialisme international, La trahison de la Deuxième internationale
  • Julius Braunthal, History of the International, 1864–1914. London: Thomas Nelson and Sons, 1966
  1. Karl Marx, Lettre à Ferdinand Domela Nieuwenhuis, 22 février 1881
  2. Iouri Steklov, Histoire de la Première internationale, 1928
  3. János Jemnitz, The International Workers' Socialist Conference of Paris in 1886 (To the Prehistory of the II International), Acta Historica Academiae Scientiarum Hungaricae, Vol. 32, No. 1/2 (1986), pp. 97-112 (16 pages)
  4. Friedrich Engels, The International Workers' Congress of 1891, 15 September 1890
  5. Eleanor Marx, Report from Great Britain and Ireland to the Delegates of the Brussels International Congress, 1891
  6. "The Times" newsclippings of the 1891 International Socialist congress (Archive.org)
  7. "Congresses of Social Democracy: Second International Congress of Brussels, August 16th to 22nd 1891" – via Marxists Internet Archive.
  8. International Socialist Congress Zurich, Switzerland (1894). Protokoll des Internationalen sozialistischen Arbeiterkongresses in der Tonhalle, Zürich, vom 6. bis 12. august 1893 (in German). Grütlivereins. p. 52.
  9. Friedrich Engels, Closing Speech at the International Socialist Workers' Congress in Zurich, 12 August 1893
  10. Eleanor Marx, Report from Great Britain and Ireland to the Delegates of the Zürich International Socialist Worker’s Congress, 1893
  11. Friedrich Engels, To the International Congress of Socialist Students, 1893, 19 December 1893
  12. George Woodcock (1962). Anarchism: A History of Libertarian Ideas and Movements. pp. 263–264.
  13. Rosa Luxemburg, The Polish Question at the International Congress in London, July 1896
  14. Report from SPGB, The International Socialist Congress, 1904
  15. James O. Moroney, Report of the Australian Socialist League to the International Socialist Congress at Amsterdam, 1904
  16. Henry Hyndman, Report on Colonies and Dependencies to the Amsterdam Congress, 1904
  17. Sixième Congrès socialiste international, Amsterdam, 1904, Compte rendu analytique, Bruxelles 1904,p. 46.
  18. Dresden Resolution (1903) and Amsterdam Resolution (1904)
  19. Léon Trotski, Ma vie, 16. Deuxième émigration - le socialisme allemand, 1930
  20. Lénine, Préface à la brochure de Voinov (A. Lounatcharski) sur l'attitude du parti à l'égard des syndicats, novembre 1907
  21. Résolution reproduite en annexe dans : Histoire du mouvement syndical en France. René Garmy. Page 315. Bibliothèque du mouvement ouvrier 1970.
  22. Cité dans Hélène Carrère d'Encausse et Stuart Schram, Marxism and Asia, Londres 1969, p. 94.
  23. Lénine, Le congrès socialiste international de Stuttgart (Prolétari), septembre 1907
  24. Frankel, Jonathan (1981). Prophecy and Politics: Socialism, Nationalism, and the Russian Jews, 1862–1917. Cambridge: Cambridge University Press. p. 283.
  25. Jacobs, Jack Lester (2001). Jewish Politics in Eastern Europe: The Bund at 100. Basingstoke: Palgrave. p. 185.
  26. George Haupt, Bulletin Périodique du Bureau Socialiste International, 1909-1913, Années I-VI – Numéros 1-11 et suppléments, Genève, MINKOFF REPRINT, 1979, p. 498
  27. Lénine, La faillite de la IIe internationale, juin 1915
  28. Ernest Mandel, Actualité du Trotskysme, 1978
  29. Lénine, Sur la conférence de Stockholm, 8 septembre 1917
  30. The Congress of the Labour and Socialist International, Geneva, July 31st-August 6th, 1920
  31. Lire Lénine. Entretien avec Lars Lih, 2013
  32. Compte rendu de la conférence des trois internationales, avril 1922
  33. Les Marxistes, Kostas Papaioannou, J’ai lu, 1965