Antisémitisme

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Un SA devant une boutique tenue par un juif, avec une affiche qui proclame : « Allemands ! Défendez-vous ! N'achetez pas chez les Juifs ! », 1933.

L'antisémitisme est le sentiment d'hostilité manifesté à l'égard des personnes de confession juive ou du judaïsme en général. Il s'agit d'une caractéristique récurrente de nos sociétés, perdurant aujourd'hui, et qui atteignit son apogée avec la Shoah[1]. Les thèses antisémites sont très souvent associées à des thèses conspirationnistes.

1 Origine et évolution[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Antiquité[modifier | modifier le wikicode]

La religion juive et ses adeptes entrent rapidement en concurrence avec la religion d’État de l'Empire Romain. La persécution commence officiellement en 167 avant J.-C., avec l'empereur Antiochus IV Épiphane qui entend d'interdire la pratique de la religion juive en Judée et force les Juifs à participer aux rites païens. Mais des actions plus violentes sont entreprises : génocides et pillages, notamment la profanation et le pillage du Temple de Jérusalem en l'an 70, lieu qui leur était (et est encore) sacré[2].

Le butin tiré du pillage de Jérusalem et de son temple fut présenté au peuple romain à l'occasion du triomphe de Vespasien et Titus.

Une partie des intellectuels de l'époque n'étaient pas non plus en reste et faisaient preuve d'une certaine intolérance : ainsi, des "sages" comme Cicéron, Sénèque colportèrent de nombreuses rumeurs sur les us et coutumes du peuple juif[3], qui persistèrent bien des siècles plus tard en partie, notamment la crainte de leur diaspora (qui plus tard se commua en crainte de leur "pouvoir financier"). 

Avec la christianisation de l'Empire Romain, les persécutions, loin de cesser, se renforcèrent, portant déjà atteinte à l'image de tolérance prônée par l'Eglise : en 399, le pape Anastase 1er convoque un concile et décrète que les mariages interreligieux (entre Chrétiens et Juifs) sont désormais interdits, interdiction qui perdurera pratiquement jusqu'à la Révolution française. Et quatre décennies plus tard, il leur est interdit d'exercer dans l'Empire des professions publiques ou militaires[4]

Ces mesures entraînèrent certaines communautés à se révolter : ainsi, en 66, la révolte des Zélotes, massacrant tous les dignitaires romains de Jérusalem, poussèrent ces derniers à la reconquérir par la force et à réduire en esclavage la quasi-totalité des habitants de la cité qui n'auraient pas été tués[5]. D'autres révoltes sporadiques éclatèrent, mais tous furent de moindre intensité et matées avec succès par les occupants romains. Avec le temps, les tensions en même temps que les discriminations s'affaiblirent, mais ne manquaient pas de ressurgir par moments, jusqu'à l'effondrement de l'Empire Romain d'Occident où une partie de la communauté juive, notamment de Judée, choisit de s'exiler dans la partie orientale de l'Empire (qui deviendra l'Empire byzantin, jusqu'à sa chute en 1455) plutôt que de coopérer avec les "barbares".

1.2 Le prêt d'argent et la diaspora[modifier | modifier le wikicode]

Pendant l'Antiquité, notamment du fait des répressions romaines, une diaspora juive importante s'est formée tandis qu'aucun État juif ne s'était maintenu. Cela engendra une situation particulière avec au fil du temps la présence de minorités juives dans de nombreux pays à majorité chrétienne ou musulmane, situation qui explique de nombreuses conséquences ultérieures.

Les trois grandes religions monothéistes avaient en commun un précepte de l'Ancien testament qui disait : « Tu peux faire payer un intérêt à un étranger, mais pas à ton prochain. » (Deutéronome 23:21). Les prêteurs d'argent appartenant à la minorité juive se sont donc retrouvés à jouer un rôle important pour l'économie dans de nombreux pays au Moyen-Âge, permettant un développement des activités de prêt qui n'aurait pas été autant possible sans une minorité altérisée. Les autorités des pays en question ont souvent renforcé cette fonctionnalité en interdisant aux juifs d'exercer d'autres métiers (d'artisanat notamment).

Selon plusieurs auteurs marxistes, ces facteurs historiques ont donné une particularité aux juifs, celle d'être une « caste » (Kautsky), ou un « peuple-classe » (Abraham Léon). Ces idées ont cependant été critiquées comme eurocentriques[6], car elles se basent surtout sur des constats du Moyen-Âge européen.

1.3 Moyen Âge[modifier | modifier le wikicode]

Durant tout le Moyen Âge, la situation des Juifs en Europe fût contrastée. Avec l'établissement des « barbares » consécutive à la désintégration de l'administration romaine, aucun État, aucune administration stable ne se démarqua durant un certain temps, ce qui permis aux Juifs restés dans l'ancien territoire romain de se mélanger plus ou moins facilement avec les envahisseurs. Ce qui n'empêchaient pas les Rois catholiques, surtout en temps de crise, de prendre des mesures pénalisantes à leur encontre. L’Église catholique a produits beaucoup « d'argumentaires » contre la religion juive (« peuple déicide » assimilé à Judas, condamnation de « l'usure juive »...) Ils sont accusés d'être mauvais du fait de ne pas avoir écouté le message de Jésus (théorie de la substitution). La prière du vendredi saint contient le terme de "juifs perfides" jusqu'en 1965.

Ecclesia et Synagoga, sur la façade de Notre-Dame de Paris. Le bandeau aveuglant Synagoga, autrefois en tissu, est devenu un serpent, « esprit du mal »

A contrario, bien que discriminés, les Juifs jouissaient de grandes libertés dans le califat de Cordoue, du moins jusqu'à la Reconquista[7].

La situation des Juifs s'aggrava à partir de l'an mil, notamment à l'issue de la Reconquista. Les Juifs n'avaient plus le choix : conversion, clandestinité ou exil. Ainsi, en mai 1096, huit cents Juifs sont massacrés à Worms (dans l'ancienne Allemagne), et beaucoup choisirent le suicide, portant le nombre de morts à plus d'un millier. Notamment, en 1215, le pape décrète que les Juifs doivent porter sur leurs vêtements une marque spécifique les distinguant des personnes de confession catholique[8] : parmi ces signes, la tristement célèbre rouelle jaune, qui sera bien plus tard reprise par les nazis. Les épidémies de peste déclenchaient généralement des émeutes contre les Juifs, boucs émissaires qu'on accusait d'empoisonner l'eau des puits.

Les rois ont souvent repris à leur compte la judéophobie pour justifier la spoliation et l'expulsion des juifs. L'apogée de l'antisémitisme moyenâgeux sera atteint en 1306, avec l'extorsion des biens et l'expulsion de plus d'une centaine de milliers de Juifs francs par Philippe le Bel[9]...

La papauté en elle-même garda officiellement une position de protection des juifs. La bulle papale Sicut Iudaeis, d’abord publiée au 12e siècle, puis périodiquement rééditée, menaçait d’excommunier tout chrétien qui s’attaquerait physiquement à des Juifs, chercherait à les forcer à se convertir, endommagerait ou volerait leurs biens et interférerait avec leurs rites religieux. Cela était justifié par la pensée de Saint-Augustin selon laquelle ils étaient le « peuple témoin » de l’existence du Christ, méprisé mais devant être préservé comme exemple. La papauté ne fit cependant pas grand chose pour contrer les poussées d'antisémitisme au sein de la chrétienté.

Exécution sur le bûcher d'une conversa accusée de marranisme en Nouvelle-Espagne (actuel Mexique)

En particulier dans la péninsule ibérique, après la reconquête des Rois catholiques, les musulman·es ont été soit chassé·es soit forcé·es de se convertir. Dans ce climat réactionnaire, les mêmes pressions sont exercées sur les juif·ves. Un certain nombre d'entre eux se convertissent extérieurement, mais pratiquent en privé et en secret leur foi : on les appelait les les juifs marranes et les musulmans morisques. Le clergé entretient un climat de suspicion général, et les Inquisitions espagnole et portugaise, en particulier sous l'influence des franciscains et de dominicains, traquent les infidèles, de la péninsule jusqu'aux colonies où certains ont émigré. A la fin du 15e siècle en particulier, de nombreux autodafés ont lieu, 2 000 hérétiques sont brûlés, et une terreur durable règne.

Une distinction est souvent faite entre la judéophobie du Moyen-Âge, basée sur la religion, et l'antisémitisme du 19e siècle, basée sur la « race ». Elle a un fond de vérité. Par exemple le polémiste anti-juif le plus extrême de la Castille du 15e siècle, Alonso de Espina, mettait l'accent sur le problème de la foi juive. Quand les rois catholiques d'Espagne proposèrent d'accepter les conversos, officiellement leur doctrine impliquait que ceux n'étaient plus juifs une fois convertis. Néanmoins il y a davantage un continuum qu'une rupture entre idéologies racistes du Moyen-Âge et du 19e siècle. Ainsi au 15e siècle en Espagne apparaît aussi la notion de de limpieza de sangre (pureté du sang), précurseur du racisme biologique. Et inversement, dans les milieux antisémites d'aujourd'hui, des thèmes issus de la judéophobie chrétienne sont toujours recyclés.[10]

Avec l'apparition et l'extension du protestantisme, les tensions diminuèrent en partie. Martin Luther fit cependant de virulentes dénonciations des « usuriers juifs ».

1.4 Époque moderne[modifier | modifier le wikicode]

Durant cette époque, avec le rayonnement des Lumières et la perte de vitesse des institutions religieuses de l'Epoque, la condition des Juifs en Europe s'améliora. De nombreuses professions qui leur étaient fermées leur deviennent accessibles y compris la carrière militaire (en France par exemple). Mais des siècles de discours judéophobes ont laissé des traces.

Un des courants politiques qui recyclera l'ancienne judéophobie et fera une passerelle avec l'antisémitisme moderne est l'aristocratie contre-révolutionnaire, profondément haineuse envers 1789. Tour à tour, la noblesse dépossédée a accusé les protestants (notamment les Illuminatis), les franc-maçons et enfin les Juifs d’être la source de ses malheurs. Dans leur logique, les masses pauvres étaient trop stupides et ignorantes pour avoir des mobiles propres, et n'ont pu être que manipulées par des forces occultes. L'imaginaire complotiste était en train de naître.

Le comte de Fersen, ambassadeur de Suède en France pendant la grande Révolution, partisan zélé du pouvoir royal, du roi et surtout de la reine, expédia plus d'une fois à son gouvernement, à Stockholm, des rapports de ce genre : "Le Juif Efraïm, émissaire de M. Herzberg, de Berlin (ministre prussien des Affaires étrangères), leur envoie (aux jacobins) de l'argent ; il n'y a pas longtemps, il a encore reçu six cent mille livres." Un journal modéré, Les Révolutions de Paris, exprimait cette hypothèse que, pendant l'insurrection républicaine, " des émissaires de la diplomatie européenne, tels par exemple que le Juif Efraïm, agent du roi de Prusse, pénétraient dans la foule mobile et versatile... " Le même Fersen disait dans un rapport : "Les jacobins... seraient perdus sans l'aide de la plèbe qu'ils achètent."[11]

1.5 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

1.5.1 Nationalisme, socialisme et antisémitisme[modifier | modifier le wikicode]

A partir du 19e siècle, toute une série de penseurs vont développer des théories selon lesquelles les juifs seraient des corps étrangers aux Nations (le sentiment national était alors en consolidation un peu partout en Europe), et qu'ils seraient même nuisibles, parasitaires. C'était la naissance de l'antisémitisme moderne. Étant donné que les juifs étaient une faible minorité, pas forcément reconnaissable « à l'apparence », présente dans plusieurs pays, l'antisémitisme a pris la forme de théories selon lesquelles leur dangerosité, non flagrante, serait secrète.

Ainsi dans les États allemands, une vague de pogroms eut lieu en 1819 (émeutes Hep-Hep). C'était un contre-coup de l'émancipation partielle qui avait suivi la présence napoléonienne. De vieilles restrictions féodales contre les juifs avaient été levées, et même si certaines avaient été remises en place, certains juifs avaient accédé à des postes dans l'administration, et des artisans juifs venaient concurrencer sérieusement des corporations tenues par des chrétiens.

En France il y a une réactivation de l'antijudaïsme religieux au 19e siècle, par des milieux hostiles à la révolution française (proche des ultraroyalistes). Ils voient les juifs comme les responsables, en sous main, de la révolution, de la persécution du clergé catholique, de la perte des valeurs traditionnelles...

Le mouvement ouvrier se développe rapidement au 19e siècle sous l'effet de la révolution industrielle. Potentiellement, la lutte de classe est un concurrent puissant du nationalisme. Mais de fait les courants socialistes sont plus ou moins perméables aux idéologies en présence. Certains discours qui émergent mêlent la question sociale et l'antisémitisme, faisant des Juifs les maîtres occultes du monde.[12]

Ainsi les Juifs vont être à la fois assimilés aux capitalistes (la « finance juive »), et aux intellectuels de gauche, « modernistes », démocrates ou socialistes, qui ruineraient la Nation de l'intérieur. L'accusation de la « finance juive » se retrouve un peu plus chez des auteurs « socialistes » antisémites, et l'accusation d'antinationalisme se retrouve un peu plus à l'extrême droite, mais le propre des complotistes, c'est de créer une confusion idéologique permettant toutes les passerelles. Ainsi de nombreuses expressions comme « la finance apatride » ou la « juiverie cosmopolite » jouent sur les deux tableaux.

La réussite de quelques banques juives, et notamment la famille Rothschild présente dans plusieurs pays européens, cristallise les attaques de ceux qui dénoncent le nouveau roi de l’époque : l’argent ou le capital. Parmi les pionniers du socialisme, Fourrier, Saint-Simon, nombre d’entre eux ont confondu dans leur condamnation les Juifs et les capitalistes, comme ils ont opposé le « peuple producteur » à la « finance juive ». Ainsi en 1845 le fouriériste Alphonse Toussenel écrit un pamphlet intitulé Les juifs, rois de l'époque, qui aura une large influence sur tout un courant antisémite de gauche.

La question juive suscita l'intérêt de Marx, qui écrivit une brochure intitulée Sur la Question Juive et qui fût utilisée par les philosophes bourgeois comme outil de discréditation de l'auteur[13], mais qui fut aussi critiquée par de nombreux marxistes.

Proudhon, lui, était ouvertement antisémite. Il écrit dans ses carnets le 26 décembre 1847 « Le Juif est l'ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l'exterminer. » ; ses attaquent visaient d'ailleurs aussi Marx, ce « ténia du socialisme ».

Bakounine a également écrit une attaque antisémite de Marx :

« Les Juifs constituent aujourd'hui en Allemagne une véritable puissance. Juif lui-même, Marx a autour de lui tant à Londres qu'en France et dans beaucoup d'autres pays, mais surtout en Allemagne, une foule de petits Juifs, plus ou moins intelligents et instruits, vivant principalement de son intelligence et revendant en détail ses idées. Se réservant à lui-même le monopole de la grosse politique, j'allais dire de la grosse intrigue, il leur en abandonne volontiers le côté petit, sale, misérable, et il faut dire que, sous ce rapport, toujours obéissants à son impulsion, à sa haute direction, ils lui rendent de grands services : inquiets, nerveux, curieux, indiscrets, bavards, remuants, intrigants, exploitants, comme le sont les Juifs partout, agents de commerce, bellettrists, politiciens, journalistes, courtiers de littérature en un mot, en même temps que courtiers de finance, ils se sont emparés de toute la presse de l'Allemagne, à commencer par les journaux monarchistes les plus absolutistes, et depuis longtemps ils règnent dans le monde de l'argent et des grandes spéculations financières et commerciales : ayant ainsi un pied dans la Banque, ils viennent de poser ces dernières années l'autre pied dans le socialisme, appuyant ainsi leur postérieur sur la littérature quotidienne de l'Allemagne... Vous pouvez vous imaginer quelle littérature nauséabonde cela doit faire. Eh bien, tout ce monde juif qui forme une seule secte exploitante, une sorte de peuple sangsue, un parasite collectif dévorant et organisé en lui-même, non seulement à travers les frontières des États, mais à travers même toutes les différences d'opinions politiques, ce monde est actuellement, en grande partie du moins, à la disposition de Marx d'un côté, et des Rothschild de l'autre. Je sais que les Rothschild, tout réactionnaires qu'ils sont, qu'ils doivent être, apprécient beaucoup les mérites du communiste Marx ; et qu'à son tour le communiste Marx se sent invinciblement entraîné, par un attrait instinctif et une admiration respectueuse, vers le génie financier des Rothschild. La solidarité juive, cette solidarité si puissante qui s'est maintenue à travers toute l'histoire les unit. » [14]

1.5.2 Fin du 19e siècle : un antisémitisme populaire[modifier | modifier le wikicode]

L'antijudaïsme religieux se fait plus virulent à partir de 1879, en réaction au programme de laïcisation de l'éducation entrepris par la IIIe République.[15]

Un des théoriciens de l'antisémitisme français de la fin du 19e siècle est Edouard Drumont, dont les livres se vendent alors autant que ceux de Zola... Son premier livre est La France juive (avril 1886), dans lequel il oppose « Aryens » et « Sémites », avançant même que cette lutte a été le moteur de l'histoire... Il affirme « Le seul auquel la Révolution ait profité est le Juif. Tout vient du Juif ; tout revient au Juif ». Le monarchiste Drumont n'hésite pas à se revendiquer du fouriériste Toussenel en se parant d'une pseudo-critique sociale :

« Aujourd’hui, grâce au Juif, l’argent auquel le monde chrétien n’attachait qu’une importance secondaire et n’assignait qu’un rôle subalterne est devenu tout-puissant. La puissance capitaliste concentrée dans un petit nombre de mains gouverne à son gré toute la vie économique des peuples, asservit le travail et se repaît des gains iniques acquis sans labeur. »

La Ligue antisémitique de France naît au cours de l’année 1889 et sa première manifestation est une affiche appelant les électeurs parisiens à voter pour tout candidat voulant « abattre la puissance de Rothschild ».

En septembre 1890, La Croix se proclame « le journal le plus antijuif de France » et un de ses rédacteurs peut affirmer : « L’affaire de la juiverie passionne de nouveau tous les Chrétiens… Un grand nombre de semi-incrédules commencent à trouver qu’en France, il n’y a de vrais Français que les catholiques. »

Les bandes antisémites de la région parisienne, dont l’un des foyers se trouve à la Villette, parmi les bouchers des abattoirs, mènent des opérations coup de poing entre 1892 et 1894. Peu de temps avant l’arrestation de Dreyfus en 1894, La Libre Parole (journal antisémite fondé par Drumont en 1892) a entrepris de publier les noms des officiers juifs dans l’armée, pour en dénoncer l’influence et le rôle néfaste.

De 1894 à 1906, l'affaire Dreyfus clive profondément les forces politiques en France entre dreyfusards et anti-dreyfusards. Hannah Arendt écrit dans son ouvrage Sur l’antisémitisme : « le meilleur terrain d’étude de l’antisémitisme en tant que mouvement politique, au 19e siècle, est la France où, pendant près de dix ans, il domina la scène politique. »  Le nombre des journaux dreyfusards est de huit au début de l’affaire, dont sept à Paris, ils n’atteignent que 8 % des lecteurs ; malgré des progrès en 1898 et 1899, la presse favorable à la révision du procès de Dreyfus ne touche au maximum que 11 % des lecteurs à Paris et 17 % en province.

L’agitation antisémite atteint alors son apogée, la période des émeutes s’étend sur plus de dix-huit mois, de janvier 1898 à août 1899. De mi-janvier à fin février 1898 de graves émeutes éclatent à Paris, à Marseille, à Lyon, à Nancy, à Bordeaux, à Perpignan, à Nantes, à Angers, à Rouen et à Chalon-sur-Saône. Les manifestations vont du simple chahut de lycéens au cortège de plusieurs milliers de personnes qui saccagent les boutiques réputées juives. Ils sont 4000 à Marseille, à Bordeaux et à Angers, 3000 à Nantes, 2000 à Rouen, de 1000 à 2000 dans l’Est, à Nancy, à Bar-le-duc, à Saint-Dié, à Reims, à Lyon, à Dijon. Les manifestations durent entre trois jours et plus d’une semaine selon les villes. Mais c’est en Algérie française que les manifestations antisémites y sont le plus nombreuses, le journal L’Antijuif d’Alger tire à 20 000 exemplaires, pour une population européenne d’un million d’habitants. D’ailleurs, sur les six députés d’Algérie, en 1898, quatre sont antisémites, dont Drumont.

Le même phénomène se produit dans d'autres pays.

En Allemagne, Hermann Ahlwardt publie en 1892 un pamphlet antisémite, Neue Enthüllungen. Judenflinten (Nouvelles révélations, les fusils juifs), qui accusait l'industriel juif Isidor Löwede trahison. Le pamphlet fut interdit par une décision de justice.

1.5.3 « Question juive »[modifier | modifier le wikicode]

La montée des nationalismes et de l'idée d'établir partout des États-nations provoque des rejets des minorités ethniques, dont la minorité juive. En raison de son caractère de diaspora, celle se retrouve l'objet de très nombreux commentaires, surtout réactionnaires. On parle alors de « question juive » pour désigner les débats sur les rapports des différentes nations aux juifs, et des juifs à la question nationale. Car en miroir de l'antisémitisme croissant, les juifs élaborent différentes positions, allant de l'assimilationnisme au sionisme (volonté de créer un État juif comme les autres nations d'alors) en passant par l'autonomie nationale-culturelle (position du Bund notamment).

1.5.4 « Socialisme des imbéciles »[modifier | modifier le wikicode]

L'antisémitisme était présent dans des milieux populaires, et beaucoup de propagateurs de l'antisémitisme n'hésitaient pas à se revendiquer du socialisme. Jacques de Biez, exposait ainsi les idées de la Ligue antisémite dans une interview en 1889 :

« Nous sommes des socialistes, car nous demandons des comptes à la féodalité financière. Nous sommes des nationaux-socialistes, car nous attaquons la finance internationale et nous voulons que la France soit aux Français. Nous sommes pour les ouvriers contre les exploiteurs. »

L'antisémitisme est aussi présent chez Rochefort, ancien communard qui dirige le journal L’Intransigeant. Il représente au départ l’extrême gauche et soutient les blanquistes. Il sera antidreyfusard et chaud partisan de Boulanger, puis finira à l'Action française. Comme lui, un certain nombre de militants au départ sur des positions anticapitalistes (confuses) évoluent via l'antisémitisme vers l'extrême droite.

C'est à propos de cet antisémitisme se prétendant populaire que certains marxistes parlaient à cette époque de « socialisme des imbéciles » (attribué à Bebel).

A la même époque, Engels considérait que l'antisémitisme était un reliquat des sociétés où le capitalisme était trop peu développé (Allemagne, Autriche, Russie...), un élément de « socialisme féodal » duquel la social-démocratie devait nettement se démarquer.[16]

1.5.5 Deuxième internationale[modifier | modifier le wikicode]

Au deuxième congrès de l'Internationale ouvrière, qui eut lieu à Bruxelles (1891), le socialiste juif new-yorkais Abraham Cahan propose une motion condamnant l'antisémitisme. Victor Adler et Paul Singer, les dirigeants des partis socialistes en Allemagne et en Autriche - et tous deux juifs - étaient initialement contre, craignant que la condamnation de l'antisémitisme ne donne des armes aux réactionnaire. Les délégués blanquistes Regnard et Argyriadès réagissent en étalant leurs préjugés antisémites, déclarant que de nombreux juifs étaient de « grands oppresseurs du travail » qui possédaient des banques, des journaux et de nombreuses industries. Ils sont largement applaudis, et seules quelques voix minoritaires s'expriment contre eux[17]. Le journal socialiste Justice écrivit « il semble y avoir un fort sentiment contre les Juifs au Congrès »[18]. Finalement, une motion est adoptée à l'unanimité, qui dénonce en même temps l'antisémitisme et la « tyrannie philo-sémite ».

Au Royaume-Uni, le leader de la Social Democratic Federation, Henry Hyndman, était un antisémite notoire. [19]

Au congrès de l'Internationale de 1907, des votes additionnels consultatifs furent attribués à des organisations socialistes juives, le SERP et le POSS. Les organisations juives (particulièrement d'Europe de l'Est) étaient auparavant très invisibilisées, et le BSI travailla sur la question.[20][21]

1.6 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

1.6.1 Juifs d'orient et d'occident[modifier | modifier le wikicode]

La force de l'antisémitisme dans la petite-bourgeoisie est étroitement liée aux crises. En Allemagne et en Autriche-Hongrie, la vague d’antisémitisme suit comme son ombre la crise économique et financière, elle retombe dès que la reprise s’amorce.

Les persécutions des Juifs en Europe de l'Est vont amener 2,5 millions de Juifs à quitter leurs ghettos pour l’Europe de l’Ouest. Dans les pays comme la France, les bourgeois juifs (qui se désignent plutôt comme « israélites ») n'affichent pas spontanément de solidarité envers eux, mais plutôt un mépris ouvert, en les traitant de « barbares ». Pourtant la vague d'antisémitisme finira par les englober.

Le développement de l’antisémitisme n’a aucun rapport direct avec le nombre des Juifs, ils sont 60 000 en France sur 39 millions et 500 000 en Allemagne pour 65 millions. Ils représentent 15 % à Vienne où un maire antisémite est élu en 1893 et 25 % à Budapest où l’antisémitisme ne joue aucun rôle politique.

Par ailleurs, les juifs vivant dans les pays colonisés ou semi-colonisés vont souvent subir des oppressions de la part des mouvements de libération nationale. Ainsi les juifs de l'Empire ottoman vont subir des persécutions lors de la vague nationaliste turque du début du 20e siècle, même si cela n'ira pas jusqu'au génocide qu'a subi la minorité arménienne (elle aussi liée à une diaspora)[22]. En Égypte aussi, l'essor du nationalisme s'accompagne d'un antisémitisme croissant, et sous Nasser ils sont expulsés du pays.

1.6.2 L'antisémitisme en Russie et la Révolution[modifier | modifier le wikicode]

Il y avait environ 4% de Juifs dans la population de l'Empire russe au début du 20e siècle.[23] Les pogroms contre les juifs étaient fréquents et attisés par les nobles réactionnaires et les Cent-Noirs. Un véritable racisme d'État avait été mis en place, avec une législation spécifique pour les Juifs.

A partir de 1881, les pogroms se multiplient. L'antisémitisme conduisait à des traitements différenciés en cas de répression politique. Par exemple, lors de la répression qui les frappe tous deux en 1896, Martov, juif, subira des conditions d'exil plus difficiles que Lénine.[24]

La première vraie organisation socialiste au sein de l'Empire russe fut par ailleurs l'Union générale des travailleurs juifs (Bund), et elle le resta jusqu'en 1903. Les rapports entre le Bund et le reste des socialistes soulevèrent de nombreux clivages, et ce dès le 2e congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), notamment sur la question de l'autonomie nationale-culturelle au sein du futur État démocratique et de l'autonomie du Bund à l'intérieur du POSDR.

L'une des premières formes les plus élaborées de théories du « complot juif » a été... élaborée par la police secrète du tsarisme (l'Okhrana) en 1903. Celle-ci a créé de faux documents qui auraient fuité, les « protocoles des sages de Sion », et qui détaillaient les plans des juifs pour prendre le contrôle du monde, par les chemins les plus tortueux et notamment la subversion des valeurs traditionnelles en Russie. Cela permettait de justifier la répression des révolutionnaires dans le pays, et de canaliser le ressentiment populaire contre les Juifs. Les historiens savent depuis longtemps que ce texte est un faux, ce qui n'empêche pas toute une série de complotistes, encore aujourd'hui, d'en faire une "preuve" du complot.

Lors de la révolution bourgeoise de Février 1917, l'antisémitisme d'État disparaît officiellement. Près de 700 textes de lois et décrets tsaristes sur les Juifs sont abolis. Un des délégués du soviet, Moishe Grouzenberg, s'exclame :

« A présent par la volonté souveraine du peuple révolutionnaire nous sommes des citoyens. Camarades, si l'État russe d'avant la révolution était une prison de dimensions monstrueuse, qui ne connaissait que des prisonniers et des géôliers, la cellule la plus infecte, la chambre de la torture, en était réservée à nous, peuple juif de six millions d'âmes. »[25]

Mais cet antisémitisme structurel en Russie n'a pas disparu. L'antisémitisme était très répandu dans la population, et quand les soviets se sont constitués en 1917, ils ont eu à le combattre parmi les soldats, les ouvriers et les paysans. Parmi l'influence de masse qu'ont atteinte les bolchéviks, il y avait parfois des poussées « d'antisémitisme populaire », dirigées contre les menchéviks, le gouvernement provisoire...  Les cadres du parti bolchévik tentaient de combattre ce phénomène comme ils pouvaient [26], incités par des groupes juifs auto-organisés au sein du camp révolutionnaire[27].

Propagande des Blancs représentant Trotski en diable rouge avec une étoile de David

Paradoxalement, cela n'a pas empêché les réactionnaires d'attaquer les bolchéviks en les traitant de juifs, surtout après Octobre. Les Juifs étaient légèrement surreprésentés parmi les cadres social-démocrates (et légèrement plus nombreux parmi les menchéviks). Mais ils ne représentaient bien entendu qu'une minorité, comme dans l'ensemble de la population de Russie.

La guerre civile fut particulièrement meurtrière pour les Juifs. Les armées blanches et surtout l'armée Petlioura ponctuent leurs avancées de pogroms systématiques et à grande échelle, d'une violence meurtrière alors sans précédent dans l'histoire européenne. Les victimes s'élèvent à près de 150000 morts (dont un certain nombre morts lors des combats et non au cours de pogroms), auxquels il faut ajouter de nombreux viols, vols et vandalismes. Il est arrivé que des régiments de l'armée rouge commettent aussi des pogroms. Sur les 1236 pogroms antisémites recensés par l’historien Kostyrtchenko 40 % sont à mettre au compte des troupes Petlioura, 25 % à celui des troupes « vertes », 17 % aux armées blanches et 8 % à l’armée rouge[28].

Le régime bolchevik a fini par interdire le Bund, non pas en tant qu'organisation juive mais en tant qu'organisation combattant le nouveau pouvoir, comme les menchéviks auxquels il était lié. Sous le régime stalinien, l'antisémitisme a vite connu une résurgence, finissant par frapper même ceux des juifs qui étaient les plus zélés staliniens, comme le journaliste/dénonciateur David Zaslavski[29].

1.6.3 Le nazisme[modifier | modifier le wikicode]

Le régime nazi en particulier a fait de l'antisémitisme son ciment, et transformé la colère issue de la décomposition sociale en la plus terrible boucherie de l'histoire humaine.

L'idéologie national-socialiste s'est construite notamment sur une réaction au bolchévisme. Il ne s'agissait pas de nier le caractère populaire de la révolution d'Octobre, mais d'en faire le résultat d'un complot. En novembre 1921 fut publié à Munich un pamphlet intitulé « Bolchévisme juif » et préfacé par Alfred Rosenberg, l’idéologue nazi. Le but de cette étude était de montrer que la révolution russe, par son contenu, ses idées et ses dirigeants, était profondément juive : « Depuis le jour de son apparition, le bolchévisme est une entreprise juive. » Manipulant le nombre des commissaires du peuple juifs, Rosenberg tente de démontrer que « la dictature prolétarienne qui pèse sur le peuple ruiné, affamé, est un plan préparé dans les bouges de Londres, New York et Berlin ». La haine antisémite ciblait bien entendu particulièrement « le juif Trotski-Bronstein ».

En février 1931, Ludendorff écrit que, derrière le dos des bolcheviks, se dressait le capital financier mondial, principalement juif, unifié dans la lutte contre la Russie tsariste et l'Allemagne impérialiste. " Trotski arriva d'Amérique, par la Suède, à Pétersbourg, pourvu de grosses sommes fournies par le capital mondial. D'autres fonds furent transmis d'Allemagne aux bolcheviks par le Juif Solmssen, " (Ludendorffs Volkswarte, 15 février I931.) [11]

Peu avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, Trotski faisait un pronostic qui s'est avéré terriblement réel :

«  Le nombre de pays qui expulsent les Juifs ne cesse de croître. Le nombre de pays capables de les accueillir diminue (…) On peut sans peine imaginer ce qui attend les Juifs dès le déclenchement de la guerre mondiale à venir. Même si la guerre est écartée, le prochain développement de la réaction mondiale implique avec certitude l’extermination physique des Juifs. »[30]

Propagande nazie : « Derrière les forces ennemies, le Juif » (1941)

Dans le même article de décembre 1938, Trotski ne met pas seulement en garde contre le danger de l’extermination des Juifs mais également contre l’imminence de cette catastrophe ; il appelle tous les éléments progressistes à aider la révolution mondiale. Cette tâche devient presque obligatoire pour les Juifs, y compris la bourgeoisie juive, car au moment où la Palestine se révèle un « tragique mirage », le Birobidjan une « farce bureaucratique » et où l’Europe et l’Amérique ferment leurs frontières à l’immigration juive, seule la révolution peut les sauver du massacre :

« La Quatrième Internationale a été la première à dénoncer le danger du fascisme et à indiquer la voie du salut. Elle appelle les masses populaires à ne pas se faire d’illusions et à affronter ouvertement la réalité menaçante. Il n’est de salut que dans la lutte révolutionnaire (…). Les éléments progressistes et perspicaces du peuple juif doivent venir au secours de l’avant-garde révolutionnaire. Le temps presse. Désormais, un jour équivaut à un mois ou même à une année. Ne tardez pas à agir. »

Cependant, pour Trotski, il n’était pas question d’"attendre" le socialisme. Des mesures pratiques étaient nécessaires pour sauver les Juifs. Avec l’échec de la révolution socialiste en Europe, seule une puissante campagne internationale destinée à dévoiler les véritables plans de Hitler et à forcer les pays occidentaux - notamment les États-Unis et l’Angleterre - à ouvrir leurs portes et à offrir l’asile aux Juifs, pouvait aider les Juifs. Trotski proposa une action massive en faveur de la demande d’asile des Juifs menacés. Une telle requête était capable d’unir tous les vrais opposants au fascisme, révolutionnaires ou non, dans un mouvement de masse qui aurait pu sauver des millions de Juifs des chambres à gaz.[31]

Avant la signature du pacte Hitler-Staline, pendant la persécution des Juifs en Allemagne, en Autriche et en Tchécoslovaquie, l’URSS stalinienne avait été le seul pays européen - même l’Espagne franquiste accordait le droit d’asile aux Juifs - à refuser l’asile aux Juifs persécutés par Hitler. Mais les puissances occidentales (et les États-Unis notamment) mirent de plus en plus de restrictions au droit d'asile alors que le nombre de juifs fuyant l'Europe explosait.

L'historiographie de l'antisémitisme est notamment marquée par la Shoah, c'est-à-dire l'extermination systématique et industrielle des populations Juives annexées par le Reich (ce qui a amené au moins six millions d'individus à la mort) ; mais également, dans une moindre mesure, par l'antisémitisme du régime stalinien (complot des Blouses blanches).

1.6.4 Régime de Vichy[modifier | modifier le wikicode]

Le Régime de Vichy du maréchal Pétain a collaboré avec les nazis pour appliquer les mesures antisémites.

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Tract anti-communiste et antisémite dans l'Allier, pendant la Seconde guerre mondiale

1.6.5 Après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

Les formes les plus haineuses de racisme reculent dans l'après-guerre. C'est l'effet du traumatisme des horreurs du nazisme et de la guerre en général, mais surtout de la croissance sans précédant qu'a connu le capitalisme dans les décennies 1945-1975. Malgré les inégalités, les populations dans leur ensemble voient leur niveau de vie augmenter. De larges pans des populations anciennement immigrées se voient plus acceptées et assimilées. Par ailleurs, les progrès des sciences rendent plus difficile pour les intellectuels réactionnaires de continuer à spéculer sur une « inégalité biologique des races ».

Ainsi dans la deuxième partie du 20e siècle, l'antisémitisme semble reculer (en particulier l'antisémitisme d’État). En France, l’attentat mortel contre la synagogue de la rue Copernic (1980) ou la profanation de morts juifs au cimetière de Carpentras (1990), passent pour des exceptions résiduelles.

Il y a cependant tout une frange de théoriciens qui produisent des discours niant le génocide des Juifs, comme, en France, Rassinier, Faurisson ou Garaudy (ex du PCF qui avait aussi nié les goulags). Le groupe d'ultra-gauche français de la Vieille taupe autour de Pierre Guillaume a évolué vers le négationnisme, en partie sur la base du texte « Auschwitz ou le grand alibi » publié en 1960 par des bordiguistes, qui relativise fortement le génocide en en faisant une lecture purement économiciste. Par ailleurs, Garaudy a été soutenu par l'abbé Pierre, qui dénonçait un « lobby sioniste international »[32].

Par ailleurs certaines déclarations montrent que malgré les discours « universalistes » et « assimilationnistes » qui dominent parmi les politiciens français, en leur for intérieur ils ne voient pas réellement les Juif·ves comme de « vrais Français » :

  • A propos de l'attentat de 1980, Raymond Barre parle d'un « attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ».
  • Jacques Chirac déclarait le 14 juillet 2004 : « Nous sommes dans une période où les manifestations d’ordre raciste (…) mettent en cause nos compatriotes juifs ou musulmans ou tout simplement parfois des Français ».

Dans les années 1970, la montée en puissance de la lutte palestinienne contre le colonialisme israélien dérive parfois consciemment ou non vers des positions antisémites. De nombreux Juif·ves appartenant à la diaspora sont sont pris pour cible par association avec Israël.

1.7 Aujourd'hui[modifier | modifier le wikicode]

Mais l'antisémitisme tend à regagner en importance à mesure que la crise sociale s'approfondit. A nouveau les thèmes complotistes sont réactivés, ainsi que la même confusion entre un certain anticapitalisme de surface et des milieux d'extrême droite : mouvance Soral, Dieudonné…

En février 2006, l’assassinat du jeune Ilan Halimi, dont les ressorts étaient clairement antisémites – ses ravisseurs espéraient en effet toucher une rançon importante parce qu’il était juif – constitua un véritable choc dans la population juive. Puis ce fut, en 2012, le djihadiste Mohamed Merah qui assassine des enfants juifs dans une école à Toulouse. En 2015, dans le sillage des attentats de Charlie Hebdo, les terroristes s'en prennent à des Juif·ves dans un Hyper Cacher.

Ces cas de violence antisémite au nom de l'Islam ont généré plusieurs types de discours :

  • Une partie des intellectuels, plutôt à droite, s'est mise à théoriser qu'il s'agit d'un « nouvel antisémitisme », qui serait dû en grande partie à l'Islam.
  • D'autres, plutôt à gauche, ont minimisé ces violences et théorisé qu'il ne s'agissait pas du même phénomène que l'antisémitisme classique, mais essentiellement d'une réaction à ce qu'Israël fait subir aux Palestinien·nes. Donc mettre en avant l'antisionisme serait une condition nécessaire pour faire reculer ces violences.[33]
  • Enfin d'autres à gauche insistent au contraire sur le fait qu'il s'agit du même antisémitisme, qui a toujours pris la forme d'une déviation des ressentiments populaires vers des supposés financiers comploteurs (les Juifs). L'antisémitisme des auteurs musulmans d'attentats en France est avant tout tiré de l'antisémitisme installé en Europe depuis le 19e siècle. Bien plus que de la théologie musulmane ou de la question palestinienne. Par ailleurs, il est tout autant raciste de sommer un musulman français de se désolidariser de Daesh, que de sommer un juif français de se désolidariser d'Israël.

Suite aux massacres du 7 octobre 2023 par le Hamas et aux crimes de guerre massifs d'Israël à Gaza, les actes antisémites ont explosé dans le monde.

2 Le « philosémitisme »[modifier | modifier le wikicode]

A la Libération, l’État français a levé toute discrimination juridique envers les Juif·ves, et s'est présenté comme leur défenseur, ce qui était une façon commode de faire oublier les crimes de Vichy.

Pendant plusieurs décennies, les discours antisémites ont diminué parmi les politiciens et les grands médias. Des gens comme Jean-Marie Le Pen faisant figure d'ultra-réactionnaire passéiste.

Certains ont analysé ce changement comme un tournant "philosémite". Par exemple Ivan Segré écrit en 2009[34] (approuvé par Daniel Bensaïd[35]) qu'un courant prend de l'ampleur chez des intellectuels réactionnaires qui opposent musulmans et juifs, et qui mettent en avant la "défense" de ces derniers au nom d'un camp occidental. Le sociologue Saïd Bouamama reprend par exemple la notion de philosémitisme d'Etat[36], ou encore Michèle Sibony, de l'Union juive française pour la paix (UJFP) :

« L’islamophobie structurelle et aujourd’hui portée par l’Etat, a pour pendant une forme de philosémitisme-sioniste d’État. Le philosémitisme-sionisme assumé de l’État agit aussi comme un racisme puisqu’il essentialise une population en tant que victime absolue, passée présente et à venir, et la jette en pâture à ceux qu’il opprime »[37]

Le Parti des Indigènes de la République (PIR) reprend le terme de "philosémitisme d’État"[33]. Le MRAP a condamné[38] le mot d'ordre du PIR, notamment lors de la manifestation antiraciste du 21 mars 2015[39]. D'autres acceptent d'utiliser le terme, mais critiquent l'usage que le PIR en fait. En tout état de cause, cela recouvre de nombreux débats dans les organisations antiracistes et du mouvement ouvrier[40][41][42][43].

Une des analyses faites par les défenseurs de cette approche est que l'État d'Israël a été fondé dans l'après-guerre, et est devenu un allié des impérialistes dans la région du Moyen-Orient (gros partenaire commercial et gros acheteur d'armement), raison pour laquelle ils cautionnent la politique coloniale d'Israël envers les Palestinien·nes, ou la passent sous silence. Et cela se répercuterait dans la politique intérieure : les politiciens voudraient ainsi montrer leur proximité avec Israël non seulement en condamnant tout discours anti-Israëlien (antisioniste), mais aussi en s'affichant comme défenseurs des Juif·ves de France, en amalgamant les deux positions (une critique d'Israël serait automatiquement de l'antisémitisme). En conséquence, cela générerait de la rancœur contre les Juif·ves, perçus comme protégés par l'État.

C'est un fait que ces dernières décennies les Juif·ves de France ne sont plus sujets à un racisme d'État, ce qui est par ailleurs avant tout dû à des causes structurelles : la communauté juive n'est plus alimentée par un flux de populations pauvres et identifiées comme étrangères (comme ce pouvait être le cas avec les arrivées de Juif·ves d'Europe de l'Est) et a réussi globalement à se dé-ghéttoïser, subissant donc moins l'arbitraire policier par exemple. L'extinction de l'antisémitisme d'État ne signifie pas que l'on est passé à un philosémitisme d’État, comme le laissent transparaître les politiciens régulièrement (hommage de Macron à Pétain...).

Par ailleurs, la focalisation sur la question du racisme d'État néglige l'autre aspect, celui du racisme populaire, qui dans le cas de l'antisémitisme est particulièrement important. L'antisémitisme reste structurel en France, étant continuellement alimenté par le capitalisme et le besoin qu'il créé de trouver un responsable des malheurs sociaux. Particulièrement dans un contexte où le mouvement ouvrier est faible et la compréhension matérialiste du capitalisme encore plus.

Une autre critique porte sur l'usage du terme de philosémitisme, car ce terme a été historiquement forgé par les réactionnaires. En Allemagne à la fin du 19e siècle, le parti social-démocrate s'oppose à l'antisémitisme (ce « socialisme des imbéciles »). Les antisémites dénigrent alors les social-démocrates en les taxant de « philosémites ». Les socialistes se sentaient obligés de se défendre de favoriser les juifs. En 1891, le socialiste juif new-yorkais Abraham Cahan propose une motion condamnant l'antisémitisme au Congrès de l'Internationale socialiste. Victor Adler et Paul Singer, les dirigeants des partis socialistes en Allemagne et en Autriche - et tous deux juifs - étaient initialement contre la motion de Cahan, craignant que la condamnation de l'antisémitisme ne donne des armes aux réactionnaires qui taxaient la social-démocratie de « mouvement juif ». Finalement, la motion a été adoptée, après avoir été amendée pour repousser à la fois l'antisémitisme et le philosémitisme.[44]

3 Judéophobie, antijudaïsme et antisémitisme[modifier | modifier le wikicode]

Ce serait Wilhelm Marr qui aurait forgé en 1879 en Allemagne le terme anti-sémite (« Antisemitismus »), en le revendiquant fièrement. Le terme visait à remplacer celui de « Judenhaß » (littéralement «haine des juifs») pour faire paraître la haine des Juifs rationnelle et validée par la science (dans le sillage des idées racialistes de l'époque).

Le terme d'antisémitisme s'est globalement imposé pour désigner toute forme de racisme contre les juif·ves.

Certains auteurs font cependant certaines nuances en distinguant plusieurs termes :

  • Certains distinguent l'antijudaïsme chrétien du Moyen Âge (basé sur la religion) de l'antisémitisme moderne (basé sur des théories raciales)
  • Certains utilisent le terme de judéophobie pour désigner l'ensemble des violences physiques ou symboliques contre les juif·ves, l'antisémitisme étant spécifiquement sa forme racialiste du 19e siècle.

4 Théories de l'antisémitisme[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Moishe Postone[modifier | modifier le wikicode]

Moishe Postone a développé une théorie de l'antisémitisme dans son essai Antisémitisme et national-socialisme (1986).

Pour lui la racine principale de l'antisémitisme est une tendance aux formes simplifiées et réactionnaires d'anticapitalisme, conspirationnistes, qui associent le juif au capitalisme. C'est avec un raisonnement proche que les social-démocrates du début du 20e siècle qualifiaient l'antisémitisme de « socialisme des imbéciles ».

La thèse de Postone a été critiquée par d'autres marxistes, comme Michael Sommer.[45]

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Holocaust - Qu'est-ce que la Shoah ?
  2. Destruction du Temple de Jérusalem par les Romains
  3. L'antisémitisme de l'Antiquité au Moyen-Age sur Universalis.
  4. Histoire des persécutions des Juifs en Europe
  5. Révolte des Zélotes
  6. Préface d’Enzo Traverso au livre d’Ilan Halevi : Question juive – La tribu, la loi, l’espace
  7. Interview de Maurice Kriegel à propos du judaisme dans le califat andalou
  8. L'antisémitisme au Moyen-Age
  9. Philippe le Bel dépouille les 100 000 juifs de France
  10. Actuel Moyen Âge, Entretien avec François Soyer : Existe-t-il un antisémitisme médiéval ?
  11. 11,0 et 11,1 Trotski, Histoire de la révolution russe - 28 Le mois de la grande calomnie, 1931
  12. Michel Dreyfus, L'antisémitisme à gauche. Histoire d'un paradoxe, de 1830 à nos jours, 2009 (Interview sur Youtube par Martin Eden)
  13. Marx antisémite ?
  14. Michel Bakounine, Œuvres complètes, éditions Champ libre, 1974, volume 2, L'Italie 1871-1872, page 109.
  15. Universalis, Éclosion de l'antisémitisme au XIXe siècle
  16. Friedrich Engels, Sur l'antisémitisme, 19 avril 1890
  17. "The Times" newsclippings of the 1891 International Socialist congress (Archive.org)
  18. "Congresses of Social Democracy: Second International Congress of Brussels, August 16th to 22nd 1891" – via Marxists Internet Archive.
  19. Virdee, Satnam (2017). "Socialist Antisemitism and Its Discontents in England, 1884–98". Patterns of Prejudice. 51 (3–4): 362–363.
  20. Frankel, Jonathan (1981). Prophecy and Politics: Socialism, Nationalism, and the Russian Jews, 1862–1917. Cambridge: Cambridge University Press. p. 283.
  21. Jacobs, Jack Lester (2001). Jewish Politics in Eastern Europe: The Bund at 100. Basingstoke: Palgrave. p. 185.
  22. Collectif Van, 1914-1917 : Comment les Juifs ottomans ont échappé au destin des Arméniens, 2014
  23. https://web.archive.org/web/20070328175501/http://www.jewishencyclopedia.com/table.jsp?table_id=427&volid=11&title=STATISTICS
  24. Simon Sebag Montefiore, Young Stalin, page 96
  25. Jean-Jacques Marie, L'antisémitisme en Russie, de Catherine II à Poutine, 2009
  26. Brendan McGeever, Les Bolcheviks et l’antisémitisme, 19 juillet 2017
  27. Revue Période, Auto-organisation des juifs et bolchévisme : l’antisémitisme dans la révolution russe, 2016
  28. G. Kostyrtchenko, La politique secrète de Staline : pouvoir et antisémitisme, Moscou, Relations internationales, 2001, p. 56.
  29. Mediapart, Octobre 17. David Zaslavski, le zélé «travailleur de la libre presse soviétique», Août 2017
  30. Trotski, On the Jewish Problem, 1937-1940
  31. Peter Buch, « Introduction » in Leon Trotski. On the Jewish Question, New York, Pathfinder, 1994
  32. Le Monde, L'abbé Pierre s'en prend à un « lobby sioniste international », 2 juin 1996
  33. 33,0 et 33,1 PIR, Racisme (s) et philosémitisme d’État ou comment politiser l’antiracisme en France ? , (allocution de Houria Bouteldja du 3 Mars 2015)
  34. Ivan Segré, La réaction philosémite, ou La trahison des clercs, Éditions Lignes, 2009
  35. Daniel Bensaïd, Une thèse à scandale : la réaction philosémite à l’épreuve d’un juif d’étude, novembre 2009
  36. Saïd Bouamama, La construction étatique d’une hiérarchisation « des racismes », 25 avril 2015
  37. Michèle Sibony, Israël et Palestine dans la société française, 25 février 2015
  38. MRAP, « Non au philosémitisme d’État » : un slogan indigne !, 7 avril 2015
  39. PIR, Non au(x) racisme(s) d’État, non au philosémitisme d’État !, 17 mars 2015
  40. Denis Godard, La gauche, les Indigènes, l’antisémitisme…, avril 2015
  41. Vacarme, Pour une approche matérialiste de la question raciale, 25 juin 2015
  42. Racialisateurs Go Home , A propos du texte « Pour une approche matérialiste de la question raciale » 26 septembre 2015
  43. Fred Albi, Un autre point de vue sur une intervention d’Houria Bouteldja…, 3 mai 2015
  44. Adam Kirsch, With Friends Like These..., June 3, 2011
  45. Michael Sommer en 2014 en allemand, traduit en anglais en 2022 sous le titre Anti-Postone