Protestantisme

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Luther brûlant publiquement les œuvres d'un théologien catholique

Le protestantisme est une religion chrétienne apparue en Allemagne au 16e siècle, à la suite d'un schisme avec l'Eglise catholique. La séparation fut d'abord violente, menant à ce qui reste connu sous le nom de Guerres de Religion.

Son développement est concomitant de celui du capitalisme marchand, et les liens entre les deux ont fait l'objet de commentaires de la part d'auteurs marxistes, à commencer par Marx lui-même, mais aussi d'auteurs non marxistes, comme Max Weber

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Les hérésies chrétiennes[modifier | modifier le wikicode]

Le schisme protestant, au 16e siècle, est en quelque sorte un prolongement des tensions des siècles précédents au sein de l’Église (hérésies, millénarismes, tensions entre papauté et États...), mais qui aboutit cette fois à une rupture définitive.

La toile de fond qui explique cette révolution religieuse est le développement du capitalisme marchand.

1.2 L'imprimerie et la diffusion de la Bible[modifier | modifier le wikicode]

Un exemplaire de la Bible de Gutenberg

L'impression de la Bible de Gutenberg (premier ouvrage imprimé en Europe, en 1455) a joué un très grand rôle : à la fois pour unifier la langue et la nation allemande, et pour favoriser le message protestant : rapport plus direct avec la bible, critique de la corruption du clergé catholique (qui distribuait des indulgences contre argent...).

A l'inverse, le clergé catholique avait souvent cherché à empêcher la lecture directe de la bible (qui était déjà techniquement difficile d'accès avant l'imprimerie) : en 1229, l'édit du Synode de Toulouse interdit aux laïques de posséder une copie de la bible, ce qui est étendu peu après au bas clergé par l'édit de Tarragone. Ou encore, en 1408, le Synode d'Oxford interdit la traduction de la bible.

2 Diffusion et courants du protestantisme[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Luthéranisme[modifier | modifier le wikicode]

Martin Luther

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2.2 Calvinisme[modifier | modifier le wikicode]

Au plus tard dès la fondation en 1559 de l'Académie de Genève par le grand réformateur Jean Calvin, le calvinisme fut non seulement le courant le plus dynamique de la Réforme protestante, mais il fut le système de pensée le plus prestigieux aux yeux de tous les intellectuels humanistes critiques de l’Europe dans la deuxième moitié du 16e siècle et le début du 17e siècle. Aux éléments généraux de la Réforme protestante (le salut par la foi et non par les œuvres; le rejet de la transsubstantiation du vin en sang et du pain en chair du Christ, et donc de la messe; le rejet du prêtre et de l’Eglise comme médiateurs entre le croyant et Dieu au profit de la prêtrise de tous les croyants et donc du face à face individualiste de chacun avec Dieu; l’autorité absolue de la Bible et donc la valorisation de l’alphabétisation pour que chacun la lise; le rejet de toutes les “superstitions et idolâtries” “papistes” : la croyance au purgatoire, le culte de la vierge et des saints, les images et les ornements; le rejet de l’autorité temporelle de l’Eglise et de sa hiérarchie, le rejet de la vie monastique; le mariage des pasteurs) le calvinisme rajoutait essentiellement trois éléments :

  • une rationalisation doctrinale rigoureuse
  • une insistance particulière sur le dogme de la prédestination des âmes sauvées et des âmes damnées; c’est-à-dire que c’était douter de la toute-puissance divine que d’imaginer que le croyant, par son mérite et donc sa volonté et ses efforts, puisse assurer son salut; que le nombre et l’identité de ceux qui allaient au paradis ou en enfer étaient fixés par Dieu par avance. Le calvinisme est donc très élitiste puisqu’il envisage une élite de “saints” qui seront sauvés tandis que la masse sera damnée.
  • une organisation ecclésiastique qui soumet la paroisse à l’autorité combinée du pasteur et d’un conseil des “anciens”, coopté, “le presbytère”; donc un groupe de notables laïques issus de la paroisse et non imposés d’en haut par une hiérarchie d'Eglise ou d’État (presbytérianisme).

Le calvinisme fut dans l’Europe des 16e et 17e siècles un protestantisme de gens économiquement plutôt aisés, bien scolarisés et cultivés, voire intellectuels, de rang social intermédiaire, petite noblesse, bourgeois, artisans. Chez les plébéiens, il se heurta à la concurrence (tout en s’y mélangeant) de l’anabaptisme, plus ancien, égalitariste voire communisant, qui insiste sur le baptême, donc la conversion, à l’âge adulte et met en doute tout au-delà et toute organisation ecclésiastique.

Dans le contexte du mouvement puritain anglais, le calvinisme et l’anabaptisme connurent une évolution qui engendra les radicalismes religieux et intellectuels les plus novateurs et audacieux du protestantisme. Le dogme calviniste de la prédestination était très pessimiste. La menace pour chacun, aussi bien qu’il fasse, d’être en réalité damné d’avance aurait dû susciter angoisse, découragement et passivité. Or il suscita un type d’individu très angoissé mais extrêmement dynamique. Car le protestantisme valorisait l’activité pratique et non la contemplation, la fidélité à la voix de sa propre conscience et la prise de responsabilités et non le conformisme et l’obéissance. Et les calvinistes, peu nombreux au départ, étaient convaincus que leur dynamisme et leur courage était le signe qu’ils étaient bel et bien les “saints” prédestinés, sûrs de leur salut, malgré leurs faiblesses.

Le dogme de la prédestination avait une connotation sociale: les “saints” prédestinés étaient les gens d’une certaine élite, propriétaires, cultivés. La masse pauvre, grossière, envieuse, inculte, était les damnés d’avance.

L’Eglise catholique rejetait le dogme de la prédestination et affirmait la possibilité pour chacun d’assurer son salut. ‘On appelait “arminianisme”, du nom d’un théologien calviniste néerlandais, le courant de doctrine au sein du protestantisme qui rejeta la prédestination au profit de la promesse du salut pour tous. Il y eut un “arminianisme” de droite, celui des anglicans laudiens, inclinant vers le catholicisme. Mais il y eut un “arminianisme” de gauche qui affirmait la possibilité pour les pauvres aussi d’aller au paradis. Dans ce sens, les anabaptistes, et leur variante anglaise, les familistes, avaient toujours été “arminiens”.

2.3 Anglicanisme[modifier | modifier le wikicode]

Le roi Henri VIII fit la demande en 1527 au pape de pouvoir divorcer pour épouser sa maîtresse. Suite au refus du pape, le roi décide la séparation de l'Eglise d'Angleterre par rapport à la papauté. Il s'engage alors d'intenses débats théologiques sur les formes à donner à la nouvelle Eglise, entre des :

Le compromis établi par la monarchie anglaise, qui a évolué avec le temps, est appelé l'anglicanisme.

2.4 Évangélisme[modifier | modifier le wikicode]

Le baptisme est le fait de mettre en avant le baptême et son importance pour marquer la foi, au lieu d'en faire un simple rituel culturel presque désacralisé, et sur le modèle d'une église de professants.

Cette branche qui insiste sur la diffusion publique de la foi et le prosélytisme a donné le courant évangéliste, lequel est traversé à la fois de certains courants radicaux et de certains courants très conservateurs.

2.5 « Réforme radicale »[modifier | modifier le wikicode]

La Réforme, qui a commencé par les actes de rupture plutôt modérés de Luther, a entraîné dans son sillage le développement de courants plus radicaux (« réforme radicale »)[1].

Dans le monde germanique, ce fut notamment le cas dans la grande révolte des paysans (1524-1526), ou en 1534 lorsque des anabaptistes mènent la Révolte de Münster.

Pendant la Révolution anglaise (1641-1651), il y eut de nombreuses dissidences radicale de l'anglicanisme, comme les levellers, les diggers, les ranters, les quakers, les familistes, les millénaristes du mouvement Cinquième Monarchie...

Chaque mouvement a ses particularités, et insiste davantage sur tel ou tel point de théologie, mais on peut dégager des caractéristiques qui reviennent souvent.

Le congrégationalisme signifie un mode d'organisation dans lequel on affirme que c'est la communauté des croyants qui a le pouvoir de diriger l'église (une tendance qui existe dans le christianisme en général). Les courants majoritaires du protestantisme vont cependant conserver une hiérarchie, même si elle restera globalement moins dogmatique et centraliste (aussi en raison des nombreuses divisions dans le protestantisme rendant cela difficile).

Il y eut également un courant antinomien (littéralement : contre la loi). Puisque la réforme protestante est née d'une dénonciation des hypocrisies du clergé catholique, qui mettait plus en avant des lois que l'esprit des lois, certains courants de la réforme radicale ont rejeté toute loi.

La tendance à se revendiquer d'une vraie foi par rapport aux églises institutionnalisées peut conduire à des conflits ouverts avec celles-ci. Les anabaptistes (terme forgé par les détracteurs) sont littéralement ceux qui baptisent à nouveau (ne reconnaissant pas le baptême réalisé par les églises officielles).

Au sein des courants de la réforme radicale, il y eut aussi des courants davantage repliés sur eux-mêmes, qui ne cherchaient pas activement à bousculer l'ordre politique, mais qui adoptaient des positions profondément hérétiques et qui essayaient d'organiser des communautés idéales, souvent égalitaristes et pacifistes. On peut citer par exemple les muggletoniens, ou les amish.

Ces mouvements peuvent eux-mêmes être traversés de clivages, qui peuvent les amener dans des positions de naïveté réformiste, voire pour certains leaders d'assagissement et de cautionnement de l'ordre établi. Par exemple si le réveil méthodiste (18e s.) a incarné un courant dissident plutôt populaire, un de ses leaders (T. Coke) minimisait l'esclavage, revenant à une logique de consolation et démobilisation : « S'ils ont la liberté religieuse, leur esclavage temporel est en comparaison une chose sans importance. »[2]

2.6 Huguenots[modifier | modifier le wikicode]

Huguenots est le nom donné aux protestants en France pendant les guerres de Religion.

2.7 Méthodisme[modifier | modifier le wikicode]

Le méthodisme a été lancé au 18e siècle par le prédicateur anglais George Whitefield, puis surtout organisé et popularisé par John Wesley, qui en fait une organisation à part entière en 1784. L’Église d'Angleterre n'appréciait ni son insistance sur l'expérience religieuse personnelle ni sa préoccupation sociale.

2.8 Grands réveils[modifier | modifier le wikicode]

Plusieurs moments de regain religieux ont eu lieu au sein du protestantisme anglais et états-unien, en lien avec la situation politique :

3 Analyses marxistes[modifier | modifier le wikicode]

3.1 « Religion bourgeoise » ?[modifier | modifier le wikicode]

Il est clair que le protestantisme à l'époque de la Réforme a épousé l'essor de la bourgeoisie la plus avancée de cette époque. Mais le protestantisme ne peut pas pour autant être essentialisé comme "religion bourgeoise", pour toute une série de raisons :

  1. à la même époque, d'autres courants plus radicaux et plébéiens de la Réforme ont incarné plutôt la rébellion populaire (Réforme radicale) ;
  2. même le calvinisme, branche qui a le plus épousé la montée en puissance de la bourgeoisie, s'est développé dans plusieurs régions comme l'Écosse ou le Palatinat sans que cela n'y engendre un essor précoce du capitalisme ;[3]
  3. là où le protestantisme ne s'est pas implanté, le capitalisme s'est développé sous d'autres idéologies comme le déisme et le matérialisme des Lumières ou le républicanisme ;
  4. bien après avoir été un reflet de l'essor bourgeois, un même courant du protestantisme a pu se diffuser parmi des couches entières travailleur·ses et exprimer leurs aspirations.

Parmi les mendiants, qui avaient un rapport de dépendance plus fort à la charité du clergé, la Réforme a eu moins de succès.[4]

La Réforme protestante a connu globalement un échec dans certains pays comme la France, si bien que plus tard, l'essor de la bourgeoisie s'est faite au travers d'autres idéologies, non religieuses en l'occurrence. En France, la révolution bourgeoise de 1789 ne s'est pas du tout faite au nom du protestantisme, mais au nom des idées républicaines.

« En France, pays qui avait sauté par-dessus la Réforme, l'Église catholique, en sa qualité d'Église d'État, réussit à vivre jusqu'à la révolution qui trouva, non point dans des textes bibliques, mais dans des abstractions démocratiques, une expression et une justification pour les desseins de la société bourgeoise.  »[5]

D'autres phénomènes de conversions plus tardives au protestantisme ont eu lieu sous l'effet du néo-colonialisme. Ainsi en Corée, vers la fin du 19e siècle, toutes les couches lettrées se sont converties au protestantisme anglo-saxon (aujourd'hui près de 30% de la population en Corée du Sud est chrétienne).

Trotski disait à propos du protestantisme aux États-Unis : « Le baptisme d’un Noir est quelque chose de totalement différent du baptisme d’un Rockfeller. Ce sont deux religions différentes. »[6]

Vers 1900, deux pasteurs protestants rejoignent le SPD, Johann Christoph Blumhardt et Paul Göhre.[7]

3.2 Marx dans Le Capital[modifier | modifier le wikicode]

Les principaux apports de Marx sur la question se trouvent dans Le Capital.

L'analyse que fait Marx du protestantisme est en fait complexe :

1. La réforme protestante est le reflet de la société bourgeoise. Ainsi, le catholicisme décadent de l'Ancien régime, étroitement associé à l'ancienne classe dominante et à ses privilèges, a été une des cibles idéologiques favorites de la bourgeoisie ascendante (Les Lumières...). Si en France notamment, c'est le matérialisme (surtout mécaniste) qui a été avancé, dans les pays anglo-saxons, le bouleversement principal que la lutte de classe a causé dans la sphère religieuse a été l'essor du protestantisme.

« Le monde religieux n'est que le reflet du monde réel. Une société où le produit du travail prend généralement la forme de marchandise [...] trouve dans le christianisme avec son culte de l'homme abstrait, et surtout dans ses types bourgeois, protestantisme, déisme, etc., le complément religieux le plus convenable. » [8]

2. A l'inverse, le protestantisme joue un rôle actif dans la mise en place de la société bourgeoise. Ainsi, Marx a montré avec quelle netteté la Réforme en Angleterre a pu accompagner l'accumulation primitive du capital :

« La Réforme, et la spoliation des biens d'église qui en fut la suite, vint donner une nouvelle et terrible impulsion à l'expropriation violente du peuple au XVI° siècle. L'Église catholique était à cette époque propriétaire féodale de la plus grande partie du sol anglais. La suppression des cloîtres, etc., en jeta les habitants dans le prolétariat [9] [...] Le protestantisme joue déjà par la transformation qu'il opère de presque tous les jours fériés en jours ouvrables, un rôle important dans la genèse du capital[10]. »

La question de savoir si le protestantisme est plutôt le reflet ou la cause du capitalisme ne semble pas trop préoccuper Marx. L'important pour lui est surtout de montrer la connexion intime entre les deux, comme dans la phrase suivante, où Marx met le doigt, bien avant Weber, sur la correspondance entre l'éthique capitaliste et le protestantisme :

« Le culte de l’or a son ascétisme, ses renoncements et ses sacrifices : l’épargne, la frugalité, le mépris des jouissances terrestres, temporelles et passagères ; c’est la chasse au trésor éternel. Faire de l’argent est ainsi en connexion avec le puritanisme anglais et le protestantisme hollandais. » [11]

3.3 Engels et la guerre des paysans allemands[modifier | modifier le wikicode]

Dans son analyse (1850) de la grande révolte des paysans allemands, Engels distinguait trois principaux camps politiques et idéologiques / religieux :

  • un camp conservateur catholique, qui rassemble les prélats, les grands nobles et une bonne partie des princes de l'Empire germanique ;
  • un camp luthérien, bourgeois modéré, qui rassemble la bourgeoisie urbaine et la petite noblesse ;
  • un camp révolutionnaire, protestant et millénariste sur un plan religieux, plébéien et paysan d'un point de vue social.
Thomas Müntzer, leader des paysans allemands

Engels met en lumière la dimension anticipatrice et utopique de l'idéologie religieuse de Müntzer, chef des paysans révolutionnaires :

« Sa doctrine politique correspondait exactement à cette conception religieuse révolutionnaire et dépassait tout autant les rapports sociaux et politiques existants que sa théologie dépassait les conceptions religieuses de l’époque. [...] Ce programme, qui était moins la synthèse des revendications des plébéiens de l’époque, qu’une anticipation géniale des conditions d’émancipation des éléments prolétariens en germe parmi ces plébéiens, exigeait l’instauration immédiate sur terre du Royaume de Dieu, du royaume millénaire des prophètes, par le retour de l’Eglise à son origine et par la suppression de toutes les institutions en contradiction avec cette Eglise, prétendument primitive, mais en réalité, toute nouvelle. Pour Munzer, le royaume de Dieu n’était pas autre chose qu’une société où il n’y aurait plus aucune différence de classes, aucune propriété privé, au aucun pouvoir d’État étranger, autonome, s’opposant aux membres de la société. »[12]

Cependant, Engels ne résiste pas toujours à la tentation du réductionnisme, et réduit souvent les diverses croyances à de simples déguisements d'intérêts religieux. Il prétend ainsi que Müntzer dissimulait ses convictions révolutionnaires sous une phraséologie chrétienne qui parlait plus à la masse des paysans.

Dans un écrit plus tardif comme l'Anti-Dühring, Engels conserve les mêmes analyses sur le protestantisme. Il voit dans le catholicisme médiéval un parallélisme de structure avec la hiérarchie féodale, et dans la réforme protestante une critique de cette hiérarchie.

3.4 Engels et le calvinisme[modifier | modifier le wikicode]

Pour Engels, c'est plus spécifiquement le calvinisme qui a joué ce rôle de relai et de soutien religieux du capitalisme. En 1888, dans Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Engels évoque la révolution anglaise du 17e siècle, et écrit que « le calvinisme s'avère être le véritable déguisement religieux des intérêts de la bourgeoisie à cette époque »[13]. En 1892, dans la préface à l'édition anglaise de Socialisme utopique et socialisme scientifique, il met en connexion la religion calviniste et la condition existentielle de la bourgeoisie :

« Là où Luther échoua, Calvin remporta la victoire. Le dogme calviniste répondait aux besoins de la bourgeoisie la plus avancée de l’époque. Sa doctrine de la prédestination était l’expression religieuse du fait que, dans le monde commercial de la concurrence, le succès et l’insuccès ne dépendent ni de l’activité, ni de l’habilité de l’homme, mais de circonstances indépendantes de son contrôle. Ces circonstances ne dépendent ni de celui qui veut, ni de celui qui travaille ; elles sont à la merci de puissances économiques supérieures et inconnues... »[14]

Du point de vue du discours sur le prêt avec intérêt, Calvin fut en effet le premier à l'approuver. Luther condamnait l'usure comme une façon d'être un criminel sans en avoir l'air :

« La simple raison a permis aux païens de compter l'usurier comme assassin et quadruple voleur. Mais nous, chrétiens, nous le tenons en tel honneur, que nous l'adorons presque à cause de son argent. Celui qui dérobe, vole et dévore la nourriture d'un autre, est tout aussi bien un meurtrier (autant que cela est en son pouvoir) que celui qui le fait mourir de faim ou le ruine à fond. Or c'est là ce que fait l'usurier, et cependant il reste assis en sûreté sur son siège, tandis qu'il serait bien plus juste que, pendu à la potence, il fût dévoré par autant de corbeaux qu'il a volé d'écus; si du moins il y avait en lui assez de chair pour que tant de corbeaux pussent s'y tailler chacun un lopin. On pend les petits voleurs... les petits voleurs sont mis aux fers; les grands voleurs vont se prélassant dans l'or et la soie. Il n'y a pas sur terre (à part le diable) un plus grand ennemi du genre humain que l'avare et l'usurier, car il veut être dieu sur tous les hommes. Turcs, gens de guerre, tyrans, c'est là certes méchante engeance; ils sont pourtant obligés de laisser vivre le pauvre monde et de confesser qu'ils sont des scélérats et des ennemis; il leur arrive même de s'apitoyer malgré eux. Mais un usurier, ce sac a avarice, voudrait que le monde entier fût en proie à la faim, à la soif, à la tristesse et à la misère; il voudrait avoir tout tout seul, afin que chacun dût recevoir de lui comme d'un dieu et rester son serf à perpétuité. Il porte des chaînes, des anneaux d'or, se torche le bec, se fait passer pour un homme pieux et débonnaire.   L'usurier est un monstre énorme, pire qu'un ogre dévorant, pire qu'un Cacus, un Gérion, un Antée. Et pourtant il s'attife et fait la sainte nitouche, pour qu'on ne voie pas d'où viennent les bœufs qu'il a amenés à reculons dans sa caverne. Mais Hercule entendra les mugissements des bœufs prisonniers et cherchera Cacus à travers les rochers pour les arracher aux mains de ce scélérat. Car Cacus est le nom d'un scélérat, d'un pieux usurier qui vole, pille et dévore tout et veut pourtant n'avoir rien fait, et prend grand soin que personne ne puisse le découvrir, parce que les bœufs amenés à reculons dans sa caverne ont laissé des traces de leurs pas qui font croire qu'ils en sont sortis. L'usurier veut de même se moquer du monde en affectant de lui être utile et de lui donner des bœufs, tandis qu'il les accapare et les dévore tout seul Et si l'on roue et décapite les assassins et les voleurs de grand chemin, combien plus ne devrait on pas chasser, maudire, rouer tous les usuriers et leur couper la tête. »[15]

3.5 Trotski sur la Russie[modifier | modifier le wikicode]

A propos du fait qu'il n'y a pas eu de réforme majeure en Russie, comparable à la Réforme protestante, Trotski écrivait :

« L'insignifiante importance des villes russes contribua le plus à l'élaboration d'un État de type asiatique et excluait, en particulier, la possibilité d'une Réforme religieuse, c'est-à-dire du remplacement de l'orthodoxie féodale et bureaucratique par quelque variété plus moderne du christianisme, adaptée aux besoins de la société bourgeoise. La lutte contre l'Église d'État ne s'éleva pas au-dessus de la formation de sectes de paysans, dont la plus puissante fut celle des Vieux-Croyants.  »[5]

3.6 Communistes et églises noires aux États-Unis[modifier | modifier le wikicode]

Aux États-Unis dans les années 1930, les Églises (protestantes) dans les communautés noires étaient très impliquées dans la lutte contre la ségrégation raciale, et le Parti communiste était également une des seules forces actives dans ce combat. Pour cette raison, les communistes faisaient non seulement front avec ces églises, mais inspiraient aussi fortement leur agitation de références religieuses (adaptation de chants religieux...).[16][17][18]

4 L'analyse de Max Weber[modifier | modifier le wikicode]

La thèse de Max Weber dans son ouvrage L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme est devenue célèbre. Il y reprend de nombreux constats sur la corrélation entre essor du capitalisme et protestantisme, proches de ceux de Marx et Engels, mais il en tire des conclusions différentes. Pour lui, le protestantisme n'est pas un simple "reflet" idéologique de l'essor bourgeois, mais il en était un facteur actif, car il aurait modifié les façons de penser et créé un état d'esprit proto-capitaliste.

Puisque selon la doctrine de la prédestination, il était impossible de modifier son propre salut après la mort, la seule façon pour le calviniste de se rassurer était de constater qu'il "réussit sa vie" pour y voir un signe. Voir ses affaires couronnées de plus en plus de succès était un des critères principaux, et pour cela un calviniste devait adopter une attitude de rationalisation de la production, et un certain ascétisme personnel (l'importance de réinvestir étant supérieure à la jouissance par la consommation).

Weber souligne qu'une fois le développement du capitalisme amorcé, ses propres lois économiques (concurrence pour le profit) suffisent à créer une "cage d'acier" qui pousse tous les bourgeois à rationaliser la production, éthique protestante ou pas.

Weber s'est beaucoup appuyé sur les analyses de Werner Sombart, qui avait étudié en détail le cas des Quakers. Mais Sombart était beaucoup plus pluraliste dans les liens qu'il faisait entre religion et capitalisme. Par exemple, il voyait également dans certains courants catholiques, comme le thomisme, des évolutions favorisant le capitalisme. Par la suite, Sombart s'est focalisé sur les juifs, les voyant comme les principaux vecteurs du capitalisme, et devant de plus en plus antisémite. Weber a produit un livre de 800 pages pour réfuter les analyses de Sombart sur les juifs. Il répond notamment que cela ne colle pas avec le constat historique, puisque le centre du développement capitaliste était l'Europe de l'Ouest, où les juifs étaient beaucoup moins nombreux qu'en Europe de l'Est. Weber répond également que les juifs, même ceux exerçant des métiers liés au capital-argent, étaient cantonnés à un rôle minoritaire, et ne pouvaient que faire vivre un "capitalisme de parias" tant que la société dans son ensemble n'entamait pas la transition vers le capitalisme industriel.

5 Autres analyses[modifier | modifier le wikicode]

Les chercheurs Andreï Korotaïev et Daria Khaltourina ont mis l'accent sur l'importance de l'alphabétisation par la lecture de la bible, montrant qu'à l'époque de la Réforme, les populations protestantes savaient mieux lire et écrire que les populations catholiques.[19]

6 Protestantisme et féminisme[modifier | modifier le wikicode]

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Il y a eu dans le protestantisme une tendance à adopter plus précocement des formes d'égalité des droits entre hommes et femmes.

Et parmi la réforme radicale, il y eut quelques affirmations proto-féministes. Ainsi des Niveleuses publient en 1649 une pétition revendiquant l'égalité sociale et l'égalité hommes-femmes ou la mort.[20]

7 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

7.1 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Michael Löwy, Opium du peuple ? Marxisme critique et religion, Contretemps.eu, 7 février 2010
  2. John Rylands Library (Deansgate, Manchester), Methodist Archives Center, Thomas Coke Papers, PLP/28/4/10
  3. Alain Bihr, La naissance du mode de production capitaliste, 1415-1763
  4. Karl Kautsky, Le programme socialiste. V. La Lutte de classe, 1892
  5. 5,0 et 5,1 Léon Trotski, Histoire de la révolution russe, 1930
  6. Trotski, La question noire aux États-Unis, 1933
  7. Karl Kautsky, Politique et Syndicats, 1900
  8. Karl Marx, Le Capital Livre I.4, 1867
  9. Karl Marx, Le Capital, Livre premier, L'accumulation primitive du capital, 1867
  10. Karl Marx, Le Capital, Livre premier, La journée de travail
  11. Karl Marx, Fondements de la Critique de l’Economie Politique (Grundrisse)
  12. Karl Marx, Friedrich Engels, Sur la religion, Paris, Editions sociales, 1960, p. 114.
  13. Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, in K. Marx, F. Engels, Sur la religion, Paris, Editions sociales, 1960, p. 259.
  14. Friedrich Engels, Introduction à l'édition anglaise de Socialisme utopique et socialisme scientifique, in K. Marx, F. Engels Sur la religion, op. cit., p. 294.
  15. Cité par Marx dans le Capital, Livre I, Division de la plus-value en capital et en revenu. – Théorie de l’abstinence, 1867
  16. Claudia Jones, Femmes noires et communisme : mettre fin à une omission, 1949
  17. Thèse de Fabien Curie (2013), La NAACP et le parti communiste face à la question des droits civiques, 1929-1941
  18. France Culture, Série « Qui a peur d'Angela Davis ? », Episode 1 - Injustices, Août 2023
  19. Korotayev A., Malkov A., Khaltourina D. (2006), Introduction to Social Macrodynamics, Moscow: URSS, ISBN 5-484-00414-4
  20. Marcus Rediker, Peter Linebaugh, L'hydre aux mille têtes - L'histoire cachée de l'Atlantique révolutionnaire, Editions Amsterdam, 2008

7.2 Sources[modifier | modifier le wikicode]