Birobidjan
Birobidjan (en russe : Биробиджан ; en yiddish : ביראָבידזשאַן) est une ville et le centre administratif de l'Oblast autonome juif en Russie. Sa population s'élevait à 74 791 habitants en 2014. C'est le seul exemple contemporain d'un territoire administrativement juif, à l'exception d'Israël. Le nom de la ville désigne également, en français uniquement, l'Oblast autonome juif lui-même.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
L’idée de créer un territoire juif en Union soviétique surgit dans les cercles du Parti communiste russe en 1925. Le 4 septembre 1926, la section juive du parti, Yevsekstia, adopta une résolution déclarant souhaitable l’établissement d’un territoire autonome juif. Et voilà que le Présidium du Comité exécutif de l’URSS décida, le 28 mars 1928, d’orienter la colonisation juive dans la région du Birobidjan, en Sibérie orientale, près de la Chine et du fleuve Amour.
Selon Nathan Weinstock, le territoire autonome juif fut créé de façon purement administrative. Les véritables intéressés ne furent pas consultés et l’initiative rencontra l’opposition d’une partie de l’OZET (organisation de colonisation agricole juive en URSS). Le Birobidjan, qui devait recevoir les colonies agricoles juives, se situait dans une région aride de Sibérie, choisie en raison d’objectifs stratégiques : peupler l’Extrême-Orient russe et empêcher ainsi l’avancée chinoise. Selon Nathan Weinstock :
« Selon les planificateurs, au cours du premier plan quinquennal devait surgir du néant un centre birobidjanais comptant des dizaines de milliers de colons juifs. Cette vision utopique ne cadrait en rien avec les dures réalités. Les conditions climatiques et économiques étaient tellement rigoureuses que les deux tiers des colons retournèrent chez eux. Ce qui n’empêcha pas de décréter le Birobidjan "district autonome juif" le 31 octobre 1931. De 1928 à 1933, près de 20 000 Juifs s’y installèrent définitivement. Lorsque la région fut proclamée "province autonome" le 7 mai 1934, sa population juive ne s’élevait qu’à un cinquième de l’ensemble des habitants. (Elle atteindra 23,8% en 1937.) Tout au plus recensait-on 20 000 Juifs birobidjanais à la fin de 1937. Et encore 5% seulement étaient engagés dans l’agriculture. »[1]
En 1937, interrogé sur sa vision de la création de la « province autonome » juive du Birobidjan, Trotski répondit qu’il ne possédait pas d’informations spéciales (rappelons que Trotski fut exilé d’URSS au moment de la création de ce projet). Il précisa néanmoins qu’à son avis, il ne pouvait s’agir là que d’une expérience très limitée. Pour que les Juifs puissent maintenir une existence nationale normale, Trotski reconnaissait la nécessité d’un territoire qui leur serait propre. Mais l’URSS, ajouta-t-il, même sous un régime socialiste beaucoup plus avancé que le régime stalinien, aura encore bien des difficultés pour résoudre son propre problème juif.
Trotski ne s’opposait pas à l’idée générale contenue dans le projet du Birobidjan : « Aucun individu progressiste doué d’intelligence ne pourra émettre d’objection à ce que l’URSS attribue un territoire spécial aux citoyens qui se sentent juifs, s’expriment de préférence en langue juive et désirent vivre en une masse compacte. » Mais il ne niait pas non plus les graves problèmes qu’engendrerait la création de la « province autonome », ni le fait qu’elle allait « inévitablement être le reflet de tous les vices du despotisme bureaucratique ».[2]
Le Birobidjan n’allait pas offrir les conditions matérielles nécessaires au développement culturel juif et ne réaliserait pas ce que Trotski (dans une lettre de 1934) considérait être l’obligation d’un gouvernement prolétarien :
« Le sionisme coupe les travailleurs de la lutte de classes en faisant miroiter des espoirs concernant un État juif, espoirs irréalisables sous le capitalisme. Mais un gouvernement ouvrier est tenu de créer pour les Juifs, comme pour toute nation, les circonstances les meilleures pour leur développement culturel. Cela veut dire, entre autres, fournir à ceux des Juifs qui veulent avoir leurs propres écoles, leur propre presse, leurs propres théâtres, etc., un territoire séparé afin qu’ils puissent se développer et s’administrer eux-mêmes. C’est ainsi que se comportera le prolétariat international quand il sera devenu le maître du globe tout entier. Dans le domaine de la question nationale, il ne doit y avoir aucune restriction ; au contraire, il faudra attribuer une aide matérielle multiple pour les besoins culturels de tous les groupes ethniques et nationalités. Si tel ou tel groupe national est voué au déclin (au sens national), cela ne devra résulter que d’un processus naturel, mais jamais comme conséquence de quelques difficultés territoriales, économiques ou administratives que ce soit».[3]
Outre les difficultés déjà mentionnées, le Birobidjan était très loin de Moscou ou de tout autre centre urbain important. Y survivre était difficile et se réadapter à sa ville d’origine encore plus difficile, raisons pour lesquelles le Birobidjan a été souvent comparé à un ghetto. Mais pendant la Seconde Guerre mondiale, le Birobidjan, selon Pierre Teruel-Mania, se transforma en véritable camp de concentration. Avec l’avancée des troupes nazies, l’URSS évacua toute une partie de la Pologne occupée par l’Armée rouge (près d’un million de Juifs), la transportant de force dans des wagons à bestiaux vers l’Oural et la Sibérie. La raison de ce déplacement forcé aurait été la méfiance de Staline vis-à-vis des Polonais, y compris des Juifs polonais, susceptibles de soutenir l’invasion nazie contre l’Union soviétique. Staline sauva involontairement ces Juifs d’une mort certaine dans les camps de concentration et d’extermination nazis. Mais d’un autre côté, il les confina et les laissa mourir de faim et de froid dans les régions semi-désertiques de la Sibérie, en particulier au Birobidjan. Le nombre de morts, selon les survivants, s’élève à 600 000 ou davantage.
« La seule certitude est qu’en 1946, lorsque les Polonais "réfugiés en URSS" furent autorisés à rentrer chez eux, les Juifs n’étaient pas plus de 150 000. Des centaines de milliers périrent de froid et de faim en Sibérie orientale, dans le ghetto birobidjanais qui n’était rien d’autre qu’un camp de concentration. »[4]
2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Nathan Weinstock, Le Pain de misère, vol. III, Paris, La Découverte, 1986
- ↑ Léon Trotski, « Interview with Jewish correspondents in Mexico », On the Jewish Question, New York, Pathfinder, 1994
- ↑ Léon Trotski, « Reply to a question about Birobidjan »
- ↑ Pierre Teruel-Mania, De Lénine au Panzer-Communisme, Paris, Maspero, 1971