Vers la guerre et la Commune

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Il va de soi que, dans des pays comme la Pologne et la Russie, les Internationaux peuvent entretenir uniquement des relations directes avec le Conseil général qui doit procéder avec la plus grande circonspection.

De même que tous les groupes de l'Internationale, le Conseil général a le devoir de faire de la propagande. Il la fait avec des personnes isolées dans les pays où l'Internationale n'est pas encore implantée. Il l'a accomplie par ses manifestes, par sa correspondance avec des particuliers dans les pays où l'Association n'est pas encore créée, par ses plénipotentiaires qui ont posé les premières pierres de l'Internationale en Amérique du Nord, en Allemagne et dans de nombreuses villes de France, voire en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Marx à P. Lafargue, 21 mars 1872

L'Internationale et un pays dépendant, l'Irlande[modifier le wikicode]

Je vous enverrai après-demain les papiers sur les affaires internationales dont je dispose[1]. (Il est trop tard aujourd'hui pour la poste.) Je vous enverrai par la suite les autres documents sur le Congrès de Bâle. Dans ce que je vous enverrai, vous trouverez aussi certaines des résolutions prises par le Conseil général le 30 novembre sur l'amnistie irlandaise, dont vous avez entendu parler et que j'ai préparées, ainsi qu'un pamphlet irlandais sur le traitement des Fenians emprisonnés.

J'ai l'intention de préparer d'autres résolutions sur la nécessité de transformer l'actuelle Union (qui asservit l'Irlande) en une fédération libre et égale avec la Grande-Bretagne. Pour l'heure, les choses restent en suspens pour ce qui est des résolutions publiques, en raison de mon absence prolongée au Conseil général. Aucun autre membre ne possède la connaissance nécessaire des affaires irlandaises et une autorité suffisante auprès des membres anglais du Conseil général pour pouvoir me remplacer.

Cependant, je n'ai pas été inactif durant ce temps, et je vous demande de lire ce qui suit avec la plus grande attention :

Après que je me suis préoccupé, durant de longues années, de la question irlandaise, j'en suis venu à la conclusion que le coup décisif contre les classes dominantes anglaises (et il sera décisif pour le mouvement ouvrier du monde entier) ne peut pas être porté en Angleterre, mais seulement en Irlande.

Le 1er janvier 1870, j'ai préparé pour le Conseil général une circulaire confidentielle en français (car ce sont les publications françaises, et non allemandes, qui ont le plus d'effet sur les Anglais) à propos du rapport entre la lutte nationale irlandaise et l'émancipation de la classe ouvrière, c'est-à-dire de la position que l'Internationale devrait adopter sur la question irlandaise.

Je vous en donne ici très brièvement les points essentiels :

L'Irlande est la citadelle de l'aristocratie foncière anglaise. L'exploitation de ce pays ne constitue pas seulement l'une des sources principales de sa richesse matérielle, en même temps que sa plus grande force morale. De fait, elle représente la domination de l'Angleterre sur l'Irlande. L'Irlande est donc le grand moyen grâce auquel l'aristocratie anglaise maintient sa domination en Angleterre même.

D'autre part, si demain l'armée et la police anglaises se retiraient d'Irlande, nous aurions immédiatement une révolution agraire en Irlande. Le renversement de l'aristocratie anglaise en Irlande aurait pour conséquence nécessaire son renversement en Angleterre, de sorte que nous aurions les conditions préalables[2] à une révolution prolétarienne en Angleterre. La destruction de l'aristocratie foncière est une opération infiniment plus facile à réaliser en Irlande qu'en Angleterre, parce que la question agraire a été jusqu'ici, en Irlande, la seule forme qu'ait revêtu la question sociale, parce qu'il s'agit d'une question d'existence même, de vie ou de mort, pour l'immense majorité du peuple irlandais, et aussi parce qu'elle est inséparable de la question nationale. Tout cela abstraction faite du caractère plus passionné et plus révolutionnaire des Irlandais que des Anglais.

En ce qui concerne la bourgeoisie anglaise, elle a d'abord un intérêt en commun avec l'aristocratie anglaise : transformer l'Irlande en un simple pâturage fournissant au marché anglais de la viande et de la laine au prix le plus bas possible. Elle a le même intérêt à réduire la population irlandaise ‑ soit en l'expropriant, soit en l'obligeant à s'expatrier ‑ à un nombre si petit que le capital fermier anglais puisse fonctionner en toute sécurité dans ce pays. Elle a le même intérêt à vider la terre irlandaise de ses habitants qu'elle en avait à vider les districts agricoles d'Écosse et d'Angleterre[3]. Il ne faut pas négliger non plus les 6 à 10 000 livres sterling qui s'écoulent chaque année vers Londres comme rentes des propriétaires qui n'habitent pas leurs terres, ou comme autres revenus irlandais.

Mais la bourgeoisie anglaise a encore d'autres intérêts, bien plus considérables, au maintien de l'économie irlandaise dans son état actuel.

En raison de la concentration toujours plus grande des exploitations agricoles, l'Irlande fournit sans cesse un excédent de main-d'œuvre au marché du travail anglais et exerce, de la sorte, une pression sur les salaires dans le sens d'une dégradation des conditions matérielles et intellectuelles de la classe ouvrière anglaise.

Ce qui est primordial, c'est que chaque centre industriel et commercial d'Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande.

Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente.

Mais le mal ne s'arrête pas là. Il passe l'Océan. L'antagonisme entre Anglais et Irlandais est la base cachée du conflit entre les États-Unis et l'Angleterre. Il exclut toute coopération franche et sérieuse entre les classes ouvrières de ces deux pays. Il permet aux gouvernements des deux pays de désamorcer les conflits sociaux en agitant la menace de l'autre et, si besoin est, en déclarant la guerre[4].

Étant la métropole du capital et dominant jusqu'ici le marché mondial, l'Angleterre est pour l'heure le pays le plus important pour la révolution ouvrière ; qui plus est, c'est le seul où les conditions matérielles de cette révolution soient développées jusqu'à un certain degré de maturité. En conséquence, la principale raison d'être de l'Association internationale des travailleurs est de hâter le déclenchement de la révolution sociale en Angleterre. La seule façon d'accélérer ce processus, c'est de rendre l'Irlande indépendante.

La tâche de l'Internationale est donc en toute occasion de mettre au premier plan le conflit entre l'Angleterre et l'Irlande, et de prendre partout ouvertement parti pour l'Irlande. Le Conseil central à Londres doit s'attacher tout particulièrement à éveiller dans la classe ouvrière anglaise la conscience que l'émancipation nationale de l'Irlande n'est pas pour elle une question abstraite de justice ou de sentiments humanitaires, mais la condition première de leur propre émancipation sociale.

Tels sont en gros les points essentiels de la circulaire qui expliquait les raisons d'être des résolutions du Conseil central sur l'amnistie irlandaise. Peu de temps après, j'envoyai à L'Internationale, organe de notre comité central de Bruxelles, un article anonyme très violent contre Gladstone sur le traitement que subissent les Fenians de la part des Anglais. J'y accusai, entre autres, les républicains français (La Marseillaise avait publié des sottises sur l'Irlande, écrites par le misérable Talandier) d'économiser, par une sorte d'égoïsme national, toute leur colère pour l'Empire.

Cela produisit son effet : ma fille Jenny écrivit toute une série d'articles pour La Marseillaise sous la signature de J. Williams (nom sous lequel elle s'était dans sa lettre présentée au comité de rédaction) et publia, entre autres choses, la lettre de O'Donavan Rossa[5]. Tout cela fit grand bruit.

Après avoir refusé cyniquement pendant plusieurs années d'intervenir, Gladstone a finalement été contraint d'accepter une enquête parlementaire sur le traitement réservé aux prisonniers fenians. Jenny est maintenant le correspondant régulier de La Marseillaise pour les affaires irlandaises (cela soit dit entre nous sous le sceau du secret). Le gouvernement et la presse britanniques enragent de voir que la question irlandaise soit ainsi passée au premier plan de l'actualité en France, de sorte que ces canailles sont maintenant exposées aux regards et à la critique de tout le continent par le truchement de Paris.

Nous avons fait d'une pierre deux coups : nous avons ainsi obligé les dirigeants, journalistes, etc., irlandais de Dublin à entrer en contact avec nous, ce que le Conseil général n'avait jamais pu obtenir jusqu'ici.

Vous avez, en Amérique, un champ très vaste pour œuvrer dans le même sens. Coalition des ouvriers allemands et irlandais (et, naturellement, des ouvriers anglais et américains qui seraient d'accord), telle est la tâche la plus importante que vous puissiez entreprendre aujourd'hui. C'est ce qu'il faut faire au nom de l'Internationale. Il faut exposer clairement la signification sociale de la question irlandaise.

À la prochaine occasion, je vous ferai parvenir des précisions sur la situation des ouvriers anglais. Salut et fraternité.

Projet de résolution du Conseil général sur l'attitude du gouvernement britannique dans la question de l'amnistie irlandaise[modifier le wikicode]

Considérant

Que, dans sa réponse à la demande faite par les Irlandais en vue de faire libérer les patriotes irlandais emprisonnés (réponse contenue dans ses lettres à Mr O'Shea, le 18 octobre 1869, à Mr Issac Butt, le 23 octobre, et aux anciens forestiers de Dublin), Mr Gladstone a insulté la nation irlandaise[6];

Qu'il met à l'amnistie politique des conditions qui dégradent à la fois les victimes d'un mauvais gouvernement et le peuple gouverné ;

Qu'ayant, malgré la responsabilité de sa position, publiquement et avec enthousiasme, applaudi à la rébellion des esclavagistes américains, il vient de prêcher au peuple irlandais la doctrine de l'obéissance passive ;

Que l'ensemble de sa conduite dans la question de l'amnistie irlandaise est la continuation fidèle et naturelle de cette politique de conquête qui, fièrement dénoncée par Mr Gladstone, a chassé les conservateurs, ses rivaux, du ministère,

Le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs exprime son admiration pour la magnanimité avec laquelle le peuple irlandais a conduit son mouvement de l'amnistie.

Sur les relations entre les sections irlandaises et le Conseil général de l'A. I. T.[modifier le wikicode]

Le citoyen Engels dit que le sens véritable de cette motion[7], une fois dépouillée de tout son voile d'hypocrisie, est de placer les sections irlandaises sous la sujétion du conseil fédéral britannique, ce à quoi les sections irlandaises ne se résoudront jamais et ce que le Conseil général n'a ni le droit ni le pouvoir de leur imposer. Conformément aux statuts et aux règlements, ce Conseil n'a pas non plus le pouvoir de forcer une section ou une branche à reconnaître la suprématie d'un quelconque conseil fédéral. Certes, il a le devoir, avant d'admettre ou de rejeter toute nouvelle branche qui se trouve sous la juridiction d'un quelconque conseil fédéral, de consulter ce conseil, mais le citoyen Engels soutient avec force que les sections irlandaises en Angleterre ne se trouvent pas plus sous la juridiction du conseil fédéral britannique que les sections françaises, allemandes, italiennes ou polonaises. Les Irlandais forment à tous égards une nationalité propre, distincte de toutes les autres, et le fait qu'ils usent de la langue anglaise ne saurait en aucune façon les dépouiller de droits valables pour tous.

Le citoyen Hales a dépeint les rapports entre l'Angleterre et l'Irlande sous un jour tout à fait idyllique, comme si la plus grande harmonie régnait entre elles. Or, ce sont exactement les mêmes rapports qui ont existé entre la France et l'Angleterre au moment de la guerre de Crimée, lorsque les classes dominantes des deux pays ne trouvaient pas assez de mots pour se congratuler, et que tout respirait l'harmonie la plus parfaite. Mais le cas est tout différent. Il y a le fait de sept siècles de conquête et d'oppression de l'Irlande par l'Angleterre. Or, tant que durera cette oppression, c'est insulter les ouvriers irlandais que de leur demander de se soumettre à un conseil fédéral anglais. La position de l'Irlande vis-à-vis de l'Angleterre n'est en rien celle de l'égalité, mais bien plutôt celle de la Pologne vis-à-vis de la Russie. Que dirait-on si le Conseil général exigeait des sections polonaises qu'elles reconnaissent la suprématie du conseil fédéral russe de Pétersbourg, ou s'il demandait aux sections de la Pologne prussienne, du Schleswig septentrional et de l'Alsace de se soumettre au conseil fédéral berlinois ? Or, c'est exactement ce que l'on demande aux sections irlandaises.

Lorsque les membres de l'Internationale appartenant à une nation conquérante demandent à ceux appartenant à une nation opprimée, non seulement dans le passé, mais encore dans le présent, d'oublier leur situation et leur nationalité spécifiques, d'« effacer toutes les oppositions nationales », etc., ils ne font pas preuve d'internationalisme. Ils défendent tout simplement l'assujettissement des opprimés en tentant de justifier et de perpétuer la domination du conquérant sous le voile de l'internationalisme. En l'occurrence, cela ne ferait que renforcer l'opinion, déjà trop largement répandue parmi les ouvriers anglais, selon laquelle, par rapport aux Irlandais, ils sont des êtres supérieurs et représentent une sorte d'aristocratie, comme les blancs des États esclavagistes américains se figuraient l'être par rapport aux noirs.

Dans un cas comme celui des Irlandais, le véritable internationalisme doit nécessairement se fonder sur une organisation nationale autonome : les Irlandais, tout comme les autres nationalités opprimées, ne peuvent entrer dans l'Association ouvrière internationale qu'à égalité avec les membres de la nation conquérante et en protestant contre cette oppression. En conséquence, les sections irlandaises n'ont pas seulement le droit mais encore le devoir de déclarer dans les préambules à leurs statuts que leur première et plus urgente tâche, en tant qu'Irlandais, est de conquérir leur propre indépendance nationale.

L'antagonisme entre les ouvriers anglais et irlandais a toujours été l'un des moyens les plus puissants pour maintenir la domination de classe en Angleterre. Que l'on se souvienne du temps où Feargus O'Connor et les chartistes anglais ont été expulsés par des Irlandais de la salle des Sciences à Manchester. À présent, il existe pour la première fois une bonne occasion de faire œuvrer de concert travailleurs anglais et irlandais en vue de leur émancipation commune, ce qui est un résultat qu'aucun autre mouvement n'a jamais atteint dans un quelconque pays. Or, avant même que l'on se soit assuré de ce résultat, on nous demande de dire et d'imposer aux Irlandais de ne pas prendre les choses eux-mêmes en main et de se soumettre à la direction d'un conseil anglais ! En fait, cela reviendrait à introduire dans l'Internationale l'assujettissement des Irlandais par les Anglais. Si les initiateurs de cette motion sont à ce point remplis d'un authentique esprit internationaliste, qu'ils en fassent donc la preuve, en transférant le siège du conseil fédéral britannique à Dublin et en le plaçant sous la direction d'Irlandais !

En ce qui concerne les prétendus heurts entre branches irlandaises et branches anglaises, ils ont été suscités uniquement par les membres du conseil fédéral anglais qui ont tenté de s'immiscer dans les affaires des sections irlandaises dans le but de les amener à renoncer à leur caractère national spécifique et à se soumettre à la direction du conseil anglais. Si elles se laissaient faire, les sections irlandaises d'Angleterre ne seraient plus reliées aux sections irlandaises d'Irlande. Il n'est pas possible de faire dépendre certains Irlandais d'un conseil fédéral de Londres, et d'autres d'un conseil fédéral de Dublin. Les sections irlandaises en Angleterre sont, en outre, notre base d'opération vis-à-vis des ouvriers irlandais en Irlande. Elles sont plus progressistes, parce qu'elles disposent de conditions plus favorables, et le mouvement ne peut être propagé et organisé en Irlande que par leur truchement. Or, faut-il délibérément anéantir soi-même cette base d'opération et renoncer au seul moyen grâce auquel l'Irlande peut être gagnée efficacement à l'Internationale ?

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas perdre de vue que les sections irlandaises n'accepteraient jamais ‑ et elles auraient parfaitement raison ‑ de renoncer à leur organisation nationale autonome pour se subordonner au conseil anglais.

Tout se ramène donc à l'alternative : doit-on permettre aux Irlandais d'être leurs propres maîtres, ou les chasser de l'Association ? Si la motion était acceptée, le Conseil général devrait informer les ouvriers irlandais qu'après la domination de l'aristocratie anglaise sur l'Irlande, qu'après la domination de la bourgeoisie anglaise sur l'Irlande ils doivent s'attendre maintenant à une domination de l'aristocratie ouvrière anglaise sur l'Irlande.

L'Association internationale des travailleurs à l'Union nationale des ouvriers des États-Unis[modifier le wikicode]

Coopérateurs !

Dans le programme inaugural de notre association, nous avons affirmé : « Ce n'est pas la sagesse des classes dominantes, mais la résistance héroïque de la classe ouvrière anglaise contre leur folie criminelle, qui a empêché que l'Europe occidentale ne se précipite à corps perdu dans une croisade infâme en vue d'étendre et de perpétuer l'esclavage de l'autre côté de l'océan Atlantique. » C'est à votre tour, maintenant, de prévenir une guerre dont le résultat le plus clair serait de rejeter en arrière pour une période indéterminée le mouvement ouvrier qui progresse des deux côtés de l'océan Atlantique[8].

Est-il besoin de vous dire qu'il existe des puissances européennes qui s'efforcent sérieusement de fomenter une guerre entre les États-Unis et l'Angleterre. Un simple coup d'œil sur les statistiques du commerce montre que l'exportation de produits bruts russes ‑ et la Russie n'a rien d'autre à exporter ‑ a reculé devant la concurrence américaine, lorsque la guerre civile américaine a pris un tournant décisif. Troquer la charrue américaine contre l'épée c'est, aujourd'hui précisément, la forte solution que vos hommes d'État républicains dans leur sagesse ont choisie comme auxiliaire intime, afin de se sauver de la menace d'une banqueroute imminente. Mais si nous faisons totalement abstraction des intérêts particuliers de tel ou tel gouvernement, n'est-ce pas l'intérêt le plus général de nos oppresseurs que de jeter le trouble, au moyen d'une guerre, dans la collaboration internationale de tous les ouvriers au moment où celle-ci se développe à pas de géant ?

Dans notre adresse de félicitation à Monsieur Lincoln, lors de sa réélection comme président, nous avons exprimé notre conviction que la guerre civile s'avérerait aussi décisive pour le progrès de la classe ouvrière que la guerre d'indépendance pour celui de la classe bourgeoise. Et de fait, l'issue victorieuse de la guerre anti-esclavagiste a inauguré une ère nouvelle dans les annales de la classe ouvrière. Depuis lors, aux États-Unis eux-mêmes, il est né un mouvement ouvrier autonome qui est considéré d'un fort mauvais œil par les politiciens professionnels et les anciens partis. Mais encore lui faut-il quelques années de paix pour se fortifier et devenir fécond. Une guerre entre les États-Unis et l'Angleterre serait très utile pour l'étouffer.

Le second effet tangible de la guerre civile était certes de faire empirer les conditions de l'ouvrier américain. Aux États-Unis comme en Europe, la charge gigantesque de la dette publique est glissée de main en main jusqu'à ce qu'elle aboutisse sur les épaules de la classe ouvrière. Le prix des denrées alimentaires, au dire de l'un de vos hommes d'État, a monté de 78 % depuis 1860, tandis que le salaire d'un ouvrier manuel n'a augmenté que de 50 % et celui d'un ouvrier qualifié de 60 %. Et de gémir : « Le paupérisme croît maintenant plus vite en Amérique que la population. » En outre, les souffrances de la classe ouvrière contrastent avec l'étalage de luxe des nouveaux parvenus de l'aristocratie financière et autres bêtes malfaisantes produites par la guerre. La guerre civile apporta néanmoins en compensation la libération des esclaves et le bond en avant de votre propre mouvement de classe. En revanche, une seconde guerre qui ne serait ni sanctifiée par un but noble ni élevée par une nécessité sociale, mais serait effectuée d'après le modèle du vieux monde[9], ne ferait que souder les chaînes du libre travailleur, au lieu de briser les chaînes de l'esclave. La misère accumulée qui resterait sur ses traces accorderait subitement à vos capitalistes les motifs et les moyens de couper la classe de ses efforts hardis et justifiés grâce à l'épée dépourvue d'âme d'une armée permanente.

C'est donc à vous que revient la tâche glorieuse de faire en sorte qu'enfin la classe ouvrière fasse maintenant son entrée sur la scène de l'histoire, en cessant d'être une suite obéissante, qu'elle devienne une puissance autonome, une puissance consciente de ses propres responsabilités et capable d'ordonner la paix là où ceux qui se prétendent vos maîtres appellent à la guerre.

Londres, 12 mai 1869

Au conseil fédéral espagnol de l'Association internationale des travailleurs[modifier le wikicode]

Citoyens !

C'est avec une grande joie que le Conseil général a reçu votre lettre du 14 décembre. Votre lettre précédente du 30 juillet nous est également parvenue[10]. C'est le citoyen Serraillier, secrétaire pour l'Espagne, qui était chargé de vous transmettre notre réponse. Mais il s'est rendu peu après en France afin de combattre pour la République, et c'est alors qu'il fut pris dans le siège de Paris. Or donc, si vous n'avez pas reçu de réponse à votre lettre du 30 juillet qui se trouve encore entre ses mains, cela est dû aux circonstances. À présent, le Conseil général, dans sa séance du 7, a chargé provisoirement le soussigné F. E. de la correspondance avec l'Espagne et lui a remis votre dernière lettre.

Nous avons reçu régulièrement les journaux ouvriers d'Espagne ‑ La Federacion de Barcelone, La Solidaridad de Madrid (jusqu’à décembre 1870), El Obrero de Palma (jusqu'à son interdiction) et récemment La Revolucion social de Palma (uniquement le n° 1). Ces journaux nous ont tenu au courant des faits du mouvement ouvrier espagnol ; nous avons constaté avec une grande satisfaction que les idées de la révolution sociale étaient de plus en plus le patrimoine commun de la classe ouvrière de votre pays.

Comme vous le dites, il ne fait pas de doute que les creuses déclamations des vieux partis politiques ont orienté trop fortement l'attention du peuple sur eux, et de ce fait sont devenues un grand obstacle pour notre propagande. Il en a été ainsi partout dans les premières années du mouvement ouvrier. En France, en Angleterre, en Allemagne, les socialistes sont aujourd'hui encore obligés de combattre l'activité et l'influence des partis politiques traditionnels, aristocratiques ou bourgeois, monarchistes et même républicains. Partout l'expérience a démontré que le meilleur moyen de libérer les ouvriers de l'emprise des partis traditionnels consiste à créer dans chaque pays un parti du prolétariat ayant une politique propre, une politique qui se distingue clairement de celle de tous les autres partis parce qu'elle doit exprimer les conditions de l'émancipation de la classe ouvrière. Les détails de cette politique peuvent varier selon les circonstances particulières de chaque pays. Cependant, étant donné que les rapports fondamentaux du travail au capital sont partout les mêmes et que le fait de la domination politique des classes possédantes sur les classes exploitées subsiste partout, les principes et le but de la politique prolétarienne sont identiques, du moins dans tous les pays occidentaux.

Les classes possédantes, aristocrates fonciers et bourgeois, tiennent le peuple travailleur en esclavage non seulement par la puissance de leurs richesses et par l'exploitation directe du travail par le capital, mais encore par le pouvoir d'État, l'armée, la bureaucratie et la magistrature. Ce serait sacrifier l'un des moyens d'action les plus puissants ‑ notamment en ce qui concerne l'organisation et la propagande ‑ si nous renoncions à combattre nos ennemis sur le terrain politique. Le suffrage universel nous met en main un excellent moyen d'action. En Allemagne, où les ouvriers sont fortement organisés en parti politique, ils ont réussi à envoyer six députés dans la prétendue représentation nationale. L'opposition que nos camarades Bebel et Liebknecht ont pu y organiser contre la guerre de conquête a servi beaucoup plus efficacement les intérêts de notre mouvement international que des années de propagande par voie de presse et de réunion[11]. En ce moment même, des représentants ouvriers ont été élus en France, et ils proclament à haute voix nos principes. La même chose se passera en Angleterre lors des prochaines élections.

Nous apprenons avec joie que vous avez l'intention de nous transmettre les cotisations des diverses branches de votre organisation en Espagne. Nous les accepterons avec reconnaissance. Veuillez les transférer par chèque à une quelconque banque londonienne, payable à notre trésorier John Weston, ou par lettre recommandée à l'adresse du soussigné, soit 256, High Holborn, Londres (siège de notre Conseil), soit 122, Regent's Park Road (mon adresse privée).

Nous attendons avec grand intérêt la statistique de votre fédération que vous avez promis de nous envoyer.

En ce qui concerne le congrès de l'Internationale, il ne saurait en être question tant que dure l'actuelle guerre. Mais si, comme il est probable, la paix devait être bientôt rétablie, le Conseil se préoccupera aussitôt de cette importante question, et il prendra en considération l'aimable invitation que vous nous avez fait parvenir au sujet de sa tenue à Barcelone.

Nous n'avons pas encore de sections au Portugal. Il vous serait peut-être plus facile qu'à nous d'entamer des relations avec les ouvriers de ce pays. Si vous y réussissez, veuillez nous écrire à ce sujet. De même, nous pensons qu'il vaudrait mieux, pour commencer du moins, que vous entriez en relation avec les imprimeurs de Buenos Aires ; toutefois, vous devrez nous informer ensuite des résultats que vous aurez obtenus. En attendant, vous nous feriez grand plaisir et vous rendriez un bon service à la cause si vous pouviez nous faire parvenir un exemplaire des Anales de la Sociedad tipografica de Buenos Aires afin que nous en prenions connaissance.

Au reste, le mouvement international continue de progresser, en dépit de tous les obstacles. En Angleterre, les conseils centraux des syndicats (Trades' Councils) de Birmingham et Manchester, et avec eux les ouvriers des deux centres industriels les plus grands du pays, viennent d'adhérer directement à notre association.

En Allemagne, le gouvernement persécute les nôtres, tout comme Louis Bonaparte le faisait en France il y a un an. Nos amis allemands, dont plus de cinquante sont en prison, souffrent littéralement pour la cause internationale : ils ont été poursuivis et arrêtés parce qu'ils se sont opposés de toutes leurs forces à la politique de conquête et ont demandé que le peuple allemand fraternise avec le peuple français. En Autriche aussi, beaucoup de nos amis sont emprisonnés, tandis que le mouvement progresse néanmoins. En France, nos sections ont été partout le centre et l'âme de la résistance contre l'invasion ; dans les grandes villes du Midi, ils se sont emparés du pouvoir local, et si Lyon, Marseille, Bordeaux et Toulouse ont déployé une énergie inconnue jusqu'ici, c'est uniquement grâce aux efforts des membres de l'Internationale. En Belgique, notre organisation est puissante, et nos sections belges viennent tout récemment de tenir leur sixième congrès national. En Suisse, il semble que les divergences de vues qui se sont manifestées depuis quelque temps dans nos sections soient en train de se réduire. D'Amérique, on nous annonce l'adhésion de nouvelles sections françaises, allemandes et tchèques (de Bohème) ; en outre, nous continuons d'entretenir des relations fraternelles avec la grande organisation, des ouvriers américains, la Labor League [12].

Dans l'espoir de recevoir bientôt de nouveau de vos nouvelles, nous vous envoyons nos salutations fraternelles.

Pour le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs :

F. E.

Au VIe Congrès des sections belges de l'Association internationale des travailleurs[modifier le wikicode]

Citoyens,

Le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs adresse ses félicitations à votre VIe Congrès[13]. Le simple fait de la réunion de ce congrès prouve de nouveau que le prolétariat belge poursuit sans défaillance ses efforts pour l'émancipation de la classe ouvrière, même pendant qu'une guerre meurtrière et fratricide, qui remplit d'horreur l'Europe entière, supplante pour le moment tout autre intérêt dans la pensée publique.

C'est avec une satisfaction particulière que nous avons vu les sections belges suivre, à l'égard de cette guerre, notre programme d'action et énoncer des idées que prescrivaient les intérêts du prolétariat de tous les pays : rejet de toute idée de conquête et maintien de la République en France. Sous ce rapport, au reste, nos amis belges se trouvent en harmonie complète avec les ouvriers des autres pays.

Depuis l'occupation de Rouen par les Prussiens, les dernières liaisons qui subsistaient encore entre nous et la France ont été interrompues. Mais, en Angleterre, en Amérique et en Allemagne, le mouvement parmi les ouvriers contre la guerre et pour le maintien de la République s'est développé rapidement. En Allemagne surtout, ce mouvement a pris une telle ampleur que le gouvernement prussien s'est vu obligé, dans l'intérêt de sa politique de conquête et de réaction, de sévir contre les ouvriers. Les dirigeants du comité central du parti social-démocrate d'Allemagne, siégeant à Brunswick, ont été arrêtés[14] ; beaucoup de membres du même parti ont subi le même sort. Enfin, deux députés au parlement de l'Allemagne du Nord, les citoyens Bebel et Liebknecht, qui y représentaient les idées et les intérêts de la classe ouvrière, ont été mis sous verrou. L'Internationale est accusée d'avoir donné à tous ces citoyens le mot d'ordre d'une vaste conspiration révolutionnaire. Nous avons là, n'en doutons pas, la deuxième édition du célèbre complot de l'Internationale à Paris, complot que la police bonapartiste disait avoir découvert et qui, après, finit par s'évaporer si misérablement. En dépit de ces persécutions, le mouvement international des ouvriers marche et marchera toujours.

Le présent congrès vous offre l'occasion de constater le nombre des sections et autres sociétés affiliées, des membres dont se compose chacune d'entre elles, afin de vous former une idée exacte du progrès qu'a fait notre mouvement en Belgique. Nous désirerions que vous communiquiez au Conseil général le résultat de cette statistique sur la position de notre association chez vous, statistique que nous aurons à cœur de compléter aussi pour les autres pays. Il va sans dire que cette communication sera considérée par nous comme confidentielle, et les faits qu'elle nous fera connaître ne seront pas livrés à la publicité.

De plus, le Conseil général se permet d'espérer que les sections belges, dans le courant de l'année 1871, se trouveront à même de se rappeler les résolutions des divers congrès internationaux relativement aux cotisations qui lui sont destinées. La guerre actuelle met hors de question la rentrée des fonds de la plupart des pays continentaux, et nous savons bien que les ouvriers belges se ressentent aussi de la dépression générale qui résulte de cette guerre. Aussi le Conseil général ne relève-t-il cette question que pour rappeler aux sections belges l'impossibilité où il se trouverait, sans soutien matériel, de donner à la propagande toute l'étendue qu'il souhaiterait.

En l'absence du secrétaire pour la Belgique, le citoyen Serraillier, le Conseil général a chargé le soussigné d'adresser cette communication au Congrès.

Salut et fraternité

F. E.

Le comité exécutif de la section allemande de l'Association internationale [15], dont le siège est à Brunswick, a lancé le 5 de ce mois un manifeste à la classe ouvrière allemande, dans lequel il appelait celle-ci à faire obstacle à l'annexion de l'Alsace-Lorraine et à contribuer à une paix honorable avec la République française. Sur l'ordre du général Vogel von Falckenstein, non seulement ce manifeste a été saisi, mais encore tous les membres du comité, et même le pauvre imprimeur de ce document, ont été arrêtés et déportés, chargés de chaînes tels de vulgaires criminels, à Lötzen, en Prusse orientale.

Chère Madame Liebknecht,

Nous venons à l'instant d'apprendre que Liebknecht, Bebel et Hepner ont été arrêtés hier[16]. C'est la revanche prussienne pour les défaites morales que Liebknecht et Bebel ont déjà infligées à l'Empire prussien avant même sa naissance. Nous nous sommes tous beaucoup réjouis ici de la manifestation courageuse de tous les deux au Reichstag dans des circonstances où ce n'était vraiment pas une mince affaire que de proclamer en face, librement et fièrement, nos conceptions. Nous supposons qu'il s'agit avant tout d'une vengeance mesquine, d'une tentative pour détruire le journal, ainsi que l'interdiction de se présenter à de nouvelles élections, si bien que l'accusation de haute trahison n'est qu'un pur prétexte. Cependant, messieurs les Prussiens peuvent se tromper lourdement. En effet, étant donné l'attitude vraiment tout à fait remarquable des ouvriers allemands ‑ qui a contraint jusqu'à cette fripouille de Schweitzer à se placer sous la direction de Liebknecht et de Bebel[17] ‑, ce coup de force manquera sans doute complètement son effet et suscitera plutôt la réaction contraire. Les ouvriers allemands ont fait preuve au cours de cette guerre d'une conscience et d'une énergie qui les ont d'un seul coup placés à la tête du mouvement ouvrier européen, et vous comprendrez avec quelle fierté nous vivons cet événement[18].

Mais nous avons aussi le devoir de faire en sorte, de toutes nos forces, que nos amis emprisonnés et leurs familles en Allemagne ne souffrent pas de la misère, alors que la fête de Noël, si proche, leur donne déjà un goût amer. Nous prenons donc la liberté de vous envoyer ci-inclus un billet de banque de 5 livres sterling, sous B/10 04841, Londres, 12 octobre 1870, dont vous voudrez bien partager le montant avec Madame Bebel.

En outre, nous y joignons 7 talers qui ont été collectés par l'Association de formation ouvrière de Londres et qui sont destinés aux familles de ceux qui ont été arrêtés à Brunswick. Je vous prie de bien vouloir signer pour cela la quittance ci-jointe que vous voudrez bien me renvoyer, afin que Marx puisse rendre compte à l'Association qu'il a acquitté sa mission.

Ma femme est une révolutionnaire irlandaise, et vous pouvez vous imaginer quelle joie a régné hier à la maison lorsque nous avons appris que les Fenians ont été amnistiés ‑ même si ce fut de la manière la plus minablement prussienne. Et aussitôt après, la nouvelle de l'arrestation de nos amis en Allemagne !

Adieu, chère Madame Liebknecht, et ne perdez pas courage. Les Prussiens et leurs supérieurs hiérarchiques, les Russes, se sont engagés dans une histoire dont ils ne seront pas capables d'arrêter le cours.

Le parti allemand et la Commune[modifier le wikicode]

Les discours et les articles de Bebel nous font un très grand plaisir[19].

Messieurs, quelque regrettables ou insensés ‑ comme on l'a soufflé hier dans cette Chambre ‑ que soient les efforts de la Commune, soyez persuadés que tout le prolétariat européen et tous les hommes épris de liberté et d'indépendance ont le regard tourné vers Paris[20]. (Vive hilarité.) Messieurs, si Paris est momentanément écrasé, je vous rappelle alors que la lutte de Paris n'aura été qu'un petit accrochage d'avant-poste, que la grande bataille nous attend encore en Europe, et que le cri de guerre du prolétariat parisien : « Guerre aux palais, paix dans les chaumières, mort à la misère et à l'oisiveté ! », deviendra le cri de ralliement de tout le prolétariat d'Europe. (Hilarité[21].)

Les activités de l'Internationale et la Commune de Paris[modifier le wikicode]

Il n'y a aucun mystère à éclaircir, sauf peut-être celui de la sottise humaine de ceux qui persistent à ne pas tenir compte du fait que notre association est publique, tout comme son action, et que ses débats sont consignés dans le détail dans des procès-verbaux que n'importe qui peut lire[22]. Vous pouvez vous procurer nos statuts pour un penny, et si vous achetez pour un shilling de brochures, vous en saurez bientôt sur nous autant que nous-mêmes.

‑ Qu'est-ce que l'Association internationale ?

‑ Vous n'avez qu'à regarder les hommes qui la com­posent : les travailleurs...

‑ Et le dernier soulèvement à Paris ?

‑ Je voudrais tout d'abord que vous me prouviez qu'il y a eu complot, et que tout ce qui est arrivé n'a pas été l'effet normal des circonstances du moment. Oui, à supposer qu'il y ait eu complot, je demande à voir les preuves d'une participation de l'Association internationale.

‑ La présence de tant de membres de l'Association dans la Commune [23].

‑ Elle pourrait tout aussi bien avoir été un complot de francs-maçons, car leur participation, en tant qu'individus, ne fut pas négligeable[24]. Je ne serais pas surpris si le pape leur mettait toute l'insurrection sur le dos. Mais essayons de trouver une autre explication. Le soulèvement de Paris fut réalisé par les ouvriers parisiens. Les ouvriers les plus capables d'entre eux devaient donc nécessairement être aussi les chefs et les responsables du mouvement. Or, il se trouve que les ouvriers les plus capables sont en même temps membres de l'Association internationale. Et, néanmoins, l'Association en tant que telle n'a pas pris en quoi que ce soit la décision de leur action.

‑ N'y a-t-il pas eu de communication secrète ?

‑ Y a-t-il jamais eu d'association qui ait poursuivi son activité sans avoir recours à des moyens aussi bien privés que publics ? Cependant, ce serait méconnaître entièrement la nature de l'Internationale que de parler d'instructions secrètes émanant de Londres sous forme de décrets en matière de foi et de morale provenant de quelque centre pontifical de domination et d'intrigue. Cela impliquerait que l'Internationale forme une sorte de gouvernement central, alors qu'en réalité la forme d'organisation garantit au contraire la plus grande marge de jeu à l'initiative locale et à l'esprit d'entreprise. En pratique, l'Internationale n'a rien d'un gouvernement de la classe ouvrière en général, c'est un organe d'unification plutôt que de commandement.

‑ Quel est le but de cette union ?

‑ Conquérir l'émancipation économique de la classe ouvrière grâce à la conquête du pouvoir politique, et utiliser cette force politique pour la réalisation de ses buts sociaux. Les objectifs de l'Internationale doivent nécessairement être assez vastes pour embrasser toutes les formes d'activité de la classe ouvrière. Leur donner un caractère particulier, ce serait les adapter aux besoins d'une seule section ou aux besoins des travailleurs d'une seule nation. Or, comment pourrait-on demander à tous de s'unir pour réaliser les intérêts de quelques-uns seulement ? Si notre association agissait de la sorte, elle n'aurait plus le droit de s'appeler Internationale. L'Association ne dicte aucune forme déterminée aux mouvements politiques : elle exige seulement que ces mouvements tendent vers un seul et même but final. Elle embrasse un réseau de sociétés affiliées qui s'étend à l'ensemble du monde du travail. Dans chaque partie du monde surgissent des aspects particuliers du problème général, et les ouvriers doivent en tenir compte dans leurs actions et leurs revendications[25]. Les ententes ouvrières ne peuvent pas être identiques dans tous les détails à Newcastle et à Barcelone, à Londres et à Berlin. En Angleterre, par exemple, la voie par laquelle la classe ouvrière entend développer sa puissance politique lui est ouverte. Une insurrection serait une sottise là où l'agitation pacifique peut atteindre plus vite et plus sûrement le but[26]. En France, la multitude des lois de répression et l'antagonisme mortel entre les classes semblent rendre inévitable une solution violente aux conflits sociaux. Le choix de cette solution concerne la classe ouvrière de ce pays. L'Internationale ne prétend pas dicter ses volontés en la matière : elle a déjà assez de peine à donner des conseils. Cependant, elle exprime à tout mouvement sa sympathie, et lui accorde son aide dans le cadre que lui assignent ses propres statuts.

‑ En quoi consiste cette aide ?

‑ Voici un exemple de cette aide. L'un des moyens qu'utilise le plus fréquemment le mouvement d'émancipation, c'est la grève. Quand une grève éclatait jadis dans un pays, elle était étouffée par l'importation de main-d'œuvre étrangère. L'Internationale a pratiquement mis un terme à ces procédés. Après qu'on l'a informée d'une grève qui se prépare, elle transmet la nouvelle à ses membres qui apprennent ainsi que le lieu de la lutte est un terrain défendu. Ainsi, les fabricants ne peuvent plus compter que sur leurs propres ouvriers. Dans la plupart des cas, les grévistes n'ont pas besoin d'une autre aide. Leurs propres fonds ou les collectes faites par d'autres associations auxquelles ils sont plus ou moins directement affiliés leur fournissent une assistance. Cependant, si leur situation devient trop difficile et si la grève a trouvé l'appui de l'Internationale, les ressources nécessaires sont tirées d'une caisse commune. C'est ainsi que la grève des ouvriers des usines textiles de Barcelone a été couronnée de succès il y a quelques jours.

Toutefois, l'Internationale n'a pas intérêt à fomenter des grèves : elle les soutient dans certaines conditions[27]. Elle n'y gagne rien du point de vue pécuniaire, au contraire.

Résumons tout cela en un mot. La classe ouvrière reste pauvre au milieu d'un accroissement de richesses et végète misérablement au milieu d'un luxe toujours croissant. La misère matérielle débilite l'ouvrier, moralement aussi bien que physiquement. La classe ouvrière n'a rien à espérer d'une autre classe. C'est pourquoi il est absolument nécessaire qu'elle défende elle-même sa cause. Elle doit modifier son attitude envers les capitalistes et les propriétaires fonciers, et cela signifie qu'elle doit transformer toute la société. Tel est, pratiquement, le but général de toute l'organisation ouvrière : les ligues ouvrières et paysannes, les syndicats et sociétés de secours mutuel, les coopératives de production et de consommation ne sont tous que des moyens pour atteindre ce but.

L'Association internationale des travailleurs a pour devoir de réaliser une solidarité authentique et effective entre ces organisations. Son influence commence à se faire sentir partout. Deux journaux propagent ses idées en Espagne, trois en Allemagne, trois en Autriche et en Hollande, six en Belgique et six en Suisse. Après ce que je vous ai dit de l'Internationale, vous pouvez peut-être vous former une opinion vous-même sur les prétendus complots.

‑ Je ne vous suis pas très bien.

‑ Ne voyez-vous pas que la vieille société, qui n'a pas la force de nous affronter avec les armes de la discussion ou de la coalition régulière, doit user de fraude et nous accuser de conspiration ?

‑ La police française ne déclare-t-elle pas être en mesure de prouver la complicité de l'Internationale dans le dernier conflit, pour ne pas parler des précédents ?

‑ Mais parlons donc de ces tentatives précédentes. Cela nous permettra d'apprécier à leur juste valeur les accusations portées contre l'Internationale. Vous vous souvenez de l'avant-dernier « complot » lors du plébiscite. Bien des électeurs paraissaient irrésolus et n'avaient plus un sentiment positif sur le régime impérial, sur ce régime dont on leur avait dit qu'il avait sauvé la société de redoutables dangers auxquels ils ne croyaient plus à présent. Il fallut donc un nouvel épouvantail, et la police se mit en chasse. Toutes les coalitions ouvrières lui étaient odieuses, et elle avait, bien entendu, un compte à régler avec l'Internationale. Une idée lumineuse lui vint : l'Internationale ne ferait-elle pas un magnifique épouvantail[28] ? Ce choix aurait le double avantage de discréditer l'Association et de racoler des sympathies pour la cause impériale. C'est cette heureuse idée qui a donné naissance au ridicule « complot » contre la vie de l'Empereur ‑ comme si nous avions la moindre envie de tuer cette ridicule vieille baderne. On a arrêté les membres dirigeants de l'Internationale. On a fabriqué de faux témoignages, et dans le même temps on a procédé au plébiscite. Mais la comédie qu'on voulait monter prit rapidement les allures d'une farce, et de l'espèce la plus grossière[29].

Il y a en Europe des gens avertis qui ont été les témoins de toute cette affaire et dont le jugement n'a pas été abusé un seul instant. Seul l'électeur des campagnes françaises a avalé la couleuvre. Les journaux anglais ont raconté le début de cette affaire, mais ils ont omis d'en publier la fin. Par respect envers le pouvoir, les juges français durent admettre l'existence du complot, mais ils furent bien obligés de reconnaître qu'aucune preuve n'existait de la complicité de l'Internationale. Or, il en est du second complot comme du premier. Un fonctionnaire français est chargé de faire son rapport sur le plus grand mouvement politique que le monde ait jamais connu. Les conditions de l'époque sont là qui, en cent occasions, pourraient lui suggérer une explication raisonnable : les ouvriers gagnent chaque jour en intelligence, les puissances dominantes sombrent dans le goût du luxe et l'incompétence ; l'histoire continue d'avancer, et elle doit aboutir au transfert du pouvoir d'une seule classe à celle de tout le peuple. De toute évidence, l'époque, les lieux, les conditions se prêtent au grand mouvement de l'émancipation. Mais, pour apercevoir ces signes, le fonctionnaire devrait être un philosophe, et il n'est qu'un mouchard. Comme le veut la loi de sa fonction, il en vient donc à une explication de mouchard ‑ à une conspiration. Il a gardé un vieux dossier de documents fabriqués, il en extraira ses preuves, et cette fois l'Europe qui tremble ajoutera foi à sa fable.

Tenez, voici un exemple : le journal La Situation. Il y est dit : « Le docteur Karl Marx, de l'Internationale, a été arrêté en Belgique, alors qu'il cherchait à passer en France. Depuis longtemps, la police londonienne avait l'œil sur l'Association à laquelle il est rattaché, et prend en ce moment des mesures énergiques pour la supprimer. »

Deux phrases, deux mensonges. Vous éprouverez la véracité de la première grâce au témoignage de vos sens : constatez que je ne suis point dans une prison belge, mais bien à mon domicile en Angleterre. D'autre part, vous n'êtes pas sans savoir que la police anglaise a aussi peu le pouvoir de se mêler des affaires de l'Internationale que notre Association n'en a de se mêler des affaires de la police. Et pourtant, une chose est sûre : ce rapport fera le tour de la presse du continent sans recevoir le moindre démenti, et il irait son chemin quand bien même je m'aviserais d'envoyer ici, à chacun des journaux d'Europe, une lettre circulaire...

‑ Pourquoi avez-vous établi ici votre quartier général ?

‑ Pour des raisons bien simples : ici, le droit d'association est chose bien établie. Il existe en Allemagne, c'est certain, mais il y est entravé par mille difficultés ; et, en France, il n'existe plus depuis bien des années.

‑ Et aux États-Unis ?

‑ Les centres principaux de notre activité se trouvent pour le moment au sein des vieilles sociétés européennes. Jusqu'à présent, de nombreuses circonstances ont empêché les problèmes du travail de prendre une importance universelle aux États-Unis. Mais ces conditions disparaissent rapidement, et le problème est en passe d'y devenir essentiel. En effet, là-bas tout comme en Europe, on y voit se développer une classe de travailleurs distincte de la société et en rupture avec le capital.

‑ Il semble qu'en Angleterre la solution espérée, quelle qu'elle soit, puisse être obtenue sans révolution violente. Le système anglais permet l'agitation par la tribune et la presse, jusqu'à conversion des minorités en majorités. Il y a là de quoi espérer.

‑ Je ne suis pas aussi optimiste que vous. La bourgeoisie anglaise a toujours accepté de bonne grâce le verdict de la majorité, tant qu'elle se réservait le monopole du droit de vote. Mais, croyez-moi, aussitôt qu'elle se verra mise en minorité sur des questions qu'elle considère comme vitales, nous verrons ici une nouvelle guerre esclavagiste[30].

Aide aux réfugiés et aux persécutés[modifier le wikicode]

Vous recevrez la semaine prochaine un appel du Conseil général de l'Internationale en faveur des Communards réfugiés[31]. La masse principale s'en trouve à Londres (plus de 80 à 90 maintenant). Le Conseil général les a préservés jusqu'ici de la ruine, mais, depuis ces deux dernières semaines, nos moyens financiers ont fondu, tandis que le nombre des nouveaux arrivants s'accroît de jour en jour, et ils sont dans un état digne de compassion. J'espère que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir à New York[32]. En Allemagne, tous les moyens du parti sont encore absorbés par les victimes des persécutions policières de ces derniers temps[33], de même en Autriche, en Espagne et en Italie. En Suisse, ils n'ont pas seulement à aider leur propre lot de réfugiés de la Commune, mais encore à soutenir les ouvriers lock-outés de Saint-Gallien, qui font partie de l'Internationale. En Belgique, enfin, il y a aussi une partie non négligeable de Communards qui a trouvé refuge, et les Belges doivent en outre assister ceux qui y passent lorsqu'ils se rendent à Londres.

En raison de ces circonstances, tout l'argent pour la masse des réfugiés à Londres a été tiré jusqu'ici presque exclusivement d'Angleterre. Le Conseil général comprend maintenant les membres suivants de la Commune : Serraillier, Vaillant, Theisz, Longuet et Frankel, et les agents de la Commune suivants : Delahaye, Rochat-Bastelica, Chalain.

Coordination de l'activité syndicale[modifier le wikicode]

Comme je vous en informais dans ma dernière lettre[34], j'ai estimé qu'il était de mon devoir de communiquer le contenu de votre lettre sur la grève des cigariers au Conseil général dans sa séance d'hier[35]. En même temps, j'ai demandé au Conseil de bien vouloir faire parvenir à nos membres d'Anvers[36] toute l'aide et le soutien possibles.

Ma proposition a trouvé un soutien chaleureux, notamment chez le citoyen Cohn, président des cigariers de Londres. Il avait juste auparavant communiqué au Conseil que, pour soutenir la grève, les cigariers de son syndicat avaient approuvé un prêt de 150 livres sterling ‑ soit environ 3 750 francs ‑ à vos frères d'Anvers ; que l'association des cigariers belges qui travaillent ici a accordé 20 livres sterling ; un autre syndicat d'ici ainsi que les cigariers de Liverpool sont prêts à vous consentir des avances pour soutenir la grève, etc. Là-dessus, le Conseil a décidé à l'unanimité :

1. de faire rédiger aussitôt un appel à tous les syndicats anglais de Londres et de la province, de le faire imprimer et de l'envoyer à toutes les associations, afin de réclamer qu'elles soutiennent les grévistes d'Anvers ;

2. d'envoyer des délégations du Conseil à tous les grands syndicats centralisés de Londres avec lesquels il est en relation, afin de les gagner à la même cause.

Comme nous avons appris du citoyen Cohn que vous avez déjà entrepris les démarches nécessaires pour éviter que les fabricants anversois n'embauchent des cigariers hollandais pour contrecarrer de semblables tentatives en Angleterre aussi, nous nous sommes bornés à faire paraître dans notre journal allemand ‑ le Volksstaat de Leipzig ‑ un entrefilet dans lequel nous informons les cigariers allemands de la grève que vous avez déclenchée en soulignant qu'ils ont le devoir d'empêcher tout enrôlement d'ouvriers pour briser la grève d'Anvers et, si possible, qu'ils mettent à votre disposition des fonds de soutien. Il paraîtra la semaine prochaine ; nous avons, en outre, attiré l'attention du rédacteur (W. Liebknecht) sur votre grève et lui avons demandé de se préoccuper de votre cause.

Il est difficile de préjuger des résultats de ces diverses démarches. Si les syndicats anglais nous consentent des prêts, il faudra quelques semaines pour accomplir les formalités indispensables. On peut supposer que les syndicats allemands ne pourront pas rassembler des fonds et la guerre a sans doute vidé les caisses.

Je vous prie de bien vouloir me tenir au courant de l'évolution de la grève des cigariers, afin que je puisse, le cas échéant, agir dans les délais les plus rapides, sans perte de temps. Est-il vrai que les 300 cigariers de Bruxelles font également grève, comme le dit le citoyen Cohn ? Le Conseil n'en a pas été informé, et si cela était vrai, les Bruxellois auraient bien tort. En effet, comment pouvons-nous entreprendre quoi que ce soit si l'on ne nous informe pas ?

Depuis un certain temps, le Conseil n'a plus reçu les exemplaires du Werker. Le Conseil général doit recevoir deux exemplaires de chaque journal : le premier pour sa bibliothèque, où nous avons entrepris d'établir une collection complète de tous les journaux ouvriers, afin de faciliter la rédaction future de l'histoire du mouvement prolétarien de tous les pays ; le second pour le secrétaire du pays dans lequel paraît le journal. Il serait vraiment dommage que nous ne recevions plus le Werker que nous avons lu attentivement à chaque fois.

Les 150 livres sterling ont dû partir aujourd'hui. Si vous ne les avez pas reçues vingt-quatre heures après cette lettre, écrivez immédiatement au citoyen Cohn, dont vous avez l'adresse.

Je considérerai qu'il est de mon devoir de faire tout ce qu'il est possible pour les ouvriers d'Anvers que j'ai l'honneur de représenter au Conseil[37].

Les cigariers anversois prétendent qu'à l'époque ils ont envoyé 3 000 francs pour soutenir la grande grève des cigariers allemands[38]. La grève dure toujours à Anvers et Bruxelles, et si ce que l'on me dit de ces 3 000 francs est exact, il serait bougrement de votre devoir en Allemagne de payer votre dette. Je te prie de te renseigner à ce sujet, et lorsque tu auras appris quelque chose, tu feras bien d'écrire quelque chose à ce sujet dans le Volksstaat.

J'ai reçu normalement vos deux lettres du 1er mai et 1er août, dans lesquelles j'apprends que les cigariers d'Anvers n'étaient pas rattachés à l'Internationale, et ne le sont même pas aujourd'hui[39]. Je suis très étonné de ce qu'on ne m'en ait pas informé dès le début de la grève, car tout ce que nous avons fait pour eux ici ‑ et cela n'a pas été une petite chose puisque nous leur avons tout de même procuré quelque 15 000 francs ‑, nous l'avons fait dans la croyance que nous le faisions pour des membres de l'Internationale. Or, voilà que l'on nous apprend que non seulement ils n'étaient pas rattachés à l'Internationale, mais que même aujourd'hui ils ne se sont pas affiliés à elle, après tout ce que nous avons fait pour eux ! C'est tout de même un peu fort, et en ce qui me concerne j'ai décidé de ne plus rien faire pour des gens qui manquent à ce point de reconnaissance. Ces messieurs appellent-ils solidarité le fait qu'ils empochent l'argent des ouvriers d'Angleterre et d'ailleurs que leur procure l'Internationale et, après l'avoir empoché, n'adhèrent même pas à notre association pour démontrer par là qu'ils sont prêts à leur tour à agir solidairement avec les autres ?

Cela ne correspond pas à notre conception, et ce n'est pas le devoir de l'Internationale d'œuvrer pour des gens de cette sorte. Quiconque est disposé à recevoir le soutien de notre association doit être prêt aussi à contribuer pour sa part à ses charges, et le moins que vous puissiez faire pour le démontrer, c'est que vous adhériez à l'Internationale. Des gens qui demandent à cor et à cri de l'argent à l'Internationale, et refusent en même temps de reconnaître notre cause, méritent d'être exploités par les bourgeois, puisqu'ils rejettent le seul moyen de salut possible contre l'exploitation capitaliste : l'union et l'organisation des ouvriers de toute l'Europe.

Depuis que l'Internationale existe, il n'y a pas eu un seul cas du même genre : il demeurait réservé aux cigariers d'Anvers de mendier le secours de l'Internationale et, après l'avoir obtenu, de nous faire dire : merci, Messieurs, vous pouvez vous retirer, nous n'avons plus besoin de vous, la porte est là !

J'espère que je vous juge trop durement, et que vous vous serez affiliés avant ce jour ; mais si vous ne le faites pas immédiatement vous devrez reconnaître que votre comportement est d'une grande bassesse, et tant que je n'aurai pas reçu la nouvelle de votre affiliation, je m'opposerai à ce que l'on vous envoie encore un seul centime. Nous pouvons utiliser notre argent avec une utilité bien plus grande pour des hommes qui sont des nôtres.

Vous me demandez si les cigariers de Londres sont affiliés ? Mais oui, et cela va de soi, depuis la création de l'Internationale. Leur président ‑ le citoyen Cohn ‑les représente au Conseil général. J'ai discuté avec lui de la lettre qu'il doit écrire à votre demande aux Anversois pour leur affiliation. Je me demande cependant quel effet peut avoir une lettre là où 15 000 francs n'ont eu aucun résultat ?

Le Werker continue de nous arriver très irrégulièrement, et en un seul exemplaire seulement. Étant donné que très peu d'ouvriers comprennent le flamand ici, il sera difficile de vous trouver des abonnements en Angleterre ; j'ai cependant prié les membres du Conseil de faire la propagande pour votre journal.

  1. Cf. Marx à Siegfried Mayer et August Vogt, 9 avril 1870.
    Nous avons choisi ce texte de préférence à d'autres, non seulement parce qu'il permet de donner sur cette question la synthèse la plus complète et concise, mais encore parce qu'il élargit le problème de l'Irlande à l'Angleterre et jusqu'aux États-Unis. En effet, Marx informe Mayer et Vogt, socialistes allemands émigrés en Amérique, des grandes lignes de la politique de l'Internationale vis-à-vis des Irlandais telle qu'elle s'applique aussi dans la pratique américaine. Nous abordons du même coup l'activité de l'Internationale et du Conseil général de Marx-Engels aux États-Unis.
  2. Les problèmes nationaux sont, en général, des questions préalables de la lutte du prolétariat pour ses buts propres, le socialisme. En ce sens, ce sont des conditions objectives, mais elles n'en demeurent pas moins de simples prémisses, et non des objectifs prolétariens. Il en va de même pour les droits de réunion, de presse, d'association, dits démocratiques, qui sont des conquêtes de l'ère bourgeoise et en quelque sorte des prémisses à l'action autonome du prolétariat (certes, pas de manière absolue, puisqu'en plein régime bourgeois développé la classe capitaliste peut fort bien supprimer ces droits).
    Quoi qu'il en soit, il faut absolument faire la distinction entre conditions préalables de la lutte du prolétariat et objectifs propres de celle-ci, sous peine de brouiller la claire vision du programme de classe du prolétariat, donc aussi sa lutte.
  3. Marx a décrit ce processus sous le titre de « Clearing of estates, champs convertis en pâturages et pâturages convertis en réserves de chasse dans la haute Écosse », dans Le Capital, I, Éd. sociales, vol. III, p. 168-173.
  4. Dans la circulaire du 1er janvier 1870 du Conseil général au conseil fédéral de la Suisse romande, Marx donne la précision suivante sur ce point : « Cet antagonisme se reproduit au-delà de l'Atlantique. Les Irlandais, chassés de leur sol natal par des bœufs et des moutons, se retrouvent en Amérique du Nord où ils constituent une fraction formidable et toujours croissante de la population. Leur seule pensée, leur seule passion, c'est la haine de l'Angleterre. Le gouvernement anglais et le gouvernement américain (c'est-à-dire les classes qu'ils représentent) alimentent ces passions pour éterniser la lutte souterraine entre les États-Unis et l'Angleterre ; c'est ainsi qu'ils empêchent l'alliance sincère et sérieuse, par conséquent toute émancipation, des classes ouvrières des deux côtés de l'Atlantique.
    « De plus, l'Irlande est le seul prétexte du gouvernement anglais pour entretenir une grande armée permanente qui, en cas de besoin, comme cela s'est vu, est lancée sur les ouvriers anglais, après avoir fait ses études soldatesques en Irlande. » (Cf. Documents of the First International, vol. III, p. 359-360.)
  5. Du 1er mars au 17 avril 1870, La Marseillaise publia huit articles de Jenny Marx consacrés à la défense des Fenians.
  6. Résolution élaborée par Marx, adoptée le 30 octobre 1869 par le Conseil général, et publiée à Bruxelles le 12 décembre dans L'Internationale.
  7. Extrait du protocole de la séance du Conseil général du 14 mai 1872.
    « Le citoyen Hales y avait proposé : ‘Que, dans l'opinion du Conseil, la formation de branches irlandaises nationalistes, en Angleterre, est en opposition aux statuts généraux et aux principes de l'Association’. Et d'ajouter qu'il ne présente pas cette motion dans un esprit antagonique vis-à-vis des membres irlandais, mais estime que la politique qu'elle vise présenterait les plus graves périls pour l'Association, abstraction faite de ce quelle serait en opposition avec ses statuts et principes. En effet, le principe fondamental de l'Association est de détruire toute velléité de doctrine nationaliste, et de détruire toutes les barrières qui séparent un homme de l'autre : la formation de branches irlandaises ou anglaises quelconques ne pourrait que retarder le mouvement, au lieu de le servir. La formation de branches irlandaises en Angleterre ne pourrait qu'aviver cet antagonisme national qui a malencontreusement existé si longtemps entre les peuples de ces deux pays. » (Extrait du protocole de la même séance.)
    Il est évident que, sous une phraséologie internationaliste de caractère humanitaire, Hales ne tolérait que des sections anglaises en Angleterre, bref refusait aux Irlandais le droit à une existence au même titre que les Anglais.
  8. Adresse préparée par Marx en mai 1869.
    En ce qui concerne le défaitisme révolutionnaire de la classe ouvrière anglaise face aux tentatives du gouvernement britannique d'entraîner l'Angleterre dans une guerre contre les Nordistes, afin de bénéficier du coton sudiste qui alimentait la première industrie anglaise ainsi que la tentative de Napoléon III d'utiliser le tremplin du Mexique pour une intervention en faveur des esclavagistes du Sud, cf. Marx-Engels, La Guerre civile aux États-Unis, 10/18, Paris, 1970, p. 141-214.
  9. Marx a décrit la guerre de Crimée de 1854-1855 avec ses hécatombes humaines, comme la première guerre contre-révolutionnaire de la bourgeoisie moderne ; cf. Marx-Engels, Écrits militaires, p. 307-316.
  10. Cf. Engels, 13 février 1871.
    Cette lettre est un exemple significatif des relations entre le Conseil général et ce que l'on pourrait appeler les sections nationales. Le centre y donne des conseils en même temps qu'il incite à des activités de propagande et d'organisation en utilisant au maximum les capacités d'initiative locales. Il resserre ainsi la liaison internationale à tous les niveaux.
  11. Engels considère manifestement la propagande comme l'activité du parti à l'extérieur. Dès lors, c'est tout simplement l'autre face, l'application, dans des conditions données, de son programme et de ses principes. Rien n'est plus significatif que l’action de propagande des partis politiques. C'est là où se manifeste le plus souvent la coupure entre l'organisation et ses mandants ou les masses. Étant devenu une entité particulière, ayant sa propre vie et ses propres intérêts, le parti n'effectue plus dès lors la propagation des principes des masses dans leur intérêt, mais utilise les masses, par le moyen de sa propagande, pour ses intérêts particuliers. Dans La Dialectique du concret (Maspero, 1971 p. 49), Karel Kosik montre comment la propagande des partis officiels relève de la manipulation des masses, qui ne sont plus sujets actifs, mais objets passifs, et en fin de compte relève de la conception générale bourgeoise qui n'a d'yeux que pour la technique, c'est-à-dire de l'exploitation matérielle d'objets.
    Dans la conception marxiste, la propagande est l'intervention concentrée de toutes les forces mobilisables sur un point, considéré comme fondamental ‑ ce qui caractérise donc le parti ‑pour le devenir de la classe. Les sujets de propagande doivent donc exprimer non pas les caprices, la mode, mais les besoins vitaux et généraux de la classe. C'est alors que les masses se sensibilisent et interviennent, en prenant conscience du mouvement et de l'action historiques. La paix ou la guerre, avec l'alternative : pouvoir bourgeois ou prolétarien, faute de quoi on abandonne le point de vue de classe, est l'un de ces moments critiques qui mettent en jeu le sort des masses pour des décennies.
  12. La National Labor Union des États-Unis fut fondée en août 1866 au Congrès de Baltimore. Le dirigeant ouvrier bien connu William H. Sylvis y prit une part très active. Bientôt la Ligue entra en contact avec l'Internationale. Elle joua un rôle important dans la lutte pour une politique autonome des organisations ouvrières aux États-Unis, pour la solidarité entre travailleurs de couleur et travailleurs blancs, pour la journée de huit heures et pour les droits des ouvrières. Un délégué de la Labor Union, Cameron, participa en 1869 aux dernières séances du Congrès de Bâle. En août 1870, le Congrès de Cincinnati adopta une résolution selon laquelle, la Labor Union « adhérait aux principes de l'Association internationale des travailleurs, et espérait s'affilier directement dans un délai rapproché ». Cette résolution ne fut pas appliquée, les éléments petits-bourgeois ayant fini par prendre la direction de l'organisation. Celle-ci se préoccupa alors de plans utopiques, par exemple une réforme monétaire tendant à éliminer le système bancaire et à accorder un crédit bon marché par l'intermédiaire de l'État. On adopta une résolution selon laquelle la Labor Union cessa pratiquement d'exister en 1872.
  13. Manifeste rédigé par Engels à la demande du Conseil général, séance du 20 décembre 1870 Seuls les trois premiers paragraphes furent publiés dans L'Internationale du 1er janvier 1871, les trois autres étant confidentiels.
    Dans ce texte, L'Internationale prend position vis-à-vis de la guerre franco-prussienne de 1870
  14. Cf. Marx-Engels, Écrits militaires, p. 514-523 et 566-582.
  15. Cf. Communication de Marx à la Pall Mall Gazette, 15 septembre 1870.
    Pour bien marquer la solidarité de l'Internationale, sur le plan des principes énoncés et de l'organisation réelle, et non formelle, Marx appelle, comme on le voit, le parti social-démocrate allemand section de l'Internationale.
    Marx avait rédigé lui-même le manifeste auquel il fait allusion ici : cf. Marx-Engels, Écrits militaires, p. 517-523.
  16. Cf. Engels à Nathalie Liebknecht, 19 décembre 1870.
  17. Engels fait allusion au vote des crédits de guerre : le 28 décembre 1870, sous la pression des membres de leurs propres troupes, Schweitzer, Fritzsche, le Dr Ewald, Hasenclever et Schraps se joignirent à Bebel et Liebknecht ‑ qui avaient voté seuls contre les crédits le 20 ‑ dans le second vote sur les crédits nécessaires à la poursuite de la guerre.
    L'attitude courageuse de Bebel et Liebknecht entraîna de la sorte derrière eux de larges secteurs de la classe ouvrière et même certains éléments de la bourgeoisie.
  18. C'est de manière toute objective, par l'évolution du champ de forces physiques de la société, ainsi que par la lutte réelle du prolétariat, qu'un mouvement localement déterminé prend la tête du mouvement ouvrier d'une certaine époque. C'est dans la lutte contre sa propre bourgeoisie que le prolétariat allemand a fait la preuve de sa supériorité. Du même coup, c'était le socialisme marxiste qui triomphait au niveau international. C'est en ce sens qu'Engels pouvait écrire, pour le Volksstaat du 20 juin 1874, dans un article intitulé « Le Programme des réfugiés blanquistes de la Commune » : « Les ouvriers socialistes allemands, qui ont démontré qu'ils étaient totalement affranchis de tout chauvinisme national, peuvent considérer comme un symptôme de bon augure le fait que des ouvriers français adoptent des principes théoriques justes, bien qu'ils viennent d'Allemagne. »
    L'événement qui a confirmé le déplacement temporaire du centre de gravité du mouvement international vers l'Allemagne – l’attitude du parti allemand dans la guerre de sa bourgeoisie ‑ a été celui-là même qui, en 1914, a été l'épreuve suprême pour la social-démocratie allemande, et où, hélas, elle s'est complètement effondrée. L'histoire est plus obstinée que les découvreurs de nouveautés à tous les tournants : les grandes tâches vers lesquelles tendent les efforts des masses prolétariennes restent posées durant des décennies entières, pour un cycle historique entier.
  19. Cf. Engels à Wilhelm Liebknecht, 24 mai 1871.
  20. Extrait du discours de Bebel au Reichstag, 5 mai 1871.
  21. Bebel poursuit en dénonçant avec force l'annexion de l'Alsace-Lorraine et la politique impérialiste de la Prusse en général.
    La Commune de Paris est considérée sous l'angle de l'Internationale et de l'activité de Marx-Engels dans l'ouvrage déjà cité sur La Commune de 1871, 10/18. Nous y renvoyons le lecteur.
  22. Ce panorama général sur la Commune a été dressé par Marx dans une interview à un journaliste américain, cf. Woodhull & Claflin's Weekly. Nous donnons les questions du journaliste en résumé, évitant ainsi ses commentaires vaniteux à l'adresse des lecteurs de son journal.
  23. Les membres suivants des sections parisiennes de l'Internationale faisaient partie de la Commune : Assi, Avrial, Beslay, Chalain, Clémence, Lefrançais Malon, Pindy, Theisz, Vaillant, Varlin, Amouroux et Géresme (un doute subsiste cependant pour un certain nombre d'entre eux, reposant sur des témoignages pas toujours probants). D'autres membres, inscrits plus tard à l'Internationale ou venant d'autres sections, ont fait partie de la Commune : Jacques Durand, Johannard, Longuet, Eugène Pottier, Babick, Chardon, Léo Meillet, Regère, Vésinier, Serraillier (délégué de Marx à Paris et élu le 16 avril)
  24. Marx réfute l'idée d'une initiative (de la franc-maçonnerie en tant que telle dans la Commune mais souligne la participation individuelle de francs-maçons. À propos de cette action, cf. l'ouvrage de LISSAGARAY, Histoire de la Commune de 1871, chap. XIX (fac-similé aux éditions Maspero).
  25. La première règle d'une organisation révolutionnaire ‑ et elle exige une position générale extrêmement claire des principes et de l’action ‑, c'est qu'elle n'entreprenne jamais rien qui puisse entraver le mouvement spontané de la révolution ou des masses vers la révolution.
  26. Après le Congrès de La Haye, Marx tiendra un discours célèbre sur les possibilités de passage pacifique au socialisme dans des conditions bien précises et des pays bien déterminés, pour une période donnée : cf. La Liberté, 15 septembre 1872.
    Toutes ces prémisses d'un passage pacifique ont cessé d'exister de nos jours : « Cette violence est nécessitée surtout, comme Marx et Engels l'ont expliqué maintes fois et de la façon la plus explicite (notamment dans La Guerre civile en France et dans la Préface de cet ouvrage), par l'existence du militarisme et de la bureaucratie. Or, ce sont justement ces institutions, justement en Angleterre et en Amérique, qui, justement, dans les années 70 du XIXe siècle, époque à laquelle Marx fit sa remarque, n'existaient pas. Maintenant elles existent, et en Angleterre et en Amérique. » (LÉNINE, « La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky » (1918), Œuvres, t. XXVIII, p. 247.)
  27. Comme Marx-Engels l'ont répété à satiété, le parti ne suscite pas la lutte de classes qui est un phénomène naturel dans les conditions économiques et sociales actuelles : le parti la dirige dans la mesure de ses forces et de ses moyens.
  28. Par exemple, le dossier de la police française sur Marx contient les faits les plus fantaisistes. Cf. Helmut HIRSCH, « Marx in den Augen der Pariser Polizei », Denker und Kämpfer, Europäische Verlagsanstalt, 1955.
  29. Le gouvernement bonapartiste avait fait l'amalgame de deux procès différents pour des raisons électorales évidentes, comme le fait remarquer Marx. Au reste, après le plébiscite, le gouvernement le reconnut pratiquement lui-même. Il s'agit d'abord de ce que l'on appelle le « troisième procès » de l'Internationale, intenté pour délit de « société secrète ». À ce propos, Marx fit adopter la résolution classique par le Conseil général de l'A. I. T. : « S'il y a conspiration de la part de la classe ouvrière, qui forme la grande masse des nations, crée toutes les richesses, et au nom de laquelle tout pouvoir, même usurpateur, prétend régner, c'est en public, comme le soleil contre les ténèbres avec la pleine conscience qu'en dehors de son champ d'activité il n'est aucun pouvoir légitime. » (Londres, 4-3-1870 publié dans La Marseillaise de Rochefort, 7-5-1870) 37 membres des sections parisiennes, parmi lesquels Varlin, Malon, Johannard, Pindy, Combault Avrial, Franquin, Assi Langevin, Theisz, Landeck, Chalain, Duval et Léo Frankel, furent poursuivis. L'autre procès, jugé à Blois et dit « du complot», était dirigé plus particulièrement contre des blanquistes ayant préparé « un attentat contre la sûreté de l'État et contre la vie de l'Empereur » ; parmi eux figuraient Ferré, Gromier, les frères Villeneuve, Sapia, Dereure et Mégy. Ces deux derniers étant membres de l'Internationale, on fit l'amalgame des deux procès.
  30. Marx lui-même indique ici une limite à la conquête pacifique du pouvoir politique : lorsque cette menace devient sérieuse et touche la bourgeoisie dans ses intérêts vitaux, celle-ci contraindra le prolétariat à se battre pour instaurer le socialisme, même dans les pays qui n'avaient guère d'armée, de bureaucratie, de police. Avec l'élargissement du droit de vote aux masses, de deux choses l'une : ou bien ce droit devient de plus en plus artificiel, ou bien, s'il devient réel, la bourgeoisie doit instaurer en même temps des forces en d'autres points pour compenser l'avantage accordé à son adversaire. L'expérience historique a démontré que les deux moyens allaient de pair, si l'on peut dire.
  31. Cf. Marx à Friedrich Bolte, 25 août 1871. Quels que soient ses moyens matériels, le parti du prolétariat ne peut pas ne pas venir en aide aux victimes politiques des forces de répression bourgeoises. Ne disposant pas des ressources de l'État, il doit faire appel aux moyens limités individuellement, mais plus considérables collectivement, de tous les ouvriers.
  32. Dans sa lettre du 7 août 1871, Bolte avait demandé spontanément « si le Conseil général ne devait pas mettre toutes les sections en demeure de soutenir de toutes leurs forces les Communards en détresse ».
  33. Bismarck avait sévi en Allemagne contre les éléments qui s'étaient opposés à sa politique d'annexion en France, notamment le comité social-démocrate de Brunswick. Cf. Marx-Engels, La Commune de 1871, Paris, 10/18, p. 101-105.
  34. La correspondance antérieure a été perdue.
  35. Cf. Engels à Philippe Coenen, 5 avril 1871.
    La liaison entre parti et syndicat forme une sphère d'activité fondamentale ; elle est abordée dans Marx-Engels, Le Syndicalisme (notamment dans le volume I, p. 57-170, à propos de l'activité syndicale de Marx-Engels au sein de la 1re Internationale). Nous ne l'évoquons ici que pour mémoire. Cette activité syndicale représente, mieux que la propagande et le prosélytisme, le moyen efficace pour évoluer sur le terrain solide de la lutte de classe du prolétariat. C'est le moyen le plus sûr de réaliser la jonction nécessaire avec la classe ouvrière, en opposition à la bourgeoisie et autres couches sociales.
    C'est en plein paroxysme de la lutte pour la Commune, notons-le, que le Conseil général de l'A. I. T. et Marx-Engels trouvèrent nécessaire de consacrer leurs quelques forces à cette question qui va bien au-delà du beefsteak.
  36. La suite du courrier montrera que les Anversois n'étaient pas ‑ hélas ‑ membres de l'A. I. T.
  37. Dans sa lettre à Liebknecht, Engels écrivait : « Cette grève est précisément de la plus haute importance pour l'Internationale en Belgique... Si les cigariers allemands avaient les moyens d'avancer des fonds aux Anversois, il faudrait s'en occuper. Le manifeste d'Elberfeld est arrivé hier au Conseil général, et a été aussitôt retransmis. Je l'ai lu. » Le 26 mars 1871, les membres de l'Association générale des ouvriers allemands d'Elberfeld avaient adopté une adresse en faveur de la Commune de Paris. Elle fut aussitôt envoyée à Paris, mais craignant que l'exemplaire ne soit intercepté par la police, ils décidèrent d'en envoyer un second au Conseil général, afin que celui-ci le transmette aux représentants de la Commune. En ce qui concerne le mouvement de solidarité des ouvriers allemands, par-delà le front militaire, pour le mouvement ouvrier français en général et la Commune en particulier, cf. Die I. Internationale in Deutschland (1864‑1872). Dokumente und Materialien, Dietz Verlag, 1964.
  38. Cf. Engels à Wilhelm Liebknecht, 4 mai 1871.
  39. Cf. Engels à Philippe Coenen, 4 août 1871.
    Dans cette lettre, Engels évoque la question de la conquête des ouvriers par le parti ou, en l'occurrence, l'Internationale.