Interventionnisme

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Tout État capitaliste moderne est interventionniste à un degré ou un autre.

L'interventionnisme est une politique préconisant l'intervention de l'État dans l'économie d'un pays. C'est la politique opposée au « laissez-faire », qui compte sur les mécanismes de marché (en particulier la loi de l'offre et de la demande).

Le terme de dirigisme est proche d'interventionnisme, avec une connotation plus forte.

1 Tendances générales[modifier | modifier le wikicode]

Tout État capitaliste réel est en partie interventionniste. Le laissez-faire pur serait en théorie la situation d'un État réduit à ses fonctions régaliennes (armée, police, justice). Mais un tel État ne peut pas fonctionner normalement, car la société serait trop instable :

Historiquement, l'État était relativement peu « étendu » au début du 19e siècle, lors de la Révolution industrielle naissante. L'exploitation capitaliste tendait à être particulièrement brutale, et « l'intervention » de l'État était davantage pour empêcher les ouvrier·ères de « fausser le marché » en se coalisant (interdiction des grèves et des syndicats...). Puis, sous l'effet des revendications sociales, l'interventionnisme a augmenté : interdiction d'embaucher des enfants, limitation du travail de nuit, réduction du temps de travail, droit du travail... Il est à noter qu'une des raisons qui a conduit le gouvernement anglais à poser des limites à l'exploitation patronale était que la santé publique de la classe ouvrière, donc d'une bonne partie de la population, était catastrophique (population de moindre taille, rachitique, espérance de vie très courte...), ce qui devenait menaçant pour l'ensemble du pays (par exemple en cas de guerre).

En temps de guerres (et de reconstruction), les États s'engagent toujours plus fortement dans l’activité économique avec la production d'armes et la mise en place d'une économie de guerre. C'est pourquoi par exemple on a pu parler de « capitalisme d'État » au sujet des économies mises en place pendant la Première guerre mondiale. Plus généralement, les marxistes à la suite de Lénine ont pour la plupart théorisé que le capitalisme était entré dans un « stade impérialiste » dans lequel l'interventionnisme est qualitativement plus élevé (grands trusts liés à l'État, protectionnisme...).

L'arrivée au pouvoir de certains partis socialistes s'est souvent accompagné d'un interventionnisme momentané. C'est cependant à nuancer pour plusieurs raisons :

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'intervention de l’État dans l'économie a augmenté sensiblement, avec la mise en place dans beaucoup de pays, à des degrés divers, d'un État-providence, c'est-à-dire un État assurant une grande quantité de droits sociaux à ses citoyens (protection sociale contre la maladie, le chômage, retraites...). Cela implique un haut niveau d'interventionnisme, que ce soit sous forme de mise en place de services publics ou d'impôts pour les financer. Ce changement est dû à deux facteurs : un rapport de force élevé du mouvement ouvrier, et des taux de profits élevés suite à la guerre.

Suite au tournant néolibéral des années 1980, les gouvernements ont commencé à vouloir réduire l'interventionnisme (privatisations, libéralisations, austérité budgétaire, coupes dans les services publics...).

2 Origines[modifier | modifier le wikicode]

Le capital marchand a commencé à prendre un essor important au 16e siècle, à une époque où l'Europe était dominée par quelques États absolutistes qui ont cherché activement à intervenir pour que leurs marchands rapportent le plus possible de richesses au pays (une pratique qui a été appelée le mercantilisme).

Au 18e siècle, l'école des physiocrates se développe, et avec elle les prémisses du libéralisme économique. C'est à ce moment-là que la formule « laissez-faire » fait son apparition pour appeler à la non intervention de l'État dans l'économie. Elle est alors non seulement dirigée contre le mercantilisme, mais aussi contre les nombreuses réglementations traditionnelles de l'Ancien régime qui limitaient de fait la libre entreprise : l'interdiction faite aux nobles et au clergé régulier de s'adonner aux activités productrices marchandes, les monopoles accordés à des corporations, des compagnies marchandes, des villes portuaires...

Le terme de dirigisme apparaît après les années 1930.

3 Idéologies politiques[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Libéralisme économique[modifier | modifier le wikicode]

Les théoriciens du libéralisme économique, depuis l'école classique (Smith, Ricardo...), ont tendu à justifier que les mécanismes de marché sont efficaces pour générer de la croissance, et « donc » maximiser le bien-être global.

Ils défendaient et justifiaient la tendance à la libéralisation qu'avaient connus les pays d'Europe suite aux révolutions et réformes bourgeoises, en particulier face au conservatisme des propriétaires fonciers et des gouvernements encore largement à leur service. Ils n'étaient cependant pas « ultra-libéraux » au sens moderne, admettant tout à fait de l'interventionnisme, notamment pour venir en aide aux ouvrier·ères. Ils se rapprocheraient plutôt aujourd'hui d'une forme de « social-libéralisme ». Les libéraux admettent généralement que l'État doit non seulement assurer les fonctions régaliennes (indispensables pour que le marché lui-même puisse exister), mais aussi un certain nombre d'investissements non rentables pour le privé (routes, éclairage public...).

Les économistes libéraux ont par la suite défendu plus ou moins fortement les mécanismes de marché en fonction des contextes, face aux critiques et aux poussées plus ou moins fortes d'interventionnisme. En France au début du 19e siècle, ils était particulièrement hostiles à l'idée d'intervenir contre la misère ouvrière. Pour Bastiat, c'est est un mal nécessaire : « Elle offre un salutaire spectacle à toute la partie demeurée saine des classes les moins heureuses ; elle est faite pour les remplir d’un salutaire effroi ; elle les exhorte aux vertus difficiles dont elles ont besoin pour arriver à une condition meilleure. »[1]

L'étendue des infrastructures qu'il est « acceptable » de confier à l'État (transports, énergie, télécommunications...) a par exemple fait l'objet de nombreux débats. Les libéraux s'efforcent en général de démontrer que la privatisation des monopoles publics apporte plus d'efficacité et est bonne pour les consommateur·ices.

Généralement, l'aide à l'investissement ou à la création d'entreprises sont des formes d'interventionnisme que les libéraux ne critiquent pas.

Même si les économistes les plus libéraux ont une audience importante, surtout depuis les années 1980, les politiques qui sont appliquées concrètement sont souvent bien plus pragmatiques que les constructions puristes reposant sur le mythe de la « concurrence libre et non faussée ». Les politiciens sont obligés notamment d'intégrer la pression sociale qui vient des exploités, ainsi que de divers lobbies (grandes entreprises tirant la couverture à elles, professions réglementées, associations et personnalités suffisamment médiatiques pour peser sur des élections...). Les capitalistes savent également que l'État est le garant de leurs intérêts de long terme, et qu'ils doivent consentir à certaines dépenses qu'ils ne voudraient pas faire eux-mêmes (recherche publique...).

3.2 Nationalisme[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Nationalisme.

Les États peuvent être poussés à intervenir sur le marché au nom du nationalisme. C'est le cas par exemple en cas de soutien aux « champions nationaux », à des investissements dans l'armement, à la limitation de la concurrence dans des secteurs jugés « stratégiques », etc.

Les États impérialistes les plus puissants, ayant davantage d'intérêts à contrôler, tendent généralement à vouloir davantage de contrôle. Par exemple, ils veulent contrôler un minimum le fonctionnement d'internet (localisation de certains serveurs, maîtrise logicielle...) pour prévenir l'espionnage. Certaines nationalisations peuvent être faites uniquement dans cet objectif, sans lien avec une motivation socialiste.

Il est souvent arrivé que des leaders dans les pays dominés aient recours à des mesures interventionnistes, pour assurer un développement plus indépendant des impérialistes. Dans ces conditions, la bourgeoisie nationale (développementiste) a souvent dû s'appuyer davantage sur le mouvement ouvrier et paysan (bonapartisme sui generis), face à la bourgeoisie comprador défendant le libre-échange.

C'est ainsi que les économistes parlent de dirigisme à propos de la Corée du Sud par exemple,[2] et plus largement en Asie.[3]

3.3 Charité chrétienne[modifier | modifier le wikicode]

Le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, politicien catholique, était favorable à l’intervention des gouvernements qui sont les « ministres visibles de la Sainte-Providence ». Dès lors le principe de leur intervention lui paraît « également réclamé par la religion et la politique ». Mais cette intervention doit se limiter à une organisation « officielle et publique » de la charité.[4]

3.4 Keynésianisme[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Doctrine keynésienne.

La doctrine de Keynes est la justification la plus connue de l'interventionnisme. Elle est apparue dans le contexte de la Grande dépression des années 1930. Le capitalisme livré à lui-même semblait incapable de sortir du marasme, avec en particulier un taux de chômage massif. L'économiste anglais Keynes a alors soutenu qu'il était nécessaire que l'État intervienne davantage, en théorisant que sous certaines conditions, les investissements publics (financés par un prélèvement X sur les profits du privé) peuvent par effet boule de neige entraîner des investissements privés qui engendrent une augmentation de la richesse, supérieure à X (multiplicateur keynésien).

C'est donc une doctrine non pas « anticapitaliste », mais qui entend réguler différemment le capitalisme.

L'intervention publique peut prendre différent canaux: l'augmentation des dépenses publiques, ainsi que la politique budgétaire, monétaire et fiscale.

3.5 Aspects sanitaires et écologiques[modifier | modifier le wikicode]

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L'industrialisation capitaliste se fait généralement au prix de grands dégâts humains et environnementaux : pollution de l'air, des eaux, des sols, déforestation, surpêche, destruction de la biodiversité... A chaque fois, démonstration a été faite que l'intervention de l'État a été nécessaire (pour interdire certaines pratiques, imposer certaines mesures de prévention...).

Cela a suscité des théorisations sur les « externalités ». Une externalité négative est une conséquence d'une activité que son auteur n'a pas à payer. Par exemple, les entreprises de transport routier n'ont pas à payer les conséquences des surcoûts liés au bruit, à leur contribution plus forte au réchauffement climatique, etc. Cela les rend souvent plus rentables que des entreprises passant par le fret ferroviaire, alors que ce ne serait pas le cas si le prix intégrait ces coûts. Ce type d'analyse permet de comprendre pourquoi il n'y a pas de raison que le marché aboutisse spontanément à ce qui est optimal pour la santé publique ou l'environnement.

En prenant en compte les externalités, la forte croissance du routier et de l'aérien au détriment du rail n'a pas de rationalité économique.

Le problème du dérèglement climatique est actuellement le principal problème écologique à l'échelle globale, et celui que le capitalisme ne semble pas près de résoudre. Les niveaux d'interventionnisme sont déjà relativement importants sur le sujet (d'un point de vue libéral), mais cela ne suffit toujours pas. Sur ce sujet des affrontements idéologiques ont lieu entre :

  • tenants de mesures pour visant « l'auto-régulation » du marché à l'aide de « signaux-prix » qui font défaut (instauration de marchés du carbone, monétisation des services écosystémiques...) ; ces mesures visent une « obligation de résultat » plutôt qu'une « obligation de moyens » (en postulant que les mécanismes de marché suffisent à donner des résultats notables, ce qui n'est pas le cas) ; c'est en général l'approche qui prévaut dans les institutions nationales et internationales de la bourgeoisie ;
  • tenants de mesures plus contraignantes (bonus / malus plus fléchés, interdictions / obligations...) ; c'est en général la ligne de la gauche réformiste ;
  • tenants de la socialisation de l'économie afin de mettre fin aux divers gaspillages de la concurrence pour le profit, engager tous les investissements nécessaires et créer les meilleures conditions d'une transition énergétique rapide.

3.6 Communisme[modifier | modifier le wikicode]

Le communisme (au sens marxiste) ne se place pas en tant que tel dans le champ du débat interventionnisme vs laissez-faire, puisqu'il vise à établir une société qui ne soit plus basée sur les mécanismes de marché (sauf à petite dose, dans la période de transition). Le communisme vise à agir de façon beaucoup plus radicale, dans le sens d'agir à la racine des problèmes et non de tenter de les corriger a posteriori :

  • ne plus chercher à « inciter » les patrons à embaucher plus, alors que des millions subissent le chômage, mais supprimer les grands patrons pour abolir les licenciements et la précarité, et embaucher massivement en répartissant le travail ;
  • ne plus chercher à « dissuader » les investissements ou activités générant le plus de pollution, mais prendre le contrôle public des investissements en socialisant l'économie, pour stopper en amont les productions les plus polluantes.

Il faut noter cependant que pour la plupart des communistes (et des socialistes au sens originel), toute l'économie ne peut être socialisée d'un seul coup. Cela signifie que l'État socialiste encadrerait de fait une part plus ou moins grande de l'économie laissée au marché, et ce marché serait bien évidemment un marché régulé. Des réflexions ont donc porté sur le type de régulation idéale. Kautsky soulignait par exemple que les interdictions étaient plus efficaces que les obligations, car une activité économique menée sous le coup d'une obligation est faite à reculons et donc a une productivité nettement plus faible.[5]

4 Comparaisons[modifier | modifier le wikicode]

Le niveau d'interventionnisme économique d'un État peut se refléter dans le niveau de dépenses publiques (en % du PIB) et la quantité de régulations économiques qu'il a mis en place.

5 Sociétés précapitalistes[modifier | modifier le wikicode]

L'empereur Han Wudi abandonne la politique de laissez-faire de son prédécesseur.

Discuter du degré d'interventionnisme n'a du sens qu'en rapport avec l'existence d'un marché. C'est pourquoi cette question est devenue centrale sous le mode de production capitaliste, qui est un mode de production marchand.

La place du marché était beaucoup moins importante dans les sociétés précapitalistes. Mais elle a parfois été suffisante pour que certains gouvernements et penseurs abordent la question de l'interventionnisme. La différence majeure avec la situation contemporaine, c'est que les décisions prises n'étaient pas forcément dans l'intérêt des marchands, qui ne faisaient pas partie de la classe dominante.

Les premières discussions connues sur le rôle de l'État en matière de politique économique ont fait en Chine l'objet d'un débat retracé dans la Dispute sur le sel et le fer, un recueil de textes de 81 av. J.-C. débattant des mesures instaurées par l'empereur Wu. Les débats portent sur l'opportunité du monopole d'État, les impôts et les dépenses publiques et les systèmes de stabilisation des prix.

En France, une forme d'interventionnisme se retrouve dans le colbertisme. Cette doctrine mercantiliste correspond à une politique protectionniste et volontariste.[6] L'État restreint les importations, octroie des subsides à l’exportation, contraint les commerçants à utiliser des navires français et prône l’exploitation économique des colonies. Il encourage aussi la création de compagnies commerciales et l’extension des corporations. Il contribue notamment à la création des grandes manufactures détenues par l’État (les Gobelins, les manufactures d’armes…) qui doivent produire de nouvelles richesses afin d’éviter les importations.

La question du degré d'interventionnisme a été très vive pendant la Révolution française. Si les premières mesures ont d'abord consisté à établir un niveau de « laissez-faire » sans précédant (un marché intérieur sans barrières douanières, sans corporations ni métiers liés à des privilèges...), la situation de crise sociale a vite posé la question de l'interventionnisme. La plupart des bourgeois libéraux, modérés, ne voulaient pas en entendre parler. C'était aussi eux qui menaçaient d'échec la révolution en refusant de prendre des mesures fortes pour gagner la guerre civile et internationale. Dans ces conditions, les Montagnards se sont appuyés sur la population sans-culotte pour avoir un rapport de force suffisant, et en échange, ont dû mettre en place des mesures interventionnistes (loi du maximum...). La radicalité de la révolution française a eu un impact fort sur le républicanisme et plus généralement sur la sphère idéologique en France. L'interventionnisme y est probablement moins inconcevable que dans les pays anglo-saxons en partie pour cette raison.

6 Planification indicative[modifier | modifier le wikicode]

Il est courant d'opposer les concepts de planification impérative (le plan « trop rigide » des communistes) et planification indicative (le plan « souple » qui préserve l'initiative privée). La planification indicative dans une économie capitaliste n'est pas réellement de la planification, mais un degré d'interventionnisme plus élevé. Si les capitalistes détiennent les grandes entreprises, ils ne feront que ce qui est profitable pour eux.

6.1 France[modifier | modifier le wikicode]

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le capitalisme français est reconstruit sous la double direction des gaullistes et des communistes staliniens, qui se contentent de peser pour obtenir des réformes sociales importantes et un fort interventionnisme d'État.

Un Commissariat général du Plan est mis en place, avec une haute fonction publique avec des grands corps d'État impliqués dans les choix techniques et économiques. Une politique que certains ont qualifié de « néo-dirigisme technocratique ».[7]

🔍 Voir sur Wikipédia : Planification en France et Indicative planning.

7 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

7.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Ludwig von Mises, Interventionnisme, 1940
  • L'intervention publique dans la sphère économique, Pierre de Bandt, Muriel Vanderhelst, éditions Larcier, 2013, (ISBN 2804449343)
  • L'interventionnisme économique, F. Dreyfus, PUF, 1971
  1. Frédéric Bastiat, Les harmonies économiques, 1850
  2. Iain Pirie, The Korean Developmental State: From dirigisme to neo-liberalism, Routledge, 12 septembre 2007
  3. Hun Joo Park, Triumph and Crisis of Dirigisme: Regimes and the Politics of Small Business Finance, University of California, Berkeley, 1997
  4. Alban de Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne ou Recherches sur la nature et les causes du paupérisme en France et à l’étranger et sur les moyens de le soulager et de le prévenir, 1834
  5. Karl Kautsky, The Labour Revolution, V. The economic scheme, June 1922
  6. André Piettre, Économie dirigée d'hier et d'aujourd'hui: colbertisme et dirigisme, Librairie de Médicis, 1947
  7. Louis Daujarques, Le Néo-dirigisme technocratique, Permanences, 1968