Doctrine keynésienne

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Les doctrines économiques keynésiennes sont issues de l'économiste britannique John Maynard Keynes, qui fut très influent dans l'après-guerre. Il s'agit d'une politique économique interventionniste censée profiter à la fois au capital et aux travailleur·ses, ce qui fait qu'elle est souvent la base qui sous-tend les programmes des réformistes.

Dans le cadre des crises économiques, les politiques de relance sont généralement inspirées du keynésianisme.

On parle aussi de politique de la demande, par opposition à la politique de l'offre.

1 Caractéristiques et principes généraux[modifier | modifier le wikicode]

Les politiques keynésiennes ont plusieurs écoles avec leurs variantes. Néanmoins, elles ont des caractéristiques générales que l'on retrouve et que l'on peut résumer :

Le keynésianisme part d'abord d'un constat : le marché capitaliste livré à lui-même est insuffisant, il conduit à des déséquilibres économiques et sociaux, et il nécessite une intervention régulatrice de l’État. En particulier, la défaillance est perçue comme étant fondamentalement au niveau de la demande insuffisante. C'est pourquoi les économistes d'inspiration keynésienne parlent souvent de sous-consommation. Les "solutions" keynésiennes passeraient donc par la redistribution de richesses vers les masses appauvries de consommateurs, afin que la demande augmente, que les capitalistes puissent écouler leurs marchandises, donc fassent des profits, donc soient incités à investir, etc... Un cercle vertueux se mettrait alors en route. C'est "l'effet multiplicateur".

Le "keynésianisme" est un corpus disparate, qui se veut pragmatique. Keynes avait peu d'intérêt pour les questions théoriques, et notamment il n'a pas de théorie de la valeur achevée. Ce qui fait que le courant de pensée qu'il a inspiré n'est pas un tout cohérent, et laisse ouvertes des possibilités de le prolonger par la droite (tentatives de synthèses avec le néo-classicisme) ou par la gauche (tentatives de synthèses avec le marxisme).

2 Critique marxiste[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Centralité de la production[modifier | modifier le wikicode]

Le point de départ de la théorie keynésienne est qu'il y a une part des marchandises produites qui ne sont pas vendues. L'augmentation des salaires implique qu'a priori, une part de ces marchandises sera vendue, mais ne garantit pas qu'il y ait augmentation de la production de ces marchandises. Or sans augmentation de la production, l'effet prédit sur l'investissement, la croissance et l'emploi n'arrive pas.

L'erreur théorique fondamentale du keynésianisme, c'est de penser que le capitalisme produit pour vendre. S'il en était ainsi, son analyse aurait un minimum de logique. Mais les capitalistes produisent avant tout pour le profit. Cela a une conséquence fondamentale : les choix d'investissements ne sont pas faits en fonction de la demande (même solvable), mais en fonction du taux de profit que l'on peut attendre de telle ou telle branche d'industrie. Bien sûr, la demande solvable est une condition nécessaire, mais les capitalistes peuvent tout à fait négliger des secteurs qui sont profitables, mais pas assez. Pour étudier la dynamique de l'accumulation (croissance, ralentissement...), Marx a montré qu'il fallait étudier le taux de profit. Ainsi, si dans les années 1930 ou dans la période actuelle il y a un fort ralentissement économique, ce n'est pas fondamentalement parce que la consommation est trop faible, mais parce que le taux de profit de "l'économie réelle" est trop faible. En revanche, les capitalistes favorisent depuis des décennies la financiarisation, dans laquelle ils peuvent atteindre une rentabilité record.

Différents auteurs ont critiqué le multiplicateur keynésien, et Guglielmo Carchedi lui oppose même un multiplicateur marxiste.[1] Il est important aussi de confronter la théorie aux faits : des auteurs ont montré que la causalité n'est pas dans le sens décrit par les keynésiens, ce sont les profits qui génèrent l'investissement, et pas l'inverse.[2][3]

2.2 Marxo-keynésiens[modifier | modifier le wikicode]

Néanmoins, tous les marxistes ne sont pas d'accord sur la critique ou la façon de critiquer les thèses sous-consommationistes. Certains se revendiquent explicitement d'une synthèse « marxo-keynésnienne » comme Michal Kalecki et Joan Robinson.

D'autres, sans utiliser ce terme, accordent une place importance à la question de la réalisation de la survaleur, comme les marxo-keynésiens. Par exemple, certains marxistes comme Ernest Mandel se revendiquent d'une « analyse multicausale », mettant sur le même plan la question de la baisse tendancielle des taux de profit, et celle de la crise de réalisation.

3 Histoire et idéologie[modifier | modifier le wikicode]

L'influence de Keynes et les utilisations de sa doctrine ont varié au cours de l'histoire, servant les besoins idéologiques de la classe dominante.

3.1 Avant Keynes[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la bourgeoisie était une classe en plein essor, luttant contre l'ordre ancien, le développement de la science économique était une de ses armes rationalistes. Les grands pionniers comme Smith, Petty ou Ricardo élaborent alors sur la valeur travail, la puissance du marché face à l'arbitraire féodal...

Puis, le capitalisme naissant est rapidement mis en question, en théorie et en pratique, par le mouvement ouvrier et par ses crises. Ces contradictions ouvrent des brèches pour de nouvelles théories économiques. Le marxisme naît dans ce contexte, et en face, l'économie dominante tente de nouvelles théorisations avec diverses écoles bourgeoises post-ricardiennes.

Vers la fin du 19e siècle, les anciennes classes possédantes sont quasiment partout matées ou assimilées par la bourgeoisie, qui n'a désormais plus qu'un seul adversaire : la jeune classe travailleuse et le mouvement socialiste qui y prospère. L'école néo-classique se constitue alors dans un but simple : faire l'apologie du système capitaliste. Sur le plan scientifique, c'est un déclin très net. La théorie de la valeur-travail est remplacée d'abord par « l'économie vulgaire » (éclectique), puis par l'école marginaliste ou par des écoles mixtes, faisant la synthèse de l'éclectisme et du marginalisme. La macro-économie qui est échafaudée est une simple extension de la micro-économie : l'équilibre général du système est proclamé sur la base d'équilibres simples (loi de l'offre et de la demande...).

Au sein de l'école de Cambridge, où va émerger Keynes, cette doxa économique est représentée par Alfred Marshall et Arthur Cecil Pigou.

3.2 Keynes[modifier | modifier le wikicode]

Dès 1924, Keynes tient un discours-manifeste sur La fin du laisser-faire : il faut explorer d'autres voies pour atteindre la prospérité et en finir avec « l’orthodoxie monétaire ». Dans son Traité sur la monnaie de 1930, Keynes reprend encore la théorie quantitative de la monnaie.

Les théories "harmonicistes" se voient brutalement contredites par la Grande dépression des années 1930. Alors que la loi de Say postulait un automatique équilibre de plein emploi, le chômage de masse apparaît. La contradiction apparaissait de plus en plus irrémédiable entre le capitalisme et les intérêts des travailleurs, intensifiant la lutte de classe et menaçant les fondements de la démocratie bourgeoise.

C'est une période de profond désarroi de l'économie bourgeoise. Le Manchester Guardian publie le 1er septembre 1931 un article intitulé Banqueroute de l'économie politique qui se désole :

« Nous connaissons mieux la vitesse du mouvement d'un électron que la vitesse de circulation de la monnaie. Nous savons davantage du cycle de la terre autour du soleil et du cycle du soleil dans l'univers que nous ne connaissons le cycle industriel »

C'est à cette époque que Keynes commence à émettre ses recommandations, qu'il synthétise en 1936 dans son œuvre la plus aboutie, La Théorie Générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Keynes se fixait pour objectif de sauver le capitalisme. Imprégné de pensée dominante, il ne pouvait concevoir d'autre système.

Keynes avait profondément la psychologie et les opinions politiques d'un bourgeois anglais, conservateur vis-à-vis des partis ouvriers, bien que convaincu de participer de la meilleure façon possible au progrès à l'humanité. Il pensait qu'à terme, la bourgeoisie serait capable de faire advenir d’ici 2030 une société dans laquelle le “problème économique” serait résolu.[4]

Mais il était aussi partiellement cynique, comme lorsqu'il considérait que l'inflation était un moyen d'ajuster à la baisse les salaires réels, tout en étant moins scandaleux pour les travailleurs qu'une baisse de salaire nominal.

Il faut rappeler qu'il n'y a eu à l'époque aucune recette qui soit apparue satisfaisante, malgré plusieurs politiques clairement d'inspiration keynésienne, dont la plus typique fut le New Deal aux États-Unis.

3.3 Keynésianisme d'après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

C'est la Deuxième guerre mondiale qui a permis de relancer vigoureusement l'accumulation capitaliste, en détruisant et dévalorisant massivement du capital. Mais en même temps que ces changements économiques profonds, il y eut aussi une énorme crise sociale et une forte pression politique. Les communistes, malgré leur direction stalinienne, menaçait partout la domination capitaliste de façon plus ou moins forte. Il fallait donc pour les dirigeants bourgeois faire un grand nombre de concessions pour garder l'essentiel. A la fois au nom de la reconstruction et de la paix sociale, la fiscalité fut partout rendue plus progressive et l'État providence fut renforcé après la guerre. Parmi les économistes bourgeois, ceux qui étaient le plus compatibles avec le nouveau paradigme étaient les keynésiens. Le boom des "trente glorieuses" a alors permis aux disciples de Keynes d'avoir une hégémonie sur les politiques économiques.

Parmi celles et ceux qui furent des disciples de Keynes à Cambridge, des sensibilités différentes s'affrontaient. La variante la plus conservatrice (James Meade) entendait limiter l'interventionnisme étatique à une politique monétaire. D'autres plus radicaux soutenaient que c'était insuffisant, et qu'une politique de hausse des salaires était nécessaire : Richard Khan, Piero Sraffa (ami de Gramsci), et parmi eux des partisans d'une synthèse marxo-keynésienne, comme Michal Kalecki et Joan Robinson. Pour eux, les inégalités de classe inscrites dans le capitalisme sont causes de crise.

Joan Robinson va écrire en 1942 un Essai sur l’économie de Marx, dans lequel elle cherche à la fois à affirmer que les résultats du keynésianisme confirment la nécessité de l'anticapitalisme, et à minimiser ou réfuter les éléments du Capital qui contredisent le keynésianisme :

  • Elle valorise Marx comme le précurseur de la macroéconomie (notamment à travers ses schémas de reproduction), en ce qu'il étudiait les contradictions et non un impossible équilibre du capitalisme.
  • Elle critique la loi de la valeur, qu'elle considère incohérente (cf. problème de la transformation des valeurs en prix), et affirme qu'elle n'est pas nécessaire à la critique du capitalisme.
  • Elle critique la loi de baisse tendancielle du taux de profit, soulignant que l'équation est en réalité indéterminée (en raison des contre-tendances).
  • Elle met en valeur les passages où Marx semble reconnaître l'importance d'un problème de réalisation en raison d'une demande trop faible par rapport à l'offre. Elle souligne également que la loi de Say était déjà réfutée par Marx, avant Keynes. (Marx notait que l'investissement est "un achat sans vente", et l'épargne "une vente sans achat").
  • Robinson conserve l'idée de contradiction, mais voit celle-ci dans la sphère de la circulation et non de la production, tout en soutenant que cela ne signifie pas qu'il s'agit pour autant d'une contradiction qui serait secondaire.

Ce furent les modérés qui l'emportèrent, et qui réalisèrent une synthèse entre Keynes et la micro-économie marginaliste. Ce fut défendu aux États-Unis par Harrod, Solow et Hicks, l'inventeur du modèle IS/LM, populaire par son aspect "opérable" par des gouvernements bourgeois. La "synthèse néoclassique", comme elle fut appelée, fut popularisée et incarnée par Paul Samuelson, qui fut notamment conseiller de Kennedy.

Les deux branches du keynésianisme eurent une vive polémique qui fut nommée "la controverse des deux Cambridge" (l'autre étant la Cambridge du Massachusetts).

3.4 Tournant néolibéral[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la rentabilité capitaliste est devenue trop basse, à partir des années 1970, l'hégémonie keynésienne a sombré avec. Face aux manifestations de la suraccumulation (baisse de la croissance, hausse du chômage...) les réactions dictées par le keynésianisme ont clairement montré leur échec, avec une hausse des dettes publiques non compensée par la relance économique. Le champ étant alors ouvert pour un paradigme économique proposant des "solutions" clés en main.

Dès les années 1980, les préceptes keynésiens sont rapidement détrônés par la nouvelle école dite "néolibérale", qui constitue en fait sur bien des aspects un retour à l'avant Keynes. C'est alors le "laissez-faire", la dérégulation, les privatisations qui s'imposent, et les héritiers de Keynes font une traversée du désert.

Dans un premier temps, les dérégulations, privatisations et libéralisations généralisées semblent aider à la reprise de la croissance. La conséquence principale est surtout d'accroître l'instabilité cyclique du capitalisme, avec des phases de croissance bâties sur des bulles spéculatives générales, et des phases d'éclatement et de panique. Parallèlement, la situation sociale se dégrade et le mouvement des travailleurs connaît de profonds reculs.

Dans les années 1990, des critiques disparates mais de plus en plus nombreuses commencent à se faire entendre, contre la "mondialisation libérale", contre la "financiarisation", contre le "néolibéralisme"... Cela s'accompagne d'un léger regain de luttes, mais sans réelles perspectives politiques dans un premier temps. Depuis les années 2000, le réformisme semble en train de se reconstruire, avec des variantes de keynésianismes qui gagnent en audience.

Un des principaux angles d'attaques de ceux qui critiquent la politique de l'offre est de souligner que les salaires n'augmentent pas aussi vite que la productivité du travail.[5]

4 Le keynésianisme aujourd'hui[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Les différentes tendances[modifier | modifier le wikicode]

Face à la crise de 2007-2010, les débats sur les méthodes de sortie de crise sont de plus en plus répandus et de plus en plus liés à la perspective politique qui est sous-tendue.

  • Les "néokeynésiens", keynésiens les plus conservateurs, se placent dans le cadre dominant de l'austérité, mais critiquent surtout le monétarisme, et pronent une politique monétaire plus souple (rachats de titres de dettes publiques sur le marché secondaire par les banques centrales...). Paul Krugman et Joseph Stiglitz se situent globalement dans cette catégorie.
  • Les "postkeynésiens", keynésiens un peu plus à gauche prônent une politique monétaire souple (rachat de titres, directement s'il le faut), et une politique budgétaire de relance modérée. Certains comme Jacques Sapir, prétendent que la sortie de l'euro serait un début de solution.[6]
  • Enfin les keynésiens les plus à gauche (dont beaucoup de "marxo-keynésiens", comme Jean-Marie Harribey), prônent une politique monétaire souple et une remise en cause de la dette, un plan de relance fort, un contrôle de finance, une hausse des salaires...

La plupart de ces courants, comme Keynes, critiquent les politiques économiques dominantes, qui seraient absurdes (“Europe’s austerity madness” selon Paul Krugman, “Austerity mania is sweeping Europe” selon Larry Elliot du Guardian[7]) et envisagent plus ou moins sincèrement un capitalisme profitant "à tous". Il faut toutefois souligner que le cynisme n'est jamais loin lorsque l'on reste dans une pensée bourgeoise : Krugman reprend par exemple la logique de Keynes sur l'inflation :

« L'inflation n'est pas le problème, c'est la solution (...) Pour restaurer la compétitivité en Europe, il faudrait que, disons d'ici les cinq prochaines années, les salaires baissent, dans les pays européens moins compétitifs, de 20% par rapport à l'Allemagne. Avec un peu d'inflation, cet ajustement est plus facile à réaliser (en laissant filer les prix sans faire grimper les salaires en conséquence) »[8]

Mais parmi les "marxo-kéynésiens", certains réfutent cet "harmonicisme social" et parlent de lutte des classes. Mais pour les communistes révolutionnaires, ceux qui se basent sur des politiques keynésiennes restent piégés dans les contradictions du capitalisme et ne peuvent pas dépasser l'impasse du réformisme.

4.2 Keynésianisme contre néolibéralisme ?[modifier | modifier le wikicode]

Un des problèmes pour les militants socialistes qui reprennent sans critique le clivage "néolibéralisme/antilibéralisme" est que c'est un clivage interne au capitalisme, qui n'aide pas à en dessiner la sortie. D'autant plus qu'en pratique, il n'y a pas de pensée politique pragmatique qui soit purement "libérale", ce qui signifie que tous les économistes bourgeois sont plus ou moins... néolibéraux.

« Keynes était, de part son souhait d'un monde meilleur, un néolibéral, peut-être le premier. De son propre aveu, Keynes se plaçait à l’extrémité "social-libérale" du large spectre de la pensée sociale et politique qui va jusqu'à Ludwig von Mises, Hayek et leurs successeurs comme Milton Friedman et autres. »[9]

KeynesVsHayek.png

5 Expériences réelles[modifier | modifier le wikicode]

  • Le New Deal des années 1930 aux États-Unis
  • L'élection de Mitterrand en 1981 puis le tournant de la rigueur de 1982-1983
  • Le gouvernement "socialiste" Zapatero a d'abord essayé de relancer l'économie au moyen de politiques keynésiennes en 2008-2009, qui n'ont fait qu'augmenter le déficit (11,2% du PIB en 2009, contre un excédent budgétaire de 2,2% en 2007). En 2010 il opère un tournant, avec un plan d'économies de 50 milliards d'euros pour tenter de ramener le déficit public à 3% du PIB en 2013.

6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

G. Carchedi, Could keynesian policies end the slump, 2012, PPTX|DOCX, 2012