Monétarisme
Le monétarisme est une école de pensée économique dont la thèse centrale est que la monnaie et la politique monétaire ne peuvent avoir aucun effet positif sur la croissance économique (neutralité monétaire), et que les banques centrales ne doivent pas intervenir sur les marchés. Soutenant la thèse de l'autorégulation, le monétarisme rejette les interventions de l'État dans l'économie.
Fondée par l'économiste Milton Friedman au milieu du 20e siècle, elle a joui d'une grande influence auprès des néolibéraux au pouvoir dans les années 1970 et 1980 avant de tomber en désuétude.
1 L'inflation comme phénomène monétaire[modifier | modifier le wikicode]
Ce qui est souvent appelé l'explication "monétariste" de l'inflation renvoie principalement à l'explication donnée par Milton Friedman en 1963[1] , souvent considérée comme étant la plus réactionnaire, parce qu'elle attribue l'inflation à la seule intervention des autorités publiques. Pour lui, l'inflation est forcément le résultat d'un excès de monnaie dans l'économie :
« L'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu'elle est et qu'elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production »
Durant la période des années 1970[2], Friedman met ainsi en cause les politiques monétaires accommodantes des banques centrales.
Friedman fonde son analyse sur la reformulation mathématique faite par Irving Fischer de la théorie quantitative de la monnaie, avec cette équation :
M x V = P x T
Avec M = masse monétaire, V= vitesse de circulation de la monnaie, P = niveau des prix, T = volume des transactions
La vitesse de circulation de la monnaie (V), qui mesure la fréquence avec laquelle la monnaie change de main au cours d'une période, est considérée comme constante en moyenne dans le temps. Par ailleurs, l'offre de monnaie par les autorités monétaires est considérée comme n'ayant aucun effet sur la production, on a donc une hypothèse de "neutralité" de la monnaie. Ainsi, dans ce modèle, une augmentation de la masse monétaire (M), c'est-à-dire de la quantité de monnaie en circulation, ne peut qu'aboutir à une augmentation du niveau des prix (P). Par conséquent, les banques centrales devraient suivre une règle simple : caler la croissance de leur offre de monnaie sur la croissance du volume des transaction (T) pour répondre à la demande existante de monnaie dans l'économie, et éviter d'aller au-delà.
2 L'essoufflement de la théorie monétariste[modifier | modifier le wikicode]
Bien qu'il ait été mentionné un "retour du monétarisme" durant l'inflation post-covid, cette analyse monétariste semble n'avoir aujourd'hui plus aucune influence sur les politiques des banques centrales, qui préfèrent des modèles néokeynésiens. En effet, à la fin du 20e siècle les banquiers centraux (dirigeants des banques centrales) sont confrontés à de multiplies krachs financiers auxquels ils réagissent en baissant les taux directeurs. Aux Etats-Unis, Alan Greenspan, qui prend la tête de la réserve fédérale (Fed, banque centrale des Etats-Unis) en 1987, tourne le dos au paradigme monétariste. Du fait de ces politiques de sauvetage des banques centrales, on observe que la masse monétaire s'est considérablement accrue dans les principales économies capitalistes, alors que le niveau des prix n'a pas augmenté dans la même proportion. L'économiste marxiste Michael Roberts observe en 2020 :
« Entre 1993 et 2019, l'offre de monnaie M2[3] croissait à un taux moyen annuel de 6,7%, mais l'inflation (CPI), seulement 2,3%. Et depuis la Grande Récession de 2008, la croissance de l'offre de la monnaie s'est accélérée de 9,6% en moyenne par an pendant que les banques centrales appliquaient le "quantitative easing", tandis que l'inflation s'est ralentie à un taux annuel de 1,8%. »[4]
Cela est principalement lié à la financiarisation du capitalisme : du fait d'une rentabilité insuffisante du capital productif, une grande partie de la masse monétaire supplémentaire injectée par les banques centrales ne circule pas dans l' "économie réelle", mais sur les marchés financiers. Par conséquent, au lieu de tirer le niveau des prix des marchandises vers le haut, le surcroît de masse monétaire a pour effet de faire monter les cours des titres financiers. On a pu parler parfois d' "inflation financière".
La vitesse de circulation de la monnaie, contrairement au postulat du modèle monétariste, n'est pas constante : elle connaît des évolutions brusques en fonction des allers-retours de la masse monétaire entre sphère financière et appareil productif.
L'essoufflement du monétarisme au niveau des politiques monétaires ne signifie pas un essoufflement du néolibéralisme en général. Si le curseur s'est légèrement déplacé vers le keynésianisme (nouvelle synthèse néoclassique), cela a surtout concerné les politiques monétaires. Pour l'orthodoxie, il n'est pas question d'augmenter massivement les salaires ou de taxer le capital.
Au niveau des politiciens, la politique de l'offre continue d'être la justification principale des politiques pro-capitalistes.
3 Critique marxiste[modifier | modifier le wikicode]
En tant que marxistes, nous ne pouvons pas nier que l'inflation puisse être parfois être liée à un surcroit de masse monétaire. Mais le surcroit de masse monétaire n'est qu'une condition nécessaire, et non suffisante à l'apparition de l'inflation. Comme l'écrit le marxiste Joseph Choonara :
« La théorie monétariste de l'inflation [...] offre une vision valable des conditions selon lesquelles l'inflation peut devenir endémique dans une économie. Cependant, déterminer si l'inflation va se produire est une autre affaire, qui requiert une analyse plus concrète. »[5]
Surtout, comme l'expliquent Jacques Valier et Jean-Luc Dallemagne (1970[6]) dans leur critique de la théorie monétariste, la monnaie n'est pas un simple intermédiaire des échanges : elle a un rôle d'extension de la production par le phénomène de l'avance (crédit aux capitalistes pour financer les investissements avant la réalisation de la survaleur). Ainsi, le processus capitaliste d'accumulation du capital implique donc toujours un "surcroit de masse monétaire" pour que le capital puisse être avancé : ensuite, si une production supplémentaire est effectuée avec cette monnaie, elle permet un revenu supplémentaire qui annule l'écart initial entre monnaie et valeur.
La question est donc plutôt : ce surcroît de masse monétaire représentera-t-il une valeur ou non ? Joseph Choonara explique qu'une monnaie supplémentaire créée pour "socialiser les pertes" peut aboutir à de l'inflation :
« Si la perte est socialisée, un déséquilibre peut apparaître entre la quantité de monnaie en circulation dans les circuits du capital et la montant de la valeur étant générée. Cela créée la possibilité d'une augmentation des prix, menant à une situation ou une somme donnée de monnaie en vient à représenter une revendication moindre de la valeur. »[5]
Et encore, cette augmentation des prix est "potentielle" dans le sens où elle ne peut se faire qu'à condition que cette monnaie circule dans le secteur productif et non pas sur les marchés financiers (voir plus haut).
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Milton Friedman, Inflation Causes and Consequences, Asian Publishing House, 1963
- ↑ Milton Friedman, The Counter-Revolution in Monetary Theory, 1970
- ↑ M2 est un agrégat monétaire qui englobe la monnaie fiduciaire (pièces et billets) ainsi que la monnaie de crédit qui circule dans l'économie.
- ↑ Michael Roberts, "Covid and inflation", 17 août 2020, thenexrecession.wordpress.com
- ↑ 5,0 et 5,1 Joseph Choonara, The gathering storm, International socialism, 13 juin 2022
- ↑ Jean Luc Dallemagne, Jacques Valier, "L'échec des explications bourgeoises de l'inflation", Critiques de l'économie politique, n°1, sept-déc, 1970.