Trente Glorieuses
Les « Trente Glorieuses » désignent la période de forte croissance économique de 1945 à 1975. L'expression de Trente Glorieuses, avec sa références aux Trois Glorieuses, vient du français Jean Fourastié. Mais le phénomène était d'ampleur mondiale.
La locomotive de cette croissance mondiale, pour le Bloc de l'Ouest, était les États-Unis, dont la croissance décolle pendant la Seconde guerre mondiale.
1 Caractéristiques principales[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Une croissance globale soutenue[modifier | modifier le wikicode]
Dans les pays industrialisés, la croissance moyenne annuelle du PIB de était de 5 %, et celle de la productivité de 4 %.
En Amérique Latine et dans certains grands pays du Tiers-monde, des modèles d'industrialisation autocentrés permettent le maintien de taux de croissance annuels de 6 ou 7%.
1.2 Un compromis entre classes[modifier | modifier le wikicode]
Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, le mouvement ouvrier est très développé dans les pays industrialisés : les syndicats comportent de nombreux adhérents, de puissants Partis communistes sont renforcés... Les directions sociales-démocrates ou staliniennes de ce mouvement ouvrier ont activement participé à la Reconstruction d’États bourgeois forts, tout en négociant d'importants acquis sociaux pour calmer leur base.
1.3 Une combativité ouvrière élevée[modifier | modifier le wikicode]
A l'issue de la Seconde guerre mondiale, le mouvement ouvrier est puissant dans la plupart des pays du centre impérialiste, même s'il est canalisé dans un compromis de classe.
Les syndicats sont puissants, et la jeune génération de travailleur·ses qui entre dans les entreprises a tendance à refuser la subordination patronale, et à déborder sur la gauche les dirigeants syndicaux. Dans les universités, qui sont en train de connaître un phénomène de massification, des mouvements militants émergent (contre le racisme, le sexisme, l'impérialisme, les pollutions environnementales...), avec une frange anticapitaliste non négligeable. Au cours des années 1960, une radicalisation apparaît clairement.
En 1971, David Rockefeller déclare « il est à peine exagéré de dire que le business américain fait aujourd’hui face à la plus grande défaveur publique qu’il ait connue depuis les années 1930. On nous accuse de détériorer la condition des travailleurs, de tromper les consommateurs, de détruire l’environnement et de léser les jeunes générations. »
Des idéologues bourgeois comme Irving Kristol, Norman Podhoretz ou Arthur Shenfield théorisent que cette hostilité provient d’une “new class”, vague, classe moyenne, intellectuelle mais massifiée et donc selon eux au rabais, “intellectuelloïde”.
2 Causes du boom économique[modifier | modifier le wikicode]
Cette période a été la plus grande période de croissance qu'ait connu le capitalisme. Il semblait alors que certaines idées marxistes sur le capitalisme étaient invalidées. Notamment, depuis le début du 20e siècle, à la suite de Lénine et d'autres marxistes, beaucoup ont théorisé un stade impérialiste dans lequel le capitalisme vieillissant était en stagnation et devenu réactionnaire. Dans les années 1930, Trotski écrivait que « les forces productives ont cessé de croître ».
A présent que le capitalisme semble à nouveau en stagnation prolongée, ce sont ces trente glorieuses qui paraissent avoir été une exception, et les discours sur le déclin du capitalisme tardif tendent à revenir. C'est pourquoi il y a une certaine importance pour les marxistes à expliquer de façon convaincante pourquoi le capitalisme a connu cette phase exceptionnelle de croissance et pourquoi elle a pris fin.
2.1 Explications marxistes[modifier | modifier le wikicode]
D'un point de vue très général, on peut faire l'observation que les Trente Glorieuses sont un cycle de "reprise" après la Grande dépression des années 1930. Ernest Mandel analysait cela comme une nouvelle onde longue du capitalisme.[1]
Au niveau explicatif, c'est la Seconde guerre mondiale qui est le point clé. Les États-Unis émergent vraiment comme superpuissance à ce moment-là, principalement grâce à l'industrie de guerre qui trouvait ses débouchés directs en Europe. Mais surtout, en entraînant une grande destruction-dévalorisation de capital, la guerre mondiale a permis de relancer durablement les taux de profit de l'ensemble des pays impérialistes.
Selon Guglielmo Carchedi, la longue période de prospérité était due à la reconversion, c'est-à-dire à la reconstitution du capital civil, et à la libération du pouvoir d'achat accumulé après la guerre.[2]
2.2 Explications keynésiennes[modifier | modifier le wikicode]
Le discours économique dominant durant les 30 Glorieuses était inspiré du keynésianisme, appliqué largement, malgré le fait que la plupart des partis au gouvernement soient des partis de droite. L'idée était que le marché capitaliste devait être régulé pour profiter à tous.
On parlait alors souvent de « compromis fordiste », du nom de l'industriel Henry Ford, qui déclarait vouloir que ses ouvriers aient un salaire suffisant pour acheter les voitures qu'ils produisaient.
En France, dans cette vision, le gaullisme aurait représenté ce compromis, avec une part d'interventionnisme et de planification indicative assez forte.
Aujourd'hui encore, les keynésiens ont une lecture de la reprise économique de l'après-guerre en terme de stimulation de la demande. Ainsi, Paul Krugman écrit en 2008 :
« La Grande Dépression aux États-Unis a pris fin grâce à un gigantesque programme de travaux publics, financé par le déficit public, connu sous le nom de Seconde Guerre Mondiale. »[3]
2.3 Néolibéralisme[modifier | modifier le wikicode]
3 La crise des années 1970[modifier | modifier le wikicode]
A la fin des années 1960, le taux de profit commence à atteindre des bas niveaux. Aux États-Unis, des débats apparaissent sur les causes du “profit squeeze”.
Le journal Fortune rapporte en mars 1969 une contraction des profits. En juillet, un éditorial du journal identifie comme cause la hausse du coût du travail en raison de la combativité ouvrière, qui augmente plus vite que la productivité. Or « si la productivité commence à se tasser, c’est parce que certaines motivations - l’esprit et la peur - ont quitté les producteurs. » Ce serait notamment la faute au plein emploi et aux politiques publiques protégeant trop les travailleurs.
De plus, les politiques de relance keynésiennes ne semblent plus fonctionner : la croissance économique ne redémarre pas sensiblement, et les dettes publiques s'accumulent.
Tout ceci favorisa un changement de paradigme, avec une généralisation des politiques de l'offre, d'attaques contre les salaires et conditions de travail, de privatisations et de libéralisations (néolibéralisme). Dans la théorie, les éléments de keynésianisme sont en recul et un retour aux néoclassiques est opéré.
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Paula Bach, El boom de la posguerra. Un análisis crítico de las elaboraciones de Ernest Mandel, 1998
- ↑ Guglielmo Carchedi, Could Keynes end the slump? Introducing the Marxist multiplier, 2012
- ↑ Paul Krugman, The Return of Depression Economics and the Crisis of 2008