Loi de Say

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
Jean-baptiste Say.jpg

La « loi de Say » désigne en économie la thèse selon laquelle « l'offre crée sa propre demande ».

Elle est attribuée à l'industriel et économiste français Jean-Baptiste Say (1767-1832), qui parlait de loi des débouchés.

Cette thèse est utilisée par le courant dominant de l'économie bourgeoise pour défendre l'idée qu'une économie de marché pure ne peut pas connaître de surproduction généralisée, et qu'il faut se concentrer sur les problèmes de l'offre.

Elle est critiquée par les keynésiens qui défendent des politiques de la demande, et, de façon différente, par les marxistes.

1 La loi des débouchés et ses implications[modifier | modifier le wikicode]

1.1 La loi de Say[modifier | modifier le wikicode]

L'idée de Jean-Baptiste Say est que mettre une marchandise sur le marché c'est, à la fois, exprimer une demande de quelque chose d'autre, et l'occasion pour autrui de proposer autre chose pour obtenir ce que le premier offre. Faire une offre c'est donc créer une demande, non pas pour le produit qui vient d'être offert, mais pour les autres produits. Say écrivait :

« Il est bon de remarquer qu’un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de l’argent que lui procure sa vente, pour que la valeur de l’argent ne chôme pas non plus. Or, on ne peut se défaire de son argent qu’en demandant à acheter un produit quelconque. On voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits. »[1]

La phrase « l'offre crée sa propre demande » n’apparaît pas telle quelle. En revanche on trouve des formulations comme :

  • « c’est la production qui ouvre des débouchés aux produits » ;
  • « l’achat d’un produit ne peut être fait qu’avec la valeur d’un autre »

Si l'on généralise cette idée, on obtient que « la valeur de la demande agrégée est égale à la valeur de l'offre agrégée, pour tous les niveaux de production et d'emploi » : il ne peut donc pas y avoir de surproduction générale, hormis causes extra-économiques (blocus militaire, entraves douanières, ponction fiscale, catastrophe naturelle bloquant des échanges existant précédemment entre les différents producteurs, les mettant tous à la fois en surproduction de ce qu'ils vendaient et en sous-consommation de ce qu'ils achetaient).

Il peut cependant exister des crises sectorielles, parce que les producteurs peuvent mal estimer leur demande (qui doit correspondre à la production des autres secteurs) et la production de leurs concurrents. Il en résulte un déséquilibre entre deux groupes de biens : ceux produits en trop grande quantité et ceux produits en quantité insuffisante. Les premiers ne trouvent alors plus leur contrepartie à cause du manque des seconds, et ceci jusqu'à ce que les moyens de production se déplacent vers la production des biens manquants, ce qui aura pour effet de corriger le déséquilibre.

« Cela étant ainsi, d’où vient, demandera-t-on, cette quantité de marchandises qui, à certaines époques, encombrent la circulation, sans pouvoir trouver d’acheteurs ? Pourquoi ces marchandises ne s’achètent-elles pas les unes les autres ? Je répondrai que des marchandises qui ne se vendent pas, ou qui se vendent à perte, excèdent la somme des besoins qu’on a de ces marchandises, soit parce qu’on en a produit des quantités trop considérables, soit plutôt parce que d’autres productions ont souffert. Certains produits surabondent, parce que d’autres sont venus à manquer.

En termes plus vulgaires, beaucoup de gens ont moins acheté, parce qu’ils ont moins gagné ; et ils ont moins gagné, parce qu’ils ont trouvé des difficultés dans l’emploi de leurs moyens de production, ou bien parce que ces moyens leur ont manqué. »

1.2 Conséquences[modifier | modifier le wikicode]

Autrement dit, plus il y a de biens produits, plus ces biens peuvent ouvrir une demande pour d'autres biens : en effet ces biens nouvellement produits peuvent être offerts en échange d'autres biens. Inversement, toute nouvelle demande qui n'est pas précédée d'une production préalable n'offre en réalité aucune perspective d'échange. En effet, il n'y a aucun débouché nouveau : cette demande est une demande insolvable qui ne peut stimuler la production.

La récession ne provient pas d'un problème de demande ou de manque de monnaie. La création monétaire crée de la demande, mais aussi et surtout de l'inflation, car sans production correspondante, il n'y a pas création de demande réelle, solvable, mais seulement réduction de la valeur de la monnaie.

En conséquence :

  • la croissance ne peut être obtenue que par la stimulation de la production et non par celle de la consommation ;
  • de même, la solution à une crise de surproduction dans un secteur n'est pas dans une stimulation de la demande des biens qu'il produit, mais dans une stimulation de l'offre des secteurs qui sont en sous-production (qui existent nécessairement) et un déplacement des moyens de production du premier vers les seconds.

1.3 Présupposé : neutralité de la monnaie[modifier | modifier le wikicode]

La loi de Say part du présupposé que le monnaie n'est qu'un moyen de circulation des marchandises, qu'elle est neutre du point de vue de l'économie.

Ainsi elle ne peut pas être recherchée pour elle-même, mais seulement dans le but d'acheter d'autres marchandises : « les produits s'échangent contre des produits ». Au-delà des apparences (l'usage de la monnaie), le fonctionnement de l'économie ne serait qu'une série de troc et d'échange de biens contre d'autres biens.

  • « Pourquoi désirez-vous cet argent ? N’est-ce pas dans le but d’acheter des matières premières pour votre industrie, ou des comestibles pour votre bouche ? »
  • « L’argent n’est que la voilure de la valeur des produits. »

1.4 Une loi acceptée comme base par l'économie vulgaire[modifier | modifier le wikicode]

Cette idée est devenue une base de ce que les économistes se sont mis à vulgariser, ceux que Marx appelait les « économistes vulgaires » par opposition aux « classiques » (Smith, Ricardo...), plus subtils.

John Stuart Mill, par exemple, résumait ainsi la question des débouchés :

Ce qui constitue les moyens de paiement pour des biens est simplement des biens. Ce dont chaque personne dispose pour payer les productions des autres gens est constitué de ce qu'il possède lui-même. Tous les vendeurs sont inévitablement, et par le sens propre du mot, des acheteurs. Si nous pouvions tout soudain doubler les forces productives du pays, nous doublerions l'offre de biens sur tous les marchés ; mais, du même coup, nous doublerions le pouvoir d'achat ; tout le monde pourrait acheter deux fois plus, parce que chacun aurait deux fois plus à offrir en échange. (Principles of Political Economy, livre III, Chap. xiv. § 2.)

2 La critique de Marx[modifier | modifier le wikicode]

Dans le Capital (1867), Karl Marx analyse comment l'extension de la circulation des marchandises fait naître la monnaie et comment celle-ci créé des conditions dans lesquelles une crise devient possible :

« Rien de plus niais que le dogme d'après lequel la circulation implique nécessairement l'équilibre des achats et des ventes, vu que toute vente est achat, et réciproquement. Si cela veut dire que le nombre des ventes réellement effectuées est égal au même nombre d'achats, ce n'est qu'une plate tautologie. Mais ce qu'on prétend prouver, c'est que le vendeur amène au marché son propre acheteur. (...). Personne ne peut vendre sans qu'un autre achète; mais personne n'a besoin d'acheter immédiatement, parce qu'il a vendu.

La circulation fait sauter les barrières par lesquelles le temps, l'espace et les relations d'individu à individu rétrécissent le troc des produits. (...) Après avoir vendu, je ne suis forcé d'acheter ni au même lieu, ni au même temps, ni de la même personne à laquelle j'ai vendu. Il est vrai que l'achat est le complément obligé de la vente, mais il n'est pas moins vrai que leur unité est l'unité de contraires. Si la séparation des deux phases complémentaires l'une de l'autre de la métamorphose des marchandises se prolonge, si la scission entre la vente et l'achat s'accentue, leur liaison intime s'affirme par une crise. Les contradictions que recèle la marchandise, entre valeur d'usage et valeur d'échange (...) acquièrent dans la circulation leurs formes de mouvement. Ces formes impliquent la possibilité, mais aussi seulement la possibilité des crises. »[2]

Ce point est seulement évoqué, car les mécanismes des crises, Marx entendait les expliciter dans le livre III (notamment via la baisse tendancielle du taux de profit). Il fait donc une remarque sur l'importance de la circulation, de la monnaie, du même type que celle que fera Keynes 70 ans plus tard. En revanche Marx ne croyait pas plus aux politiques de l'offre qu'aux politiques de la demande.

Dans un autre passage, Marx pointe la vacuité des économistes vulgaires qui font des déductions sur le fonctionnement de la production (capitaliste) à partir de raisonnements abstraits sur la seule circulation des marchandises :

« Deux points principaux caractérisent à ce sujet la méthode apologétique des économistes. D'abord ils identifient la circulation des marchandises et l'échange immédiat des produits, en faisant tout simplement abstraction de leurs différences. En second lieu, ils essaient d'effacer les contradictions de la production capitaliste en réduisant les rapports de ses agents aux rapports simples qui résultent de la circulation des marchandises. Or, circulation des marchandises et production des marchandises sont des phénomènes qui appartiennent aux modes de production les plus différents, quoique dans une mesure et une portée qui ne sont pas les mêmes, On ne sait donc encore rien de la différence spécifique des modes de production, et on ne peut les juger, si l'on ne connaît que les catégories abstraites de la circulation des marchandises qui leur sont communes. Il n'est pas de science où, avec des lieux communs élémentaires, l'on fasse autant l'important que dans l'économie politique. J. B. Say, par exemple, se fait fort de juger les crises, parce qu'il sait que la marchandise est un produit. »

3 La critique de Keynes[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1930, face au constat de la grande crise de 1929 (s'exprimant dans une surproduction généralisée), suivie d'une grande dépression, l'économiste britannique John Maynard Keynes va développer une critique du paradigme dominant en économie. Tout en restant dans un cadre capitaliste, sa théorie économique critique le laissez-faire, et y oppose un interventionnisme étatique.[3]

Le point central sur lequel il va critiquer la loi de Say est son présupposé de neutralité de la monnaie. A l'inverse, il met en avant que la monnaie est désirée pour elle-même : les gens produisent et vendent pour avoir de la monnaie. Cette monnaie ils ne l’utiliseront pas nécessairement pour acheter des biens à d'autres producteurs, ce qui rend possible une crise générale de surproduction.

Donc pour Keynes, au contraire, c'est la demande qui crée l'offre, et, notamment la demande de monnaie pour elle-même.

Keynes, à son tour, s'est trouvé contesté par les monétaristes, qui estiment que la monnaie et sa valeur ont moins d'importance que les anticipations sur leur variation, et qu'en conséquence jouer sur la monnaie pour stimuler l'économie revenait surtout à jouer avec la monnaie. Ces derniers estiment que c'est un jeu dangereux causant plus de désagréments à long terme que d'avantages à court terme, et défendent en conséquence que les banques centrales doivent se concentrer sur la stabilité de le monnaie et la lutte contre l'inflation, donc surtout pas de création monétaire en vue de la stimulation de la demande.

4 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Jean-Baptiste Say, Traité d'économie politique, 1803 6e éd. (Livre I, chapitre XV, Des débouchés)
  2. Karl Marx, Le Capital - Chapitre III : La monnaie ou la circulation des marchandises, 1867
  3. John Maynard Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, 1936

5 Liens externes[modifier | modifier le wikicode]