Keynésianisme

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Les doctrines économiques keynésiennes sont issues de l'économiste britannique John Maynard Keynes, qui fut très influent dans l'après-guerre. Il s'agit d'une politique économique interventionniste censée profiter à la fois au capital et aux travailleur·ses, ce qui fait qu'elle est souvent la base qui sous-tend les programmes des réformistes.

Dans le cadre des crises économiques, les politiques de relance sont généralement inspirées du keynésianisme.

On parle aussi de politique de la demande, par opposition à la politique de l'offre.

1 Keynésianisme[modifier | modifier le wikicode]

1.1 En bref[modifier | modifier le wikicode]

Les politiques keynésiennes ont plusieurs écoles avec leurs variantes. Néanmoins, elles ont des caractéristiques générales que l'on retrouve et que l'on peut résumer :

Le keynésianisme part d'abord d'un constat : le marché capitaliste livré à lui-même est insuffisant, il conduit à des déséquilibres économiques et sociaux, et il nécessite une intervention régulatrice de l’État. En particulier, la défaillance est perçue comme étant fondamentalement au niveau de la demande insuffisante. C'est pourquoi les économistes d'inspiration keynésienne parlent souvent de sous-consommation. Les "solutions" keynésiennes passeraient donc par la redistribution de richesses vers les masses appauvries de consommateurs, afin que la demande augmente, que les capitalistes puissent écouler leurs marchandises, donc fassent des profits, donc soient incités à investir, etc... Un cercle vertueux se mettrait alors en route. C'est « l'effet multiplicateur ».

Le keynésianisme est un corpus disparate, qui se veut pragmatique. Keynes avait peu d'intérêt pour les questions théoriques, et notamment il n'a pas de théorie de la valeur achevée. Ce qui fait que le courant de pensée qu'il a inspiré n'est pas un tout cohérent, et laisse ouvertes des possibilités de le prolonger par la droite ou par la gauche (tentatives de synthèses avec le marxisme parmi les post-keynésiens).

Des années 1940 à 1970, l'économie dominante a incorporé des éléments modérés de keynésianisme (synthèse néoclassique). Puis, face au ralentissement de la croissance, la classe capitaliste a eu besoin de justifier une contre-offensive majeure (privatisations, libéralisations...) et est largement revenu vers la pensée libérale d'avant Keynes. Depuis la fin des années 1990, le centre de gravité s'est légèrement déplacé vers un keynésianisme modéré.

1.2 Quelques thèmes[modifier | modifier le wikicode]

1.2.1 Effet multiplicateur[modifier | modifier le wikicode]

Selon la pensée keynésienne, un investissement impulsé par l'État aura pour effet d'injecter une demande dans l'économie, qui stimulera les investissements privés, lesquels entraîneront des embauches, et donc une hausse de la demande. Un cercle vertueux se mettrait alors en route. C'est « l'effet multiplicateur ».

Certaines données empiriques sont citées à l'appui de l'effet multiplicateur : une étude de 2016 dans la zone euro[1], une étude de 2019 sur les dépenses publiques en armement aux États-Unis[2].

A l'inverse, les néoclassiques les plus libéraux nient l'effet multiplicateur, et mettent en avant un effet d'éviction : les investissements étatiques prendraient la place d'investissements privés, et causeraient de l'inefficacité.

1.2.2 Focus macroéconomique[modifier | modifier le wikicode]

Contrairement à la pensée néoclassique qui prétend être fondée sur un ensemble de décisions individuelles conduisant à un équilibre général, la pensée keynésienne insiste sur le fait que de nombreux phénomènes économiques sont émergents, et ne peuvent être déduits de la microéconomie.

Une des illustrations classiques est le paradoxe de l'épargne. Individuellement, quelqu'un qui décide d'épargner verra sa richesse personnelle augmenter. Cependant si tout le monde se met à épargner davantage dans la société, la baisse de la consommation globale aura pour effet de diminuer la production, donc de conduire à un désinvestissement notable voire des licenciements, ce qui appauvrira la plupart des individus.[V 1]

Avec la même logique, les keynésiens insistent sur le fait que si une entreprise adopte une politique de bas salaires, elle peut augmenter sa compétitivité par rapport aux autres, mais que si cette politique est généralisée, la consommation globale diminuera au point de nuire à toutes les entreprises. Même raisonnement à l'échelle de la compétition internationale.[V 2]

Les keynésiens insistent donc sur les agrégats macroéconomiques (PIB, inflation, chômage, taux d'investissement...), ce qui a aussi pour effet de justifier l'action de l'État pour superviser (statistiques) et intervenir.

2 Critiques marxistes[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Un alter-capitalisme[modifier | modifier le wikicode]

La principale critique que font les marxistes au keynésianisme est qu'il s'agit d'une pensée qui vise à mieux gérer le capitalisme. Fondamentalement, il y a qu'une différence de degré mais non de nature entre les différents économistes qui acceptent le mode de production capitaliste (concurrence pour le profit) et donc le libéralisme économique :

« Keynes était, de part son souhait d'un monde meilleur, un néolibéral, peut-être le premier. De son propre aveu, Keynes se plaçait à l’extrémité "social-libérale" du large spectre de la pensée sociale et politique qui va jusqu'à Ludwig von Mises, Hayek et leurs successeurs comme Milton Friedman et autres. »[3]

Certes, certains penseurs considèrent que la gestion social-libérale du capitalisme peut grandement améliorer la vie des plus exploité·es. Mais pour les marxistes, c'est souvent une illusion. Un des problèmes pour les militant·es socialistes qui reprennent sans critique le clivage "néolibéralisme/antilibéralisme" est que c'est un clivage interne au capitalisme, qui n'aide pas à en dessiner la sortie.

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2.2 Critiques économiques[modifier | modifier le wikicode]

La critique politique décrite ci-dessus est la critique consensuelle que les marxistes adressent aux keynésiens, ou en tout cas aux keynésiens mainstream, car certains post-keynésiens admettent la lutte des classes. Sur le plan proprement économique, les marxistes ne sont pas unanimes. On peut distinguer grossièrement deux pôles.

🔍 Voir : Économie marxiste.

2.2.1 Marxistes les plus critiques[modifier | modifier le wikicode]

Les marxistes les plus critiques du keynésianisme sont celleux qui insistent sur la sphère de la production, contrairement aux keynésiens qui insistent sur la sphère de la circulation (sous-consommation, demande insuffisante). Pour elleux, l'explication fondamentale des crises est la baisse tendancielle du taux de profit (BTTP), et les politiques de relance de la demande échouent parce qu'elles nuisent à la profitabilité.

L'erreur théorique fondamentale du keynésianisme, c'est de penser que le capitalisme produit pour vendre. Mais les capitalistes produisent avant tout pour le profit. Cela a une conséquence fondamentale : les choix d'investissements ne sont pas faits en fonction de la demande (même solvable), mais en fonction du taux de profit que l'on peut attendre de telle ou telle branche d'industrie. Bien sûr, la demande solvable est une condition nécessaire, mais les capitalistes peuvent tout à fait négliger des secteurs qui sont profitables, mais pas assez. Ainsi la dynamique de l'accumulation (croissance, ralentissement...) dépend du taux de profit. Ainsi, si dans les années 1930 ou dans la période actuelle il y a un fort ralentissement économique, ce n'est pas fondamentalement parce que la consommation est trop faible, mais parce que le taux de profit de "l'économie réelle" est trop faible. En revanche, les capitalistes favorisent les délocalisations (vers des pays aux taux de profits supérieurs) et la financiarisation, dans laquelle ils peuvent atteindre une rentabilité record. Mais cette financiarisation est source de bulles spéculatives, et lorsque celles-ci éclatent, des branches entières se retrouvent en situation de surproduction.[4]

La vision keynésienne la plus basique est de supposer qu'il y a une part des marchandises produites qui ne sont pas vendues, et qu'augmenter les salaires permettrait de les écouler. Or, les capitalistes font des études de marché, en moyenne, il ne produisent pas massivement des marchandises qui resteraient invendues (les situations de surproduction sont des crises ponctuelles).

En revanche, il est clair qu'il y a une sous-utilisation des capacités de production, comme le soulignent en général aussi les keynésiens. Ainsi, une politique de relance pourrait certainement augmenter à court terme le taux d'utilisation des capacités de production existantes. Mais pour qu'elle conduise à de nouveaux investissements, il faudrait que l'augmentation de la consommation soit suffisamment forte pour que que les capacités de production existantes deviennent insuffisantes, et que les capitalistes estiment que de nouveaux investissements productifs sont suffisamment rentables pour être réalisés. Or, si l'augmentation de la consommation est forte, donc l'augmentation des salaires est forte, c'est que les profits ont été fortement réduits. Or une baisse des taux de profits rend les investissements moins attractifs pour les capitalistes. Le keynésianisme ne permet pas de sortir des contradictions du capitalisme.[5]

Différents auteurs ont critiqué le multiplicateur keynésien, et lui opposent un multiplicateur marxiste.[5][6] Ils soutiennent que les données empiriques donnent tort aux keynésiens, et que ce sont les profits qui génèrent l'investissement, et pas l'inverse.[7][8]

Par conséquent ce courant marxiste considère que les keynésiens ont tort de critiquer comme absurdes et irrationnelles les « politiques de l'offre », comme s'il suffisait d'adopter une politique de la demande pour que le capitalisme se porte bien. Ces politiques découlent assez logiquement des contraintes du marché capitaliste. Pour s'y opposer, il faut remettre en question le système lui-même. Ces politiques de l'offre (austérité sur les dépenses publiques, baisse des salaires et précarisation...) ne peuvent que ralentir l'effet de la BTTP, sans faire de miracle. Il n'y a que des destructions majeures de capital (comme une guerre massive) qui peut dévaloriser suffisamment le capital pour que les taux de profits repartent d'un niveau élevé (comme dans l'après-guerre). Ce qui prouve là encore la monstruosité du système capitaliste.

2.2.2 Autres marxistes[modifier | modifier le wikicode]

L'analyse évoquée ci-dessous ne fait pas consensus parmi les marxistes. D'autres ne sont pas d'accord sur la critique ou la façon de critiquer les thèses sous-consommationistes.

2.2.2.1 Marxo-keynésiens[modifier | modifier le wikicode]

Certains se revendiquent explicitement d'une synthèse « marxo-keynésnienne » comme Michal Kalecki et Joan Robinson.

D'autres, sans utiliser ce terme, accordent une place importance à la question de la réalisation de la survaleur, comme les marxo-keynésiens. Par exemple, certains marxistes comme Ernest Mandel se revendiquent d'une « analyse multicausale », mettant sur le même plan la question de la baisse tendancielle des taux de profit, et celle de la crise de réalisation.

3 Historique[modifier | modifier le wikicode]

L'influence de Keynes et les utilisations de sa doctrine ont varié au cours de l'histoire, servant les besoins idéologiques de la classe dominante.

3.1 Avant Keynes[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la bourgeoisie était une classe en plein essor, luttant contre l'ordre ancien, le développement de la science économique était une de ses armes rationalistes. Les grands pionniers comme Smith, Petty ou Ricardo élaborent alors sur la valeur travail, la puissance du marché face à l'arbitraire féodal...

Puis, le capitalisme naissant est rapidement mis en question, en théorie et en pratique, par le mouvement ouvrier et par ses crises. Ces contradictions ouvrent des brèches pour de nouvelles théories économiques. Le marxisme naît dans ce contexte, et en face, l'économie dominante tente de nouvelles théorisations avec diverses écoles bourgeoises post-ricardiennes.

Vers la fin du 19e siècle, les anciennes classes possédantes sont quasiment partout matées ou assimilées par la bourgeoisie, qui n'a désormais plus qu'un seul adversaire : la jeune classe travailleuse et le mouvement socialiste qui y prospère. L'école néo-classique se constitue alors dans un but simple : faire l'apologie du système capitaliste. Sur le plan scientifique, c'est un déclin très net. La théorie de la valeur-travail est remplacée d'abord par « l'économie vulgaire » (éclectique), puis par l'école marginaliste ou par des écoles mixtes, faisant la synthèse de l'éclectisme et du marginalisme. La macro-économie qui est échafaudée est une simple extension de la micro-économie : l'équilibre général du système est proclamé sur la base d'équilibres simples (loi de l'offre et de la demande...).

Au sein de l'école de Cambridge, où va émerger Keynes, cette doxa économique est représentée par Alfred Marshall et Arthur Cecil Pigou.

3.2 Keynes[modifier | modifier le wikicode]

Dès 1924, Keynes tient un discours-manifeste sur La fin du laisser-faire : il faut explorer d'autres voies pour atteindre la prospérité et en finir avec « l’orthodoxie monétaire ». Dans son Traité sur la monnaie de 1930, Keynes reprend encore la théorie quantitative de la monnaie.

Les théories "harmonicistes" se voient brutalement contredites par la Grande dépression des années 1930. Alors que la loi de Say postulait un automatique équilibre de plein emploi, le chômage de masse apparaît. La contradiction apparaissait de plus en plus irrémédiable entre le capitalisme et les intérêts des travailleurs, intensifiant la lutte de classe et menaçant les fondements de la démocratie bourgeoise.

C'est une période de profond désarroi de l'économie bourgeoise. Le Guardian publie le 1er septembre 1931 un article intitulé Banqueroute de l'économie politique qui se désole :

« Nous connaissons mieux la vitesse du mouvement d'un électron que la vitesse de circulation de la monnaie. Nous savons davantage du cycle de la terre autour du soleil et du cycle du soleil dans l'univers que nous ne connaissons le cycle industriel »

C'est à cette époque que Keynes commence à émettre ses recommandations, qu'il synthétise en 1936 dans son œuvre la plus aboutie, La Théorie Générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Keynes se fixait pour objectif de sauver le capitalisme. Imprégné de pensée dominante, il ne pouvait concevoir d'autre système.

Keynes avait profondément la psychologie et les opinions politiques d'un bourgeois anglais, conservateur vis-à-vis des partis ouvriers[9], bien que convaincu de participer de la meilleure façon possible au progrès à l'humanité. Il pensait qu'à terme, la bourgeoisie serait capable de faire advenir d’ici 2030 une société dans laquelle le “problème économique” serait résolu.[10]

Mais il était aussi partiellement cynique, comme lorsqu'il considérait que l'inflation était un moyen d'ajuster à la baisse les salaires réels, tout en étant moins scandaleux pour les travailleurs qu'une baisse de salaire nominal.

Il faut rappeler qu'il n'y a eu à l'époque aucune recette qui soit apparue satisfaisante, malgré plusieurs politiques clairement d'inspiration keynésienne, dont la plus typique fut le New Deal aux États-Unis.

3.3 Keynésianisme d'après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

C'est la Deuxième guerre mondiale qui a permis de relancer vigoureusement l'accumulation capitaliste, en détruisant et dévalorisant massivement du capital. Mais en même temps que ces changements économiques profonds, il y eut aussi une énorme crise sociale et une forte pression politique. Les communistes, malgré leur direction stalinienne, menaçait partout la domination capitaliste de façon plus ou moins forte. Il fallait donc pour les dirigeants bourgeois faire un grand nombre de concessions pour garder l'essentiel. A la fois au nom de la reconstruction et de la paix sociale, la fiscalité fut partout rendue plus progressive et l'État providence fut renforcé après la guerre. Parmi les économistes bourgeois, ceux qui étaient le plus compatibles avec le nouveau paradigme étaient les keynésiens. Le boom des "trente glorieuses" a alors permis aux disciples de Keynes d'avoir une grande influence sur les politiques économiques.

Parmi celles et ceux qui furent des disciples de Keynes à Cambridge, des sensibilités différentes s'affrontaient. La variante la plus conservatrice (James Meade) entendait limiter l'interventionnisme étatique à une politique monétaire. D'autres plus radicaux soutenaient que c'était insuffisant, et qu'une politique de hausse des salaires était nécessaire : Richard Khan, Piero Sraffa (ami de Gramsci), et parmi eux des partisans d'une synthèse marxo-keynésienne, comme Michal Kalecki et Joan Robinson. Pour eux, les inégalités de classe inscrites dans le capitalisme sont causes de crise.

Joan Robinson va écrire en 1942 un Essai sur l’économie de Marx, dans lequel elle cherche à la fois à affirmer que les résultats du keynésianisme confirment la nécessité de l'anticapitalisme, et à minimiser ou réfuter les éléments du Capital qui contredisent le keynésianisme :

  • Elle valorise Marx comme le précurseur de la macroéconomie (notamment à travers ses schémas de reproduction), en ce qu'il étudiait les contradictions et non un impossible équilibre du capitalisme.
  • Elle critique la loi de la valeur, qu'elle considère incohérente (cf. problème de la transformation des valeurs en prix), et affirme qu'elle n'est pas nécessaire à la critique du capitalisme.
  • Elle critique la loi de baisse tendancielle du taux de profit, soulignant que l'équation est en réalité indéterminée (en raison des contre-tendances).
  • Elle met en valeur les passages où Marx semble reconnaître l'importance d'un problème de réalisation en raison d'une demande trop faible par rapport à l'offre. Elle souligne également que la loi de Say était déjà réfutée par Marx, avant Keynes. (Marx notait que l'investissement est "un achat sans vente", et l'épargne "une vente sans achat").
  • Robinson conserve l'idée de contradiction, mais voit celle-ci dans la sphère de la circulation et non de la production, tout en soutenant que cela ne signifie pas qu'il s'agit pour autant d'une contradiction qui serait secondaire.

Kalecki est connu pour son équation "profits = investissements" qu'il interprète dans le sens de profits déterminés par les investissements (contrairement à certains marxistes).

3.4 Synthèse néoclassique (néokeynésianisme)[modifier | modifier le wikicode]

Ce furent les modérés qui l'emportèrent, et qui réalisèrent une synthèse entre Keynes et la micro-économie marginaliste. Ce fut défendu aux États-Unis par Harrod, Solow et Hicks, l'inventeur du modèle IS/LM, populaire par son aspect "opérable" par des gouvernements bourgeois.

La "synthèse néoclassique", comme elle fut appelée, fut popularisée et incarnée par Paul Samuelson, qui fut notamment conseiller de Kennedy.

Le canadien Mundell a développé ce courant sur les questions de politique monétaire, de taux de change et de circulation des capitaux (il est connu pour le triangle d'incompatibilité de Mundell). Dans le but de contrebalancer la puissance du dollar états-unien, Mundell a défendu la mise en place d'une monnaie unique européenne dès les années 1960. Il préfigurait la vision technocratique (soit disant dans l'intérêt général via un capitalisme plus efficacement régulé) qui allait dominer dans les institutions européennes. En effet, pour lui « l'euro est le moyen par lequel les congrès et les parlements peuvent être privés de tout pouvoir sur la politique monétaire et budgétaire. La démocratie dérangeante est retirée du système économique. »[11]

Pour ces keynésiens de la synthèse, la loi de Say est vraie sur le long terme, mais l'offre et la demande peuvent être déséquilibrées à court terme, et seul un interventionnisme modéré peut donc se justifier. De même, la monnaie peut avoir des effets à court terme, mais la vision reste celle d'une neutralité de la monnaie à long terme.[V 3]

Ils ont également en commun avec les néoclassiques de considérer que les salaires sont liés à la productivité marginale des salarié·es.

Les deux branches du keynésianisme eurent une vive polémique qui fut nommée "la controverse des deux Cambridge" (l'autre étant la Cambridge du Massachusetts).

🔍 Voir sur Wikipédia : Synthèse néoclassique.

3.5 Tournant néolibéral[modifier | modifier le wikicode]

3.5.1 Impasse économique[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la rentabilité capitaliste est devenue trop basse, à partir des années 1970, les milieux patronaux ont voulu une contre-offensive (précarisation du salariat, libéralisation...), et les politiciens ont voulu leur offrir de nouveaux champs d'accumulation (marchandisation, privatisation...). Par ailleurs le chômage devenait structurellement élevé et la dette publique commençait à s'envoler (moins de recettes à cause du ralentissement économique, plus de dépenses à cause du chômage, du vieillissement de la population, et de la perfusion croissante du privé...).

Les plans de relance d'inspiration keynésienne ne fonctionnaient plus, faisant augmenter les dépenses publiques (ou le « coût du travail ») sans que cela soit compensé par une reprise économique notable. En contradiction avec ce que prévoyait le modèle de la synthèse, une poussée de l'inflation apparaît malgré la stagnation économique (« stagflation »).

Cela a ouvert la voie à un changement de paradigme en économie. Ce sont des économistes néolibéraux qui ont profité de la situation, opérant largement un retour aux conceptions néoclassiques d'avant la synthèse. Les héritiers de Keynes font une traversée du désert, considérés comme de l'hétérodoxie en économie.

Les keynésiens donnent généralement des explications idéalistes au sujet du changement de paradigme de cette époque. Ils auraient simplement perdu la bataille des idées, le néolibéralisme serait erroné, et cela expliquerait que l'on n'ait plus la forte croissance et le plein emploi de l'après-guerre.

3.5.2 Retour des néoclassiques[modifier | modifier le wikicode]

Une partie de ces néolibéraux, les monétaristes, s'opposent radicalement à toute politique monétaire visant à une quelconque relance, soutenant que la monnaie est neutre, et que ces politiques ne peuvent que perturber l'économie et provoquer de l'inflation. Étant donné la forte inflation des années 1970, qui nuisait aux riches créanciers, ce courant a eu un grand écho auprès des politiciens. Pendant des années, c'est devenu le paradigme majeur des banques centrales.

Les économistes néolibéraux sont aussi connus pour avoir activement conseillé ou justifié les politiques de l'offre : ce n'est pas la consommation qu'il faut soutenir mais la production, et pour cela, il faut « libérer les entreprises » en baissant les impôts sur elles, en privatisant pour que la marché incite à la rentabilité...

En 1984, le keynésien Paul Davidson constate un retour des conceptions d'avant Keynes, comme la loi de Say. Il réalise un tableau montrant la façon dont il voyait le paysage intellectuel de l'époque en économie :[12]

«Radicaux» et socialistes Post-keynésiens Keynésiens Synthèse néo-classiques/Keynésiens Monétaires, néo-classiques
Politique Gauche Centre Gauche Centre Centre Droit Droite
Monnaie Les forces de l'économie réelle sont prédominantes. La monnaie n'est qu'un outil dans les mains des structures de pouvoir du moment Les forces de l'économie réelle sont prédominantes. Quant à la monnaie, on suppose qu'elle s'adapte Les forces de l'économie monétaire et de l'économie réelle sont intimement liées La monnaie doit être prise en compte, mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres La monnaie est de première importance
Taux de salaire Le taux de salaire est la base de la valeur. Le salaire nominal est le point clef du niveau des prix Le taux de salaire nominal est fondamental Le taux de salaire n'est qu'un prix parmi d'autres Le taux de salaire n'est qu'un prix parmi d'autres
Distribution du Revenu La distribution du revenu est la question économique la plus importante La distribution des revenus est très importante Les questions de distribution des revenus sont de moindre importance La distribution des revenus est la résultante de toutes les équations de demande et d'offre dans un système d'équilibre général. C'est une affaire d'équité et ne peut être l'objet d'une recherche scientifique La distribution des revenus est la résultante de toutes les équations de demande et d'offre dans un système d'équilibre général. C'est une affaire d'équité et ne peut être l'objet d'une recherche scientifique.
Théorie du Capital Surplus engendré grâce à l'« armée de réserve » Surplus nécessaire au-delà des salaires Théorie de la rareté (quasi-rente) Théorie de la productivité marginale : fonctions de production à facteurs substituables Théorie de la productivité marginale : fonctions de production à facteurs substituables
Théorie de l'emploi N'importe quel niveau d'emploi est possible. L'emploi augmente au cours du temps. le plein emploi est porteur de crise en économie capitaliste. La croissance est possible avec n'importe quel niveau d'emploi : cependant l'accent est mis sur la croissance de plein emploi. N'importe quel niveau d'emploi est possible ; le plein emploi est souhaitable Le plein emploi est possible. Le sous-emploi est vu comme une situation de déséquilibre. Le plein emploi est postulé à long terme : pas de théorie explicité de l'emploi à court terme.
Inflation Due d'abord aux variations du salaire nominal : peut être aussi due à des variations des marges de profit. Due au salaire nominal ou aux variations des marges de profit. Due aux variations du salaire nominal, de la productivité et/ou des marges de profit À long terme un phénomène monétaire relié avant tout à l'offre de monnaie à travers les décisions des agents économiques concernant leurs actifs. À court terme relation possible avec la courbe de Phillips. Avant tout un phénomène monétaire en ce sens qu'elle est reliée à l'offre de monnaie à travers les décisions des agents concernant leurs actifs.
Représentants les plus connus Galbraith, Bowles, D. Gordon, les Marxistes Mrs Robinson, Kaldor, Sraffa, Pasinetti, Eichner, Kregel, Harcourt Harrod, Shackle, Weintraub, Davidson, Minsky, Wells, Vickers Solow, Samuelson, Tobin, Clower, Leijonhufvud, Hicks Friedman, Brunner, Meltzer, Parkin, Laidler

3.5.3 Conséquences[modifier | modifier le wikicode]

Dans un premier temps, ces recettes semblent aider à la reprise de la croissance, au prix d'une montée des inégalités. Mais la croissance ne revient pas au niveau de l'après-guerre, et une période de cycles plus instables s'installe durablement, avec des bulles spéculatives plus marquées. Parallèlement le mouvement ouvrier connaît de profonds reculs.

Un des principaux angles d'attaques de ceux qui critiquent la politique de l'offre est de souligner que les salaires n'augmentent pas aussi vite que la productivité du travail.[13]

Dans les années 1990, des critiques disparates mais de plus en plus nombreuses commencent à se faire entendre, contre la mondialisation libérale, contre la financiarisation, contre le néolibéralisme... Cela s'accompagne d'un léger regain de luttes, mais sans réelles perspectives politiques dans un premier temps.

3.6 Le keynésianisme aujourd'hui[modifier | modifier le wikicode]

Depuis les années 2000, le réformisme semble en train de se reconstruire, avec des variantes de keynésianismes qui gagnent en audience.

3.6.1 Effet de la crise de 2008[modifier | modifier le wikicode]

Face à la crise de 2007-2010, les débats sur les méthodes de sortie de crise sont de plus en plus répandus et de plus en plus liés à la perspective politique qui est sous-tendue.

  • Les "nouveaux keynésiens" se placent dans le cadre dominant de l'austérité, mais critiquent surtout le monétarisme, et prônent une politique monétaire plus souple (rachats de titres de dettes publiques sur le marché secondaire par les banques centrales...). Paul Krugman et Joseph Stiglitz se situent globalement dans cette catégorie.
  • Les post-keynésiens, un peu plus à gauche, prônent une politique monétaire souple (rachat de titres, directement s'il le faut), et une politique budgétaire de relance modérée. Certains comme Jacques Sapir, prétendent que la sortie de l'euro serait un début de solution.[14]
  • Enfin les keynésiens les plus à gauche (dont beaucoup de "marxo-keynésiens", comme Jean-Marie Harribey), prônent une politique monétaire souple et une remise en cause de la dette, un plan de relance fort, un contrôle de finance, une hausse des salaires...

La plupart de ces courants, comme Keynes, critiquent les politiques économiques dominantes, qui seraient absurdes (“Europe’s austerity madness” selon Paul Krugman, “Austerity mania is sweeping Europe” selon Larry Elliot du Guardian[15]) et envisagent plus ou moins sincèrement un capitalisme profitant "à tous". Il faut toutefois souligner que le cynisme n'est jamais loin lorsque l'on reste dans une pensée bourgeoise : Krugman reprend par exemple la logique de Keynes sur l'inflation :

« L'inflation n'est pas le problème, c'est la solution (...) Pour restaurer la compétitivité en Europe, il faudrait que, disons d'ici les cinq prochaines années, les salaires baissent, dans les pays européens moins compétitifs, de 20% par rapport à l'Allemagne. Avec un peu d'inflation, cet ajustement est plus facile à réaliser (en laissant filer les prix sans faire grimper les salaires en conséquence) »[16]

Sur l'analyse de la crise, les keynésiens ont tendance à insister sur les facteurs subjectifs, comme les anticipations autoréalisatrices[V 4], contrairement aux marxistes qui tendent à distinguer le déclencheur (subjectif) et la fragilité structurelle (objective) qui était déjà présente (faible taux de profit).

3.6.2 Face à l'écologie[modifier | modifier le wikicode]

Les économistes hétérodoxes, dont les keynésiens, sont parmi les premiers à développer la notion d'externalité, pour montrer les limites du laissez-faire sur le plan écologique, mais également pour tenter de penser des outils (taxes carbone...) de régulation du capitalisme.

Ils ont tendance à insister sur des causes idéologiques pour expliquer l'inaction climatique (chiffres de l'impact du changement climatique sous-estimés...).[V 5][17]

Il ne fait aucun doute que la notion d'externalité est pertinente et que beaucoup de néoclassiques ultralibéraux sont dans le déni. Abstraitement, cela devrait conduire les politiciens à prendre des mesures beaucoup plus interventionnistes pour la transition énergétique. Mais la cause première de leur inaction est avant tout un ensemble de facteurs bien matériels : le poids des lobbies des énergies fossiles, la contrainte de la concurrence internationale favorisant le court-termisme et les énergies fossiles moins chères... Mettre au premier plan des causes idéologiques de façon idéaliste, cela empêche de voir à quel point la propriété privée des moyens de production est la question clé.

3.6.3 Nouvelle économie keynésienne[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir sur Wikipédia : Nouvelle économie keynésienne.

Ce courant est en grande partie l'héritage des keynésiens de la synthèse.

Principaux courants en économie selon la chaîne Des économistes et des hommes

Beaucoup considèrent qu'une nouvelle synthèse néoclassique a été formée, par la fusion de la nouvelle économie keynésienne et de la nouvelle économie classique, progressivement à partir de la fin des années 1990.

Dans la domaine monétaire, le monétarisme est globalement tombé en désuétude, et les nouveaux keynésiens critiquant la fixette sur l'inflation ont gagné du terrain. Mais en dehors des politiques monétaires, pour l'orthodoxie, il n'est pas question d'augmenter massivement les salaires ou de taxer le capital. Au niveau des politiciens, la politique de l'offre continue d'être la justification principale des politiques pro-capitalistes.

3.6.4 Post-keynésiens[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir sur Wikipédia : Post-keynésianisme.

Ce courant est issu des keynésiens de gauche, qui considèrent que la synthèse d'après-guerre était essentiellement un ralliement à la théorie néoclassique. Il dispose de revues[18] et de think tanks[19]. Les marxistes sont plus proches politiquement de ce courant-là, puisqu'il admet de la conflictualité de classe dans le capitalisme, mais en restent critiques, car il soutient la possibilité de le réguler efficacement, et donc alimente les illusions réformistes.[4]

Les principales caractéristiques des post-keynésiens peuvent être résumées ainsi :

  • Contrairement aux keynésiens modérés, ils ne considèrent pas que le marché tend spontanément à un équilibre optimal, mais qu'il peut atteindre un équilibre de sous-emploi.
  • Ils estiment que la demande surdétermine l'offre (et s'opposent donc à la loi de Say), et insistent sur l'impact des anticipations de la demande par les entreprises sur les investissements, et font des investissements le facteur qui surdétermine les profits (loi de Kalecki).
  • Ils estiment que la dépense publique peut engendrer des investissements ayant un effet multiplicateur. Ils s'opposent donc à des idées défendues par les néoclassiques comme l'effet d'éviction (du privé par le public, facteur d'inefficacité), et au principe d'équivalence néo-ricardienne selon lequel l'annonce d'un plan de relance conduit les acteurs à anticiper une hausse des impôts et donc à réduire leur consommation, annulant les effets.
  • Ils insistent sur les mécanismes qui peuvent engendrer des problèmes macro-économiques à partir de choix individuels rationnels (ex : paradoxe de l'épargne), légitimant l'interventionnisme.
  • Contrairement aux modèles néoclassiques fondés sur le troc (faisant abstraction de la monnaie, considérée comme neutre), ils prônent la construction de modèles monétaires.[V 6] Ils soutiennent la « théorie monétaire moderne ».

4 Expériences réelles[modifier | modifier le wikicode]

  • Le New Deal des années 1930 aux États-Unis
  • L'élection de Mitterrand en 1981 puis le tournant de la rigueur de 1982-1983
  • Le gouvernement "socialiste" Zapatero a d'abord essayé de relancer l'économie au moyen de politiques keynésiennes en 2008-2009, qui n'ont fait qu'augmenter le déficit (11,2% du PIB en 2009, contre un excédent budgétaire de 2,2% en 2007). En 2010 il opère un tournant, avec un plan d'économies de 50 milliards d'euros pour tenter de ramener le déficit public à 3% du PIB en 2013.

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Vidéos

  1. #6. En économie, 1 et 1 ne font pas 2 (1/2) - Paradoxe de l'épargne, Des économistes et des Hommes, 10 janv. 2019
  2. #7. En économie, 1 et 1 ne font pas 2 (2/2), Des économistes et des Hommes, 10 janv. 2019
  3. #8 Des keynésiens et des classiques, Des économistes et des Hommes, 13 févr. 2019
  4. #12. Les anticipations autoréalisatrices, Des économistes et des Hommes, févr. 2019
  5. #9. Des économistes et une planète (1/2) et (2/2), Des économistes et des Hommes, févr. 2019
  6. Des économistes et des hommes, Monnaie chômage et capitalisme (1/2) et (2/2), 2019

Textes

  1. Christian Dreger et Hans-Eggert Reimers, « Does public investment stimulate private investment? Evidence for the euro area », Economic Modelling, vol. 58, no C,‎ , p. 154–158 (ISSN 0264-9993, lire en ligne)
  2. Enrico Moretti, Claudia Steinwender et John Van Reenen, The Intellectual Spoils of War? Defense R&D, Productivity and International Spillovers, National Bureau of Economic Research Working Paper, no 26483,‎ novembre 2019
  3. Donald Moggridge, Keynes, Fontana books, 1976, p.42
  4. Revenir plus haut en : 4,0 et 4,1 Michael Roberts, Les principes du post-keynésianisme, 26 avril, 2021
  5. Revenir plus haut en : 5,0 et 5,1 Guglielmo Carchedi, Could Keynes end the slump? Introducing the Marxist multiplier, 2012
  6. Michael Roberts, Keynes, the profits equation and the Marxist multiplier, June 13, 2012
  7. José A. Tapia Granados, Does investment call the tune? Empirical evidence and endogenous theories of the business cycle, mai 2012
  8. Michael Roberts, The smugness multiplier, octobre 2012
  9. Michael Roberts, Keynes: socialist, liberal or conservative?, June 5, 2019
  10. Keynes, Letter on the Economic Possibilities of our Grandchildren, 1930
  11. Michael Hudson, Killing the host : how financial parasites and debt destroy the global economy, 2015
  12. Tableau de Paul Davidson dans The Crisis in Economic Theory de Daniel Bell et Irving Kristol. Traduction de Jean-Claude Milleron dans « Analyses de la SEDEIS », citées par Jacques Lesourne in Études, mars 1984, Paris, p. 329
  13. Bloomberg, Workers Get Nothing When They Produce More? Wrong, 4 décembre 2017
  14. Jacques Sapir, Même des politiques « non conventionnelles » de la BCE ne sauveraient ni l’euro ni l’Europe, 2012
  15. The Guardian, Policymakers have themselves to blame if austerity mania breaks up euro, Sep 2012
  16. Le Monde, Paul Krugman : "L'inflation n'est pas le problème, c'est la solution", 2012
  17. Antonin Pottier, Comment les économistes réchauffent la planète, 2016
  18. Journal of Post Keynesian Economics
  19. Levy Economics Institute