Matérialisme historique

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Métaphore de la lutte des classes.

Le matérialisme historique est un outil essentiel du marxisme. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'œuvre aujourd'hui, ce qu'elles représentent, et finalement, où il est le plus utile de concentrer l'action révolutionnaire.

1 L'élaboration du matérialisme historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Les conceptions antérieures de l'histoire[modifier | modifier le wikicode]

Ce sont Marx et Engels qui ont forgé la notion de matérialisme historique

Jusqu'au 18e siècle, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire : la conception théologique de l'histoire, la conception idéaliste de l'histoire, la conception téléologique de l'histoire (Hegel) et la conception matérialiste de l'histoire. C'est cette dernière qui va être revisitée et approfondie par Marx et Engels.

1.2 Synthèse du matérialisme et de la dialectique[modifier | modifier le wikicode]

La conception hégélienne commençait déjà à être rejetée en tant que théorie idéaliste, notamment par le matérialiste Ludwig Feueurbach. Marx et Engels sont eux-aussi convaincus que c'est la réalité concrète qui prédomine et qu'il n'y a pas d'arrière-monde où planeraient les Idées. Cependant, ils considèrent que la méthode dialectique de Hegel décrit à merveille les grands mouvements de l'histoire. C'est ce qui les conduira à utiliser les deux outils théoriques dans leur conception de l'histoire.

Vers la fin du 19e siècle, après mûrissement de leurs idées et confirmation par la réalité, ils en viendront à la conclusion que le nouveau paradigme est le matérialisme dialectique, dont le matérialisme historique est un corollaire.

2 Étude de l'infrastructure[modifier | modifier le wikicode]

Base et Superstructure.jpg

Le premier travail nécessaire à la compréhension de l'histoire est l'étude approfondie de l'infrastructure, c'est-à-dire l'organisation économique concrète de la société, par opposition à la superstructure, c'est-à-dire l'ensemble des conventions politiques, juridiques et idéologiques.

2.1 Travail et forces productives[modifier | modifier le wikicode]

Premièrement, la caractéristique essentielle de l'humain, ce qui le différencie avant toute chose des animaux, est qu'il est le seul à produire ses moyens de subsistance. La satisfaction des besoins humains élémentaires est une donnée préalable de toute existence humaine :

« Les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir « faire l'histoire » ! Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l'on doit, aujourd'hui encore comme il y a des milliers d'années, remplir jour après jour [...] simplement pour maintenir les hommes en vie. » [1]

Deuxièmement, le rapport premier et fondamental qui exprime cette nécessité de maintenir les hommes en vie est celui de l'homme avec la nature puisque l'homme tire de cette dernière ses moyens de subsistance. Et ce rapport entre l'homme et la nature s'effectue par le travail qui est l'activité qui lui permet de produire ces moyens. Dans cette production, trois éléments se dégagent :

  1. la force de travail, qui est constituée par l'énergie humaine dépensée dans le travail, par la force musculaire et intellectuelle de l'homme ;
  2. l'instrument de travail, qui est constitué par les outils, les instruments et l'infrastructure nécessaires à l'homme pour produire ses moyens de subsistance ;
  3. l'objet du travail, qui est la nature elle-même (matière brute ou matière première qui a déjà subi une modification).
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L'instrument de travail et l'objet du travail forment les moyens de production.

Enfin, l'ensemble de ces éléments fondamentaux de la relation homme-nature via le travail sont nommés forces productives.

2.2 Rapports sociaux de production[modifier | modifier le wikicode]

Mais le rapport entre l'homme et la nature n'est pas un rapport uniquement individuel, il est également un rapport social car Marx part de ce constat que l'homme est un animal social :

« L'homme ne peut survivre individuellement, ni assurer sa subsistance en dehors de la coopération avec d'autres membres de son espèce. Ses organes physiques trop peu développés ne lui permettent pas de s'approprier directement les vivres. Il doit produire ceux-ci collectivement. » [2]

La façon dont les hommes tirent leurs moyens de subsistance de la nature (forces productives) et la façon dont les hommes s'organisent entre eux pour mener à bien cette activité (rapports sociaux), Marx la désigne sous le nom de rapports sociaux de production. Les rapports sociaux de production sont fondamentalement constitués par le type de propriété des moyens de production qui existent à telle ou telle époque (propriété terrienne sous le féodalisme, propriété privé des entreprises sous le capitalisme...).

Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les forces productives :

« Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double : d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus). »

Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production:

« Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux [...]. Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux [...] seront tout naturellement différents. »[3]

2.3 Classes sociales[modifier | modifier le wikicode]

L'origine des classes sociales démontre cette relation entre forces productives et rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire de groupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquement déterminée. Lorsqu'il y a 8 000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture et l'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé (révolution néolithique). Lorsqu'ils commencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole, pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui est directement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, par la force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente ce surproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsi acquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) un pouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyens de production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte des propriétaires de ces moyens de production. Une division sociale du travail va donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes.

Dans les sociétés de classe précapitalistes, l'essentiel de la richesse provenait de l'exploitation de travailleur·ses agricoles.

Avec les classes, c'est l'exploitation systémique de l'homme par l'homme qui va apparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produire deviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, mais des relations entre classes sociales. Un changement au niveau des forces productives (élévation de la production matérielle) a surdéterminé un changement dans la façon dont le travail humain est organisé (les rapports sociaux).

Les classes sociales sont fondamentalement déterminées « par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale ». [4]

3 Évolution et liens avec la superstructure[modifier | modifier le wikicode]

Ces catégories économiques ne servent pas seulement à décrire l'état d'une société donnée, mais aussi et surtout à appréhender la dynamique de son évolution. Celle-ci ne se fait pas suivant un schéma linéaire, mais est la résultante d'un ensemble de tendances que l'on peut essayer d'estimer. Par ailleurs, le même type de causalité relie l'infrastructure et la superstructure. La description de ces liens suit une logique dialectique (par opposition à une vision mécaniste).

3.1 Dialectique[modifier | modifier le wikicode]

Si les éléments de l'infrastructure constituent la base de toute compréhension des phénomènes historiques, car ils déterminent « en dernière instance » les autres éléments, la superstructure à son tour peut influer sur l'infrastructure. Autrement dit, si la superstructure est, au départ, le reflet de l'infrastructure, si elle est déterminée par celle-ci, elle a aussi une vie active propre, une certaine autonomie. Elle devient une force active qui peut, à son tour, exercer une influence sur l'infrastructure économique de la société. On peut même observer que la superstructure a généralement une capacité de résistance plus grande que l'infrastructure (Les mentalités, les consciences et les coutumes persistent encore pendant de longues années après la destruction d'un mode de production). Un trait fondamental de toute société est donc que tout est mouvement, toutes les formes de relations sociales, à tous les niveaux, sont caractérisées par ce mouvement constitué de toutes les interactions entre les différents éléments constitutifs de la société. Et c'est de ce mouvement que naît le changement.

Pour exemple en Europe, la société antique a donné naissance au féodalisme qui, lui-même, a donné naissance au capitalisme. L'analyse doit donc rendre compte de ce mouvement, passé, présent et futur, comprendre que tout est en devenir. Les interactions sont des conditionnements réciproques: il n'y a pas simplement action de A sur B, mais il y a en retour réaction de B sur A. Cette façon de considérer les choses et les phénomènes dans leur mouvements et leurs transformations, dans leur enchaînement et leur action réciproque est ce que l'on appelle la méthode dialectique.

3.2 Les contradictions[modifier | modifier le wikicode]

Puisque les rapports sociaux « sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence  », on peut conclure que « les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances ».[1]

Il n'y a donc pas de fatalité historique ! Toute réalité est faite de contradictions, sans ces dernières, il ne peut y avoir de progrès possible. Ce sont les contradictions qui expliquent le mouvement, les enchaînements entre les différents modes de production car à chaque mode de production déterminé correspondent des types de contradictions déterminées. Mais il existe une contradiction fondamentale expliquant l'évolution des modes de production. Elle réside dans le fait qu'à un moment déterminé de leur évolution historique, les forces productives entrent en contradiction avec les rapports sociaux de production. Car les premières ont tendance à se développer, tandis que les rapports de production ont tendance à être figés par la classe dominante qui en profite. Lorsque la contradiction devient trop criante entre forces productives et rapports de production, le mode de production est menacé, et les conditions objectives d'une révolution sociale sont en place. Les contradictions dans la sphère idéologique accompagnent généralement de près cette évolution matérielle.

3.3 Lutte des classes[modifier | modifier le wikicode]

Le Manifeste communiste, écrit fin 1847, est un des textes de Marx et Engels les plus célèbres, dans lequel ils popularisaient à des fins directement militantes leur vision. Ils mettent au centre la lutte des classes :

« L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. »

La lutte des classes est bien sûr la contradiction fondamentale dans toute société de classe, et ce passage reste pertinent. Mais il ne peut résumer à lui seul le matérialisme historique, que Marx et Engels ont affiné par la suite, et qui a vocation à sans cesse être actualisé à la lumière des différentes connaissances. Engels a par exemple ajouté par la suite une précision dans les rééditions du Manifeste, à propos des premières sociétés humaines, sans classes sociales. Il est par ailleurs important de noter que la lutte des classes ne peut pas être comprise comme une lutte se menant arbitrairement au grès du volontarisme politique de tel ou tel parti. Elle est en interaction réciproque avec les évolutions socio-économiques des forces productives et des rapports sociaux.

3.4 Évolution et révolution[modifier | modifier le wikicode]

La révolution française de 1789 est souvent présentée comme archétype de la révolution bourgeoise, mais la question de la transition du féodalisme au capitalisme est complexe.

Mais il faut distinguer ici les changements quantitatifs des changements qualitatifs. Par exemple, l'eau chauffée à 99°C subit des transformations considérables, mais elle reste de l'eau. C'est un changement quantitatif. Par contre, à 100°C, l'eau se transforme en vapeur et ce changement d'état est un changement qualitatif. Par analogie, lorsque les forces productives connaissent un développement important, on peut parler de changement quantitatif. Mais, lorsque ces changements atteignent un degré tel qu'ils renversent les rapports de production établis, on doit parler de saut qualitatif. Ce changement n'est pas toujours graduel, ni pacifique car dans les sociétés humaines, il s'opère via des révolutions, des guerres ou des bouleversements sociaux importants.

Une révolution sociale, par exemple le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste, est un changement qualitatif.

La révolution française en est l'exemple classique : au sein de la société féodale, les forces de production se développaient sans cesse, prenant un caractère capitaliste (développement de la manufacture, des machines, etc.). Mais ces forces de production, de plus en plus capitalistes, entraient en contradiction avec les rapports sociaux de production féodaux car ces derniers, inadaptés, restreignaient les nouvelles capacités de développement. La classe bourgeoise, bénéficiant de cette évolution, devait donc rompre et abolir les rapports sociaux féodaux (servage, etc.) pour pouvoir pleinement développer sa richesse. Il fallait donc renverser le pouvoir politique de l'aristocratie pour que le pouvoir économique de la bourgeoisie se développe pleinement : c'est, avec l'appui des masses populaires, que s'est déclenché la révolution de 1789 et tous les bouleversements qui s'en sont suivis.

La société capitaliste n'est pas moins instable que celles qui l'ont précédé, mais certainement davantage. Les contradictions du capitalisme sont la base objective de la nécessité du communisme.

4 Le matérialisme historique et les individus[modifier | modifier le wikicode]

Il est évident que le matérialisme historique minimise le rôle des individus par rapport à des analyses centrées sur les dynasties royales, les « grands hommes », etc. Mais cela ne veut pas dire que tout aspect individuel est forcément écarté des analyses.

4.1 Explication des caractères individuels[modifier | modifier le wikicode]

Marx rappelle dans sa préface au premier volume du Capital, que son propos n'est pas de blâmer moralement les individus qui appartiennent à la bourgeoisie, car ils sont déterminés par la société :

« Pour éviter des malentendus possibles, encore un mot. Je n'ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes, qu'autant qu'elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d'intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue, d'après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l'individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu'il puisse faire pour s'en dégager. »[5]

Dans son Histoire de la Révolution russe, Trotski livre son interprétation du caractère du tsar Nicolas II comme reflet de la clique tsariste sur le déclin. Il établit une analogie avec le caractère de Louis XVI en 1789.[6]

4.2 Impact des individus sur les événements[modifier | modifier le wikicode]

Selon Trotski, grand défenseur du matérialisme historique, la révolution d'Octobre n'aurait sans doute pas eu lieu sans Lénine.

Certains marxistes minimisent fortement l'importance de tel ou tel individu, allant jusqu'à affirmer que les événements forgent les hommes, y compris les leaders.

Marx écrivait que :

« [L'histoire] serait de nature fort mystique si les « hasards » n'y jouaient aucun rôle. Ces cas fortuits rentrent naturellement dans la marche générale de l'évolution et se trouvent compensés par d'autres hasards. Mais l'accélération ou le ralentissement du mouvement dépendent beaucoup de semblables « hasards », parmi lesquels figure aussi le « hasard » du caractère des chefs appelés les premiers à conduire le mouvement. »[7]

Trotski semble dire que la Révolution d'Octobre n'aurait probablement pas eu lieu sans Lénine et sa capacité particulière à comprendre la situation née de Février :

« Reste à demander, et la question n'est pas de peu d'importance, bien qu'il soit plus facile de la poser que d'y répondre : comment se serait poursuivi le développement de la révolution si Lénine n'avait pu parvenir en Russie en avril 1917 ? Si notre exposé montre et démontre en général quelque chose, c'est, espérons-nous, que Lénine ne fut pas le démiurge du processus révolutionnaire, qu'il s'inséra seulement dans la chaîne des forces historiques objectives. Mais, dans cette chaîne, il fut un grand anneau. La dictature du prolétariat découlait de toute la situation. Mais encore fallait-il l'ériger. On ne pouvait l'instaurer sans un parti. Or, le parti ne pouvait accomplir sa mission qu'après l'avoir comprise. Pour cela justement, Lénine était indispensable.  »[8]

4.3 Rationalité des individus ?[modifier | modifier le wikicode]

Certains critiques du marxisme soutiennent qu'il repose sur l'idée que les acteurs (les individus) sont motivés par leur intérêt matériel, et donc qu'ils sont rationnels. C'est le cas de Bertrand Russel, qui soutient que Marx a ainsi hérité de de la psychologie rationaliste du 18e siècle et de la vision des économistes classiques anglais, mais que la psychologie moderne aurait montré que la raison guide une toute petite partie du comportement humain par rapport à d'autres sentiments (religions, nationalisme...).

Mais Marx n'a en fait jamais pensé un matérialisme s'appliquant de façon si mécanique à chaque individu. Raisonnant comme un des tous premiers représentant de la sociologie (le terme n'était pas encore utilisé), il exposait des lois sociales.

« Marx lui-même a noté plus d'un exemple d'idéalisme individuel triomphant des intérêts matériels et de l'environnement de classe et, par une perversité étonnante (...) certains de ses critiques, notamment Ludwig Slonimski[9], ont utilisé ces exemples comme arguments contre sa théorie, prétendant qu’ils la réfutent ! »[10]

Dans ses écrits Marx avance que les actions des individus sont modelées par les conditions économiques, et jamais qu'elles seraient déterminées par leur seul intérêt économique.

5 Schéma général et analyses concrètes[modifier | modifier le wikicode]

Dans sa tentative de dégager par induction un schéma général de la succession des modes de production, le matérialisme historique peut donner l'impression que ce schéma peut ensuite être appliqué mécaniquement au sein de n'importe quelle société donnée, à partir des seules considérations socio-économiques. Mais en réalité lorsque par exemple Marx tentait d'analyser concrètement une société, il prenait en compte les nombreux facteurs (tout aussi matérialistes) qui ne relèvent pas purement du schéma socio-économique. Et il raisonnait avec la notion de « formation sociale » (concrète), et non avec la notion de mode de production (abstrait).

5.1 Importance de la géographie[modifier | modifier le wikicode]

Toute analyse d'une formation sociale concrète (et toute analyse des rapports impérialistes mondiaux) doit prendre en compte des éléments de géographie.

Beaucoup d'historiens ont pris en compte la géographie, mais ils se sont souvent centrés sur l'influence du milieu naturel sur la physiologie ou la psychologie humaine, celle-ci expliquant à son tour l'histoire. C'est par exemple ce que fait Montesquieu dans certains passages de l'Esprit des lois. Or la tentative d'expliquer l'histoire par la psychologie conduit souvent à l'idéalisme.

A l'inverse, Hegel, qui attribuait une grande importance au « fondement géographique de l'histoire universelle », se centrait sur l'influence de la géographie sur les rapports sociaux, ce qui permet d'en tirer des considérations matérialistes malgré le fondement idéaliste de sa théorie. Hegel distingue trois grands milieux géographiques avec les effets suivants :

  1. Les plateaux dépourvus d'eau, aux plaines et aux steppes immenses. L'élevage y domine. Les indigènes des plateaux, les Mongols, par exemple, mènent la vie patriarcale et nomade.
  2. Les vallées basses coupées de grands fleuves. L'agriculture y domine. Ces terres ont donné naissance à de grands Etats avec la propriété foncière et les rapports juridiques qui s'y rattachent (Chine, Inde, Babylone, Egypte...), car les besoins de l'agriculture (adaptation aux saisons, irrigation...) exigent une grande organisation sociale.
  3. Les terres du littoral au contact immédiat avec la mer. Le commerce et l'artisanat y dominent. Le commerce maritime donne une ouverture qui est facteur de transformations sociales, contrairement à l'immobilisme relatif des autres sociétés.
La géologie peut être un facteur de variations locales de votes à des élections 100 millions d'années plus tard.

Le livre de Lev Metchnikov, La Civilisation et les grands fleuves historiques (1889) livrait des considérations globalement matérialistes sur la géographie, proches de celles de Hegel. Henry Thomas Buckle (1821-1862) essaya aussi d'expliquer l’histoire par le climat, les sols, la nourriture et d’autres facteurs environnementaux modelant un peuple et un pays.

Marx s'est concentré sur l'aspect social et économique (primordial pour expliquer le capitalisme), mais reconnaissait tout à fait l'importance des facteurs géographiques dans l'histoire humaine. Dans l'Idéologie allemande il écrit ainsi :

« Nous ne pouvons naturellement pas faire ici une étude approfondie de la constitution physique de l'homme elle-même, ni des conditions naturelles que les hommes ont trouvées toutes prêtes, conditions géologiques, orographiques, hydrographiques, climatiques et autres. Or cet état de choses ne conditionne pas seulement l'organisation qui émane de la nature; l'organisation primitive des hommes, [...] il conditionne également tout leur développement ou non développement ultérieur jusqu'à l'époque actuelle. Toute histoire doit partir de ces bases naturelles et de leur modification par l'action des hommes au cours de l'histoire. »[11]

Des éléments d'analyse figurent aussi dans certains passages du Capital :

« Abstraction faite du mode social de la production, la productivité du travail dépend des conditions naturelles au milieu desquelles il s'accomplit. (...) Les conditions naturelles externes se décomposent au point de vue économique en deux grandes classes : richesse naturelle en moyens de subsistance, c'est‑à‑dire fertilité du soi, eaux poissonneuses, etc., et richesse naturelle en moyens de travail, tels que chutes d'eau vive, rivières navigables, bois, métaux, charbon, et ainsi de suite. Aux origines de la civilisation c'est la première classe de richesses naturelles qui l'emporte; plus tard, dans une société plus avancée, c'est la seconde. Qu'on compare, par exemple, l'Angleterre avec l'Inde, ou, dans le monde antique, Athènes et Corinthe avec les contrées situées sur la mer Noire. »[12]

Marx souligne que paradoxalement, une relative abondance naturelle ne favorise pas l’émergence de révolutions techniques et économiques :

« il ne s'ensuit pas le moins du monde que le sol le plus fertile soit aussi le plus propre et le plus favorable au développement de la production capitaliste, qui suppose la domination de l'homme sur la nature. Une nature trop prodigue « retient l'homme par la main comme un enfant en lisière »; elle l'empêche de se développer en ne faisant pas de son développement une nécessité de nature. La patrie du capital ne se trouve pas sous le climat des tropiques, au milieu d'une végétation luxuriante, mais dans la zone tempérée. Ce n'est pas la fertilité absolue du sol, mais plutôt la diversité de ses qualités chimiques, de sa composition géologique, de sa configuration physique, et la variété de ses produits naturels, qui forment la base naturelle de la division sociale du travail et qui excitent l'homme, en raison des conditions multiformes au milieu desquelles il se trouve placé, à multiplier ses besoins, ses facultés, ses moyens et modes de travail. »

Parmi les travaux récents, David Harvey s'est efforcé de développer un « matérialisme historico-géographique ».[13]

5.2 Interactions entre différents peuples[modifier | modifier le wikicode]

L'invasion des Huns est un des facteurs qui a pesé dans la « chute » de l'Empire romain d'Occident, en combinaison avec des facteurs proprement internes.

Les considérations socio-économiques au sein d'une société formée par un peuple donné ne peuvent suffire à une analyse concrète, surtout lorsque les interactions avec d'autres peuples sont fortes. Ces interactions entre peuples, à la fois :

  • sont fortement déterminées par les considérations socio-économiques (un peuple ayant développé une aristocratie guerrière par l'exploitation de ses propres travailleurs pourra plus facilement être victorieux de peuples vivant dans le communisme premier) ;
  • déterminent les considérations socio-économiques (des invasions comme les « invasions barbares » de la fin du Moyen-Âge ont été un facteur important de transition vers le féodalisme, même si l'affaiblissement intrinsèque à l'Empire romain a été primordial).

Cela fait longtemps que des auteurs ont remarqué ce genre de rapports entre évolution interne à un peuple et impérialisme entre peuples. Par exemple, le philosophe arabe Ibn Khaldoun (1332-1406) nommait asabiyya[14] la cohésion sociale (au sens de liens plus ou moins "claniques" existant au sein d'un peuple, et décrivait comment l'asabiyya déclinait particulièrement dans les villes des grands empires, et menait à leur chute face à des peuples nomades des périphéries à la forte asabiyya, puis comment les conquérants avaient tendance à adopter le mode de vie du peuple conquis et subir le même processus.

Au sujet du rapport entre différentes nations, Boukharine écrivait :

« Dans la réalité historique, le rôle de la violence extra-économique ou conquête a été très grand et a eu son influence sur le processus de la formation des classes. Mais dans une recherche purement théorique, il est indispensable de laisser cela de côté. Supposons que nous analysions une « société abstraite » dans son évolution : même là apparaîtraient des classes, en vertu de ce qu'on appelle les « causes internes de l'évolution » que montre Engels. En somme, le rôle des conquêtes, etc., n'est qu'un facteur (très important) de complications. »[15]

6 Quelques critiques et débats[modifier | modifier le wikicode]

6.1 Lien avec le matérialisme en général ?[modifier | modifier le wikicode]

Les marxistes ont toujours considéré qu'il n'y avait pas de rapport automatique entre le fait d'étudier de façon matérialiste le monde physique et le matérialisme historique.

« Avoir une conception matérialiste de la nature ne signifie pas nécessairement qu'on possède une conception matérialiste de l'histoire. Les matérialistes du [18e siècle] considéraient celle-ci avec des yeux d'idéalistes, et d'idéalistes fort naïfs. » Pour eux « le cours des choses, dans la société, est déterminé par le cours des idées, et celui-ci par on ne sait quoi : les règles de la logique formelle, ou l'accumulation des connaissances, par exemple. »[16]

Cependant ils estiment qu'il y a objectivement une cohérence entre ces deux éléments.

A l'inverse, certains penseurs ont critiqué la conception marxiste de l'histoire tout en défendant un matérialisme philosophique. Par exemple Bertrand Russel (qui assimilait le marxisme à un réductionnisme économique) :

« Le matérialisme philosophique ne prouve pas que les causes économiques soient fondamentales en politique. L’opinion de Buckle, par exemple, selon laquelle le climat est un des facteurs décisifs, est également compatible avec le matérialisme. Il en est de même de l’opinion de Freud, qui attribue tout à la sexualité. Il y a d’innombrables façons d’envisager l’histoire, qui sont matérialistes au sens philosophique du mot sans être économiques ou se rapporter à la formule de Marx. » [17]

Comme les objets de la sociologie et de l'histoire sont des abstractions, des débats ont également émergé sur ce qu'il y a de « matériel » dans le matérialisme historique. Répondant à certaines objections, Boukharine écrit :

« Max Adler, qui concilie Marx avec Kant, voit dans la société un ensemble d'actions mutuelles psychiques : tout est psychique chez lui (on voit la même chose chez A. A. Bogdanov : Contribution à la psychologie de la société). Voici un spécimen de raisonnement de ce genre : « Mais le rapport n'est nullement une chose matérielle dans le sens philosophique du matérialisme qui met sur le même rang la matière et la substance inanimée. En général il est difficile de mettre « la structure économique », « base matérielle » du matérialisme historique, en rapport quelconque avec la « matière » du matéria­lisme philosophique, quel que soit le sens que nous lui donnons... Et ceci concerne non seulement ce qui exerce l'action, mais aussi ce qui est créé par cette action. Les moyens de production... sont plutôt des produits de l'esprit humain... » (Max Zetterbaum : Contribution à la conception matérialiste de l'histoire, dans le recueil intitulé : le Matérialisme historique. Édition du Soviet de Moscou, 1919). M. Zetterbaum est dérouté par le fait que les machines ne sont pas faites par des hommes sans âme. Mais comme les hommes eux-mêmes ne sont pas faits non plus par des morts, il s'ensuit que tout dans la société est le produit de l'esprit privé de corps, d'un esprit bienfaisant. Par conséquent, la machine est quelque chose de psychique ; par conséquent la société ne dispose d'aucune « matière ». Et pourtant il va de soi qu'il n'en est pas tout à fait ainsi. En effet, même l'esprit le plus pur n'aurait créé ni les hommes ni les machines sans la chair coupable. Et plus encore, sans cette chair coupable, il n'aurait pas brûlé du désir de faire des choses pareilles. Mais que faire du « rapport » ? Nous l'expliquerons encore une fois à M. Zetterbaum. Nous espérons que M. Zetterbaum ne protestera pas si nous parlons du système solaire comme d'un système matériel. Mais qu'est-ce que ce système et pourquoi est-ce un système ? Pour une raison très simple, à savoir que ses parties intégrantes (le soleil, la terre et toutes les autres planètes) se trouvent en rapports définis les unes avec les autres, car elles occupent à chaque moment donné une place déterminée dans l'espace. Et de même que l'ensemble des planètes qui se trouvent en rapports définis entre elles, forment le système solaire, de même l'ensemble des hommes liés par les rapports de production forme la structure économique de la société, sa base matérielle, son appareil humain. »[15]

6.2 Déterminisme économique ?[modifier | modifier le wikicode]

Le matérialisme historique n'est pas un vulgaire déterminisme économique qui prétendrait que tel état des forces productives implique mécaniquement tel état de conscience sociale. Il doit plutôt être considéré comme un déterminisme socio-économique, car il considère que l'infrastructure et la superstructure sont en interaction permanente et dialectique. En revanche il est clair que le matérialisme rejette comme idéaliste - à double titre - l'idée de libre-arbitre total.

« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants ».[18]

Il est tentant une fois que l'on a été convaincu de l'influence globale qui existe entre l'infrastructure et la superstructure, de simplifier cette analyse. Engels était conscient de ce travers et reconnaissait une part de responsabilité dans les formulations initiales du marxisme :

« Marx et moi-même sommes en partie à blâmer pour le fait que les jeunes mettent parfois plus l'accent qu'il ne le faudrait sur le plan économique. Nous devions mettre en lumière le facteur principal vis-à-vis de nos adversaires, qui le niaient, et nous n'avions pas toujours le temps, le lieu ou la possibilité de rendre compte des autres facteurs impliqués dans l'interaction. » [19]

Trotski évoque aussi ce mauvais exemple :

« Vouloir établir une espèce de dépendance automatique de la dictature prolétarienne à l'égard des forces techniques et des ressources d'un pays, c'est un préjugé qui dérive d'un matérialisme "économique" simplifié à l'extrême. Un tel point de vue n'a rien de commun avec le marxisme. Bien que les forces de production industrielles fussent dix fois plus développées aux États-Unis que chez nous, le rôle politique du prolétariat russe, son influence à venir sur la politique mondiale sont incomparablement plus grandes que le rôle et l'importance du prolétariat américain. »[20]

Par ailleurs, l'infrastructure économique est bien évidemment influencée par des conditions géographiques ou climatiques.[21] Dans Histoire de la révolution russe, Trotski montre notamment comment l'immensité de la plaine russe a engendré un retard dans le développement de la division du travail, et comment ce retard a été affecté ensuite par le contact avec l'Occident plus "avancé".

Il a souvent été reproché aux marxistes de nier ou minimiser le rôle de facteurs comme la religion ou le nationalisme dans l'histoire. C'est par exemple la critique de Russel, qui accuse les marxistes de faire découler de façon dogmatique toute l'histoire de facteurs économiques. Il reconnaît lui-même que « considérée comme une approximation pratique et non comme une loi métaphysique exacte, la conception matérialiste de l’histoire comporte une grande part de vérité », mais insiste sur le fait qu'une « théorie générale de l’histoire ne peut être vraie tout au plus que dans ses grandes lignes »[17]. Or, beaucoup de marxistes considèrent qu'il ne font pas autre chose que dégager des lois tendancielles, qu'il s'agit sans cesse de corriger et affiner, et pas des lois rigides.

En revanche, vouloir multiplier les facteurs influençant la marche de l'histoire en les mettant tous sur le même plan conduit à une forme d'éclectisme. Trotski raconte lui-même sur son évolution vers le marxisme :

« Je résistai relativement longtemps au matérialisme historique, m'en tenant à la théorie de la multiplicité des facteurs historiques qui est jusqu'à présent, on le sait, la théorie la plus répandue dans la science sociale. Des gens disent des divers aspects de leur activité sociale que ce sont des facteurs, ils donnent à ce concept un caractère super-social et ensuite ils expliquent superstitieusement leur propre activité sociale comme un produit de l'action mutuelle de ces forces indépendantes. D'où viennent ces facteurs, c'est-à-dire dans quelles conditions se sont-ils développés depuis l'humanité primitive? L'éclectisme officiel s'arrête à peine à cette question. »[22]

6.3 Autres explications naturalisantes[modifier | modifier le wikicode]

Le matérialisme historique n'exclut pas a priori d'autres types de facteurs matérialistes que la sociologie, l'histoire et l'économie. Cependant il existe clairement une tendance dans certaines pensées à donner trop d'importance à des facteurs "naturels". Idéologiquement, cela présente l'avantage de "naturaliser" les classes sociales. De présenter la société comme le simple fruit d'une nature humaine solidement ancrée.

« La bourgeoisie a essayé plus d'une fois de mettre à la place des lois sociales, d'autres « lois » prouvant que la misère des masses, établie par Dieu, est inévitable et que cette situation est indépendante du régime social [...] (ainsi Ernest Miller « prouvait » que la marche de l'histoire dépendait du magnétisme terrestre ; Jevons expliquait les crises industrielles par les taches du soleil, etc...). Au nombre de ces tentatives appartient également celle du pasteur et économiste anglais Robert Malthus qui voyait la source de la misère de la classe ouvrière dans le penchant coupable des hommes à se multiplier. »[15]

Les différents types de racialismes relèvent également de ce type de naturalisation des phénomènes historiques et sociaux.

6.4 Historicisme ?[modifier | modifier le wikicode]

Le matérialisme historique est régulièrement accusé d'être un affreux historicisme, c'est-à-dire un discours consistant pour les marxistes à faire dire à l'histoire ce qui les arrange. Les mêmes considèrent souvent que l'on ne doit pas être "militant" si l'on veut contribuer objectivement à une science. L'ennui dans cette thèse est que si « l'histoire est écrite par les vainqueurs », se contenter de reprendre ce qui a été dit revient à se mouler dans l'idéologie dominante.

« Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle. »[23]

Cela ne signifie pas que le matérialisme historique puisse affirmer tout et n'importe quoi. En tant que modèle scientifique, il propose des explications qui ont d'ores et déjà montré une cohérence remarquable pour une science qui s'intéresse à un sujet aussi complexe que l'histoire des sociétés humaines. Un modèle peut être critiqué sur ses hypothèses et peut toujours être affiné, mais c'est rejeter en bloc l'idée de modèle sans rentrer dans les détails qui est réactionnaire en science, pas son étude.

6.5 Schéma révolutionnaire simpliste ?[modifier | modifier le wikicode]

Certains auteurs ont accusé Marx de conclure abusivement que tout conflit de classe doit aboutir à une révolution inéluctable. C'est le cas par de Ralf Dahrendorf ou encore de Guy Fourquin qui remarquait : « La solution violente est au Moyen Age comme en d’autres temps l’exception et le compromis la règle ». Or cette critique montre surtout une méconnaissance des analyses précises de Marx, qui décrivait par exemple les compromis passés entre communes et féodalité, et qui a même analysé la construction lente des monarchies absolutistes comme un compromis né des rapports de force entre d’une part la noblesse, d’autre part la bourgeoisie montante.

Par ailleurs, dans la célèbre phrase du Manifeste communiste citée plus haut, Marx évoque la possibilité que la lutte entre les classes aboutisse non pas à une révolution, mais à la destruction des classes en lutte.

6.6 Socialisme inéluctable ?[modifier | modifier le wikicode]

Il y a chez Marx et Engels un certain optimisme dans le progrès historique, le sens de l'histoire, et le caractère inéluctable du communisme. Cet optimisme était partagé par beaucoup d'autres penseurs du 19e siècle, socialistes mais pas seulement (positivistes par exemple). Il y a par ailleurs des nuances chez Marx et Engels, et leur engagement actif pour organiser la classe ouvrière dans un sens internationaliste est significatif (c'est déjà reconnaître une certaine importance à la praxis).

Il est clair que beaucoup de marxistes jusqu'au milieu du 20e siècle ont mis en avant une vision qui pousse jusqu'à l'extrême cet optimisme.

« La victoire de notre programme est aussi inévitable que la naissance du soleil demain » Gueorgui Plekhanov

Mais de nombreux autres marxistes ont remis en cause cette vision, en général pour alerter sur le fait que si le mouvement ouvrier socialiste ne parvient pas à proposer à temps une alternative au capitalisme, celui-ci pourrait précipiter le monde dans un abîme. On peut faire remonter cette tradition au célèbre « socialisme ou barbarie » de Rosa Luxembourg.

6.7 Millénarisme ?[modifier | modifier le wikicode]

Certains raillent la perspective donnée par le matérialisme historique d'une société sans classes, y voyant une simple influence de la promesse chrétienne d'un paradis. Toutefois, qu'ils soient conservateurs ou réformistes de gauche, ils n'expliquent pas concrètement en quoi ce ne serait pas crédible, étant données les contradictions du capitalisme et le niveau actuel de la socialisation de la production. Et la nouveauté historique majeure, c'est que la seule classe susceptible de prendre le pouvoir, la classe ouvrière, ne peut pas devenir une classe dominante dans le cadre du système actuel. Et si elle abolit le capitalisme, c'est-à-dire rend la propriété des moyens de production sociale, elle abolit par là même les classes. Ce ne serait pas la "fin de l'histoire", comme ironisent certains, mais la fin d'un type d'histoire assez archaïque, caractérisé par la domination d'hommes sur d'autres hommes.

6.8 Socialisme scientifique ?[modifier | modifier le wikicode]

A la suite de Marx et Engels, une grande partie du mouvement socialiste s'est revendiqué d'un socialisme scientifique, opposé à un socialisme utopique. En grande partie, c'est le fait de s'appuyer sur l'analyse matérialiste historique qui justifie cette revendication d'un caractère scientifique.

Certains marxistes ont cependant noté que l'on peut trouver pertinent d'utiliser le matérialisme historique comme outil descriptif, tout en combattant l'idée socialiste.[24] Ce cas n'est pas si rare. Par exemple l'économiste Edwin Seligman reconnaissait la pertinence du matérialisme historique (qu'il préférait appeler, de façon réductionniste, « interprétation économique de l'histoire »[25]), tout en étant opposé au socialisme. D'autres ont critiqué cette idée[26], et avancé que tendanciellement, le fait de ne pas avoir de préjugé bourgeois est une condition pour faire de la bonne science sur les sujets (économiques, sociologiques, historiques...) qui touchent à la société, la propriété, l'égalitarisme...[27]

7 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

7.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

7.2 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 et 1,1 Friedrich Engels, Karl Marx, L'idéologie allemande, août 1845
  2. Ernest Mandel, Introduction au marxisme, 1983
  3. Karl Marx, Lettre à propos de J.-P. Proudhon
  4. Lénine, La grande initiative, l'héroïsme des ouvriers de l'arrière, 28 juin 1919
  5. Karl Marx, Le Capital, Livre I - Préface de la première édition, 25 juillet 1867
  6. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe. 4 Le tsar et la tsarine, 1930
  7. Karl Marx, Lettre à Ludwig Kugelmann, 17 avril 1871
  8. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe. 16 Le réarmement du parti, 1930
  9. Ludwig Slonimski, Karl Marx's Nationaloekonomische Irrlehren, Berlin, 1897
  10. John Spargo, Socialism. A summary and interpretation of socialist principles, June 1906
  11. Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie allemande, 1845
  12. Karl Marx, Le Capital, Livre I - Chapitre XVI : Plus-value absolue et plus-value relative, 1867
  13. David Harvey, Géographie et capital: Vers un matérialisme historico-géographique, 2010 (revue)
  14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Asabiyya
  15. 15,0 15,1 et 15,2 Nikolaï Boukharine, La théorie du matérialisme historique, 1921
  16. Gheorghi Plekhanov, Pour le 60° anniversaire de la mort de Hegel, 1891
  17. 17,0 et 17,1 Bertrand Russell, Pratique et théorie du bolchevisme, 1920
  18. Karl Marx, Le 18 brumaire de L. Bonaparte, 1851
  19. Letter to Joseph Bloch, September 21, 1890
  20. Léon Trotski, Trois conceptions de la révolution russe, 1940
  21. Tendance CLAIRE du NPA, Dirty Biology, Jared Diamond… pour ou contre l’écologie historique ?, 2016
  22. Léon Trotski, Ma vie, 1930
  23. Karl Marx, Critique de l'économie politique, Préface, 1859
  24. Rudolf Hilferding, Préface du Capital financier, 1910
  25. Edwin Seligman, The Economic Interpretation of History. New York: Macmillan, 1902
  26. K. Korsch, Marxisme et Philosophie, Ed. de Minuit, 1964, publié en allemand en 1923.
  27. Ernest Mandel, Emancipation, science et politique chez Karl Marx, 1983