Division du travail

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La division sociale du travail est le fait que des travailleurs et travailleuses effectuent des tâches différentes et spécialisées, nécessaires les unes aux autres à la production. Cette division du travail n'a rien de naturel et a profondément varié dans l'histoire.

A l'échelle mondiale, on parle aussi de division internationale du travail pour décrire la tendance à la spécialisation par pays.

1 Une spécialisation naturelle ?[modifier | modifier le wikicode]

La plupart des membres des classes dominantes font de la division du travail une caractéristique naturelle des individus. Cela a un avantage idéologique évident puisque cela permet de masquer les causes sociales qui jouent en leur faveur en les plaçant au sommet de la hiérarchie.

Adam Smith rejetait cette naturalisation. Dans son célèbre livre sur La richesse des Nations, il soutenait :

« Dans la réalité la différence des talents naturels entre les individus est bien moindre que nous ne le croyons. Ces dispositions si différentes, qui semblent distinguer les hommes des diverses professions, quand ils sont parvenus à la maturité de l'âge, ne sont pas tant la cause que l'effet de la division du travail. »

Adam Ferguson avait écrit 17 ans avant Smith sur ces effets de la division du travail, à l'époque de la manufacture :

« Il y aurait lieu même de douter si la capacité générale d'une nation croît en proportion du progrès des arts. Plusieurs arts mécaniques... réussissent parfaitement lorsqu'ils sont totalement destitués du secours de la raison et du sentiment, et l'ignorance est la mère de l'industrie aussi bien que de la superstition. La réflexion et l'imagination sont sujettes à s'égarer : mais l'habitude de mouvoir le pied ou la main ne dépend ni de l'une ni de l'autre. Ainsi on pourrait dire que la perfection, à l'égard des manufactures, consiste à pouvoir se passer de l'esprit, de manière que sans effort de tête l'atelier puisse être considéré comme une machine dont les parties sont des hommes... L'officier général peut être très habile dans l'art de la guerre, tandis que tout le mérite du soldat se borne à exécuter quelques mouvements du pied ou de la main. L'un peut avoir gagné ce que l'autre a perdu... Dans une période où tout est séparé, l'art de penser peut lui-même former un métier à part  »[1]

Smith admettait ces effets abrutissants de la division du travail, et préconisait que l'éducation obligatoire pourrait limiter les effets négatifs.[2]

2 L'origine de la division du travail[modifier | modifier le wikicode]

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Dans le premières sociétés humaines, il n'y avait quasiment pas de division du travail. Les chasseurs-cueilleurs travaillaient en commun et se partageaient les ressources de façon égalitaire. En revanche, il semble qu'il y ait eu dès l'origine une division sexuelle du travail, même si dans de nombreuses sociétés cela ne se traduisait pas nécessairement par une domination masculine.

La division du travail a eu tendance à s'approfondir depuis l'apparition des sociétés de classes. Dans ces sociétés reposant sur l'exploitation, la répartition des tâches n'est pas seulement différente, mais aussi inégalitaire. Certains rôles assurent plus de richesses et de prestige, d'autres sont aliénantes et dégradantes.

Par ailleurs, il est clair que la division du travail a aussi été un facteur majeur d'augmentation de la productivité du travail social. Mais dans les sociétés précapitalistes cette hausse de la productivité n'avait pas avant tout une importance marchande. Marx soulignait par exemple la différence notable d'approche des penseurs de l'Antiquité vis-à-vis de l'économie bourgeoise :

Les écrivains de l'antiquité classique, au lieu de donner tant d'importance à la quantité et la valeur d'échange, s'en tiennent exclusivement à la qualité et à la valeur d'usage. Pour eux, la séparation des branches sociales de la production n'a qu'un résultat : c'est que les produits sont mieux faits et que les penchants et les talents divers des hommes peuvent se choisir les sphères d'action qui leur conviennent le mieux], car si l'on ne sait pas se limiter, il est impossible de rien produire d'important. La division du travail perfectionne donc le produit et le producteur. Si, à l'occasion, ils mentionnent aussi l'accroissement de la masse des produits, ils n'ont en vue que l'abondance de valeurs d'usage, d'objets utiles, et non la valeur d'échange ou la baisse dans le prix des marchandises. Platon, qui fait de la division du travail la base de la séparation sociale des classes, est là-dessus d'accord avec Xénophon, qui avec son instinct bourgeois caractéristique, touche déjà de plus près la division du travail dans l'atelier. La république de Platon, en tant du moins que la division du travail y figure comme principe constitutif de l'État, n'est qu'une idéalisation athénienne du régime des castes égyptiennes. L'Égypte, d'ailleurs, passait pour le pays industriel modèle aux yeux d'un grand nombre de ses contemporains, d'Isocrate, par exemple, et elle resta telle pour les Grecs de l'empire romain.[2]

Vers la fin du Moyen-Âge en Europe, la division du travail est allée en s'accroissant, mais cela ne s'est pas fait de manière linéaire et harmonieuse. Cela s'est fait en brisant les anciennes corporations de métiers, au profit des manufactures.

La dynamique de la division du travail est elle même prise dans une contradiction. D’une part :

« La manufacture produit la virtuosité du travailleur de détail en poussant jusqu’à l’extrême la séparation des métiers telle qu’elle l’a trouvé dans les villes du moyen age. » (Le Capital, T1, P 879).

D’autre part :

« l’organisation corporative excluait la division manufacturière du travail bien qu’elle en développât les conditions d’existence en isolant et perfectionnant les métiers. En général le travailleur et ses moyens de production restaient soudés comme l’escargot et sa coquille » (p 902)

Le développement du capital marchand, le perfectionnement de la production dans le système des corporations, la division du travail à la fois contenue et perfectionnée, l’augmentation générale de la richesse sapent les bases de la société féodale. mais aucun de ces éléments, ni même ces facteurs pris ensemble ne suffisent à fonder le mode de production capitaliste. Plus généralement, le développement de la production capitaliste ne peut se faire ... sans que la base de la production capitaliste ne soit elle même développée :

« Il se peut que, de manière sporadique, la manufacture se développe localement à côté des corporations, dans un environnement qui appartient encore à une toute autre période, comme par exemple dans les cités italiennes. Mais pour que le capital devienne le type prédominant d’une époque, les conditions de sa genèse doivent être développées non seulement localement, mais à une grande échelle ». (Principes d’une critique de l'économie politique)

3 Perspective communiste[modifier | modifier le wikicode]

Pour Marx et Engels, la division du travail est une caractéristique des sociétés de classe, qui sera supprimée sous le communisme :

Dès l'instant où le travail commence à être réparti, chacun a une sphère d'activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir; il est chasseur, pêcheur ou berger ou critique critique [ironie dirigée contre Bruno Bauer], et il doit le demeurer s'il ne veut pas perdre ses moyens d'existence; tandis que dans la société communiste, où chacun n'a pas une sphère d'activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production générale ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l'après-midi, de pratiquer l'élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. Cette fixation de l'activité sociale, cette pétrification de notre propre produit en une puissance objective qui nous domine, échappant à notre contrôle, contrecarrant nos attentes, réduisant à néant nos calculs, est un des moments capitaux du développement historique jusqu'à nos jours. [3]

Dans le Capital, Marx soutient qu'après avoir dégradé et ossifiée la division du travail dans la phase manufacturière, le capitalisme crée, avec la grande industrie, la base matérielle pour une association de producteurs polyvalents, n'étant plus figés dans leur métier.

« L'industrie moderne ne considère et ne traite jamais comme définitif le mode actuel d'un procédé. Sa base est donc révolutionnaire, tandis que celle de tous les modes de production antérieurs était essentiellement conservatrice. Au moyen de machines, de procédés chimiques et d'autres méthodes, elle bouleverse avec la base technique de la production les fonctions des travailleurs et les combinaisons sociales du travail, dont elle ne cesse de révolutionner la division établie en lançant sans interruption des masses de capitaux et d'ouvriers d'une branche de production dans une autre. (...) Oui, la grande industrie oblige la société sous peine de mort à remplacer l'individu morcelé, porte-douleur d'une fonction productive de détail, par l'individu intégral qui sache tenir tête aux exigences les plus diversifiées du travail et ne donne, dans des fonctions alternées, qu'un libre essor à la diversité de ses capacités naturelles ou acquises. »[4]

Au lendemain d'Octobre, les leaders bolchéviks comme Lénine et Trotski ont activement soutenu le recours aux spécialistes (ingénieurs, techniciens...) et le maintien de la production industrielle dans sa forme antérieure, c'est-à-dire avec une division du travail poussée. Leur priorité était l'augmentation des forces productives. Trotski envisageait toutefois comme perspective, à terme, l'affaiblissement de cette division du travail. Par exemple il cite Mendeleïev devant des chimistes qu'il espère pénétrer d'un but socialiste :

« A l'époque industrielle succédera peut être une époque plus complexe qui, à mon avis, sera marquée par l'allégement ou la simplification extrême des méthodes pouvant servir pour la production de la nourriture, des vêtements et des habitations. La science expérimentale doit aspirer à cette simplification extrême vers laquelle elle s'est déjà partiellement dirigée au cours des dernières décennies ». [5]

Trotski souligne que cette perspective est celle du communisme parce qu’un « tel développement des forces productives, qui aboutira à la simplification extrême des méthodes de production de la nourriture, des vêtements et des habitations, permettra évidemment de réduire au minimum les éléments de coercition dans la société. »

Boukharine écrivait :

« sous le communisme, seront éliminés non seulement l'antithèse entre la ville et la campagne, mais aussi l'ensemble de la division sociale du travail. Ce changement ne veut pas dire que ne sera plus produit qu'un seul produit, effroyablement uniforme, ou que les différentes branches de la production seront éliminées ; il signifie simplement qu'un type donné de travail ne sera pas associé pour toujours au mêmes groupes de personnes ou, plus précisément, que les personnes ne seront plus, comme les forçats avec leurs brouettes, attachés pour leur vie entière à une seule et même forme de travail. »[6]

Certains communistes insistent sur la nécessité de supprimer le travail spécialisé.[7]

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Karl Marx, Misère de la philosophie, La division du travail et les machines, 1847

  1. Adam Ferguson, Essai sur l'Histoire de la société civile, 1783
  2. 2,0 et 2,1 Cf. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Caractère capitaliste de la manufacture, 1867
  3. K. Marx - F. Engels, L'idéologie allemande, 1845
  4. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Quatrième section, XV - IX. - Législation de fabrique, 1867
  5. Trotski, Mendeleïev et le marxisme, 17 septembre 1925
  6. Nikolaï Boukharine, La théorie de la « gabegie organisée », 25 juin 1929
  7. Jao Aliber, Sur la nécessité de supprimer le travail spécialisé, décembre 2015